La soirée d’hier soir, vendredi 15 février 2019, à l’Espace des arts de Chalon-sur-Saône, avait des relents de saveurs paradisiaques. Enfin, pour ceux qui croient qu’il existe bien un paradis… Pour les autres, parlez de vos rêves les plus fous, de vos fantasmes de bonheur, de vos espérances de sérénité et autre plénitude… Moi, j’ai toujours envie de croire que le paradis existe et je me demande parfois s’il ressemble à une magnifique bibliothèque, à un repas gastronomique, une symphonie tumultueuse ou un ballet magistral ! Hier soir, j’ai comme compris que ce pouvait être un ballet, s’il venait de Lorraine, bien sûr !
En effet, la venue du CCN-Ballet de Lorraine à l’Espace des arts restera dans la mémoire d’une grande partie du public car les chorégraphies étaient de qualité – Twyla Tharp et Merce Cunningham – et l’exécution sous la direction de Petter Jacobsson à la limite de la perfection. C’est d’ailleurs cette perfection – ou son approche – qui m’a fait penser au paradis…
La première pièce, Sounddance, a donné immédiatement le tempo de la soirée. Difficile de vous dire ce que j’ai ressenti mais je vais essayer quand même… J’avais le sentiment de voir des être vivants – peut-être des animaux – tous différents en pleine action. Chacun donnait le sentiment de mener sa vie sur une musique surprenante, très contemporaine, de David Tudor. Ce compositeur américain est connu pour sa musique expérimentale, voire industrielle. Je fais partie de ceux qui aiment et donc je n’ai pas été surpris ni gêné, j’ai pu apprécier ce que chorégraphe et danseurs allaient pouvoir en faire… C’est alors que ce qui pouvait sembler de la danse individualiste ou chaotique a pris son sens… C’est un peu comme dans la jungle… Chaque animal mène sa vie, peut être admiré en tant que tel puis, l’heure venue, tous se dirigent vers l’eau du fleuve pour boire et on admire le collectif… c’est un peu ce que j’ai ressenti dans un premier temps…
Puis, j’ai mesuré le rythme, la performance, la technique dont faisaient état les danseurs… Une merveille, tout simplement… Rapidement, même les moins sensibles à la musique n’avaient plus que d’yeux pour les danseurs et ce qu’ils réalisaient devant nous… Et quand le rideau tombe, on est là en se disant que l’on vient de vivre un évènement, quelque chose de particulier et que cette expérience va rester dans nos mémoires définitivement… et comme quand on regarde la nature, on ne garde pas un danseur ou un autre, un animal ou un autre, mais bien tout un ensemble magique et paradisiaque…
La seconde pièce m’a moins touché et m’a permis de reprendre des forces pour le ballet In the upper room, un moment étonnant avec une musique de Philip Glass spécialement écrite pour ce ballet. Et là, plus de doute j’étais bien au paradis…
Comment vous dire ce qui se passe lors d’un tel ballet… Premières notes, premiers mouvements, premières énergies et on quitte notre siège – pourtant de qualité depuis la rénovation de l’Espace des arts – et on atteint en quelques instant un nirvana lointain, magique, sacré, divin, inconcevable quelques minutes avant le lever de rideau… Ce n’est pas artistique, ni technique, ni physique, ni dynamique, ni fou, ni endiablé – tiens, pour un paradis l’image est osée ! – mais c’est tout cela à la fois et pendant 45 minutes on ne sait plus où donner des yeux, des oreilles, de la tête et du cœur… Tout s’enchaine, tout se voit, tout se dit, tout se montre et on absorbe tout sans en laisser une miette…
Vous allez me dire avec raison, certainement, que la danse ne dit rien, qu’elle n’est pas si porteuse de sens, surtout quand elle contemporaine et je vous répondrais avec certitude que vous ne deviez pas être là hier soir à l’Espace des arts ! Car, hier, elle était tout cela et même plus !
Finalement, le plus difficile, ce fut de se retrouver dans son fauteuil et de se lever pour repartir dans le froid et dans la nuit… On était si bien au paradis !
Canardo est une série qu’a créée Benoît Sokal à partir de 1978 en collaborant au magazine (A suivre). Au départ, ce furent des petits récits puis on en vit à des histoires longues qui prirent place dans de très beaux albums… J’avoue avoir aimé ce canard, que dis-je, cet inspecteur pas très futé, un privé à l’ancienne, capable de quelques facilités, approximations et autres vulgarités… mais qui finit toujours, plus ou moins, à conclure le travail… On dit que ses modèles furent Philip Marlowe et Mike Hammer. Oui, vous l’avez bien compris, on est au cœur du roman noir américain… Le vieux polar couvert de poussière que l’on dégage à coup de souffle pour le plaisir…
Attention, roman noir mais bande dessinée animalière et en couleurs… L’inspecteur est bien un canard anthropomorphe. Comme souvent ses illustres modèles, il est alcoolique, fumeur, dragueur, dépressif… Mais tout cela en beaux dessins en couleur ce qui évite aux lecteurs la chute trop violente dans cet univers glauque car ici on est bien au cœur du glauquissime !
Seulement voilà, Benoît Sokal n’est pas le genre à se laisser enfermer dans une seule série, une seule activité même s’il fait tout du scénario au dessin sans oublier les couleurs… Aussi, en 1994, quand il se lance dans le jeu vidéo, une autre de ses passions, il pense à se faire aider sur la série Canardo… La rencontre entre Pascal Regnault et Benoît Sokal a lieu grâce à un intermédiaire et finalement le contact initial se transforme en collaboration… qui dure ! Le créateur de Canardo lui demande de travailler avec lui pour garder le rythme d’un album par an… Au départ une aide graphique, les couleurs puis le dessin seul !
Alors, oublions un instant Pascal Regnault qui s’est fondu dans la série et revenons à Canardo lui-même… Depuis quelques albums, il se passe des évènements dramatiques dans le duché du Belgambourg… En effet, la population wallonne, du moins la partie ouvrière et populaire, passe clandestinement le lac Belga pour venir « envahir » le duché qui vivait paisiblement… Jusqu’à cette date, les seuls étrangers qui arrivaient au Belgambourg venaient pour ne pas subir leur fiscalité nationale, pour blanchir des revenus pas très nets, pour vivre paisiblement de leur fortune… Ainsi, on verra l’ancien policier Garenni prendre la tête de la police du lac…
Wilfrid Lupano est un scénariste, certes, prolixe, mais surtout pertinent ! Je lis ses ouvrages depuis longtemps, presque depuis le premier, et je l’ai interviewé plusieurs fois, toujours avec autant de plaisir, d’attention et de satisfaction… En fait, pour être précis, c’est avec la série Alim le tanneur que je l’ai découvert (dessin de Virginie Augustin) et jamais je n’ai été déçu par ses bandes dessinées. Certes, elles peuvent être plus ou moins fortes, géniales ou agréables, mais elles ne sont jamais mauvaises, du moins à mes yeux, et ce malgré l’avis de certains…
Il s’agit-là d’une fable, d’une drôlerie, d’une fantaisie – qu’importe le nom pourvu que l’on ait l’ivresse – qui pourrait être qualifiée d’écolo, alternative, anticapitaliste, fromagère, délirante, déjantée… Mais, là encore, n’allons pas trop vite ni trop loin. Cette fable pourrait être aussi humaniste, philosophique, métaphysique, politique, économique (et chacun remettra les mots dans l’ordre qui lui convient).
Quant à moi, je trouve cette fable lupanesque, tout simplement. C’est-à-dire qu’elle est tout cela à la fois et c’est justement ce qui me plait chez ce scénariste depuis toujours… Dans Alim le tanneur, en faisant preuve d’une réflexion forte avant beaucoup, il pointait du doigt les religions quand elles sortent de leur cadre traditionnel – la vie privée et intérieure de chacun – pour devenir un objet de pouvoir politique. En clair, c’était la dictature des clercs… Et, ici, avec Traquemage, il continue et enfonce le clou !
On a pu parler du projet, de la recherche de l’équipe pour le réaliser, de son apparition dans le monde éditorial, des objectifs déclarés de Lupano, de la façon de travailler de ce duo improbable… Que faut-il garder en mémoire de cet entretien ? Le mieux est que vous patientez un peu pour l’écouter à la radio et vous faire votre opinion vous-mêmes… Mais… Je peux quand même vous donner mon avis…
« Florida » est une bande dessinée qui peut à la fois faire peur par son impressionnant volume (256 pages) et attirer par la poésie se dégageant de la couverture. Une fois ouverte, il est très difficile de la lâcher. En effet, Jean Dytar nous emmène avec cet ouvrage dans le Londres de la fin du XVIe siècle. Nous suivons à travers le regard d’Eléonore, l’histoire de la conquête de la Floride par la France et plus particulièrement le destin de Jacques Le Moynes, son mari. Ce dernier a fait partie, alors qu’il était un jeune cartographe, d’une expédition en Floride qui fut un véritable échec. Traumatisé par son expérience, il lui faudra du temps avant de confier son histoire à sa femme et aux lecteurs….
Alors que l’on pourrait s’attendre à un nouveau récit historique se déroulant pendant la Renaissance, l’auteur nous surprend en nous informant de la sortie de son prochain album, qui se trouve être une bande dessinée jeunesse et se déroulant dans le monde contemporain ! Mais comme l’action se passe au Louvre, une dimension historique restera néanmoins présente… On ne se change jamais totalement !
Les nouvelles technologies dont désormais bien ancrées dans nos vies. Il y a des applications pour tous nos besoins : GPS, réseaux sociaux, météo, … Il existe même un coach personnel pour nous aider à mieux gérer notre vie. Enfin ça c’est ce qui existe dans la bande dessinée «Le profil de Jean Melville».
Ma première rencontre avec Nathalie Ferlut fut à travers la poétique bande dessinée « Dans la forêt des lilas » dont elle est la scénariste. J’ai immédiatement été attirée par la sublime couverture créée par Tamia Boudouin avec qui, je l’appris par la suite, Nathalie avait déjà travaillé pour « Artemisia ».
Nathalie Ferlut me raconta que justement, cette histoire, elle l’avait écrite pour Tamia. Pour son dessin à elle. Elle compare leur collaboration à du Jazz : « Même quand c’est de l’improvisation, pour le peu qu’on se connaisse bien, on se répond et on essaye de mettre en valeur les choses ».
La couleur fait pour moi partie intégrante du dessin. Je ne peux pas imaginer le trait et la couleur séparés l’un de l’autre. Et pourtant, le monde de la dessinée découpe le dessin en plusieurs métiers, le scénariste, le dessinateur, le lettreur, l’encreur et le coloriste…
Et c’est justement Claude Guth que j’ai pu interviewer. Saviez vous que les deux noms présents sur la couverture sont ceux du scénariste et du dessinateur, et que celui du coloriste n’a jamais cette chance. Toutefois cela ne gène pas Claude Guth. Il se considère comme l’auteur des couleurs. Le coloriste est un métier de l’ombre. Ironiquement son rôle est de mettre en lumière l’action au sein des cases, donner une ambiance et fluidifier l’histoire.
Rien ne destinait Claude Guth à la bande dessinée. C’est dans les assurances qu’il a commencé pour ensuite aller dans le graphisme et la communication. Au final, il reprit des études d’art après avoir découvert le mondes des couleurs en colorisant des bédés pour un magasine de sa région natale : l’Alsace.
Malheureusement, les coloristes sont très peu représentés et mis en avant dans le monde de la bande dessinée au grand regret de Claude Guth. Son souhait serait de voir un prix au festival d’Angoulême pour les coloristes et donner ainsi une visibilité à sa profession au niveau national et international… Quand sera-t-il entendu et suivi ?
Côté Delcourt, si vous avez aimé « La saga de Grimr », vous serez également conquis par « Penss et les plis du monde » de Jérémie Moreau également, avec une histoire qui se déroule cette fois-ci durant la préhistoire. De même, les fans de « Blacksad » et de séries animalières trouveront leur compte dans « Les Cinq Terres », un beau projet de série fantastique avec David Chauvel au scénario mais secondé par toute une équipe. Pour finir, FibreTigre et Arnold Zephir signent avec Héloïse Chochois « Intelligences Artificielles, miroir de nos vies » qui plaira à tous ceux qui s’interrogent sur la création et les enjeux de cette technologie.
Lorsqu’à Angoulême, on m’a annoncé qu’une interview avec Pacco et Margaux Motin s’était ajoutée, j’ai tout de suite voulu y être ! Car ces deux là, ça fait déjà des années que je les suis et lis leurs petites notes rigolotes sur Internet. Donc vous pouvez imaginer ô combien j’étais excitée à l’idée de les rencontrer !
Le couple nous raconte comment une de leurs amies a complètement paniqué à son mariage, se demandant si finalement elle faisait le bon choix. C’est ainsi qu’est né « OUI ! 101 questions à se poser avant de se marier ». Le ton de cette bande dessinée est léger et humoristique, c’est pourquoi je suis surprise d’apprendre qu’ils ont tout deux mené de longues recherches sur des sites très sérieux sur le mariage pour créer cet ouvrage. Car après tout c’est vrai, si jamais votre compagne a un casier judiciaire, comment pourriez vous le savoir si vous ne lui demandez pas ?
Les 101 questions peuvent donc faire véritablement réfléchir sur son couple, même si dans la forme, on sent que les auteurs se sont amusés sur la création de l’album. Ils nous expliquent avoir voulu représenter un très large panel de personnages, pour que chacun s’y retrouve et ils en ont même profité pour intégrer certains de leurs amis !
Nous nous attardons ensuite sur « Les Raspberry ». Si Pacco en est l’auteur complet, Margaux l’a beaucoup aidé à sa construction. Comme il le dit si bien « de toute façon, tout ce que l’on fait c’est nous deux! ». Je connaissais déjà cette petite famille préhistorico-futuriste, dont les petites aventures étaient publiées sur les réseaux sociaux. Je ne m’attendais donc pas, à ma lecture de cette bande dessinée, à une interrogation sur la paternité, les pressions sociales et les masculinités. Réussir de parler de tout ça en 56 pages et avec humour, quelle prouesse ! Surtout qu’il est plutôt rare de voir des hommes s’emparer du sujet, j’ai donc été agréablement surprise et 100% conquise. J’attends les suites avec impatience !
J’ai toujours eu une forme d’admiration pour ceux qui se lançaient dans des projets au long terme et qui allaient jusqu’au bout de leur idée, de leur concept… Quand Eric Corbeyran et Etienne Le Roux m’avaient parlé de leur idée, suivre un groupe de personnes durant toute la guerre de 1914-1918, avec une série de dix albums, sans être dubitatif, je me disais quand même que ce serait long d’aller jusqu’à la fin, surtout avec des albums qui sortiraient tout au long des années 2014-2018. Oui, un anniversaire, c’est un anniversaire, pas un à-peu-près !
Chaque année, je retrouvais Etienne, parfois accompagné de son scénariste Eric Corbeyran que je connais bien et depuis fort longtemps, et nous parlions de ces personnages et de cette guerre qui allait changer leur vie… Je me suis attaché à ces personnages, j’ai souffert avec eux, j’ai attendu la fin de la série pour qu’enfin ils puissent retrouver la vie… Mais dans quel état ?
La question qui se posait pour moi et Estelle, seule étudiante à être tombée sous le charme de cette magnifique série, était de savoir comment le dessinateur se sentait après avoir terminé cette grande saga humaine…
Alors, on peut dire qu’il va bien, qu’il est partagé entre le soulagement d’avoir terminé et le fait que ses personnages le quittent, en quelque sorte… Il faut passer à autre chose et c’est le propre des auteurs qui dans une carrière font plusieurs séries, racontent plusieurs histoires… Etienne Le Roux avait commencé avec difficultés sa carrière en bandes dessinées car il n’avait pas eu la chance de tomber sur la bonne série qui allait fonctionner et trouver ses lecteurs. Je l’avais lu dans l’Education des assassins, série de qualité, et c’est pour cela que j’ai été heureux de le voir arriver avec 14-18. En cours de série, il a aussi écrit un très bon scénario qui est devenu une magnifique bédé avec le dessin de Vincent Froissard ce qui démontre que cet homme, Etienne Le Roux, est un très bon auteur de BD.
Après une belle rencontre où j’ai laissé Estelle mener les débats, j’attends maintenant avec impatience et curiosité les prochains travaux d’Etienne Le Roux… J’ai le sentiment que l’on ne sera pas déçu… Quant à Estelle, elle est repartie avec une très belle dédicace d’un des personnages qu’elle affectionnait, Maurice !