Rencontre avec Stephen Desberg (janvier 2011)

Stephen Desberg

Stephen Desberg

Stephen Desberg est un auteur belge de bédé qui a démarré sa carrière dans le Journal de Tintin, pas étonnant pour un des artistes de la bande dessinée franco-belge. Il était à Angoulême en janvier 2011 pour le lancement de la série Sherman série qu’il scénarise pour le dessinateur Griffo. La série restant d’actualité, nous avons décidé de vous présenter cet entretien pourtant déjà ancien…

COUV IRS 1Shelton : Quand on suit vos parutions, nombreuses au demeurant, on se demande comment le scénariste fait pour suivre toutes ses histoires sans se mélanger les crayons…

Stephen Desberg : En fait certaines histoires sont déjà écrites depuis longtemps et ce sont les dessinateurs qui terminent les albums au fur et à mesure. Sherman, par exemple, je l’ai écrit d’une traite. Les six albums à la suite. C’est tout un univers particulier et cela permet d’être concentré sur tous les aspects, tous les détails de la série. Pour les personnages et leurs caractères, cela permet de ne pas perdre le fil de ce que l’on veut raconter, de rester cohérent et crédible. Si je mélange les séries, Scorpion, IRS ou Sherman, il y a le risque de me perdre et d’égarer par là même le lecteur. J’essaie de plus en plus quand j’entame un projet de le terminer ou du moins d’aller assez loin pour ne pas avoir de soucis dans la suite de l’écriture. Mais pour un projet comme Sherman, il valait mieux écrire les six albums en une seule fois.

COUV IRS All watcherShelton : Quand on vu sortir en librairie la série IRS All watcher, on s’est demandé s’il s’agissait seulement d’une opération financière. Pourquoi avoir voulu décliner cette série IRS ?

Dessin de Vrancken

Dessin de Vrancken

Stephen Desberg : Dans IRS, la série principale, il y a des choses que je ne peux pas faire. Je ne peux pas mettre Larry sur le côté pour qu’il ne soit qu’un des personnages de la série parmi les autres. Donc tout part de mes envies et de ma passion pour le feuilleton à l’américaine. Dans IRS All watcher, je voulais faire une série limitée, qui raconte une histoire complète, avec toute une série de personnages que je voulais développer progressivement. Larry n’est qu’un de ces personnages, ce qui n’aurait pas été possible dans la série principale. Cela permet aussi de construire le scénario autrement, de faire dessiner les albums par des dessinateurs différents et j’espère que le plaisir que nous avons eu touchera aussi les lecteurs.

[La série IRS All watcher comporte sept albums différents, tous sortis, dessinés par quatre dessinateurs, Bourgne, Queireix, Mutti et Koller]

sherman1
Shelton : Venons-en maintenant à cette série Sherman. La première planche du premier album pourrait presque être la dernière planche d’une histoire, l’aboutissement d’un rêve : un homme que l’on ne connaît pas encore est sur le point de voir son fils devenir président des Etats-Unis…

sherman-t1-05Stephen Desberg : La première intention était de traverser la deuxième moitié du vingtième siècle avec un même personnage. Un personnage principal serait connu avant la guerre, puis on le verrait traverser la guerre et on le retrouverait après ce conflit. Cet objectif m’a amené à travailler sur les années trente qui me passionnent beaucoup, sur la crise financière, sur la montée du nazisme et c’est ainsi que je me suis intéressé à l’implication des financiers américains dans la machine de guerre allemande. Je trouvais que c’était un angle d’attaque original et captivant. Une idée menant à une autre, mon récit s’est construit petit à petit, et j’ai choisi un aspect polar pour faire entrer le lecteur dans du concret même quand les évènements peuvent être complexes. Un personnage, Sherman, va occuper le devant de la scène de l’histoire mais on comprend rapidement qu’il cache quelques secrets, qu’il n’est pas lisse, et c’est ce qui va motiver le lecteur dans sa recherche de la vérité. Le lecteur va au bout de sa lecture pour savoir, comprendre, connaître Sherman dans sa vérité absolue. Dès le départ, on va assassiner son fils, lui dire qu’on va le ruiner et faire disparaître sa fille, et reste alors six albums et cinquante ans d’histoire pour comprendre qui peut lui en vouloir autant et pourquoi, pour découvrir ce qu’il a pu faire pour mériter une telle vengeance. Nous sommes dans du polar sans aucun doute !

Shelton : Et comme dans ce type d’histoire, vous passez votre temps à semer des fausses pistes, des indices foireux, des anecdotes sans importance dans l’histoire. Vous jouez avec le lecteur…

sherman-4Stephen Desberg : C’est le plaisir de cette écriture, facilitée d’ailleurs par le fait de travailler sur les six albums d’un coup. Je sais où je veux en venir, je pose mes jalons et le lecteur ne sait pas ce qui aura de l’importance ou pas. Il doit tout lire, tout absorber et on l’entendra parfois dire « Ah, oui, c’était donc ça ! ». En plus Sherman, ce n’est pas l’histoire que d’un personnage mais de toute sa famille. Donc, il fallait mettre tous les éléments pour que chaque personnage, chaque destin, soit crédible ! D’où les nombreuses tranches de vie, comme dans une saga familiale.

Shelton : Pourquoi, comment avez-vous choisi Griffo pour dessiner Sherman ?

Planche d'Empire USA par Griffo

Planche d'Empire USA par Griffo

Stephen Desberg : On se connaissait depuis longtemps et on se rencontrait souvent en se disant que l’on allait travailler ensemble… Nous avons eu cette opportunité pour la série Empire USA. Il a dessiné le premier album, celui qui a donné le ton pour les autres dessinateurs. Puis, comme un des dessinateurs prévus a eu un souci, il a pris le relais et en a dessiné un second. C’est aussi lui qui a fait un gros travail sur les couvertures de la série et donc fort de cette expérience commune je m’étais fait la réflexion qu’un projet comme Empire USA aurait pu être entièrement assumé par lui. Lui, seul, j’entends, car il travaille vite et bien. J’avais donc cette idée de faire un projet sur six albums avec lui ce qui donne en plus de la cohérence de l’histoire, un ensemble graphique de bonne tenue et plus personnelle. Rester  plus qu’à accorder nos agendas, attendre que nous soyons tous les deux libres, ce qui a fini par arriver.

Shelton : Mais le projet lui convenait-il ?

Stephen Desberg : Le projet que j’avais en tête résonnait chez lui qui n’avait encore jamais dessiné cette époque. Je ne peux pas dire que j’ai été surpris en voyant arriver ses premières planches – je connaissais déjà bien son travail – mais j’ai été un peu bluffé. Si moi j’ai écrit d’une seule traite, il faut savoir que Griffo a fait la même chose pour son story-board, ce qui assure une cohérence, une unité graphique de qualité. J’ai pu lire les six albums à la suite ce qui est réellement exceptionnel et formidable pour un scénariste. Cette ébauche est d’une telle qualité que je suis certain quand les six albums seront sortis que nous publierons une intégrale de l’histoire avec en bonus le story-board de Griffo. Sa spontanéité est tout simplement admirable. Ce qui m’a ravi aussi est de voir son implication dans l’histoire, réaliser comme il sentait bien les personnages… dans le sixième album, sans trahir le suspense, il y a une scène émotionnelle forte et j’avoue avoir été totalement touché, bouleversé alors que c’est ma propre histoire. Je trouve que c’est un dessinateur qui rend très bien les expressions, les sentiments des personnages et c’est très important pour le lecteur. Certes les mises en scènes, les atmosphères, les décors, tout cela est important mais si les personnages ne véhiculent pas les intentions du scénario dans les regards, les attitudes alors cela ne peut pas fonctionner. Avec Griffo ça fonctionne parfaitement !

Hommage de Desberg à Griffo son dessinateur !

Hommage de Desberg à Griffo son dessinateur !

Alors il ne vous reste plus qu’à plonger dans cette série Sherman dont cinq albums sont déjà sortis en librairie.

Rencontre avec Christian De Metter

Christian De Metter

Christian De Metter

Shelton a rencontré Christian De Metter dans le cadre du festival international de la bande dessinée d’Angoulême. C’était la troisième fois qu’ils se croisaient autour d’un micro, mais la première fois depuis le succès de Shutter Island

Shelton : Christian de Metter, ceux qui vous suivent savent que vous travaillez parfois seul, parfois en compagnie d’un romancier, d’un autre scénariste, voire même d’un autre dessinateur. Qu’est-ce que vous préférez comme façon d’écrire et dessiner ?

Christian De Metter : Globalement, j’ai quand même travaillé assez souvent seul. J’ai eu une collaboration avec Catel (Le sang des Valentines), avec Thomas Benet (Swinging London)… Mais globalement je suis assez seul. Après, est-ce que je préfère les adaptations ou les créations ? En fait, j’aime bien alterner les deux. Ces derniers temps j’ai enchainé les adaptations du fait du succès relatif de Shutter Island (roman de Dennis Lehane). C’est vrai que c’est plus facile maintenant si je dis que j’aimerais faire une adaptation de tel ou tel roman, plus facile qu’au début de ma carrière. Du coup, j’y vais à fond, on sait jamais ce que nous réserve l’avenir. J’ai fait Scarface (roman d’Armitage Trail) et je termine Cul de sac (roman de Douglas Kennedy). Après, je souhaite revenir à des histoires et des univers plus personnels.

Excellent mais noir intense...

Excellent mais noir intense...

Shelton : Vos univers sont assez noirs, comme les romans que vous choisissez d’adapter.

Christian De Metter : Je choisis les romans parce que justement ils sont dans les ambiances que j’aime, ils traitent des sujets qui m’habitent depuis longtemps. Si j’ai choisi Shutter Island c’est pour l’aspect sombre, le côté psychologique et noir, ce qui correspond parfaitement à mon dessin. Mon dessin est ce qu’il est et je ne pense pas pouvoir faire du gag avec ! Mon dessin et ces ambiances vont bien ensemble. J’aime vraiment la psychologie des personnages, je tente de comprendre l’humain. Vous savez l’humain c’est passionnant et parfois aussi, je le concède, consternant. J’aime creuser mes personnages, les situations, répondre à tous les pourquoi qu’on se pose, voir les constructions et destructions de personnages en fonction des rencontres que l’on fait… Tout cela je le raconte avec mon dessin…

Le succès !!!

Le succès !!!

Shelton : C’est ainsi qu’était né l’album Marilyn ?

Christian De Metter : C’est un personnage qui m’a toujours fasciné. Sur le plan de l’identité, elle très intéressante. Je suis en train de lire son journal intime qui vient de paraître en français (Fragments) et on voit bien la scission qu’elle fait elle-même entre Norma Jeane et Marilyn. De plus, cinquante ans après sa mort son image reste fort présente dans nos imaginaires, dans le monde du cinéma.

9782203019256Regardez le nombre de fois que ses photos sont encore utilisées en couverture des magazines de cinéma. D’ailleurs elle n’a fait que peu de films (27 selon un décompte officiel), pas tous des chefs d’œuvre, et elle reste toujours présente partout. C’est une véritable icône du cinéma du vingtième siècle. Pourquoi ? C’est de là, peut-être qu’est né mon projet. Par ailleurs, j’avais développé une histoire, avec une maison isolée et ce personnage qui arrivait là un peu par hasard parce qu’il était bloqué dans la neige, et qui découvrait des choses dans cette demeure… Puis, à un moment, il était évident que les deux ne devait plus faire qu’un seul projet que toutes mes recherches sur Marilyn devaient trouver leur rôle dans cette histoire de maison isolée… Ce fut l’occasion aussi de montrer que la faille chez Marilyn était de ne pas avoir su faire le deuil dans sa vie de certaines choses. On doit tous faire le deuil de certains éléments du passé pour continuer à avancer. Marilyn n’a jamais su le faire et c’est pour cela qu’elle a « bugué » ! Le deuil de l’enfance, le deuil de certains amours… voilà ce que j’avais envie de creuser dans cet album Marilyn.

Une planche de Marilyn

Une planche de Marilyn

Shelton : Passons à Scarface, adaptation qui a suivi le succès de Shutter Island.

Christian De Metter : En fait, pour la première fois de ma carrière d’auteur de bandes dessinées, Scarface est une proposition d’éditeur. François Guerif, ou Matz, je ne sais plus lequel m’a fait cette suggestion le premier, et j’avoue sur le coup n’avoir pas été emballé par ce roman. Je ne pensais pas qu’il s’agissait d’un univers pour moi. Il y avait beaucoup de gangs et de violence or je me méfie toujours de la violence. C’est un sentiment ou une réalité humaine que je n’aime pas dessiner. J’ai trop peur de me retrouver dans un rapport esthétique avec la violence.

ScarfaceEn plus, le cinéma était passé par là, je connaissais le film avec Pacino qui ne m’avait pas beaucoup plu… Bref, plein de raisons de partir en courant devant cette proposition. Mais, avant de répondre définitivement, j’ai voulu d’abord revoir les deux films qui avait été réalisés, entre autres celui de Howard Hawks de 1932. Je me suis aperçu que les deux films n’avaient traité qu’une partie du roman, qu’il y avait beaucoup plus à raconter, qu’il y avait des grands espaces à explorer pour une adaptation en bande dessinée. Il y avait même des thèmes qui me concernaient depuis longtemps comme la perte de l’identité, la coupure avec sa famille, le rejet de ses racines et le rapport au frère.

Shelton : Ce dernier point est très marqué dans votre version en bande dessinée !

Christian De Metter : C’est vrai d’ailleurs j’ai construit une scène initiale et une finale qui mettent réellement cet aspect de l’histoire en avant. C’est vraiment un choix de ma part. D’ailleurs, après  Shutter Island j’ai été obligé de travailler très différemment pour Scarface. En effet, dans Shutter Island, il y avait une mécanique très précise que j’étais obligé de respecter presque au millimètre. Chaque détail devait être là, on ne pouvait presque pas faire d’impasse sur l’histoire originale sans prendre le risque de déstabiliser tout l’édifice du roman. Pour Scarface, c’est tout l’inverse. C’est un univers dans lequel je n’avais qu’à piocher et j’ai pu, tout en respectant le roman, me sentir beaucoup plus libre.

Christian De Metter-3Shelton : Il y avait un autre problème avec cette adaptation, c’est le fait que chacun ou presque des lecteurs connaissait l’histoire. Il vous fallait travailler encore plus les ambiances pour offrir au lecteur quelque chose de nouveau.

Christian De Metter : En fait, dans ce genre de travail, je suis très égoïste. Les vraies questions sont pour moi : qu’est-ce qui m’intéresse, qu’est-ce qui me motive, qu’est-ce qui va me plaire dans cette adaptation ? Les questions sur les souhaits hypothétiques des lecteurs ne viennent que plus tard car je ne peux rien savoir de ce que pense le lecteur. Je me dis que si je suis sincère, alors il y aura bien des lecteurs qui me suivront. Qu’il y en ait dix ou dix mille, ce n’est pas mon problème, c’est celui de l’éditeur…

Shelton : Justement, quand ils sont nombreux, comme pour Shutter Island, ça vous surprend ?

Christian De Metter : Certes, il y a eu du succès pour cet album, mais soyez rassurés, je peux encore aller acheter mon pain à la boulangerie sans être assailli. Je reconnais que cette publication a mis un peu de lumière sur mon travail, mais il ne faut pas en faire tout un plat. Surprise ? Disons que le moment de joie intense c’est celui où on m’a répondu oui à ma demande d’adaptation. J’y tenais, je l’ai eue. Après tout est soulagement, satisfaction et bonus, seulement bonus. Je reconnais que c’est aussi une très bonne chose pour l’éditeur qui compte sur moi, qui sait bien que je ne vais pas vendre des cents et des milles… et qui pour une fois a le sourire ! Il a cru en moi depuis quelques années et je lui rends un peu…

Shelton : Et quel est l’impact de Shutter Island sur la vente de vos autres albums, sur des rééditions comme celle qui vient d’avoir lieu chez Casterman, Le curé.

Christian De Metter : Forcément, ça ramène des lecteurs, des acheteurs, mais c’est très difficile à quantifier, en tous cas, moi, je ne peux pas le faire à mon niveau. Moi je travaille chez moi, dans mon petit bureau, je ne rencontre jamais personne en dehors des dédicaces. Le public des dédicaces est particulier et représentatif du grand public, celui qui fabrique en quelque sorte les best-sellers. Mais parfois je rencontre une personne qui achète et fait dédicacer un ouvrage suite à la lecture de Shutter Island. C’est là le point très positif d’un livre qui « marche » bien, ça met en valeur toute l’œuvre de l’auteur. J’aurais eu au moins une fois cette chance dans ma vie !

Espérons que la chance reste en sa compagnie quelque temps et qu’il puisse ainsi nous offrir d’autres ouvrages de qualité comme Figurec ou L’œil était dans la tombe

Christian De Metter-2

Rencontre avec Jacques de Loustal

Il y a des auteurs que l’on a plaisir à rencontrer car on a l’impression de côtoyer alors des êtres de génie, des dessinateurs hors normes. Sa modestie dut-elle en pâtir quelque peu, Jacques de Loustal en fait partie, du moins à mes yeux. Ce fut donc encore un plaisir d’échanger avec lui lors du festival de la bande dessinée d’Angoulême…

Obervation ou admiration de la part de Shelton ?

Obervation ou admiration de la part de Shelton ?

Shelton : Jacques de Loustal vous êtes à la fois dessinateur, peintre, auteur de bandes dessinées, illustrateur, publiciste… que sais-je encore ?

Des affiches, aussi...

Des affiches, aussi...

Jacques de Loustal : En fait je suis surtout un homme d’images. Je travaille sur l’image au sens large, je suis influencé par la peinture, la photographie, l’illustration, la bande dessinée et j’aime bien être dans tous ces champs sans être enfermé dans un seul. Il est donc normal de me retrouver avec ce cahier de coloriage. J’ai eu l’idée un matin, vous savez quand on est entre le sommeil et le réveil. Dans cette réalisation, il y a deux choses. Il y a d’abord un gadget, un cahier de coloriage comme lorsque l’on était petit. Une sorte de clin d’œil. Mais c’était aussi pour montrer tous ces dessins qui n’existent plus car ils sont dans mes livres en couleur directe ce qui fait disparaître les traits à la plume de mes dessins. Avant, je fais toujours une photocopie de mes dessins mais j’avais envie, cette fois, de leur redonner un peu d’existence. C’est aussi une façon de montrer une étape de mes dessins, de faire prendre conscience de mes rapports à la ligne claire… car dans ces dessins en noir et blanc, pas de volume, pas de lumière, juste le dessin brut. J’ai donc proposé cela à Casterman, mon éditeur, et finalement, ça s’est fait. C’est aussi une façon de revenir aux fameux tirages de tête de la bande dessinée qui sont toujours en noir et blanc. Mais j’aimerais bien aussi voir cet album colorié par des enfants, voir ce que ça donnerait. Mais dans les dédicaces, on ne m’a encore jamais apporté un livre colorié ainsi…

Jacques de Loustal

Jacques de Loustal

Shelton : Jacques, vous faites à la fois des bandes dessinées et des livres illustrés et j’ai l’impression que vous faites les deux avec un égal plaisir, un bonheur bien réel… Illusion ou réalité ?

Jacques de Loustal : Oui, c’est vrai, j’aime tout cela. J’aime beaucoup les livres illustrés. Choisir dans un texte quelques séquences qui vont se transformer en images, c’est peut-être plus exigeant que la bande dessinée où l’on est obligé de tout traduire en images. Là, il faut choisir, sélectionner. On se donne à fond pour quelques images qui vont accompagner le texte. Il faut être alors très fort visuellement. Malheureusement, le livre illustré ce n’est plus vraiment à la mode – moi je vivais dans une maison qui était pleine de livres illustrés du début du vingtième siècle, j’ai été nourri avec ça – et ce n’est plus aussi populaire. En plus, quand j’ai illustré des romans de Georges Simenon, ce n’étaient pas des nouveautés. Par contre je suis très fier d’avoir illustré Le rappel de Boris Vian et Rubio y Morena de Tennessee Williams. Dans les deux cas, c’était un travail à l’ancienne pour des cercles de bibliophiles. J’aime beaucoup travailler dans ces conditions, avec des éditeurs qui privilégient la qualité et je regrette beaucoup que la collection Futuropolis-Gallimard se soit arrêtée car j’aurais aimé faire un livre par an avec eux.

1291644347lesamoursinsolitesShelton : Vous n’êtes pas qu’un auteur de livres illustrés, vous faites de la bande dessinée et dans ce domaine vous avez enchainé beaucoup de projets.

Le-Sang-des-VoyousJacques de Loustal : En fait depuis l’album Le sang des voyous – avec Paringaux en 2006 – chaque fois que je terminais une bande dessinée j’avais en main un nouveau projet, le scénario suivant. Mon problème généralement était de trouver une histoire et depuis quelques temps la question se pose moins. Je ne fais pas tant de bédés que ça car je ne suis pas tributaire d’une série, je ne cherche que des histoires, des collaborations, mais tout cela s’enchaine. Au moins de juin je vais terminer un album, mais je crois qu’après je vais stopper la bédé un ou deux ans pour prendre le temps de me régénérer sur d’autres modes d’expression, avec d’autres outils. Vous voyez, je vais prendre un temps pour la peinture, le dessin, pour travailler avec des galeries, faire des livres de dessins…

sang_des_voyous_1Shelton : Vous êtes à la recherche de votre équilibre…

Jacques de Loustal : Oui, c’est ça, et généralement j’y arrive.

Shelton : Quand vous mettez une histoire en bande dessinée, on a l’impression qu’à chaque fois vous choisissez ce qu’il y a de plus noir !

Jacques de Loustal : Oui, mais là encore je recherche mon équilibre entre ce qui est très noir, c’est vrai, mais ce qui est aussi très solaire et lumineux, avec à chaque fois un graphisme adapté, influencé. Je suis très attiré par exemple par les peintres allemands des années trente comme Beckmann mais aussi des artistes comme Gauguin, Matisse… Mais ma noirceur, si on peut dire, doit avoir certaines limites. Je ne peux pas me complaire dans le noir permanent ou le désespoir. Les histoires de couples avec Benaquista sont plutôt intimistes (Les amours insolentes), celles avec Jean-Luc Coatalem sont cocasses (Jolie mer de Chine, Rien de neuf à Fort Bango) tandis que celles avec Paringaux sont très noires (Le sang des voyou, La nuit de l’Alligator). De toute façon, je ne peux pas vivre uniquement dans des ambiances noires toute une année. Là aussi, il faut que je trouve mon équilibre.

Avec Coatalem...

Avec Coatalem...

Shelton : On vous a aussi vu signer une adaptation en bande dessinée d’un roman dans la collection Rivages/Casterman/Noir : Coronado, un roman de Dennis Lehane.

Jacques de Loustal : J’apprécie cette collection, je trouve qu’elle a une voix authentique et j’ai beaucoup aimé y participer. Pour moi, encore une fois, c’est le choix du texte. J’aime un texte par la façon dont il est écrit plus que par ce qu’il raconte à proprement dit. Pour moi, une adaptation est plus une dilatation. Donc il me faut des textes courts et des nouvelles dans la collection Noir de chez Rivages, il n’y en a pas tant que cela. Pour Coronado, je suis parti de vingt pages et j’ai produit soixante-dix planches…  J’aime utiliser des fausses pistes qui ne mènent à rien, développer des dialogues savoureux qui s’éloignent du scénario… mais sans réécrire le roman ou la nouvelle. Dans Coronado, quatre-vingt-dix pour cent du texte est d’origine !

Shelton : On souhaite que vous trouviez rapidement un nouveau texte chez Rivages pour nous enchanter de nouveau, et, en attendant, on va prendre le temps de colorier votre cahier de coloriage que l’on viendra vous présenter lors d’une prochaine dédicace !

COUV 2011 Livre à colorierJacques de Loustal : Au crayon, le coloriage car l’aquarelle ne tient pas sur ce papier…

Jacques de Loustal dessine

Rencontre avec Benoît Sokal

Sokal prêt à répondre à Shelton

Sokal prêt à répondre à Shelton

Benoît Sokal est un auteur de bandes dessinées qui est né en 1954 à Bruxelles. Il est très connu pour sa série  Canardo, éditée par Casterman et qui vient de voir le vingtième album paraître en 2011 : Une bavure bien baveuse. Il a aussi écrit plusieurs autres albums dont un remarquable  Le vieil homme qui n’écrivait plus en 1995. Il est aussi auteur de certains jeux vidéo comme Syberia. Enfin, il vient de sortir deux albums d’une nouvelle série, Kraa, qui sont de toute beauté. C’est donc avec beaucoup de plaisir et d’émotion que nous l’avons rencontré lors du dernier festival d’Angoulême…

Déjà le vingtième volume !

Déjà le vingtième volume !

Benoît Sokal : Canardo est la première bande dessinée que j’ai faite de manière professionnelle. Au départ, je n’avais pas l’intention de faire plus que trois ou quatre planches en noir et blanc. C’était pour le magazine (A suivre), c’était une sorte de bouche trou. Je n’avais aucun espoir particulier coincé que j’étais entre les grandes séries d’Hugo Pratt, Tardi et autres qui travaillaient dans cette revue. Mais, après une histoire, j’en ai écrit une autre, puis une autre et j’ai été pris dans l’engrenage. Aujourd’hui, Canardo est toujours vivant !

Shelton : Engrenage mais ce n’est quand même pas si désagréable que cela, non ?

Benoît Sokal : Oui et non ! Ce n’est pas si désagréable, c’est vrai, mais j’ai été surpris parce que mon propos n’était pas de faire une série. J’appartenais à un groupe, le « Neuvième rêve », et on ne voulait pas répéter ce qu’avaient fait avant nous les auteurs bédé. En particulier, on ne cherchait pas à reproduire le mécanisme des séries, ni les albums en 46 planches couleurs qui étaient destinés aux enfants. Nous étions en phase de révolution dans une bédé qui devenait adulte. Mais en un mois, voilà que j’avais repris les codes et je m’en suis défendu toute mon existence d’auteur bédés. J’ai tué Canardo une fois ou deux, j’ai écrit d’autres bandes dessinées, j’ai fait des jeux vidéo, j’ai tout tenté pour faire oublier que j’étais l’auteur de Canardo. J’aimais bien Canardo mais je ne voulais pas m’en faire une série régulière. Pourtant il a une santé de fer, malgré moi…

Canardo, toujours à l'aise...

Canardo, toujours à l'aise...

Shelton : Pour traverser une période si grande, Canardo s’est mis à vivre dans notre époque, avec des problématiques d’actualité…

Benoît Sokal : L’inspiration n’est pas quelque chose de magique. Elle vient très souvent d’un fait divers. Par exemple, celui sur lequel je travaille actuellement, le vingt-et-unième, est très clairement inspiré de l’affaire DSK, mais transposée dans le monde de Canardo, bien sûr.

Shelton : J’imagine parfaitement Canardo dans cet univers…

Benoît Sokal : Dès que c’est un milieu crapuleux, Canardo est à l’aise, vous savez ! Avec un tel personnage, je peux aller presque partout et le polar est un sujet inépuisable…

Efficace dans toutes les situations...

Efficace dans toutes les situations...

Shelton : Changeons d’horizon, de série et allons ensemble vers Kraa dont le second volet vient de paraître. Ici tout est différent : le rythme, le graphisme, la nature de l’histoire, la place de la nature… on pourrait dire une bédé spirituelle, presque ?

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Benoît Sokal : Je ne réfute pas ce terme de spirituel. Certes, plutôt une spiritualité noire. Il y a une dualité entre la grâce et la nature. Un peu comme dans les films de Terrence Malick. On ne sait pas avec précision de quel côté est la grâce. Est-elle du côté de l’humanité ou de la nature ? La nature est parfois aussi violente, voire plus, que la civilisation. Et la grâce peut aller d’un personnage à un autre, à tout moment, et c’est bien en cela qu’il y a du spirituel dans cette histoire. Mais c’est aussi sombre, noir, une histoire de vengeance entre deux mondes que tout oppose.

kraal2pl1Shelton : Et tout cela dans une nature qui est « duelle », agressive et protectrice…

Benoît Sokal : Mais la météo elle-même participe à cette dualité avec parfois des phases clémentes et d’autres en pleine tempête. La nature est quand même toujours un cocon, même quand le cocon est mortel ! La nature englobe les personnages et, j’espère, aussi, les lecteurs. Cette bulle est par contre transpercée par la civilisation dans une sorte de viol permanent. A partir de là, la nature se défend comme elle peut…

Sokal-5(Vous pouvez découvrir la série avec ce clip : www.youtube.com/watch?v=gGgJQSrnIM8)

Sokal 02

Shelton : Benoît Sokal, alors que de très nombreuses bandes dessinées sortent actuellement sur des problématiques liées à la seconde guerre mondiale, on se souvent de votre remarquable one shot, Le vieil homme qui n’écrivait plus, et on se demande si tout cela ne vous donnerait pas envie d’y revenir un peu…

Benoît Sokal : Oui et non. J’avais traité un sujet très particulier sur la Résistance, une sorte d’épisode pittoresque même s’il était aussi dramatique. On pourrait trouver d’autres épisodes de cette nature car la résistance française a ce côté un peu Louis de Funès, Grande Vadrouille… Mais il y a aussi un autre aspect de cette guerre pour moi, une face que je ne sais pas raconter car une grande partie de ma famille est morte dans des camps. Je suis le résultat d’une génération de « Juifs honteux » qui ne m’ont jamais raconté leur histoire, qui ne veulent pas qu’on la raconte. Ils veulent que l’on soit noyé dans la masse. La préoccupation de mon grand-père était de ne pas faire de vague… Mon grand-père avait été durant la première guerre mondiale officier autrichien puis Juif durant la seconde guerre mondiale. Le vingtième siècle lui avait donné deux médailles, la Croix de fer et l’Etoile jaune ! Cette vie était aussi l’histoire du secret, de ce que l’on tente d’oublier une bonne fois pour toute. Il estimait que l’on avait eu assez d’ennuis avec cette histoire, qu’il valait mieux ne plus rien dire et j’ai su tout cela assez tardivement. Je ne crois donc pas que je vais maintenant le raconter et en faire une bande dessinée… Mon grand-père et mon père voulaient que cela reste dans le silence, je respecte leur vision de leur histoire !

P1160692Jeffrey : Benoît Sokal, vous avec travaillé, aussi, dans l’univers du jeu vidéo. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Benoît Sokal : De l’argent, beaucoup d’argent ! (rires) Cela m’a surtout apporté le fait de faire des choses différentes. Moi, je m’ennuie de l’uniformité. Quand j’ai commencé à faire de la bédé, je n’ai jamais eu à l’esprit l’idée de faire toujours la même chose. Si je peux suivre l’image, aller là où elle va, dans le cinéma, dans le jeu vidéo, dans la bédé… l’un reposant sur l’autre, avec des allers et retours permanents. Le jeu vidéo est aussi reposant par certains aspects : grasses équipes, grosses responsabilités mais on n’est pas seul. On délègue beaucoup. Il y a des avantages – projets d’envergure, très exigeants – et des inconvénients – projets très usants, que l’on ne maîtrise pas de la même façon, avec une ambiance plus stressante à cause de l’ampleur des budgets – ce qui permet en alliant les deux de se construire des phases différentes mais toujours agréables. Par exemple, en bande dessinée, ce sont des projets que je peux décider en une après-midi, avec mon éditeur, que je mets en place en une semaine seulement, en commençant le scénario. Après il faut, certes, le faire, mais le problème sera surtout de se retrouver seul à sa table de dessin. Donc, à chaque fois le positif et le négatif sont là et c’est à moi de choisir et de changer quand j’en ai envie. Mais c’est bien là le charme de mon métier. Si on ne veut pas cela, autant se faire expert-comptable !

syberia-e5499Shelton et Jeffrey : Y a-t-il d’autres projets vidéo sur le feu pour vous ?

Benoît Sokal : Pour le moment, le jeu vidéo est un dossier refermé ! Tous les projets que l’on me propose actuellement ne me conviennent pas. Je n’en ai pas les moyens pour être très précis. Je ne dispose pas des budgets nécessaires, voir indispensables en particulier à cause d’une surenchère permanente. Je ne veux pas faire un nouveau jeu au rabais. Le public potentiel serait le premier à me le reprocher. Je ne veux pas courir ce type de risque. Je sais que si je retourne au jeu vidéo je dois proposer beaucoup mieux que ce que j’ai déjà fait. Je ne veux pas me faire descendre en flèche par tous les amateurs de Sybéria… En plus, le jeu d’aventures comme je les faisais ont un peu passé de mode, les gens jouent moins sur PC – support de ces jeux – et il faut inventer quelque chose de nouveau, efficace et adapté aux supports d’aujourd’hui. On y reviendra peut-être, d’ailleurs ce sera possible avec un produit hybride entre le jeu vidéo et la bande dessinée…

wallpaper-L_Amerzone-13083Quel plaisir de rencontrer un auteur si complet, si lumineux et si conscient des réalités… Merci et à très bientôt pour une nouvelle rencontre autour de Canardo ou autre Kraa

Sokal-4

Rencontre avec Matz

Alexis Nolent, connu sous le nom de Matz dans l’univers de la bande dessinée, est un auteur bédé né en Normandie (Rouen) qui a aussi participé à la scénarisation d’une série TV, de deux jeux vidéo et a écrit deux romans. En 1998, il écrit le scénario du premier album de la série Le tueur avec Luc Jacamon au dessin. Il est aussi l’auteur des série Cyclopes (Jacamon puis de Meyère au dessin), Du plomb dans la tête (Colin Wilson au dessin), Shandy (Bertail au dessin) et, à venir, la série OPK… Matz est aussi codirecteur de la collection Rivages/Casterman/Noir. Il était cette année à Angoulême et nous avons eu l’occasion de l’interviewer. Il est agréable et plaisant de discuter avec lui et nous espérons que vous prendrez autant de plaisir que nous à découvrir quelques petits secrets de son travail, de ses personnages, de ses goûts…

Matz en pleine méditation

Matz en pleine méditation

Shelton et Jeffrey : Matz, avant de parler spécifiquement de votre série principale, « Le tueur », prenons le temps de parler de cette collection, de ce label particulier, Casterman Rivage Noir, dont vous êtes l’un des deux moteurs… ce n’est pas trop difficile, vous n’êtes pas submergés par les demandes ?

Matz : Je suis effectivement codirecteur de la collection aux côtés de François Guérif qui lui est directeur de Rivages Noir, la fameuse collection de romans noirs, textes qui sont adaptés en bandes dessinées. On a beaucoup d’auteurs qui trouvent la collection Casterman Rivages Noir très bien, qui voudraient en faire partie…mais notre travail est de choisir les romans qui vont être pris, puis de trouver les auteurs qui réaliseront ce travail et de le suivre au fur et à mesure. On a pas un objectif de production en grande quantité, donc on fait vivre notre collection sans problème en tentant les bons choix, en lançant les bons auteurs ou bonnes équipes sur les adaptations que l’on veut voir, que l’on veut lire au rythme de 4 à 6 par an en se focalisant sur la qualité.

Co-Directeur de collection et auteur

Co-Directeur de collection et auteur

Shelton et Jeffrey : Quatre à six titres par an, c’est ce que vous aviez annoncé au lancement de la collection mais on ne savait si vous arriveriez à tenir cette cadence, non par épuisement de la réserve de la collection Rivages noirs, mais par manque d’auteurs de bandes dessinées intéressés par le projet, par manque de lecteurs…

Matz : En fait cela marche plutôt pas mal, on a même eu un ouvrage comme Shutter island (Christian De Metter sur un roman de Dennis Lehane) qui a été un bestseller. Il y a aussi plusieurs titres qui se sont bien vendus, qui se vendent bien : Scarface (Christian De Metter sur un roman d’Armitage Trail), L’ultime défi de Sherlock Holmes ( Stromboni et Cotte sur un roman de Michael Dibdin), Nuit de fureur (Miles Hyman et Matz sur un roman de Jim Thompson)… Je crois que la collection trouve un public.

Auteur et réussite éditoriale

Auteur et réussite éditoriale

Shelton et Jeffrey : Est-ce que ce public retourne vers les romans après, est-ce que, finalement, la bande dessinée fait lire ?

Matz : Oui je le pense même si on n’a aucune preuve. Je crois que les lecteurs des polars s’intéressent aux bédés, les lecteurs de bédés aussi, par contre, je ne sais pas si ça crée vraiment une synergie énorme, mais il y a bien un véritable aller-retour…

Le premier d'une longue série

Le premier d'une longue série

Shelton et Jeffrey : Alors venons-en maintenant à votre série phare, « Le tueur ». Je me souviens de notre rencontre devant le premier album avec Luc Jacamon. Vous étiez dans l’incertitude totale car prendre comme héros un tueur à gages, c’était quand même un pari osé. Non ?

Matz : On sait jamais si ça va marcher ou pas. On est surpris quand ça marche mais aussi quand ça ne marche pas. Là, on accumulait les difficultés. C’était d’abord le premier album de Luc. Il débutait au dessin, n’avait pas de public acquis. Il avait un style unique, c’est pour cela que je voulais travailler avec lui, mais c’était son premier album. D’ailleurs, un style unique n’est pas réellement un atout car ça demande de la curiosité de la part du lecteur qui doit aller à la rencontre d’un graphisme, qui doit l’accepter… Le second handicap est d’avoir voulu un héros qui est un véritable anti-héros. Un héros très négatif.

Le métier de tueur

Le métier de tueur

Shelton et Jeffrey : Il ne s’est pas amélioré avec le temps ?

Matz : Je ne sais pas… Le premier cycle, c’est sa vision du monde. C’est un personnage solitaire qui noue des liens avec des personnes de son entourage. Il finit par avoir une compagne, un enfant… Le second cycle, c’est une embrouille géo-politico-stratégique. Cela provoque un décalage du propos et le tueur est un véhicule pour les auteurs. Il porte un tas de considérations sur le monde, mais comme c’est un tueur professionnel qui les tient le lecteur se demande toujours où se situe l’équilibre entre ce qu’il pense, ce qu’il dit, ce qu’il fait…

bd-interactive-le-tueurShelton et Jeffrey : Dans ce second cycle, on le voit plus douter…

Matz : Le tueur est un personnage habité par le doute. Il remet en question absolument tout : la religion, les affaires, la vie, la mort, tout ! C’est sa marque de fabrique.

Shelton et Jeffrey : Et le troisième cycle qui va arriver et sur lequel vous avez commencé à travailler ?

Matz : Dans le prolongement du deuxième, mais avec probablement un retour à une forme de solitude. En fait, lors du premier album, il est totalement seul. On est dans sa tête. La trajectoire logique était de lui créer des gens à qui parler, avec qui se lier. Maintenant que l’on a établi cela on peut retourner vers un personnage plus solitaire.

Travail très visuel...

Travail très visuel...

Shelton et Jeffrey : Comment vous avez réussi à créer un tel personnage que l’on a si peu envie d’aimer au départ ?

Matz : Mais j’ai été surpris que les gens l’aiment autant ! En fait, ce qu’il pense, ce qu’il fait, ce que l’on voit ne sont pas les mêmes choses. Cela déclenche l’intérêt pour lui. De plus certaines de ses interrogations, de ses réflexions, de ses doutes donnent quelques petites possibilités d’identification. Dès que l’on porte une certaine attention au tueur, on le juge moins. Lui ne juge personne. Du coup, bien que ce qu’il fait soit d’une certaine façon répréhensible, bien qu’il ne tue pas que des ordures, il donne l’impression de ne pas remettre le monde complètement en question et peut dégager une certaine image pas totalement négative.

Cycle 1Shelton et Jeffrey : Comment vous avez travaillé avec les autres personnages pour en arriver là, à ce sentiment ambigu du lecteur ?

Matz : Revenons à l’origine du tueur. Quand on lit des livres d’histoire, il y a des assassinats, des meurtres, mais on ne parle que fort peu de ceux qui les commettent. Quand on regarde des films, il y a aussi des tueurs, des exécuteurs, mais souvent ce sont des personnages secondaires ou totalement vides. Mais dans les deux situations, je me suis toujours dit que ces assassins devaient avoir une vie, une pensée… J’ai voulu me mettre à la place d’un mec comme ça et décrire tout un ensemble de situations où l’on puisse exploiter son point de vue sur les évènements… Malheureusement, j’ai une limite à la question c’est que je ne connais pas de tueur à gages ! Je n’ai donc pas pu avoir de confirmation sur les états d’âme et de pensées d’un tueur professionnel. Mais je ne désespère pas d’en rencontrer un…

Shelton et Jeffrey : Et sa peur de la mort… je fais allusion au moment où il exécute un homme durant sa mort ?

Matz : C’est vraiment un élément important. Au Moyen-âge, les gens avaient peur de mourir durant la nuit, en plein sommeil. Ils craignaient de ne pas pouvoir recevoir les derniers sacrements. Ils pensaient que dans une telle situation, ils allaient directement en Enfer. Maintenant, c’est un peu le contraire, on entend souvent dire « J’espère mourir dans mon sommeil ». Ne rien sentir, pas souffrir et hop ! Là vous évoquez une scène dans laquelle le Tueur doit tuer un mec qui dort. Est-ce qu’il le réveille ou pas. Lui, il se dit : « Si je dormais, j’aimerais bien savoir qu’on va me tuer, savoir que c’est le moment et j’aimerais mieux qu’on me réveille avant ». Pourtant, il le tue dans son sommeil parce qu’il ne veut pas s’embêter avec d’éventuelles conséquences. En même temps, si on meurt dans son sommeil, on ne sait pas qu’on est mort, non ? On ne se réveille juste jamais. Il vaut mieux savoir qu’on est mort, ou qu’on va mourir. Si on meurt dans son sommeil, il n’y a que les autres qui le savent, nous on ne le sait même pas !

Entre fiction et réalité

Entre fiction et réalité

Shelton et Jeffrey : Vous n’êtes pas que l’auteur d’une série, Le tueur, vous avez aussi écrit une autre série, toujours chez Casterman, Cyclopes. Quand vous regardez l’état de la planète aujourd’hui, vous n’avez pas l’impression que la fiction est devenue réalité ?

Matz : Je sais que je suis un visionnaire ! (éclats de rire) Oui, les cyclopes ont été rattrapés par la réalité. J’ai plein de copains qui me disent « T’as vu c’est comme dans Cyclopes ! ». La fiction est rattrapée, dépassée par la réalité surtout du côté de la sécurité et des actions de défense confiées à des milices privées. Cela a toujours existé mais c’est l’ampleur du phénomène qui est à observer. C’est d’autant plus pratique que ça permet de masquer certaines réalités : les mercenaires morts ne comptent pas dans les bilans officiels des soldats disparus.

Shelton et Jeffrey : Alors, une série terminée, Cyclopes, une série qui va aborder son troisième cycle, un polar noir adapté,  Nuit de fureur, est-ce qu’il y aurait quelques projets dans vos cartons ?

Matz : Si, j’ai des listes de projets pas encore développés. Peut-être qu’ils ne sont pas bons mais je n’ai pas encore eu le temps de le vérifier. Mais c’est vrai que j’ai pas mal d’idées en stock. Il y a une série en trois albums qui va sortir chez 12 bis, OPK. La base est réelle, un peu comme dans Cyclopes, mais cette fois nous allons tourner notre regard sur les joueurs de jeux vidéo MMORPG. Ces joueurs, quand leur avatar se fait tuer virtuellement, recherchent celui qui a tué leur avatar et ils le tuent vraiment. Et, en fait, c’est déjà arrivé dans la vie réelle ! Mais ce n’est que le point de départ d’un thriller…

Une histoire noire dessinée par un Australien

Une histoire noire dessinée par un Australien

Malheureusement, nous n’avons pas eu le plaisir de rencontrer Luc Jacamon, le dessinateur de la série Le tueur. Ce sera certainement pour une prochaine fois, à Angoulême ou ailleurs…

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Activités pratiques

J’ai toujours défendu l’idée, même dans l’adversité, que le dessinateur de bande dessinée était un travailleur manuel. Dit comme cela, c’est une évidence, mais dans une société occidentale qui a tant méprisé celui qui fait de ses mains, c’est moins évident à défendre. Par contre, vu du côté des auteurs, reconnaissons que cette vérité doit être aménagée en affirmant haut et fort que travailler avec ses mains ne dispense aucunement de faire fonctionner sa tête, que ce soit en construisant une maison, en cultivant des légumes, en élevant des moutons, en récoltant du raisin, en élaborant du crémant ou en racontant une histoire en bande dessinée…

Les mains que voici sont là pour votre plaisir et confirment qu’elles sont bien en train de dessiner, de vous raconter quelque chose de beau, et que ces dessinateurs – les heureux propriétaires des mains – sont bien des artistes manuels qui œuvrent de tout leur corps…

L'inconnu de Taïwan

L'inconnu de Taïwan

Il arrive que l’on aperçoive une main dépasser d’une casquette pour dessiner pour un enfant de passage et que l’on ne sache pas qui il est, ce qu’il a dessiné et pourtant nous le respectons car il a traversé le monde pour nous retrouver dans le pavillon de Taïwan…

Aude Soleilhac

Aude Soleilhac

Peu de femmes dessinent, c’est du moins ce que nous entendons depuis des années mais les choses ont changé et les mains de femmes s’activent comme les autres pour le plus grand plaisir des lecteurs… mais n’entendez pas autres choses, ici, c’est en tout bien tout honneur !

Jean-Michel Beuriot

Jean-Michel Beuriot

Les mains changent, les matériels aussi et les dessins prennent des tournures différentes, des volumes adaptées, des couleurs même dans certains cas… et nous voilà partis en voyage avec notre petite valise…

Cécile Chicault

Cécile Chicault

J’aime le crayon qui s’agite secouée par la main d’une femme qui transforme ces soubresauts en visage porteur de l’amour…

Charles Masson

Charles Masson

Voici les mains d’un médecin, des mains qui soignent et accueillent, qui réconfortent et qui sont capables de sauver, et qui prennent le temps de dessiner pour raconter la misère du monde…

Claude Plumail

Claude Plumail

J’ai vu des mains extrêmement précises prendre le temps de tous les détails et transformer ainsi une simple dédicace en œuvre d’art, en témoignage historique, en travail tout simplement offert au lecteur de passage…

Pascal Croci

Pascal Croci

- Dis, Pascal, tu me racontes Janet Burroughs ?

- Chut ! Écoute mes mains… La voilà !

Christian De Metter

Christian De Metter

Même quand le succès arrive, c’est toujours possible, la main doit continuer comme avant à travailler avec précision et poésie, avec vie et couleurs… et c’est cela rester soi-même !

Eric Warnauts

Eric Warnauts

Quand les mains de Guy s’absentent pour porter un verre de bière aux lèvres desséchées de l’auteur interviewé, celle d’Éric prennent le relais et dessinent seules, pour une fois…

François Schuiten

François Schuiten

Les mains savantes savent porter et utiliser plusieurs instruments à la fois, comme dans une séance de réalité augmentée…

Boulet

Boulet

Les mains d’artistes craignent la page blanche mais elles arrivent bien souvent à en venir à bout… parfois en se regroupant !

Gregor Rosinski

Gregor Rosinski

J’ai surpris des mains célèbres en train de thorgaliser ! Oui, le temps passe et certaines créatures continuent leur chemin de vie et on se prend à penser et s’interroger : qui pourra bien les arrêter ? Dieu ? Thor ? Allez savoir !

Hélène Georges

Hélène Georges

J’aime rencontrer des mains débutantes qui s’offrent en spectacle pour montrer que la qualité n’attend pas le nombre des années…

Jacky Goupil

Jacky Goupil

Tiens, au détour d’une allée du festival, une main de scénariste s’est glissée et elle nous dit que l’auteur des textes travaille aussi avec ses mains ! On l’oublie parfois tant les claviers nous ont éloignés des stylos et autres plumes…

Jessica

Jessica

Les mains de Jessica nous rappellent que toutes ces images viennent aussi des mains de Cindy, Jessica, Jeffrey, Michel ou Baptiste car, là aussi, c’est bien un travail manuel, une alchimie œil et mains !

Lorenzo Mattotti

Lorenzo Mattotti

Des mains d’expérience surgissent de l’infini pour nous emporter dans un rêve fou comme si elles attendaient à la fenêtre en observant tout avant de nous dire ce que nous n’avions pas vu de cette vie qui habite Lorenzo l’auteur le plus chaleureux que je connaisse…

Patrick Sobral

Patrick Sobral

Des mains légendaires ? Pas encore même si elles vendent beaucoup plus que d’autres, qu’elle enchainent les succès, les albums, les dessins… car, pour devenir Légendaires, il faut tout une série d’évènements autorisés par les dieux !

Richard Guérineau

Richard Guérineau

J’ai surpris des mains qui osaient s’allier aux forces occultes et aux anges noires pour nous révéler les anatomies des stryges et nous faire accéder ainsi à des secrets célestes. Mais qui prend les risques ? Les mains ou les yeux des lecteurs ?

Stéphane Créty

Stéphane Créty

Heureusement, je connais les mains qui nous sortiront de là car elles ont créé le super héros défenseur du pauvre lecteur sans défense ! Certes, ce sont bien des mains masquées, mais on peut les reconnaitre !

Will Argounas

Will Argounas

Et pour finir, rencontrons les mains qui ont su dessiner le pape qui n’est pas encore là et qui ne devrait pas tarder à croiser les routes humaines…

Bonne route au pays des mains que vous retrouverez dans tous les beaux albums de bandes dessinées qui nous arrivent jour après jour…

Une attention toute particulière…

J’entends souvent des gens dire – phrase bien générale pour éviter de faire preuve de méchanceté envers certaines personnes que je peux croiser quotidiennement sur mes différents lieux de travail – que les auteurs, les dessinateurs, les compositeurs, les interprètes, les acteurs ne sont pas des êtres humains comme les autres, qu’ils vivent sur une autre planète et j’en passe et des meilleures ! Or, je veux vous donner un peu plus de détails sur ce que nous avons vécu avec une classe Ulis lors du festival d’Angoulême…

La classe se prépare au concours de bédés d'Angoulême 2012

La classe se prépare au concours de bédés d'Angoulême 2012

Une classe Ulis – je préfèrerais qu’on la nomme Ulysse et qu’on l’invite au grand voyage de la vie – est une classe avec des collégiens qui ont quelques difficultés et que l’on cherche à aider, à accompagner dans une démarche d’insertion. C’est une classe avec des enfants qui ont des aménagements d’emploi du temps, des aides particulières pour leur permettre d’avancer dans la vie et ne pas rester « à part » sur le bord du chemin. C’est parce que nous avons trouvé qu’un tel projet était positif pour ces jeunes que nous avons décidé de les aider avec quatre étudiants de l’IUT de Chalon-sur-Saône. Pas une aide démesurée et inaccessible, juste les accompagner à Angoulême pour le festival de la bande dessinée, leur faire visiter une exposition, leur faire rencontrer un auteur, les filmer, les photographier et les aider à présenter tout cela à l’ensemble des collégiens de leur établissement à Louhans. Un peu comme si pour une fois le cours était assuré par les plus en difficulté du collège et que les plus doués ou avancés allaient apprendre d’eux. Beau programme !

jarbi10Je passe sur les rencontres préalables, sur la bonne entente entre l’IUT et le collège, car c’était certain qu’entre gens de bonne volonté tout cela fonctionnerait bien. J’en viens à l’essentiel, la rencontre avec un auteur. Vouloir créer à Angoulême un espace – lieu et temps – entièrement réservé à nos jeunes pour qu’ils puissent écouter, apprendre, comprendre et dialoguer avec un auteur pouvait paraître une folie tout simplement. Comment trouver une pièce sans débourser des milliers d’euros, comment motiver un auteur dans une telle démarche, comment réaliser une telle rencontre dans la bonne humeur ?

La première chose à signaler c’est que tout cela a pu avoir lieu d’abord grâce à une personne, une femme qui travaille depuis longtemps chez Casterman, Marie-Thérèse Vierra, qui a tout de suite compris que ce projet n’était pas un gag et qu’il fallait l’aider. Rapidement, elle a proposé un nom d’auteur mais qui s’est révélé ne pas pouvoir fonctionner car il arrivait trop tard à Angoulême, puis un autre nom qui fut le bon car l’auteur était bien là et qu’il acceptait de jouer le jeu. C’est donc avec Philippe Jarbinet que la rencontre aurait lieu, sur le stand de Casterman, le vendredi matin. On peut noter ici, dès maintenant, la grande aide des éditions Casterman car recevoir d’un seul coup un auteur, quelques journalistes, dix collégiens, leurs éducateurs accompagnateurs et trois étudiants qui filment le tout, ce n’était pas rien !

Mais revenons en arrière… Dès que nous avons su le nom de l’auteur que nous allions rencontrer nous sommes allés dans la classe pour présenter son travail sur la seconde guerre mondiale car c’est bien de cela qu’il s’agit dans cette série Airborne 44. J’avais préparé une série de diapositive pour faire découvrir le contexte de la série, les évènements historiques support de l’histoire, les personnages. Dès le départ, les jeunes ont adhéré et ont plongé dans cette histoire, plus exactement dans les deux récits, car il y en a un dans les Ardennes, un en Normandie. Certains jeunes n’ont pas hésité à lire un des albums ce qui n’était pas gagné à l’origine car il ne s’agit quand même pas de livres faciles et accessibles à tous. On était donc partis sur de bonnes bases.

Avant la classe, les lecteurs en dédicace

Avant la classe, les lecteurs en dédicace

Dès le premier jour du festival, je suis allé voir Philippe Jarbinet pour évoquer avec lui la séquence à venir avec la classe. Ce fut le second soulagement car je suis tombé sur un auteur qui se réjouissait par avance de ce temps fort avec les jeunes. Il avait envie de transmettre, d’expliquer son métier, de parler du dessin, des histoires, des personnages, du fond historique et le fait que ces jeunes soient ou pas en difficulté n’était pour lui qu’une source de motivation supplémentaire pour être avec eux. Je pouvais donc attendre sereinement la suite des évènements…

Leçon de dessin

Leçon de dessin

Puis ce fut paradisiaque, enfin pour la classe et ceux qui l’accompagnaient. En effet, Philippe leur a tout d’abord expliqué ce qu’était une bande dessinée, comment il travaillait, il a même fait une démonstration en montrant la technique pour  dessiner un cheval, un personnage, un décor… Il a parlé de sa série, des recherches historiques et à concrétiser cela avec des membres d’une association qui l’accompagnaient durant le festival et qui étaient habillés comme les soldats américains de la série, c’est à dire avec des costumes datant du débarquement en Normandie des forces américaines et alliées.

L'aide de l'armée indispensable

L'aide de l'armée indispensable

Je crois que cette rencontre fut un temps fort, peut-être pas le seul car finalement ces jeunes ont pu comprendre que d’un seul coup ils étaient bien comme les autres, dans l’insertion complète au cœur d’un festival international, que ce soit dans le pavillon de Taïwan avec des auteurs chinois, avec Philippe Jarbinet ou lors d’un concert bédé au théâtre d’Angoulême. J’espère donc que ce sera pour eux un souvenir dans le temps qui les confortera dans l’idée que chacun peut vivre pleinement de tels évènements qui sont ouverts à tous car la bande dessinée est faite pour tous !

Pas de problème d'attention

Pas de problème d'attention

Merci aux auteurs et éditeurs qui travaillent dans cet esprit et merci du fond du cœur à Philippe Jarbinet et Marie-Thérèse Vierra qui ont permis une telle rencontre, un tel événement, un tel moment de bonheur !

Et hop, une petite photo souvenir !

Et hop, une petite photo souvenir !

Occasion aussi de remercier ceux qui ont participé au financement d’un tel déplacement qu’ils soient institutionnels ou privés, rien sans vous n’aurait pu se faire…

Et le dimanche pour finir en beauté !!!

Et nous voilà donc pour une dernière journée à Angoulême. Deux états d’esprit nous assaillent. Il faut d’une part en profiter au maximum, car c’est bien la fin de cette grande fête qui approche à grands pas… Et, aussi, une grande fatigue qui commence à nous assaillir et la ferme intention de tenir le coup jusqu’à la fin…

Francis Groux, une mémoire vive

Francis Groux, une mémoire vive

Nous commençons par une rencontre mémorable car elle touche à la mémoire même de ce grand festival. Francis Groux, un des cofondateurs du festival international de la bande dessinée d’Angoulême accepte de nous rencontrer dans la salle de presse… Nous le retrouvons là avec deux étudiants. Nous comptons sur cette rencontre pour connaître mieux les dessous de la création de cette manifestation, pour tourner quelques images qui feront du lien et donneront du sens à notre reportage final, enfin nous espérons faire un beau voyage dans le passé…

9782917837092Francis Groux qui vient de signer un livre de souvenirs, Au coin de ma mémoire, est souriant et, disons-le, fier de parler de cette histoire, de son histoire, à des jeunes étudiants. Il est impossible à arrêter, intarissable, inépuisable… Une question et il parle vingt minutes, un mot et il enchaîne de nouveau pour un quart d’heure. Le seul inconvénient, du moins à mes yeux, vient de la salle de presse elle-même dans laquelle est diffusée une musique qui gêne parfois, qui nuit à la qualité de l’enregistrement…
Trente-neuf ans d’histoire de la bande dessinée, du festival et d’Angoulême en moins d’une heure c’est ce que nous avons vécu ce matin et nous en garderons, de toute façon, un excellent souvenir.

Pascal Croci profite du calme pour faire de belles dédicaces

Pascal Croci profite du calme pour faire de belles dédicaces

En revenant sous la bulle des éditeurs, j’apprends la mauvaise nouvelle du jour. En effet, la Belgique devant connaître en fin de journée un blocage total de ses chemins de fer, la SNCF organise un TGV spécial pour ramener chez eux un grand nombre d’auteurs belges. Ainsi, certains noms de mon carnet de rendez-vous disparaissent : Olivier Grenson, Kas, Clarke pour ne pas les nommer ! C’est un coup dur pour nous qui attendions avec une certaine impatience et joie ces trois auteurs. Leurs derniers livres étaient de grande qualité et ce sera donc pour une prochaine fois. Heureusement certains rendez-vous se mettent en place pour remplacer ou sont bien confirmés. Mais tout commencera après le repas.

Ce sera donc un petit casse-croute dévoré dans la salle de presse où une dégustation à lieu d’un cocktail à base de cognac et limonade mais j’avoue, je n’ai pas gouté pour rester bien frais pour les entretiens de l’après-midi et, surtout, la conduite du retour, six heures de voiture !

Pierre Wachs

Pierre Wachs

La première rencontre de cet après-midi final, est consacrée à Pierre Wachs aux éditions Casterman. Il est là pour présenter son dernier album « Libre de choisir » consacré à la conquête pour les femmes du droit à l’avortement. Mais en fait, plus qu’un livre militant, c’est le destin d’une jeune femme dans les années soixante-dix qui cherche à devenir adulte, libre et responsable. Elle va croiser sur son chemin un homme pas très respectueux des autres, d’elle en particulier, de son corps pour être précis puisqu’il va la violer… Pierre Wachs est le dessinateur de cet album scénarisé par Philippe Richelle. Pierre a été l’un des dessinateurs des séries Triangle secret, INRI, Secrets bancaires… Avec Philippe Richelle il a aussi réalisé le très bon et beau diptyque « Vent printanier ». Belle interview, classique d’une certaine façon pour un dessinateur qui fait de ce classicisme un gage de garantie graphique.

Couverture_bd_9782203027589Puis les choses vont s’accélérer avec plusieurs rencontres aux éditions du Lombard où nous allons finir le festival. Ce sera tout d’abord Maximilien Le Roy. J’ai lu son dernier album « Dans la nuit la Liberté nous écoute ». Pourtant tout a failli mal se passer. En effet, quand j’arrive sur le stand, on me dit que cela ne va pas être possible d’interviewer Maximilien. Pourtant il est là, libre et disponible. Mais alors pourquoi ? Tout simplement parce que je suis chrétien et qu’il n’a pas envie de passer sur un média chrétien. Il faut dire que je suis connu pour travailler sur des radios chrétiennes aussi. Heureusement, l’homme n’est pas bloqué et sot et nous arrivons à nous mettre d’accord pour un entretien qui ne sera pas diffusé sur des médias chrétiens. En fait, avec un peu de recul, je pense qu’il a dû avoir un jour, lors d’un entretien avec un journaliste chrétien, quelques mots. De plus, il a lu la charte des radios chrétiennes de France et il n’a aucune envie de laisser récupérer et utiliser par une église dont il ne partage aucune valeur… mais, heureusement, nous voilà autour d’un micro avec une seule envie : parler de cet album qui raconte une très belle histoire, celle d’un homme que le destin a poussé en Indochine, qui va découvrir le véritable visage de la colonisation et de la guerre d’indépendance et qui ne pourra pas rester dans cette armée, dans ce camp français. Il va donc rejoindre le camp de la rébellion, de l’armée de libération, sans jamais porter les armes contre la France car il ne veut pas trahir. Juste un homme qui ne veut pas renier les valeurs de la France, celles qui ont animé la résistance française… cet homme a réellement existé et ce « roman graphique » de Maximilien est aussi un travail de mémoire. C’est de toute beauté et je crois qu’il faut le lire pour comprendre aussi une époque, une tranche de vie française…

Belle dédicace de Maximilien Le Roy

Belle dédicace de Maximilien Le Roy

Très bel entretien qui se termine dans la bonne humeur et qui permet d’oublier ce qui n’a été finalement qu’un risque de malentendu…

Gregor Rosinski

Gregor Rosinski

L’auteur suivant ne sera pas le plus inconnu du festival car c’est avec Gregor Rosinski que nous nous retrouvons. Il est d’une parfaite humeur, souriant et détendu ce qui va me donner l’occasion de réaliser ma meilleure interview avec lui. Nous en sommes je crois à la quatrième rencontre ou cinquième, mais jamais les conditions n’ont été aussi bonnes. Certes, pour ce qui est du son ce n’est pas toujours parfait car son accent polonais reste fort et certains mots sont difficilement compréhensibles… Mais quel plaisir d’être avec un tel auteur et d’évoquer ainsi ce Thorgal qui continue de m’enchanter. Je relis certains albums avec plaisir comme « Les archers » qui je crois restera pour moi un chef d’œuvre !

Thorgal en personne !

Thorgal en personne !

Enfin, pour terminer, c’est la Résistance qui se retrouve évoquée dans un dernier entretien avec Claude Plumail et Jean-Christophe Derrien. C’est toujours un plaisir quand nous sommes en compagnie du scénariste et du dessinateur car cela donne l’éclairage complet sur une bande dessinée. Nous allons donc en profiter sans aucun scrupule.

Le dessinateur Claude Plumail

Le dessinateur Claude Plumail

Jean-Christophe Derrien explique bien comment il a construit son histoire, comment il a tenu compte des remarques qui lui ont été faites par Xavier Aumage, archiviste au Musée de la résistance nationale à Champigny-sur-Marne. Ainsi nous avons une bonne histoire avec trois personnages, Louis, Sonia et André. Nous sommes au début de l’occupation de la France par l’Allemagne nazie. Nous allons traverser ces années sombres et bouleversantes avec des craintes fortes pour nos trois jeunes car on se doute assez vite que tout ne finira pas bien…

Claude Plumail nous explique avec beaucoup de précision comment il a travaillé, dessiné, trouvé les détails précis pour arriver à une narration graphique presque parfaite et un dessin crédible qui ne peut que réjouir les amateurs de bandes dessinées historiques… et j’en fais partie !

Jean-Christophe Derrien

Jean-Christophe Derrien

Voilà, un récit qui prend fin. Cet Angoulême fut très positif, mes étudiants furent très agréables à vivre, très professionnels dans leur travail, très ouverts aux différents genres de bandes dessinées et d’auteurs que nous avons croisés. Je pense que nous repartons d’ici avec une grande satisfaction, des souvenirs plein la tête et que chacun y a trouvé de quoi remplir sa bibliothèque, sa liste de livres à lire, d’auteurs à ne plus rater…

Samedi encore…

J’avais clos, un peu rapidement, le récit de notre journée du samedi. En effet, après avoir rencontré tous ces auteurs dans l’ambiance chaude et populaire du salon, j’avais rendez-vous avec Jean-Charles Kraehn. C’était assez important pour moi car d’une part je n’avais jamais rencontré cet auteur et d’autre part je suivais depuis longtemps son travail ayant déjà dit tout le bien que je pensais de série comme Tremp (scénariste de la série avec Patrick Jusseaume au dessin) ou Gil St André (série qu’il crée seul avant d’être accompagné au dessin par Sylvain Vallée du tome 3 au tome 8). On se souviendra aussi de sa série Bout d’homme et de ses participation remarquées aux séries Quintett et Le triangle secret… Bref, l’occasion m’était offerte de l’interviewer, il fallait le faire !

Jean-Charles Kraehn sur Armor TV

Jean-Charles Kraehn sur Armor TV

C’est dans un café à proximité de la bulle des éditeurs que nous nous sommes retrouvés. De l’extérieur l’établissement ne payait pas de mine, mais dès que l’on retrait on découvrait une arrière salle de grande taille où nous avons pu nous installer et enregistrer quelques belles phrases autour de ces albums qui m’avaient bien fait rêver.

BR9782723483612Il était spécialement à Angoulême pour présenter le tome 10 de la série Gil St André, une série qui est maintenant dans son troisième cycle. C’est vrai que c’est une série particulière car Gil est un chef d’entreprise qui dans le premier cycle est à la recherche de sa femme, tandis que dans le second il donne un coup de main, si on peut parler ainsi, à une amie policière lyonnaise qu’il a rencontré dans le premier cycle. Dans ce troisième volet de ses aventures tumultueuses, il est confronté à une machination d’envergure qui le transforme en grand responsable d’entreprise, lui le petit chef de PME de province…

bd bdtresor tramp T9 le tresor du tonkinJean-Charles Kraehn est un homme posé, agréable dans la discussion et porteur de véritables valeurs humanistes que l’on a vu poindre dans sa série Bout d’homme. J’aime cet auteur qui ne se prend pas la tête, qui garde le plaisir de raconter des histoires, qui prend le temps de recevoir ses lecteurs et les journalistes en restant de bonne humeur même en fin de journée quand la fatigue pointe…

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Une très belle rencontre qui j’espère sera suivie de quelques autres pour les prochains albums, prochaines séries… Car j’ai encore beaucoup de questions sur des séries comme Les aigles décapités ou Myrcos…

Et le samedi alors ? Un véritable marathon !!!

Nous savions que le samedi allait être chargé car, non seulement, le carnet de rendez-vous était plein, mais, en plus, nous savions bien que le public allait être très nombreux rendant chaque déplacement beaucoup plus long. Ce que nous ne savions pas encore c’est que certains auteurs allaient être en retard et qu’après ils seraient tous disponibles ensemble ce qui ne nous faciliterait pas la tâche. Heureusement, les étudiants forts de leur expérience des deux premiers jours allaient pouvoir fonctionner en grande autonomie et ce fut la preuve d’un professionnalisme certain qui se mettait bien en place…

La grande course aux dédicaces

La grande course aux dédicaces

Tout commença donc avec un problème d’auteur. Je devais retrouver Jacques de Loustal au stand Casterman et il n’était point là. Heureusement, auparavant, j’avais eu la possibilité de voir le rush des collectionneurs. Imaginez quelques centaines de personnes devant une porte fermée. Ils attendent l’ouverture depuis parfois plusieurs heures. Ils savent que dès le signal des responsables du salon ils vont devoir courir pour arriver au stand tant convoité, se retrouver dans les premiers dans la file d’attente car ce qu’ils viennent chercher-là ce sont les fameuses sacro-saintes dédicaces…

Nous n'étions pas seuls !

Nous n'étions pas seuls !

Ce jour-là, avant qu’ils arrivent, une partie des professionnels s’installent de chaque côté du couloir. Dès le passage de la « meute », ils vont filmer, photographier et applaudir ! Un grand moment qui va me permettre d’oublier un peu mon rendez-vous absent. Au moins, je me serai amusé un peu !

Quelle admiration pour Bastien Vivès... et son dessin !

Quelle admiration pour Bastien Vivès... et son dessin !

J’en profite pour photographier quelques auteurs au travail comme Bastien Vivès qui dédicace l’ensemble de son œuvre, à commencer par son étonnant Polina. Il y a aussi Beuriot, Mattotti, François Schuiten, Pierre Wachs… Nous en croiserons certains, mais d’autres non car on ne peut pas voir tout le monde tous les ans. Il faut faire des choix, donc renoncer à certains plaisirs…

Cécile Chicault s'applique...

Cécile Chicault s'applique...

En fin de matinée, j’ai le plaisir d’interviewer Cécile Chicault l’illustratrice de la série La saga de Wotila aux éditions Delcourt avec Hervé Pauvert au scénario. C’est une histoire qui s’incarne au moment des grandes invasions, une période que peu connaissent et dont généralement on ne parle jamais. Voilà donc une occasion de plonger dans une certaine barbarie – on ne faisait pas dans la dentelle à cette époque – mais aussi de passer un bon moment avec des personnages parfois surprenants, sympathiques et même un peu poètes… Interview sympathique avec une femme qui fait visiblement son travail avec une belle énergie. La série en est à son début et donc il lui faudra maitriser encore un peu mieux ses personnages mais tout semble augurer d’une belle réalisation…

La main de Cécile au travail

La main de Cécile au travail

A midi, je suis invité à manger avec certains auteurs de chez Casterman. Chance ou hasard pur, je me retrouve avec un véritable ami, Tito. Il faut dire que nous voyons très souvent autour des albums de sa série Tendre Banlieue, une série que j’apprécie beaucoup et qui rencontre un véritable succès auprès des jeunes en collège. Cette fois-ci il s’agit d’un album à part. Il est présenté en avant-première au festival. C’est « Le choix d’Ivana », une bande dessinée qui a pour cadre l’ex-Yougoslavie mais qui comme chaque fois avec Tito est avant tout une histoire de la vie quotidienne avec au cœur la guerre, l’amour maternelle et la fidélité au sein d’une famille. Comme je ne l’ai pas encore lu, je n’avais pas demandé d’interview mais, du coup, nous pouvons discuter très paisiblement en mangeant car il faut toujours allier l’utile et l’agréable… ou l’agréable au plaisir !

imagesEn sortant de table, je vois mon fameux Jacques de Loustal qui m’a fait défaut ce matin. Il accepte tout de suite de répondre à mes questions, ici même sur place dans ce fameux Mercure d’Angoulême dont presque tous les auteurs parlent… Nous voici donc partis dans notre interview autour des livres qu’il a signés, en particulier « Coronado », une adaptation en bédé du roman de Dennis Lehane et « Les frères de Rico », une illustration du texte de Georges Simenon. Le moment est agréable, on a l’impression d’être avec un véritable auteur, un artiste complet, un homme qui se fait plaisir en nous offrant son graphisme spécifique et ses couleurs enchanteresses…

Jacques de Loustal par Cindy

Jacques de Loustal par Cindy

Mes étudiants qui m’avaient rejoint au Mercure découvrent ainsi un des grands de la bande dessinée qu’ils ne connaissaient pas du tout. Ce beau moment nous met définitivement en retard et la course va commencer… Les interviews vont se succéder, les auteurs laissant leur siège chaud au suivant. Une sorte de travail à la chaine, mais avec beaucoup de satisfaction et de bonheur car chaque moment est avant toute chose une rencontre !

Et s'il s'agissait d'un tueur ?

Et s'il s'agissait d'un tueur ?

Nous allons donc rencontrer tout d’abord Alexis Matz, le scénariste de la série « Le tueur » dessinée par Luc Jacamon qui devait venir aussi mais qui a du se perdre… Cela ne nous empêche pas de comprendre comment est née cette série particulière qui prend comme héros le tueur professionnel, celui qui tue sans jamais se poser de question. Alexis parle de ce personnage comme s’il le connaissait bien ce qui n’est pas étonnant car il est né il y a déjà plus de dix ans ! On sent que le personnage s’est construit sa propre vie sans toutefois lui échapper complètement. Il est toujours fascinant de voir les relations qu’il y a entre un personnage de fiction et son créateur…

Benoît Sokal ou Canardo ?

Benoît Sokal ou Canardo ?

Ce sera ensuite la rencontre avec Benoît Sokal. Les étudiants sont assez curieux de le croiser car il n’est pas qu’auteur de bandes dessinées, il est aussi créateur de jeux vidéo… tout un programme ! Mais nous resterons surtout en compagnie de Canardo, une bande dessinée que j’aime beaucoup et de Kraa, une magnifique histoire qui met en valeur le graphisme de cet auteur qui pour moi est aussi un des grands de la bédé…

L'auteur à découvrir, of course !

L'auteur à découvrir, of course !

Après, c’est au tour de Will Argunas d’entrer en scène. J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de sa dernière production « In the name of… », mais il ne faudrait surtout pas oublier des albums comme « Missing », une affaire glauque et tragique de disparition, « Bloody September », la vie au cœur de la police de New York juste avant et pendant une période assez pénible, et « L’homme squelette » histoire à la fois policière et chamanique après un accident d’avion… Non, cet auteur est vraiment surprenant à chaque album, sa narration graphique se perfectionne au fur et à mesure et même s’il aime le tragique et le noir, le lecteur n’y reste pas prisonnier… Le personnage est agréable et l’entretien plaisant à mener, j’espère qu’il sera aussi captivant pour le lecteur ou l’auditeur…

Le travail de Jean-Michel Beuriot

Le travail de Jean-Michel Beuriot

C’est alors au tour de Jean-Michel Beuriot le dessinateur de la série « Amours fragiles ». Nous plongeons directement au cœur de la période noire de notre Europe avec une série qui s’écoule lentement et douloureusement entre les années trente et les années quarante. Ici tout est paisible car cet auteur est adorable. Il accepte même de parler un peu du scénario puisque le scénariste est retenu ailleurs. C’est d’ailleurs de constater que souvent on met ici les dessinateurs en évidence. Cela paraît normal au regard du travail fait, surtout des dédicaces aux lecteurs, mais pour ce qui est de parler de la bande dessinée, d’en expliquer la genèse, de présenter les personnages, les évènements majeurs, de redonner du sens à tout le travail souvent effectué dans la solitude d’un atelier… reconnaissons que souvent le scénariste est plus explicite, facile à suivre ! Ceci étant dit, reconnaissons qu’avec Jean-Michel Beuriot nous avons plutôt un homme presque bavard et heureux de parler de son travail. Cindy, étudiante, se lance dans quelques questions sur le dessin, la façon de travailler ? C’est sa première – même partielle – interview. Elle est un peu timide, mais ça passe. C’est aussi une épreuve assez délicate de passer de derrière la caméra ou micro à devant. Je ne m’en rends pas toujours compte car voilà presque vingt-cinq ans que je pose des questions à des écrivains, des acteurs, des dessinateurs, des hommes et femmes politiques. La technique, l’habitude, le plaisir et je ne vois plus la difficulté. Merci Cindy de me rappeler que tout ne vient pas si vite et facilement. Ce fut plutôt un bon début !

Ozanam en vedette !

Ozanam en vedette !

Et voilà une rencontre pas programmée qui devait avoir lieu jeudi soir puis vendredi soir et qui finalement va pouvoir avoir lieu samedi après-midi. Il s’agit du scénariste Ozanam, un local de l’étape comme on dit puisqu’il habite Angoulême. Peut-être que c’est cette proximité qui le rend inaccessible ? Oui, car les autres auteurs ne sont pas pressés de rejoindre leur chambre d’hôtel tandis que lui est « pressé » d’aller faire la vaisselle, récupérer les enfants, faire le ménage, préparer le repas… J’en rajoute un peu mais jeudi soir, quand je l’attendais, il faisait la vaisselle ! Alors, qui continue de dire que les hommes ne participent pas aux tâches ménagères ?

3couvasL’entretien avec Ozanam est riche car il est l’auteur d’un grand nombre d’histoires dont cette dernière aux éditions Casterman sous le label KSTR, « Les âmes sèches » qui est remarquable. Trois tomes, un même scénariste mais trois dessinateurs différents, une parution très resserrée et donc des lecteurs satisfaits de pouvoir tout lire sans être obligés d’attendre une année minimum entre chaque volume… Mais c’est aussi un scénariste qui travaille avec de nombreux autres dessinateurs et tente de trouver pour chaque histoire le graphisme idéal. C’est une recherche dont il parle très bien et qui est passionnante car on n’en parle pas souvent. Chaque genre, chaque thème, chaque univers mérite un graphisme adapté…

1736Nous voici maintenant en compagnie de Martin Viot, dessinateur, qui signe au côté du scénariste Roger Seiter, l’adaptation du roman policier de Sjöwall et Wahlöö, « Le policier qui rit ». Cette fois nous allons faire avec seulement le dessinateur et, en plus, c’est une première interview seule. Jusqu’à maintenant il était en compagnie de son scénariste Seiter que je connais bien et qui a la particularité de parler beaucoup, énormément. Une question et le voilà parti pour un quart d’heure. Pour un journaliste radio c’est du pain béni, mais ce n’est pas très formateur pour notre jeune dessinateur… Enfin, il s’en sort plutôt bien et reconnaissons que nous avons pris beaucoup de plaisir à la lecture de cet ouvrage et que la couverture est à elle-seule une réussite…

La vedette absolue !!!

La vedette absolue !!!

La pression monte, l’ambiance est à son maximum, la fatigue aussi. Les interviews se succèdent et soudain on n’arrive plus à tenir les étudiants. En effet, dans le même salon d’interviews, vient de s’installer un certain Alexandre Astier. J’avoue ne pas être fan ni de la série télévisée Kaamelott ni de son adaptation en bédé. Par contre, cela me fait sourire de les voir en admiration devant lui et je respecte d’autant plus cette attitude que le jour même j’étais fasciné par Jacques de Loustal. A chacun ses vedettes préférées !

Craig in English in the text !

Craig in English in the text !

Le « client » suivant fait plus notre unanimité car nous l’avons presque tous lu et aimé, il s’agit de Craig Thompson. Je me souviens de son arrivée en France lors de la parution de Blankets, de sa timidité, de sa souffrance – il ne pouvait presque plus dessiner tant il avait mal – et je le retrouve aussi sympathique et disponible, toujours aussi modeste alors qu’il rencontre un succès certain avec Habibi ! Il suffit de voir la file des lecteurs en attente de dédicace… le seul problème avec Craig, si on peut dire, c’est qu’il faut l’interviewer en anglais. Qui va s’y coller ? Ce sera Jeffrey qui va parler la langue de Shakespeare et qui va oser interroger notre auteur. Apparemment les questions doivent être claires car les réponses le sont et Craig semble à fond dans l’entretien. Tous les autres, étudiants ou pas, sont tous fascinés et à l’écoute. Un grand moment de bande dessinée !

Plus besoin de traduction !

Plus besoin de traduction !

Il ne restait plus qu’à clore la journée avec la rencontre avec Christian De Metter, un auteur charmant et beaucoup plus avenant que ses histoires souvent noires, sombres et mélancoliques… Nous le recevons surtout pour ses deux adaptations en bandes dessinées des romans noirs Shutter Island et Scarface. Cela ne nous empêche pas d’aborder d’autres titres comme Marilyn. Nous finissons cette journée en compagnie d’un auteur que le succès, pourtant bien réel, de Shutter Island n’a pas perturbé plus que cela…

Christian De Metter

Christian De Metter

Et nous voilà en fin de journée, un peu fatigués, mais assez heureux des rencontres même si certaines n’ont pas eu lieu ou ont été décalées. C’est le soir que nous avions choisi pour diner ensemble au restaurant et donc sans plus tarder, sans passer par la case chambre dont nous ne serions pas ressortis, nous partons ensemble pleins de nos souvenirs encore frais en nous disant qu’il faudra vite monter tout cela, prendre le temps de présenter tous ces auteurs avant que le temps fasse son œuvre d’oubli !