« Mickey n’est plus la propriété de Walt, il appartient à tout le monde ».

Ce n’est pas moi qui le dis, mais bien le peintre français Robert Combas en 1979 : les œuvres de Walt Disney se sont inspirées de tous les univers culturels, d’Orient en Occident, et c’est maintenant à leur tour d’être « inspiratrices ».

Real Gold, Eduardo Paolozzi

Parce que les nombreux dessinateurs de Disney ont marqué les univers de l’art et de la BD, ils sont mis à l’honneur lors de ce 40ème festival d’Angoulême, avec notamment une conférence animée par Alexia Guggémos, critique d’art et experte en art digital, intitulée « Mickey, Donald et les personnages BD de Disney…héros de l’art contemporain ».

En effet, de nombreux artistes contemporains ont basés leurs œuvres sur l’univers Disney, avec de grands noms tels que Christian Boltanski, Bertrand Lavier, Peter Saul, Erró ou encore Gary Baseman.

Lors de cette conférence, nous apprenions que, très tôt, les artistes se sont emparé des personnages de Disney pour les détourner, les parodier ou même les encenser. Ainsi, avec l’apparition du Pop Art on peut constater que les personnages de Mickey et Donald gagnent très vite le statut d’icônes.

La piqure, Valérie Sonnier

Projetées au rétroprojecteur, on découvre ou redécouvre ainsi des œuvres depuis les années 50, avec par exemple le collage « Real Gold » d’Eduardo Paolozzi, ou encore les soins prodiguées à mickey, avec « La piqure » de Valérie Sonnier, qui nous fait réfléchir à la vie de ces « supers héros » en dehors des bulles.

Plus récemment, les travaux de Benjamin Béchet, avec la série de photographies intitulée « Je suis Winnie l’Ourson », qui traite de l’identité, des apparences et plus généralement de l’image que nous renvoyons aux autres. Ainsi, l’utilisation de ces personnages célèbres nous renvoi de façon métaphorique aux différents masques que nous portons chaque jour, qui nous cachent et nous faussent.

Spiderman, 36 ans, nettoie les pare-brise.

Qui sommes nous réellement ?

Une exposition qui dénonce ici les aprioris envers autrui, l’étranger et l’étrange, les facteurs d’exclusion qui en découlent et la dégradation des conditions de vie.

Blanche-Neige, 31 ans, prostituée.

Toutes ces questions, ces remises en question, permises par l’utilisation de « l’idéologie » Disney, de son imagerie, qui par son ampleur et sa présence dans les esprits sur plusieurs générations amènent le spectateur à étudier le phénomène de mondialisation, le capitalisme qui arrivent et qui changent nos sociétés.

Nous sommes, je le rappelle, au début des années 50 lorsque les premiers artistes commencent à détourner Mickey et ses compagnons.

Clémentine

 

Théodore, j’adore !

La couverture beige, sobre, (bien qu’il ne faille pas nécessairement voir dans cette sobriété un critère de qualité), rappelle celle des éditions Champ Vallon. Là où  d’autres affichent « revue littéraire » on peut y lire, comme une volonté de se démarquer, que Théodore Balmoral est une « revue de littérature ». Ici en effet, pas de notes de lecture (à peine trois pages en fin du volume consacrées aux livres conseillés par la rédaction, mais il ne s’agit que d’une liste), d’éléments hétérogènes qui rappelleraient les magazines. Quand les auteurs parlent de livres (dans une partie intitulée « Ce qu’il reste des livres »), c’est pour convoquer des textes qui ont été déterminants, dans leur écriture ou tout simplement dans leur vie. C’est qu’on ne cède guère à l’éparpillement, pas plus qu’à l’événementiel chez Théodore Balmoral.

Théodore-balmoralThéodore Balmoral, c’est autre chose. Tirée à 500 exemplaires (c’est beaucoup pour une petite revue), elle peut s’enorgueillir de la présence de contributeurs prestigieux, ce qui lui vaut, Wikipédia de le rappeler, d’être comparée à la NRF. Dans le numéro 64, le dernier en date, à l’oocasion du 25e anniversaire de la revue, on peut, par exemple, lire Pierre Bergounioux, Christian Garcin, Gilles Ortlieb, Jacques Réda….  De grands noms y côtoient d’autres, moins connus ou débutants (liste complète disponible ici). Pas de dossier thématique à chaque nouvelle livraison, comme on peut en trouver ailleurs, dans d’autres revues, plutôt une impulsion initiale donnée par son directeur et rédacteur en chef, Thierry Bouchard, laissant une grande liberté formelle et thématique aux auteurs. Théodore Balmoral est avant tout une revue de création.

Ainsi, pour Thierry Bouchard, « il ne faudrait pas oublier qu’avant tout une revue de littérature, c’est donner à lire des contemporains. » Donner à lire, créer une brèche dans le présent pour, paradoxalement, proposer à la lecture ce qui s’écrit aujourd’hui et, partant, permettre de prendre le temps (c’est une revue semestrielle) de lire les auteurs dans l’instant de leur contemporaniéité, voilà ce qui est à l’œuvre dans Théodore Balmoral. En cela, pour reprendre les mots d’un livre de Gilles Ortlieb, on pourrait « y voir une façon de contre-pouvoir, l’expression d’une autre vérité possible, quelquefois un antidote au présent à travers une perception plus juste du temps, parce que rapportée à d’autres repères, d’autres étalonnages. »

Signalons que Théodore Balmoral est également une maison d’édition au catalogue de laquelle figurent à ce jour 11 livres.

Je suis venu te dire que je m’en suis allé

Approche un peu de ma part affamée bête. Approche un peu. Approche avec tes solutions, avec tes indices. Si ta montre s’était alignée sur mon heure, tu aurais été là pour ma dernière, tu aurais pu contrevenir à mon suicide. Tu te serais au moins mis à table avec le bourreau que j’avais délégué, et vainement, tu aurais tâché de lui faire entendre raison. Et si par malice, par seule malice, il avait, toi enfin à court d’arguments, car il faut bien dire que dans la circonstance on a la bouche vite sèche et l’éponge est bientôt jetée, il t’avait, dis-je, comme si sa générosité était allée jusqu’à t’acheter ton morceau de bravoure, susurré

« A genoux »

eh bien tu te serais agenouillé sans sourciller pour que le petit projectile logé dans canon froid et poli, mais intéressé du seul dehors, des seuls dégâts qu’il commettra au bout de la ligne droite, ce sprinter vindicatif et huilé, ne fasse une énormité de mon crâne – une énormité de plus.

Mais non, ta montre marquait une heure dissemblable, voire ouvertement distincte, voire impersonnelle, ta montre dis-je, affichait un retard flagrant  et définitif, mais son réglage te regarde.

Deux minutes de retard : ma mort ne te regardait pas. Du moins pas celle que j’étais pour me donner, naïf ne croit pas qu’il en soit d’autres, et qu’effectivement je me donnai. Je t’aperçois d’ici qui te tournes d’un côté d’autre, ou appliquant aux murs une oreille incrédule et conjecturante, ou encore contraignant ta cahute de tête bourdonnante et persiflante à tenir entre tes deux mains de retardataire, je t’aperçois qui veut savoir d’où je, devenu ça, parle, t’admoneste.

Sache pour ta gouverne que je me trouve dans un lieu inattendu, qui fait le vœu secret des moins vivants des vivants, des pusillanimes et des pointilleux.

Je suis en Paradis ? Ça t’étonne ? Cela devrait plutôt te rassurer quant à la fausseté du dogme qui veut que le suicide, non. et bla et bla et bla. Ceci t’étonnera davantage : c’est plein de chrétiens. D’ailleurs on ne m’a pas fait d’histoires. Les préposés à l’accueil ont reconnu à mes manières et aux procédés brutaux que j’employai à ma suprême déconvenue, le type même du grand lecteur, du fin critique qui, en toute justice, ne tranche pas savoir du Dieu s’il est vengeur ou tout Amour. Je suis testamentaire, un jour néo, le jour d’après paléo.

Malgré mon jeune âge j’ai cru bon de faire le détail des tentatives d’auto-mutilation qui jalonnèrent mon adolescence comme autant d’invectives – ut christus homo.

J’insistai sur le fait qu’elles n’avaient jamais été qu’intérieures et endogènes : déglutition de pilules, de Paic. On me félicita pour la précocité qui fut la mienne à mépriser ce qui de mon corps ne se voyait pas, cela devint de la connivence lorsque j’avouai ma réticence insurmontable à endommager l’enveloppe externe de mon corps que je chérissais. On convenait, les yeux brillants et luxurieux, que la beauté de l’homme ne se situait qu’à l’extérieur, surtout pas à l’intérieur, tout à fait laid, et que cela seul qui était laid méritait le saccage, appelait la révolution. On me félicita chaleureusement pour mon endocide.

Guy Viarre, Lettre venue d’ailleurs, in dire je meurs, Fissile, 2008, p.33-35.

Guy Viarre sur wikipédia

Littérature universelle vs littérature planétaire

Pour prolonger le débat sur la littérature contemporaine, l’avis de Pierre Michon :

Quel regard portez-vous sur la littérature contemporaine ?

La littérature contemporaine, j’ai le nez dessus, je suis dedans, comment voulez-vous que j’en juge sainement ? Il me semble tout de même que si on excepte la sous littérature, la world fiction et tout ce qui, étant pure invention du marché, relève seulement de l’économie, si  donc on passe là-dessus et qu’on s’en tient à la littérature proprement dite, on voit à l’échelle mondiale deux grandes tendances.  D’abord, les auteurs plus ou moins enracinés, impliqués dans une problématique nationale ou humanitaire, politique au sens restreint du terme, une littérature si vous voulez qui mise sur le planétaire, sur l’événementiel planétaire immédiat et la plupart de ces auteurs sont bien entendu anglo-saxons ou du tiers-monde, ou souvent les deux à la fois. Et une autre grande catégorie, apparemment plus désimpliquée, sans appartenance, enracinée dans la lettre seulement, plus frivole ou plus historienne, flaubertienne si on veut, qui préfère interroger la vieille catégorie de l’universel plutôt que celle du planétaire. Il n’y a pas de quoi s’étonner que ce soit dans les langues romanes, les alentours de Rome, qu’on trouve le plus d’auteurs de ce type, et notamment en langue française. Alors, bien sûr, dans les deux catégories, il y a de très grands talents et des talents moindres.

Pierre Michon, Le roi vient quand il veut, Albin Michel, p.156.

Sur les cimes du désespoir

Je pourrais parler de ce qui est sans importance, de toutes ces voix égarées. Ces visages. J’en parlerai un jour quand j’aurai retrouvé l’élan, la joie. On ne peut parler en l’absence de la joie, du désir. Quand le soleil ne descend plus sur la terre. Quand le gel est partout. On ne peut relever le défi quand le soleil, la ferveur ont brûlé tous nos os. Revenir à soi, toucher les cimes. Refuser l’effondrement. Se mettre debout dans le silence, l’abandon et parler, parler ou chanter, c’est à peu près la même chose, la même corde pour que vibre enfin ce poème infini. Vivre avec son visage incendié, d’incendiaire. Retrouver la douceur, la violence des sources, la voix basse des sources. La très basse voix des sources. Son murmure. Écrire de telle sorte que le mot soit d’une langue neuve à tout instant. Un éclair, une foudre, un tragique enchantement. L’enchantement n’est jamais simplement joie, ferveur. Il est aussi gravité, désespoir, terreur, violence. Il tire pourtant vers le soleil, vers ce qui nous redresse, nous renforce, nous détermine. A quoi bon tous leurs combats de pacotille quand l’essentiel est évincé ? J’eus souhaité que ma vie ne quittât jamais ce point d’horizon, cette exigence qui s’était fixée à mon insu, pour ne défaire ni la langue ni l’homme qui est toujours dans la langue, ne jamais s’éloigner du bruit des pas des miens, minuscules dans le monde. (p.21-22)

Je vais du lit au bureau. J’écris quelques phrases, puis je dors puis je lis, tout cela car je me veux vivant dans ce village où j’ai pu trouver refuge. J’écris sans cohérence aucune, accueillant l’éclair qui me traverse, me foudroie, m’éclaircit justement, m’attribue une sorte de transparence folle. Car voir, celui qui voit, qui sait d’une autre façon, remettant le monde à l’endroit car le monde est à l’envers, court le risque de la folie, c’est-à-dire de l’amour démesuré, de l’amour fou, de l’amour géant. Je me suis approché quelquefois de cet abîme. Je m’y suis brûlé, vraiment. Pour cela, je ne veux plus écrire dans leur cohérence, je ne veux pas écrire ces livres qu’ils attendent, l’ennui de ces livres, la mièvrerie de ces livres. Je veux écrire la rage d’écrire, le mordant du verbe, la solitude, l’insensé de l’amour, la barque de la folie. Je veux écrire à partir de ces larges blessures qui m’ont roulé dans la boue, dans la honte. Toute cette si vaste incohérence, ce mystérieux chaos. Je veux écrire dans une forme de prière hurlée. Et après tout, qu’importe l’avenir de ces pages. Ma cible n’est pas de ce monde, invisible pourtant elle seule sait aimanter la flèche, bander l’arc. Ils les retrouveront un jour mes brouillons sans mémoire, stupéfaits. J’aurai fait le siège de ce monde, acceptant d’en payer le prix. J’aurai déserté les villes, les compagnies, le bonjour, le bonsoir. J’aurai vécu au sommet de la vague, portant mes immenses défaites. Jamais une plainte à la bouche. Jamais. J’aurai vécu sans gloire mon séjour invisible. J’aurai célébré l’éphémère, le plus fragile, le rabroué, la vie de chien, la beauté qui ruisselle encore dans ce monde à travers les feuillages de cet arbre devenu peu à peu ma plus proche compagnie. J’aurai croisé quelques frères ici ou là, je les aurai pressentis dans leurs chambres lumineuses, rêvant d’une autre vie possible, croisant le fer avec la pauvreté même, avec la pauvreté d’être. J’aurai marché avec eux, épaule contre épaule, dans un même souffle. Je les aurai convoqués à ma table, sous le toit de ma maison.

Avoir été suffisamment seul pour ne plus l’être jamais. Jamais plus. (p.49-50)

Ce matin, marchant dans la nature, poursuivant l’enfant sur la lisière, entre pluie, neige et éclaircie, toute la jubilation de l’enfance est remontée en moi, dans les couloirs nus des veines. Ce monde veut éteindre la foudre de l’enfance, ses lumières insouciantes. Ce monde est inepte, fondé sur l’injustice, les trahisons de toutes sortes. Toute l’énergie du monde est brûlée par l’insignifiant, l’insignifiance. La douceur, la bonté, on l’assassine, on l’enferme dans les asiles. On fait taire ce qui hurle, qui dévoile l’injustice de cette vie.
Écrivant, c’est-à-dire vouant ma vie au silence, à la beauté de l’ordinaire, j’ai glissé dans les douves, dans les marges, sur les sentes abandonnées d’une campagne où ma vie a fait halte. Je mourrai inconnu, dans le vertige des solitudes, mais je n’aurai jamais trahi, jamais trahi cette parole dont l’enfance m’a fait don. Aujourd’hui, un beau soleil éclaire ma vie de ses pleins feux. Je n’ai pas roulé dans l’abîme, ni sombré dans les ravins de l’amertume, du découragement. Je suis debout, debout et vivant. J’ai traversé le feu, l’enfer. Ma peau sent le roussi. Mon âme est brûlée de part en part. (p.72)

Joël Vernet, Le séjour invisible, L’Escampette Éditions, 2009.

Joël Vernet est né en 1954. Il est l’auteur de plus de trente livres, publiés notamment chez Fata Morgana, Lettres Vives et L’Escampette.

Joël Vernet sur remue.net
Un entretien avec Joël Vernet sur le site de l’Arald (Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation)