Angoulême 2013 – Rencontre avec Régis Hautière et Hardoc

Lors du festival d’Angoulême 2013, Hardoc et Hautière présentaient le premier album de leur série La guerre des Lulus, une publication Casterman. Une occasion de rencontrer ces deux sympathiques auteurs qui se proposent de réaliser une série jeunesse ayant pour toile de fond la Première guerre mondiale… La Grande Guerre !
Shelton : Comment est née cette histoire de La guerre des Lulus ?

Hautière : C’est tout d’abord né d’une envie de ma fille qui a quatorze ans et qui me réclame depuis des années une histoire avec des enfants qu’elle pourrait lire. Une belle histoire plus accessible que des thrillers que j’ai déjà écrits. C’était le premier aspect du déclenchement de cette histoire, puis il y a eu une discussion que j’ai eu avec une copine qui travaillait à l’Historial de la Grande Guerre à Péronne (http://www.historial.org). C’est un grand musée national consacré à la première Guerre Mondiale en Picardie, et mon amie me faisait remarquer qu’il n’existait pas, à sa connaissance, de bande dessinée sur cette période de l’histoire de France que l’on pouvait mettre dans les mains des enfants. A l’Historial, ils ont une librairie, on y trouve des romans jeunesse, des romans, des documents, et les seules bandes dessinées que l’on peut y trouver sont celles destinées aux adultes, donc sombres comme cette période et inaccessibles aux enfants, aux jeunes lecteurs. Ça a trotté dans ma tête durant une période assez longue puis je me suis dit, tiens, pourquoi ne pas faire quelque chose qui se passerait pendant la guerre de 14 qui mettrait en scène des enfants ? Evidemment, on n’est pas sur le front, on est à l’arrière, mais pas du côté français, à l’arrière des lignes allemandes.

Régis Hautière

Shelton : Une histoire qui se déroule durant la première guerre mondiale, avec des enfants, lisible par des enfants, sans que ce soit trop noir… Dites-nous en plus car cela semble difficile à trouver au premier abord ?

Hautière : On a quatre orphelins dont l’orphelinat a été évacué. On est tout près de la frontière belge. C’est au moment de l’évacuation de l’institution par l’armée française que les quatre orphelins en question qui étaient sortis sans autorisation sont tout simplement oubliés. Les Lulus ont échappé à la surveillance des adultes, ils construisent une cabane dans les bois. Tout le monde est paniqué par les  Allemands qui arrivent et on va les laisser à leur triste sort… Enfin, triste… Ils vont surtout être amenés à survivre pendant la durée de la guerre…

Shelton : Dites-nous quand même pour des Lulus ?

Hautière : Oui, quatre garçons, quatre orphelins, mais surtout quatre prénoms qui commencent par Lu… On a Lucien, Ludwig, Luigi et Lucas. Ils vont rencontrer une jeune fille, Luce. Mais cette dernière est-elle une Lulu ? C’est un questionnement que vont avoir les garçons car si son prénom peut convenir, c’est quand même une fille, mais surtout elle a des parents ! Certes, ils ont disparu à ce stade de l’histoire – ils étaient dans une colonne de réfugiés – il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas une orpheline…

Shelton : N’en disons pas trop sur le scénario car il va y avoir une série pour nous raconter le destin de ces enfants… Par contre, il semble que certains jeunes lecteurs s’interrogent sur un aspect fondamental pour la crédibilité de cette bande dessinée… Les Lulus vont tenter de survivre, ils vont récupérer des aliments dans l’orphelinat, en particulier de la farine… Mais que faire de farine si on n’a pas de moyen de cuisson ? Or la cabane n’est pas équipée d’une cuisinière ni d’un four !

Hautière : C’est vrai, je vois que vous avez croisé des lecteurs perspicaces, et c’est pour cela que dans le tome suivant ils vont construire un four dans la cabane…

Shelton : Nous voilà rassurés car pour le moment c’est essentiellement de la ventrée de confiture…

Hautière : J’adore la confiture comme Luigi…

Shelton : Ne restons pas que dans l’alimentaire… comment choisit-on un dessinateur quand on porte un tel projet de série de bandes dessinées ?

Hautière : Ce n’est pas un choix unilatéral, cela se fait vraiment à deux. En l’occurrence, j’avais déjà travaillé avec Hardoc avant la guerre des Lulus. On se connaît depuis longtemps, on habite la même région. On est amis ! On a même déjà travaillé ensemble en bédé (par exemple www.sceneario.com/bande-dessinee/LOUP+LAGNEAU+ET+LES+CHIENS+DE+GUERRE+LE+2-Mercenaires-5607.html ). D’une façon générale, quand je monte un projet de bande dessinée, je préfère travailler avec un dessinateur avec qui je m’entends bien car on va être amené à se fréquenter au moins un an donc le choix ne porte pas simplement sur les aspects techniques ou artistiques. Mais il faut que ce soit quelqu’un dont je respecte le travail, dont le dessin m’inspire… et tout cela était réuni avec Hardoc !

Shelton : N’en dites pas plus, Hardoc pourrait avoir la grosse tête… Justement, tournons-nous vers Hardoc, le dessinateur de cette série. Hardoc, un village, une abbaye délestés de leurs habitants, cela nécessite de la part du dessinateur d’aimer l’architecture, d’avoir des modèles, des repères…

Hardoc sérieux comme un pape

Hardoc : Le village est imaginaire même si l’abbaye qui sert d’orphelinat existe bien. Comme il s’agit d’un petit village, que l’abbaye est devenue un lieu modeste d’accueil d’enfants abandonnés, j’ai beaucoup épuré l’architecture du bâtiment existant pour faire naitre celui de notre histoire… J’ai quand même gardé un espace de grande taille pour que cela semble immense aux enfants, surtout quand il est vide. De plus, les enfants vont évoluer dans peu d’endroits de l’abbaye ce qui pour moi m’a permis de me concentrer sur quelques lieux de l’abbaye-orphelinat. Mais les Lulus sont très souvent dans leur coin de forêt, dans leur cabane, et du coup c’est aussi comme un huis-clos ce que j’aime bien. C’est comme si je les suivais, je les collais, caméra sur l’épaule dans un espace restreint… Dans les deux premiers tomes, on se limite à la cabane, l’orphelinat, le village…

L’abbaye-orphelinat

Hautière : Après, sans vouloir tout dévoiler, ils vont devoir quitter ce cocon et parcourir les routes de France…

Shelton : Hardoc, vous aimez dessiner les cabanes dans les arbres, franchement ?

Hardoc : J’expliquais récemment que moi qui habitais un petit village de trois cents habitants – village que l’on voit à un moment dans l’album – j’ai fait beaucoup de constructions de ce genre. Des grandes cabanes avec des véritables planches, des cabanes en dur ! Bizarrement, dans le village, il y avait un clan constructeur et un clan destructeur. On ne sait pas pourquoi, chaque fois que l’on construisait, d’autres venaient casser… Pour se défendre on avait acheté chez l’épicier du village des sortes de pétards ou petits feux d’artifices, on avait récupéré des morceaux de tubes en PVC et quand ils arrivaient pour leur œuvre destructrice, on tirait nos munitions en utilisant les tubes pour viser dans leur direction et les faire fuir… Oui, donc j’ai beaucoup construit de cabanes et je suis très heureux de prolonger cela avec les Lulus… Du coup j’aime bien aussi les animer, les faire parler, je revis une partie de ma jeunesse… Les dialogues de Régis [Hautière] me font rire tout seul quand je les reçois via l’ordinateur. J’espère que les voisins ne m’entendent pas trop…

Shelton : Le quel de vous deux a inventé le gag du marteau ?

Hautière : C’est moi, en tous cas, c’était bien dans le scénario. Moi aussi j’ai beaucoup de souvenirs de cabanes. J’ai grandi dans une petite ville de Bretagne, à côté de la campagne, et, là, on faisait aussi des cabanes, avec des pièges pour des ennemis imaginaires qui ne sont jamais venus. Les seuls qui tombaient parfois dans les pièges, c’étaient nous-mêmes…

Shelton : L’ennemi savait qu’il y avait des pièges trop dangereux et il ne prenait pas de risque…

Des éléphants en Bretagne ?

Hautière : Oui, surement et c’est la même chose pour les pièges à éléphants que l’on avait installés [rires]…

Shelton : Revenons-en à cette période de la guerre. Vous traitez l’arrière du front, de surcroît du côté allemand, est-ce que l’on trouve une grosse documentation sur la vie dans cette zone ?
Hautière : Non, en fait, il y a peu de choses écrites sur la vie quotidienne à l’arrière du front en zone allemande. Dans les romans et les films, on trouve quelques éléments mais relativement peu. Il faut donc se documenter beaucoup et surtout arriver à constituer un nombre d’objets conséquents sur la vie quotidienne, ces objets permettant d’identifier cette période. Par exemple, dans le tome 2, la petite Luce a besoin d’être soignée. Il a fallu se renseigner sur les médicaments qui existaient à l’époque. Il y avait déjà de l’aspirine, mais sous quelle forme, sous quel conditionnement, tout cela pour permettre à Hardoc de dessiner du vrai. Les flacons d’aspirine en 1914, on est à la fois loin de la guerre mais en plein dans notre sujet…

Shelton : Le premier volume porte le sous-titre de 1914. Il y aura un album par année…

Hautière : Oui, un par année ce qui permet aussi de voir les enfants grandir. C’est tout d’abord un phénomène physique – challenge du dessinateur – mais aussi un aspect mental, intellectuel et psychologique… on a des enfants au début de l’histoire, qui ont entre 11 et 15 ans. Donc ce sont des adolescents. A la fin de la guerre, ils seront devenus de jeunes adultes… Ils auront accumulé une expérience énorme avec une guerre par procuration en quelque sorte. Certes, ils n’auront jamais été sur le front mais reviendront changés par la guerre. Notre propos est de rester lisible par tous, donc pas de scènes de guerre comme pourtant il y en a eu. L’horreur de la guerre ne sera donc pas vue, mais évoquée à travers le point de vue des adultes, des soldats, des déserteurs…

Shelton : Hautière, on a l’impression que de votre côté le scénario est presque bouclé pour l’ensemble de la série, mais combien de temps faudra-t-il attendre pour avoir le tome 2 de la série, c’est à dire plonger dans l’année 1915 ? Le dessinateur traine-t-il trop ?

Hardoc : Je ne sais pas si le terme de « trainer » est le bon terme. Ce qui est certain c’est que techniquement c’est toujours plus long, plus délicat, de dessiner que d’écrire une bande dessinée. Mais pour le tome 2 on est bien avancé puisque les deux tiers sont déjà réalisés. Je suis en train de travailler sur deux grosses séquences de la fin qui me prennent un peu de temps.

Hautière : L’album est entièrement découpé, le story-board est fini, dans trois/quatre mois on aura terminé l’album, restera alors le travail de l’éditeur. On peut donc raisonnablement penser à une sortie entre septembre 2013 et janvier 2014. On ne travaillait pas avec l’idée du centenaire de la Guerre de 14/18 en tête, mais on va bien avoir à un moment les partions de notre série qui tomberont avec cette célébration qui devrait toucher beaucoup de monde. La coïncidence est pour le moins porteuse…

Hautière et Hardoc loin de leurs outils habituels

Il ne reste plus qu’à lire cette série qui nous fait plonger dans cette période au moment où nous allons nous souvenir collectivement de cette grande boucherie humaine qui ravagea l’Europe entre 1914 et 1918…

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La maison des enfants trouvés, 1914
Tome 1 de La guerre des Lulus
Scénario de régis Hautière
Dessin de Hardoc
Editions Casterman
ISBN : 9782203034426

Angoulême 2013 – Rencontre avec Hub !

A l’instar d’Isabelle Dethan, Hub (de son prénom Humbert)  était un parfait inconnu. Après lecture de son dernier ouvrage sorti, je me suis dit que je devais le rencontrer. Mais qui est cet homme ? Il est l’auteur de la série BD Okko. Hub nous présente les pérégrinations d’un rônin (samouraï sans maitre) et de sa fine équipe dans le Pajan. Il travaille aussi en collaboration avec Fred Weytens et Emmanuel Michalak en tant que co-scénariste sur la bande-dessinée Aslak. Notre rencontre se focalise essentiellement sur Okko. Il faut savoir qu’Okko fonctionne en cycle. Un cycle est basé sur un élément et se découpe en deux volumes. Aujourd’hui il y a huit volumes soit quatre cycle (Eau, air, terre et feu).

Okko – Volume 8 – Cycle du Feu

Camille : Après lecture du Cycle de feu (Okko), je constate que l’univers dépeint est très fortement inspiré du Japon médiéval. Pourquoi ?

Hub : Alors, je pense que l’idée d’Okko est née il y a une petite dizaine d’années. Je pense que les inspirations sont multiples. Déjà j’étais intéressé, intrigué, fasciné par la culture japonaise et asiatique en règle générale. Le cinéma, les dessins animés comme Princesse Mononoké de Miyazaki et le cinéma de Kurosawa et les jeux de rôles ont complété cet intérêt puissant et fort que j’avais et à partir de là, j’ai travaillé dans le dessin animé, j’ai fait des storyboards pour le cinéma et d’autres choses comme des programmes pour la jeunesse. J’avais vraiment envie de me lancer dans un récit et je suis parti sur cet univers là qui m’intéressait amplement et fortement.

Camille : Vous auriez des références particulières qui vous auraient inspirées plus particulièrement ?

Hub : On pourrait dire par exemple Musashi ou La pierre et le sabre qui est un roman qui m’a beaucoup intéressé et qui est lié à des faits historiques. Musashi, lui, est un rônin  des plus renommés et qui a gagné le plus de combats en duel, c’est un roman qui m’a énormément influencé… Il y en a aussi beaucoup d’autres mais j’ai du mal à identifier vraiment toutes mes sources d’inspirations et qui ne sont pas toutes liées à la société japonaise et à la culture japonaise et asiatique. Il y a aussi d’autres influences des romans, des livres que j’ai sans doute lus. Il y a pleins de choses que je serai incapable de dire et définir particulièrement mais qui m’ont influencé. Par exemple le folklore japonais, tout ce qui est fantôme, bestiaire des kappas (démons des eaux) m’intéressaient beaucoup et je sentais qu’il y avait quelque chose à faire autour.

Intégrale du cycle de la terre (soit les volumes 3 & 4)

Camille : Avez-vous mené des études et des recherches pour donner de la cohérence à votre récit ?

Hub : Relativement peu en réalité. Autant pour certains projets je faisais beaucoup de dessins. Là, ça s’est imposé comme une évidence, c’est bizarre à dire. C’est-à-dire que le groupe de quatre je l’ai dessiné en quelques jours à peine. Mais même avec leur passé qu’on découvrira dans le cycle du vide. Tout cela m’est venu très très rapidement, le dessin aussi. Après, cela a un peu évolué, les personnages se sont affinés et les choses ont encore un peu bougé mais le premier jet était presque le bon je dirais. Après, je suis allé voir une maison d’éditions, on en a parlé, j’ai montré mes premières recherches, ils ont été intéressés. Et plus tard je suis revenu avec la première planche et les planches suivantes en croquis, et on a signé rapidement et c’est ainsi que je commençais la série Okko.

Camille : Comment travaillez-vous sur un cycle ? Avez-vous une vue d’ensemble sur ce qui se passe dans un cycle ou bien cela vous vient-il au fur et à mesure ?

Hub : Alors, pour l’ensemble de la série, je savais qu’elle serait en dix albums. J’ai commencé par le cycle de l’eau puis après je suis allé sur le cycle de la terre, puis j’ai abordé le cycle de l’air, maintenant je viens de finir le cycle du feu et je vais finir par le cycle du vide. Chaque cycle est un dytique, soit deux albums. Cette idée je l’avais d’entrée, je connais la fin de ma série. A partir de là, lorsque je travaille sur un cycle au niveau du scénario je le conçois dans les grandes lignes. Je sais qu’il va y avoir deux albums, environ 120 pages. Je définis les choses précisément bien avant que je les dessine. Souvent je réfléchis à l’histoire un an auparavant, un an, le temps de l’affiner, de pouvoir revenir en arrière de la polir jusqu’à ce qu’elle semble convenir à ce que j’ai envie de raconter. J’essaie aussi de faire en sorte que les cycles soient différents les uns des autres au niveau des symboliques. Le cycle du feu sera plus tourné vers des sentiments plus déchirés, la terre sera plus brutale, le cycle de l’air plus évanescent. Donc j’essaie d’avoir  une ambiance différente pour chaque cycle donc je l’étudie pas mal, mais il y a toujours des zones d’ombres sur le cycle suivant que je n’ai pas encore complètement écrit. Mais quand je l’écris je commence à avoir des idées très précises. Il faut que tout soit parfaitement défini avant d’attaquer le dessin.

Hub en pleine dédicace!

Camille : Combien de temps mettez-vous sur un cycle ?

Hub : Un peu moins d’un an, car en réalité lorsque je fini un cycle, j’ai tout ce qu’il y a promotion qui me prend pas mal de temps, comme rencontrer les gens, faire des dédicaces au festival d’Angoulême, je fais aussi pas mal d’affiches de produits dérivés, j’ai travaillé aussi sur un jeu de stratégie autour de Okko,un jeu de plateau stratégie avec des statuettes. Ça  ça me prend du temps. Et le temps d ‘écrire le scénario ça prend du temps. Donc après de façon pragmatique quand je commence vraiment à travailler le dessin sur un album, ça me prend à peu près huit mois. Huit mois pour faire le dessin avec la couleur. Donc c’est beaucoup beaucoup de travail, il faut vraiment beaucoup de discipline pour se lever le matin. Il n y a personne pour te dire qu’il faut se mettre au boulot, donc ça demande pas mal de volonté. Bon, j’ai de la chance ma série a rencontré un succès qui m’a aidé à me motiver, c’est un moteur puissant donc je suis content ; je vis une sorte de conte éveillé quelque part.

Camille : Vous avez une journée type ?

Hub : Une journée type ? Non. J’écoute beaucoup de musiques, la radio quand je travaille, quand intellectuellement je peux le faire. Mais une journée type pas vraiment, la journée type c’est beaucoup d’heures de boulot par jour. Surtout les fins d’album ou on se rapproche de l’échéance du délai qui a été fixé par l’éditeur où là, ça ne rigole plus du tout. On arrive à des journées où on finit à deux heures du matin voir plus. Mais bon, on ne peut pas comptabiliser en nombre d’heures parce qu’on est porté par une passion donc ce n’est pas métier neutre, la passion permet de beaucoup beaucoup travailler sur sa planche à dessin sans être épuisé comme on le serait sur un autre boulot je pense.

Petit aperçu de la dédicace

Camille : Vous destiniez-vous à une carrière de dessinateur dès le départ ?

Hub : J’ai commencé à entrevoir cette carrière en CM2. Je commençais à faire des bandes dessinées malabar, quand j’étais petit il y avait plein de petites cases pour raconter en 3-4 cases une petite histoire. J’ai commencé à reprendre ce personnage et lui faire des aventures, après en CM2 j’adorais les Tuniques Bleus de Cauvin aux éditions Dupuis et là, j’avais fait un album où j’ai repris ces deux personnages, mais pour moi, hein ! Avec 32 pages. Après, en tant que copiste je me suis essayé à des aventures de Tintin, je reprenais le personnage de Tintin je lui faisais faire mes propres aventures, Lucky Luke aussi. Toute ma vie, je n’ai jamais arrêté de dessiner, donc mon rêve d’enfant c’était de faire de la bande-dessinée.

Camille : Outre Okko parlez-nous de vos projets ?

Hub : Je co-scénarise une série qui s’appelle Aslak. Dont le second volume est sorti il y a quelques semaines. Et là c’est un univers complètement différent, c’est univers de Vikings. L’histoire est un drakkar on movies j’ai envie de dire, c’est deux drakkars qui se font une compétition, dans chacun des drakkars il y a deux frères, deux frères conteurs dont le père est mort. Pour prendre sa suite, ils doivent ramener au Roi la meilleure histoire parce que le Roi en a marre d’entendre la même histoire, parce qu’apparemment on ne lui raconte qu’un type d’histoire. Il les met en compétition en leur demandant de ramener la meilleure histoire. Au bout d’un an, celui qui ramènera la meilleure histoire deviendra le nouveau conteur, celui qui échouera sera tué ainsi que leur mère qui est retenue en captivité. C’est la nouvelle histoire sur laquelle je me suis embarqué avec un autre scénariste qui s’appelle Weytens, un ami et Emmanuel Micahalak qui m’aide parfois… Non pas parfois, qui m’aide au niveau du découpage d’Okko ! C’est un travail assez différent, car c’est un travail d’équipe.

Volume 2 de la série Aslak.

Camille : Comment se passe le travail de co-scénarisation ?

Hub : On fait du ping pong, c’est-à-dire qu’on a besoin d’être l’un à côté de l’autre pour se dire « Ouais cette idée-là… ». On ne peut pas fragmenter, segmenter un scénario en se disant « moi je fais un petit et toi tu fais ça ». Il faut que se soit un mélange, c’est un mélange, on regarde si ça marche, on les laisse reposer quelques mois, on revient dessus avec du recul pour voir si c’est toujours aussi bon ou voir ce qui nous semble pas mauvais, cohérent. C’est un travail à deux, deux cerveaux pour ce qui est du scénario et une fois qu’il est validé par notre éditeur c’est Emmanuel Michalak qui s’empare du scénario qui est écrit et qui va le mettre en dessin. C’est un travail d’équipe et c’est passionnant d’ailleurs. Vraiment. Déjà parce que l’univers est différent, c’est bien de pouvoir changer aussi un petit peu voir d’univers. Ça me sort de la routine de Okko.

Camille : Souhaiteriez-vous travailler avec d’autres auteurs ?

Hub : Tout peut-être intéressant, le problème c’est que je sais que par expérience qu’on ne peut pas tout faire. En l’occurrence je m’épanouis complètement dans ce que je fais. Donc je n’ai pas de rêve ni de volonté de travailler avec telle ou telle personne même si je respecte leur travail. Si je suis venu au dessin c’était pour raconter mes propres histoires, donc personnellement je dissocie difficilement le scénariste du dessin. Lorsque je travaille sur un scénario je commence à avoir quelques images qui viennent etc. Pour moi, ça ne fait qu’un bloc, dans l’absolu oui je pourrais dire que je voudrais travailler avec telle ou telle personne, mais ça ne serait pas vraiment la vérité je n’y pense pas régulièrement. Je pense surtout « Qu’est-ce que je vais pouvoir raconter la prochaine fois ? », c’est surtout ça.

Et c’est sur cette question que notre rencontre s’est achevée. J’ai pris beaucoup de plaisir en faisant cette interview et j’espère que vous bous lancerez dans l’aventure Okko vous aussi ! Je remercie éditions Delcourt pour avoir permis cette rencontre et Hub pour m’avoir accordé un peu de son temps.

Camille

 

 

Mes meilleures rencontres, mes plus beaux souvenirs d’Angoulême 2013… (1ère partie)

Certaines rencontres à Angoulême, durant le festival international de la bande dessinée, sont plus fortes ou denses que d’autres. Ce n’est d’ailleurs pas toujours lié à la qualité intrinsèque des ouvrages présentés par les auteurs. En fait, c’est le résultat d’une alchimie fine et délicate qui mêle la qualité des ouvrages, scénario et/ou dessin, le talent des auteurs, les affinités entre auteurs et intervieweurs, le moment de la journée, l’ambiance du lieu de la rencontre… Quand tous les voyants sont au vert, les acteurs de la rencontre sortent heureux. Il faut, que l’on soit auteur, journaliste, collectionneur, lecteur, festivalier, bénévole de l’organisation, vigile de sécurité… savoir profiter de ces instants de bonheur ! Reste maintenant à vous en faire profiter, c’est une autre affaire…

Jean-François Cellier, Jeanne la Pucelle
Soleil

Je voudrais donc, ici, vous parler de mes plus belles rencontres de 2013. Pourquoi choisir les meilleures ? D’une part parce que je voudrais faire l’effort de vous parler des temps forts de mon festival, d’autre part parce que je voudrais laisser quelques rencontres à mes étudiantes. Nous étions souvent ensemble et je veux qu’elles puissent, comme elles ont commencé à le faire, vous raconter et vous faire partager leurs rencontres… C’est pour cela que je ne parlerai pas de Stephan Desberg, bien que ce fut un excellent moment, car il a accepté de glisser cet entretien spécialement quand il a su qu’une des étudiante, Céline, était une lectrice assidue. Elle viendra donc vous présenter son idole… Charlie Adlard ? Clémentine qui a mené entièrement seule et de façon efficace l’entretien en anglais est déjà venu vous en faire le compte-rendu, y compris avec les problèmes techniques afférents… Je l’oublierai donc un instant, lui-aussi. Enfin, Jean-François Cellier a été adorable et chaleureux durant tout un entretien consacré à Jeanne la Pucelle, sa nouvelle série qui a reçu un prix de la bande dessinée chrétienne… Mais j’étais accompagné de Sandrine et elle vous parlera de cette très bonne rencontre très bientôt…

Anne-Laure To, Retropolis
KSTR

Et les auteures ? Oui, vous nous parlez de vos étudiantes, mais pas encore de femmes alors que l’on sait bien qu’elles sont de plus en plus nombreuses à raconter des histoires en bédé… Nous n’en n’avons pas rencontrées tant que cela, mais Dem, Virginie Augustin, Simona Mogavino, Isabelle Dethan, Patricia Lyfoung, Pénélope Bagieu et Anne-Laure To ont bien fait l’objet de toute notre attention et elles seront bien présentes dans nos échos sonores et visuels du festival… Comme j’étais accompagné de quatre étudiantes, je leur laisserai le soin de parler de ces auteures…

Il ne me reste plus qu’à vous présenter mes meilleurs souvenirs, et cela sans vexer tous ceux qui ont croisé nos chemin car, soyons honnêtes, le talent est omniprésent dans un tel festival !

Jake Raynal, Cambrioleurs
Casterman

Le premier temps fort sera celui de la rencontre avec Jake Raynal. Une véritable surprise et découverte pour moi. Je n’avais jamais lu d’ouvrages signés Raynal, je ne connaissais pas l’auteur. Une responsable de chez Casterman me l’a fait découvrir quelques jours avant le festival avec ce premier volume de la série Cambrioleurs, Les oiseaux de proie. Et j’ai tout simplement adoré, coup de foudre total. Tout d’abord séduit par le graphisme qui va naviguer entre réalisme et impressionnisme (si je peux me permettre cette expression). Ensuite, un sentiment de travail bien fait avec un scénario exigeant, bien construit, qui utilise l’ellipse à merveille en laissant au lecteur un gros travail d’imagination et de construction… Enfin, un thème qui tout en se positionnant dans l’aventure classique est pétri d’humanité, de l’histoire de l’Europe de la fin du vingtième siècle à aujourd’hui… avec un personnage fascinant, héros ou antihéros, qui devient page après page, un compagnon de lecture à défaut de prendre le statut d’ami…
Voilà pour quelques données assez objectives… Pour le reste, le courant est passé immédiatement, je me suis senti en face d’un homme que je croyais comprendre, qui me donnait l’impression de me comprendre et au lieu d’une interview poussive je me sentais dans une discussion amicale autour d’un personnage de fiction que j’avais l’impression d’avoir toujours connu… Illusion, rêve, peu importe, j’entrais dans l’univers d’un auteur que je trouvais de qualité et qui prenait le soin de m’expliquer la genèse de sa série et qui m’initiait à son travail… Il s’avère qu’en plus nous avons pu parler des Balkans, une terre que nous regardions certes de façon différente mais avec beaucoup d’attention, une zone de partage en plus pour consolider cette rencontre définitivement bien amicale…

Une particularité de cette série réside dans une narration graphique qui peut faire alterner pour le plus grand plaisir du lecteur les scènes les plus rapides et violentes avec des séquences lentes comme savaient les écrire et dessiner Hugo Pratt. J’aime ce type de bandes dessinées car je trouve que le lecteur n’est pas pris pour un pauvre reptilien démuni de neurones actifs mais bien pour un être libre et intelligent capable d’accepter de suivre l’auteur, s’il le désire, et de se faire sa propre idée de chaque situation. L’action bien présente doit donc être accompagnée des motivations, du sens, de profondeur ce que fait très bien Jake Raynal…

Si le dessin peut sembler noir au lecteur, l’auteur, lui, m’a paru illuminer par la passion et la joie de faire partager son histoire, sa série, son travail… Une très belle rencontre qui, je l’espère, n’est que la première d’une longue série…

Eric Corbeyran

De qui vous parler après cette rencontre ? Quel auteur vient prendre sa place dans ma mémoire de festivalier 2013 ? J’aurais pu vous parler de mon ami Eric Corbeyran et cela n’aurait pas surpris ceux qui me lisent depuis longtemps. Chaque festival est marqué par une rencontre avec Eric, le scénariste dont il n’est plus possible de dénombrer les albums parus. 250 ? Chiffre probablement dépassé depuis des semaines avec une série comme Zodiaque dont les albums sortent mois après mois… Mais cette année, il n’y a pas eu de rencontre avec Eric, du moins formelle autour d’un micro. Nous nous sommes vus, y compris en dehors des lieux de dédicaces, mais pas d’interviews, il y avait trop de demandes de journalistes… Par contre, j’ai interviewé le dessinateur de la série Le chant des Stryges, une excellente série scénarisée par Eric Corbeyran, Richard Guérineau. C’était d’autant plus intéressant de le faire que sortait à l’occasion de ce festival, un tirage spécial du tome 15 de la série qui va sortir dans quelques semaines. La version d’Angoulême, entièrement en noir et blanc, met en valeur le dessin de Guérineau et c’était donc l’occasion de parler spécifiquement de la narration graphique. Je me suis donc offert l’album et j’ai rencontré celui qui met en dessin cette série depuis le début et qui le fait si bien que je suis resté fidèle à cet univers depuis des années… Comme le dessinateur, j’avoue que parfois je suis pris de peur car il a été annoncé que la série ne comporterait que 18 volumes et, donc, la fin approche… Lire un dernier album, c’est comme mourir un peu. Non ?

Je connais Richard Guérineau depuis quelques années, j’aime son travail et je suis fan de la série Le chant des Stryges. C’est vrai que du coup, nous avions pris l’habitude d’aborder le contenu de la série, ses relations avec le scénariste et ses envies et frustrations après tant d’années dans cet univers. Cette fois-ci, poussé par une version remarquable de ce quinzième volume, nous avons parlé dessin, narration graphique, bonheur de dessiner…

Pour les amateurs de la série, il faut voir certaines planches pour mesurer la qualité du dessin, percevoir le dynamisme de certaines scènes, enfin prendre plaisir avec des séquences spécifiques comme l’extrait du tournage du film d’horreur… Enfin, le fan imprimera dans sa mémoire la planche entière consacré à un Stryge… mais je ne vous en dis pas plus…

Richard a pris le temps de parler, échanger, partager. Cette série représente beaucoup pour lui, il redoute certainement un peu le moment où elle prendra fin. Il devra alors rebondir, passer à une chose, aborder une nouvelle page de sa carrière, avec ou sans Eric Corbeyran…

(A suivre)

Les belles mains d’Angoulême au travail…

En France, on a tellement peur du travail manuel, qui est dévalorisé depuis des années malgré certaines réalités du monde du travail que l’on refuse de voir, que l’on finit par oublier que dessiner est une activité essentiellement manuelle… Et oui, c’est comme ça et si vous n’y aviez pas encore songé, observez tout simplement…

Anne-Laure To, dessinatrice de Retropolis, KSTR

Bruno Bessadi, dessinateur de Bad Ass, Delcourt

Jean-François Cellier, dessinateur de Jeanne la Pucelle, Soleil

Damien, dessinateur d’Arcane majeur, Delcourt

Ers, dessinateur de Hell school, Le Lombard

Federici, dessinateur du tome 2 de Saria, Delcourt

Fred Bernard, auteur de La patience du tigre, Casterman

Jake Raynal, auteur de Cambrioleurs, Casterman

Joël Alessandra, auteur du Périple de Baldassare, Casterman

Reinhard Kleist, auteur du Boxeur, Casterman

Jérôme Lereculey, dessinateur de la série Wollodrïn, Delcourt

Loustal dessinateur de Pigalle 62.27, Casterman

Marek,

auteur de l’adaptation du roman d’Agatha Christie Le couteau sur la nuque,

Emmanuel Proust

Grzegorz Rosinski, créateur de Thorgal avec Van Hamme, Le Lombard

Thomas Legrain, dessinateur de la série Sisco, Le Lombard

Trifn dessinateur d’une adaptation coquine de Cendrillon, Tabou

Oui, la preuve est là, dessiner est bien une activité manuelle, une magnifique activité humaine car elle a pour objectif de nous raconter, avec des dessins et des mots, des histoires pour nous accompagner dans nos rêves les plus fous…

Angoulême 2013 – Rencontre avec Isabelle Dethan

Isabelle Dethan quelques jours avant le festival m’était une parfaite inconnue. Après lecture complète des Terres d’Horus, ce nom résonne dans ma tête comme celui d’une auteure que je vais suivre attentivement. Elle a travaillé sur différents ouvrages en tant que scénariste (Khéti, fils du Nil, Le tombeau d’Alexandre) et aussi en tant que scénariste et dessinatrice (Sur les Terres d’Horus, Les Ombres du Styx, Eva aux mains bleues). Nous sommes deux à avoir pu discuter avec cette sympathique auteure. Je vous propose la partie de l’interview que j’ai faite et la seconde partie viendra plus tard rédigée par ma collègue. La mienne est liée aux Terres d’Horus et la seconde à Eva aux mains bleues.

Camille : Après lecture complète de la série Sur les Terres d’Horus, je me suis demandé pourquoi ce mélange d’enquête policière et Égypte antique ?

Isabelle Dethan : Quand j’ai commencé, l’Égypte était abordée de façon fantastique en bande dessinée comme dans Papyrus. On a eu aussi les films La Momie, adaptation du roman de Théophile Gautier. J’avais beaucoup aimé le premier mais à chaque fois on tombe dans le syndrome des Dieux et momies qui parlent. On va dire que je me suis laissée prendre, car à côté des Terres d’Horus, j’ai aussi fait une autre série avec un dessinateur qui s’appelle Mazan, plus orientée pour la jeuneuse avec des dieux et une momie qui s’appelle Mémé. La grand-mère de la petite héroïne meurt et c’est la gamine et son copain qui l’accompagne dans l’autre monde. J’ai été piégée en quelque sorte… Mais pour Les terres d’Horus, je voulais quelque chose de plus réaliste.

Sur les Terres d’Horus, série complète en 8 volumes chez Delcourt.

Camille : Combien de temps avez-vous eu pour préparer le terrain de votre série ?

Isabelle Dethan : Deux ans à peu près. Mais c’est ce que je prends habituellement pour toutes mes séries. Là, actuellement, je travaille sur l’Empire romain, il m’a fallu environ deux ans pour me constituer une bibliothèque, chercher sur Internet et me créer des contacts, ce qui est aussi important. Il faut rencontrer des archéologues, des gens qui s’y connaissent, car ils ont accès à des documents qu’on n’imagine même pas. Pour les Terres d’Horus je me suis liée d’amitié avec un égyptologue qui séjourne chaque année quelques mois à Tours. Il a gentiment traduit, juste pour moi, des textes ! Certains hiéroglyphes veulent vraiment dire quelque chose, tout le monde s’en fiche, mais moi je sais que ça veut dire quelque chose !

Camille : Êtes-vous intéressée voir passionnée par l’Égypte ?

Isabelle Dethan : Au départ je m’intéresse à tout ce qui est antique, tout ce qui est historique. Suffit juste que se soit un peu rigolo. Je me suis décidée pour l’Égypte parce que je voulais utiliser une héroïne et que d’un point de vue réaliste je ne pouvais aller contre l’histoire. Dans la Rome antique, chez les Grecs le rôle de la femme est plus compliqué, elles sont un peu des mineures. Donc à moins de verser dans la reconstitution historique comme Murena qui est très bien, on est un peu condamné à chercher ailleurs dans d’autres civilisations des femmes qui ont un peu plus de liberté. C’est ce qui m’a décidé pour l’Égypte ancienne et à partir de là j’ai commencé à m’intéresser à la culture et c’est devenu une passion après coup. Ce qui me plait dans l’Égypte ancienne ce n’est pas forcément les pyramides (même si « ça en jette », dixit l’auteure elle-même) et les momies. Compte tenu du contexte historique c’est un peuple que je trouve plus proche de nous, de notre façon d’envisager l’être humain que Rome par exemple. La civilisation romaine est hyper violente, elle est fondée sur la hiérarchie, les rapports hiérarchiques dominateurs, avec des strates. En Égypte l’être humain est peut-être mieux considéré que ce soit les femmes ou les esclaves. Il y a des lois qui font que je m’y retrouve plus, je dis peut-être de grosses conneries, l’égyptologue s’arracherait peut-être les cheveux mais c’est mon ressenti. Je trouve l’Égypte antique statuaire plus douce, plus sereine. Quand on voit les statues grecques ou romaines c’est super beau, mais alors les femmes sont musclées, elles ont des profils de mecs, des mâchoires fortes… Alors qu’en Égypte c’est presque le contraire, les profils sont très doux très sereins.

Les Ombres du Styx nouvelle série en cours, le prochain volume parait en Mars 2013.

Camille : Envisagez-vous de sonner une suite, reprendre des personnages, faire un spin-off ?

Isabelle Dethan : Retravailler sur l’Égypte ancienne : oui ! Donner une suite : non !  Parce que je pense que chaque chose vient à un certain moment. Pendant dix ans j’ai travaillé sur les Terres d’Horus, mine de rien, maintenant on va laisser ça un peu tranquille, je suis partie sur d’autres projets. Je ne vais pas revenir en arrière car je sais que j’évolue moi aussi et donc je ne pourrais pas retrouver la même chose donc il faut que j’avance. Par contre, oui, l’Égypte, j’ai au moins trois projets qui parlent de l’Égypte ancienne.

Camille : Vous pourriez nous parler un peu de ces projets ?

Isabelle Dethan : On n’aime pas trop ! Tant que ce n’est pas signé, on n’aime pas trop ! (rires)

Camille : Vous êtes auteure sur vos propres projets, mais vous travaillez en collaboration avec d’autres auteurs, pouvez-vous nous en dire plus ?

Isabelle Dethan :Bah en ce moment pas grand-chose, Le Tombeau d’Alexandre s’est terminé en Mars 2012, la série est toujours en librairie. J’espère qu’on va retravailler ensemble, avec Laurent Jaffre, mais chacun de nous est sur une série perso donc il faut qu’on finisse ce genre de choses. Par ailleurs avec Mazan  s’est terminée la série Khéti – Les fils du Nil, enfin c’est terminé pour le moment, il est sur d’autres projets là encore. On ne désespère pas de retravailler un jour ensemble. Et enfin j’ai peut-être une piste, un jeune dessinateur m’a contacté récemment, le seul souci que j’ai : c’est de trouver un sujet !  Parce qu’il aime tout ce qui est historique mais un peu trop… Ça va de l’Antiquité jusqu’à Napoléon,  ça fait un peu vaste ! J’aime bien, quand je travaille avec quelqu’un qui aime l’Histoire en général, je lui demande ce qu’il aimerait faire et l’époque avec laquelle il veut travailler. Je cherche, je trouve un thème et j’adapte… Mais là c’est un peu trop large…

Camille : Vous avez des projets en tête ?

Isabelle Dethan : Oui plein ! Il y a les trois sur l’Égypte ancienne, il y en a un sur la Grèce antique, il y en a un de fantastique qui se passerait dans les années 20. Heureusement quelque part, je veux dire à priori en tant qu’auteure de bande-dessinée, on n’est pas censée prendre une retraite quelconque à un moment donné, il vaut mieux avoir des projets, sinon ça veut dire qu’on n’a plus d’envie. Et les projets comme je disais il faut les travailler deux ans  à chaque fois avant, ça ne tombe pas tout cuit, il faut avoir des envies… On travaille sur les séries en amont, alors qu’on est déjà sur la série en cours, parce que le souci c’est qu’il faut manger madame ! (rires) On nous paye quand on fait des planches, deux ans sans rien faire on ne peut pas ! (rires)

Petit bonus pour la route! La très jolie Meresankh enquêtrice de l’Egypte antique.

C’est sur des rires que nous avons terminé cette superbe rencontre. Je pense que je n’oublierai pas, car je ne suis pas certaine d’avoir la chance de la rencontrer dans une situation aussi paisible. Isabelle Dethan est spontanée et passionnée par son travail, son art. Je l’ai perçu et elle parvient à nous faire ressentir ça avec des mots… C’est juste génial!

 Je vous prie d’excuser le côté un peu spontané des réponses, car être sous le regard de deux étudiantes, d’une caméra et avoir un micro sous le nez n’est pas un exercice facile !

Angoulême 2013 – Conférence Leiji Matsumoto

Le festival d’Angoulême est l’occasion pour certains festivaliers ou journalistes de rencontrer une idole, une référence, un dieu qui a marqué leur jeunesse… On annonçait cette année celui qui avait créé, entre autres, Albator, tout simplement…

Salle de presse, 10h le maitre se fait attendre et la horde de journalistes en profite pour parer caméras et appareils photos et affuter doigts et stylos pour prendre des notes.

10 h 17 on entend des applaudissements, dans l’encadrement riche de la porte de la salle de presse, le voilà : Leiji Matsumoto en personne. Entouré de son interprète et son attachée de presse, il arrive. Accueilli par une ovation, le maître s’installe et échange brièvement avec son interprète. L’attachée de presse lance le début de cette conférence attendue par l’auteure de ce billet.

On commence avec une question sur les inspirations de Leiji Matsumoto.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas son sensei Osamu Tezuka qui lui a donné la vocation du manga. C’est en allant voir « La tulipe et l’araignée » de Michiko Yokoyama lorsqu’il était enfant que lui est venu le désir fort de devenir mangaka. Pour l’anecdote Osamu Tezuka qu’il ne connaissait pas encore avait été voir le même film le même jour ! Et c’est également grâce à ce métrage que Tezuka s’est lancé dans le manga.

Le maître ne repartira pas les mains vides!

Petit point sur sa carrière.

Il rencontre Ozamu Tezuka à l’âge de 15 ans. Cette rencontre a pu se faire, car Matsumoto avait remporté un concours de mangas. Il avait proposé une histoire avec une abeille, histoire inspirée du film de Yokoyama. Ses planches il les avait remises à la maison d’éditions qui proposait le concours lors d’une sortie scolaire. Leiji Matsumoto a toujours été fasciné par le mouvement que l’on peut transmettre par le dessin. Tout en respectant les auteurs de son époque il se donne pour mission de restituer le mouvement comme ses confrères sans copier pour autant.

Il a été amené à travailler avec Osamu Tezuka, car celui-ci devant partir en voyage, il a besoin d’aide et fait appel au jeune Leiji Matsumoto. Le maitre nous avoue qu’il ne savait pas s’il apportait réellement son aide. Jeune et encore sans expériences il est amené à travailler avec un des plus grands noms de la bande dessinée japonaise d’où son embarras. Matsumoto se dit avant tout fan d’Osamu Tezuka.

Autre anecdote,  il a réalisé un manga qui se passe en France et se retrouver dans un décor (la salle presse se trouve dans la mairie) qui ressemble beaucoup à ce qu’il a dessiné est pour lui une motivation supplémentaire de continuer ce qu’il fait.

L’interprète a fait un très bon travail de retranscription.

A-t-il des projets pour le futur ?

Il dit avoir beaucoup d’histoire à raconter. Les changements technologiques qui s’opèrent sont pour lui une source d’inspiration. S’il n’avait pas d’histoires à nous conter cela signerait la fin de sa carrière voire de sa vie (selon ses dires).

Son enfance et sa jeunesse.

Enfant Leiji Matsumoto était aventureux. Il habitait près de la mer et partait souvent explorer la plage et ses environs. Tout ce qu’il a pu expérimenter enfant constitue pour lui son Arcadia. Lorsqu’il dessine, il retranscrit son vécu sur le papier.

C’est sur ce dernier point que s’est achevée la rencontre. Ces 45 minutes ont défilé à une vitesse folle ! J’ai été ravie de voir des admirateurs lors de cet entretien, se sont justement eux qui m’ont fait oublier le comportement parfois déplacé de certains journalistes présents dans la salle. Je remercie chaleureusement toutes les personnes qui ont permis cette rencontre que je n’oublierai pas!

Da una piccola finestra si puo’ vedere il mondo intero…

Chers lecteurs, comme vous le savez, nous sommes allés au festival d’Angoulême, et nous vous transmettons ici nos temps forts. Et des temps forts, il y en a eu. Je pourrais vous parler de la conférence avec Uderzo, de mon interview ratée avec Charlie Adlard, etc… Mais sortons un peu des sentiers battus et puisque la deuxième langue parlée au festival n’était point l’anglais mais bien l’italien, attaquons nous (et c’est bien une gentille attaque en règle que je vous délivre) à un spectacle – comédie musicale que nous a offert le pays au drapeau vert-blanc-rouge.

D’après la programmation du festival, Lemuri il Visionario est un spectacle musical de et par Vittorio Centrone accompagné des dessins du fameux dessinateur Giulio De Vita, connu en France pour avoir illustré Les Mondes de Thorgal : Kriss de Valnor, entre autres. Présenté comme « sans précédent », « nouveau concept » et j’en passe, je me mets en tête d’y assister à tout prix.

L’horaire du spectacle étant défini à 20h30 et ayant été témoin des longues files d’attente d’un public pressé d’obtenir un aperçu, un gribouillis voire un chewing-gum mâché de son auteur-dessinateur-gribouilleur préféré, dans mon esprit se forme l’idée que ce n’est pas moins de la moitié du public du festival qui va se presser aux portes de la salle le moment venu et me piquera ma place…

Il est donc nécessaire d’arriver en avance. Au moins une heure et demie en avance !

Et c’est donc dans une salle d’attente décorée aux couleurs des Mystérieuses Cités d’Or, que nous attendons que la salle ouvre ses portes, en compagnie d’Ismaël, agent de sécurité qui nous raconte comment il a passé la journée d’avant en compagnie « du chinois » et qu’il ne comprenait pas pourquoi autant de monde souhaiter l’approcher… Le « chinois » en question se trouvant être le très fameux Leiji Matsumoto, mangaka japonais créateur d’Albator pour ne citer que son chef d’œuvre. Qu’est ce que je n’aurais pas donné pour être à la place d’Ismaël ce jour là…

Mais revenons-en à nos moutons.

C’est donc après une bonne heure et demie d’attente, que nous nous installons dans le fauteuil tant convoité. Je ne peux m’empêcher de remarquer que la salle n’est pas pleine… Béotiens, ils ne savent pas ce qu’ils perdent.

Et le spectacle commence.

Attention, je spoile, mais je doute que vous ayez la chance un jour d’assister au spectacle, et si c’est le cas, il est de mon devoir de vous prévenir.

Notre histoire commence donc par une grise journée, quelque part au pays des pâtes, dans un univers futuriste si l’on en croit l’architecture du premier dessin. Et comme inventer un décor prenait trop de temps, les créateurs de Lemuri ont simplement copié sur l’affiche du Film Hugo Cabret, minus la Tour Eiffel. Après tout, Scorsese, c’est pas de la gnognote non plus.

La version Scorsese

La même par De Vita…

Sur scène, le décor aventurier-post-apocalyptique-cyber-punk est installé. Cet espace, dont le but est de représenter l’antre de création de notre aventurier-philosophe, perd toute sa crédibilité tellement les objets sont placés au millimètre près…

Note au scénographe (si tant est qu’il y en ait eu un) : lorsqu’on monte un décor, le but est de le rendre le plus naturel possible, même s’il a nécessité des heures de préparation.

Mais chut, le spectacle commence, sur le rock dubitatif d’un musicien assit sur sa grosse caisse au look léopard (la grosse caisse, pas le musicien), guitare à la main et le pied aux clochettes (si si, son pied faisait bien sonner de petites clochettes…). Et c’est dans cette ambiance étrange que le personnage principal (et actuel créateur du spectacle, Vittorio Centrone) fait son apparition, se mouvant tel une enclume au milieu d’objets hétéroclites.

Il est Lemuri.

Lemuri, la bande dessinée

Lemuri, c’est une sorte de penseur-aventurier dont les supers pouvoirs lui permettent de voyager dans des dimensions parallèles : aux allures de magicien bourré, en guenilles qui déambule sur les routes en ennuyant les honnêtes gens. C’est un grand type fin, sans âge (ou bien est-ce dû à la surcouche tartine d’un maquillage aussi ridicule qu’inutile ?), affublé d’un costume qui se veut néo punk et dont la quête absolue et de trouver la « mélodie ultime » (tremblement de clochettes pour souligner l’importance du moment).

Rien que ça…

Je pense intérieurement qu’il y a une histoire de drogue là dessous. En effet, Lemuri ne semble pas se rendre compte que pendant toute son aventure il est le seul personnage de l’histoire à s’être dessiné un faux masque de Zorro au khôl, et dont les  plumes dans sa longue chevelure et son cosplay cyberpunk dénotent légèrement avec les costumes médiévaux-futuristes (oui ça existe, il suffit de prendre une robe blanche, d’y coller un ruban dessus (j’ai dis coller, pas coudre…) mais je digresse, (j’aime les parenthèses… je digresse encore)), les costumes médiévaux-futuristes donc, de toutes ses futures conquêtes.

Autant vous dire tout de suite que, petit a, le scénario étant ce qu’il est, je pencherais pour l’hypothèse que son auteur est une licorne… et petit b, au vu et entendu des chansons (car oui, c’est une comédie musicale), je reste dubitative quand à l’objet de la quête (rappelez-vous, la mélodie ultime)…

Car si les deux protagonistes + musicien ne se débrouillent pas trop mal au niveau de la voix (au moins ça), on ne peut passer outre les mouvements et pas de danse catastrophiques dont les notions de coordination et de grâce sont totalement absentes. Car oui, Lemuri n’est pas tout seul dans sa grande aventure (tremblement de clochettes) : tout au long de l’histoire (et elle m’a semblé bien plus longue que ses trois quart d’heures, auto-rappels des comédiens compris), Lemuri se trémousse accompagné d’une demoiselle dont le rôle reste à trouver (demander à la licorne…).

Il semblerait que Lemuri ne base sa quête que sur ses rencontres amoureuses, représentées par cette comédienne qui à chaque changement de personnage s’affuble d’un nouvel accoutrement à en faire pleurer nos pupilles. D’un autre coté, cela prouvait à chaque apparition ma mauvaise foi lorsque je pensais « on ne peut pas faire pire… ». Mais ne nous attardons pas sur cette jeune fille aux mœurs douteuses (elle avait les bras recouverts de peinture…Pourquoi ?!) et au professionnalisme consternant.

Si je n’avais pas lu le semblant de synopsis que nous ont fourni les organisateurs du festival, je crois que je n’aurais pas compris l’histoire… et pourtant, j’avais plusieurs  versions :

- les paroles des chansons en italien,

- leur traduction (mauvaise de surcroit, avec des raccourcis que même « Google Trad » n’aurait pas emprunté)

-  et la voix off qui interagissait en français avec un Lemuri qui ne parle qu’italien. Une preuve de plus qu’il était totalement défoncé à la Ganja.

Je confirme : si une licorne a rédigé le scénario, les dialogues, eux, ont été confiés à un blaireau.

Allez, c’est tellement beau que je vous mets un lien: Cose Inutili.

Puis, vient l’instant bénit  où le spectateur comprend que le spectacle touche à sa fin (tremblement de clochettes). Et quelle fin…

Lemuri se rend tout simplement compte que l’objet de sa quête réside dans ses racines (comprendre : chez lui), qu’il est parti pour rien, qu’il a abandonné sa femme, ses femmes rencontrées ça et là et la terre de son enfance pour une comptine qu’il n’a de toute façon pas trouvé. Le scénario était déjà bien nase, mais nous pouvons voir que via ce rebondissement qui ne tient debout à aucun moment, les choses vont pouvoir encore empirer. Ho, mais si elles peuvent. Toujours. Sur les dernières images d’un dessin de De Vita trop accéléré, trop sombre, et finalement trop en retrait, on comprend qu’il retrouve la femme qu’il a abandonné lors de son départ pour se découvrir lui-même, et que malgré le fait qu’elle se soit tuée aux champs à essayer de nourrir les dix gamins qu’il lui a probablement laissé, l’accueille les bras ouverts… Typiquement italien.

Mais passons sur les détails consternants de cette épopée.

La fin du spectacle donc, que dis-je, le clou du spectacle, est Lemuri qui s’installe à son piano trônant au milieu de son décor cyberpunk, et qui nous offre, à défaut d’un autre dessin de De Vita, une prestation à faire rougir de jalousie les gitans du coin. Mais finalement, ces deux dernières chansons à connotation tzigane sont peut être les deux morceaux que j’ai préféré dans cet univers rock-éclectique-clochettes.

Sur cette ultime incohérence, Lemuri se lève, fixe son public de ses yeux noirs et disparait dans la brume montante de ce début de nuit, Et donc…

FIN

Alors, ça ne valait pas une bonne heure et demie d’attente ?

D’autant plus que lors de mes quelques recherches sur internet quant à la véritable histoire, car nul doute que je n’ai rien compris, il se trouve que je suis tombée sur au minimum trois versions différentes pour le même spectacle…

Aaaaah les petits canaillous à la programmation à Angoulême ! Ils se sont bien gardés de nous dire que la réalisation était italienne. D’un autre coté, ils ménagent leur effet. Et quel effet ! Car dès les premières minutes, tout s’est illuminé dans ma tête. Aux questions « pourquoi ce costume inutile, pourquoi ce maquillage débile ridicule, pourquoi ces chansons pop-rock-beauf ? », la réponse était enfin donnée : réalisation italienne.

Personnellement, et contrairement à ce que ma critique laisserait à penser, j’ai plutôt aimé le show, mais je crois que c’est uniquement grâce à mes racines italiennes… De même, après d’autres pérégrinations sur la toile virtuelle, j’en ai conclu que Lemuri il visionario aurait du rester un album dessiné. Car tout le schmilblick raconté au dessus passe très bien sans les comédiens, sans le guitariste-clochettes, sans les décors pompeux et sans les chansons… Juste le dessin en fait !

Car, à mon humble avis, pour apprécier un tel déploiement de niaiserie, de nullité et de kitch, il faut avoir de solides bases en téléréalité italienne, ou encore tout simplement, avoir une vague connaissance du JT, où les présentatrices sont les gogos danseuses du bar du coin (crise économique oblige). Mais pour un italien, rien de plus normal.

Pour moi, Lemuri il Visionario, c’est un retour au pays de mon enfance, pays de mon cœur et de mes souvenirs. Quand on aime quelque chose, un lieu, une ambiance, et qu’on les retrouve dans un tout autre contexte, on ne peut s’empêcher d’être transporté, pendant un moment, hors de la foule du festival, hors de ce méli-mélo de visages inconnus. Un moment hors du temps, qui heureusement encore, n’a pas duré trop longtemps. Car rester bloqué aux pays des licornes, des blaireaux et de la ganja a un certain appel seulement lorsque l’on peut en revenir le sourire aux lèvres. Et je crois que c’est le sourire aux lèvres que les spectateurs de Lemuri il Visionario sont sortis de la salle, fut-il moqueur, rêveur ou simplement dubitatif.

Ou alors, ça je l’ai peut-être fantasmé, je ne suis plus sûre. Ah, c’est pas évident.

Clémentine

Angoulême 2013 : Rencontre avec ANGE

Anne et Gérard se sont rencontrés, un jour, en 1984, dans une librairie. C’est du moins ce qu’ils disent… Depuis, ils signent ensemble des scénarios un peu partout qui enchantent les lecteurs. Ange ? Oui, tout simplement car ANne et GErard… Gérard était seul à Angoulême, mais ce fut un plaisir de le rencontrer et de parler d’une de leurs plus grandes séries, La Geste des Chevaliers Dragons !
Shelton : Ange, comment est née cette série La geste des Chevaliers Dragons, série qui dure depuis 1998 en surprenant nombre de spécialistes qui pensaient que tout cela prendrait fin beaucoup plus vite ?

Ange : Alberto Varanda et Ange travaillaient chez Vents d’Ouest… Ils avaient un succès limité et un jour, poussés par leur éditeur, ils durent trouver une idée pour avoir du succès… C’est un peu simplifié, mais c’est en gros ce qui s’est passé et c’est parti d’un repas au restaurant avec l’éditeur. En sortant de table, j’avais tout pour La Geste ! Il y avait les dragons, c’est porteur et populaire ; des meufs qui tapent dessus ça peut être sympa… et le soir même j’avais le titre ! Depuis tout s’est enchainé très vite…

Shelton : Quinze albums de parus et de nombreux dessinateurs…

Ange : Dès le premier album, on savait qu’Alberto ne pourrait pas tenir le rythme pour toute la série. On a donc cherché d’autres camarades de jeux, y compris certains petits jeunes qui maintenant sont connus comme Etienne Le Roux qui a fait une planche de la Geste. Le changement de dessinateur à chaque album ou presque permet une parution soutenue pour le lecteur et même une fois la série reprise par les éditions Soleil, le rythme de parution a été suivi…
Shelton : Le fait des changements de dessinateurs, des scénarios indépendants les uns des autres, des thèmes récurrents avec transmissions des savoirs, vous donne la possibilité, à vous scénaristes, de jouer avec la narration et d’être presque originaux, ce que les lecteurs aiment bien…
Ange : Ou pas du tout ! On essaie d’être assez expérimentaux sur la Geste. Il n’y a pas trop d’albums super classiques. En particulier, le tome 14 que vous avez en mains, est construit avec double narration, flash-back, double flash-back…

Shelton : J’aime beaucoup !

Ange : Moi aussi,  mais pour embarquer tous les lecteurs, ce n’est pas si simple. La Geste, le principe est simple. Quarante-six pages et il faut que tout le monde soit à fond dès la première page. Nous les scénaristes en tout premier lieu, mais aussi les dessinateurs et coloristes, et les lecteurs in fine. C’est un morceau de bravoure à chaque fois !

Shelton : Les scénaristes sont obligés de trouver de quoi surprendre le lecteur à chaque épisode. Ce ne peut pas être une simple répétition…

Ange : La plus part des dessinateurs qui viennent me voir en me disant : « Ah, je peux faire un album de la Geste ? » croit qu’il s’agit à chaque fois d’une grosse scène de baston avec des femmes et un dragon. Or, dans la Geste, les bastons comme ils disent ne durent que trois ou quatre pages. Les filles de toute façon sont si efficaces qu’elles n’ont pas besoin de beaucoup de pages pour triompher…  ce qui est intéressant, c’est comment elles y vont et ce qu’elles font après. Intrigues, discussions, descriptions des préparations aux combats, intrigues de palais… et c’est bien là que la Geste prend son sens !

Shelton : A force de tuer tous ces dragons, les femmes vont bien finir par tuer le dernier dragon…

Ange : En fait, elles l’ont tué, mais dans une autre série, Le collège invisible ! Les scénaristes sont un peu perturbés parfois, et Le collège invisible se passe dans le même univers, plus exactement dans celui d’après. L’univers a été grillé pour tuer le dernier dragon…

Shelton : Beaucoup d’amusement pour vous à écrire cette série de La Geste des Chevaliers Dragons ? Car finalement, cette série est née dans la contrainte…

Anne et Gérard (ANGE)

Ange : Oui, mais la créativité a besoin de barrières pour prendre son envol. La trop grande liberté ne permet pas les grandes choses, il faut des limites. Comme l’alpiniste dans une cheminée qui monte en se tenant sur les parois, je pense que le scénariste a besoin de ces barrières pour prendre de la hauteur en s’appuyant dessus. Sinon, on s’égare, on va n’importe où. Dans la Geste on a des barrières super strictes que l’on s’est mis nous-mêmes. On s’y tient, on les respecte, on les pousse parfois mais en restant cohérents et c’est pour ça que la série existe et fonctionne encore après quinze ans !

Shelton : Si on ne peut lutter contre les dragons qu’avec des femmes vierges, si les dragons sont condamnés à mourir à un moment ou un autre, puis à disparaître, faut-il voir dans cette série autre chose qu’un amusement ? Y aurait-il une philosophie de la vie à découvrir ?

Ange : Peut-être ! Je pense que c’est la série la plus féministe de la bédé. C’est vrai qu’on a emballé un peu tout cela : ce sont des meufs, pas très habillées et elles tapent sur des dragons. OK. Mais elles ne font cela que trois pages. Les quarante-trois autres pages, on comprend que c’est dur, on réalise que Wonder-woman ce n’est pas pour tout le monde…

Shelton : Et vos lecteurs, vous suivent-ils depuis le départ ? Y a-t-il des générations de lecteurs de votre travail ?

Ange : En fait, c’est plus avec nos romans que le phénomène est curieux. J’ai vu un jeune auteur actuel venir me dire « C’est un de vos romans qui a formé mon adolescence » ! Là, je suis resté sans voix… j’étais tout rouge, ému… Il y a des lecteurs qui nous suivent depuis le début, pour la Geste aussi…

Shelton : Et les dragons et les anges, ça fait bon ménage ?

Ange : Faudrait les voir se bastonner une fois… Je ne sais pas sur qui je miserais… Ils sont gros nos dragons, quand même…

Shelton : Merci Ange pour cette série La Geste des Chevaliers Dragons que nous allons continuer à suivre…
Durant notre festival d’Angoulême, nous avons aussi rencontré un dessinateur de La Geste des Chevaliers Dragons, Looky, qui a donné chair au tome 11. Son dessin est admirable et c’est pour certains lecteurs un des meilleurs de la série…

The Walking Dead: interview du dessinateur Charlie Adlard

Parfois, tout se passe tellement vite que les évènements en viennent à se bousculer, à tel point que l’on peut se retrouver rapidement dépassés. C’est ce qui nous est arrivé lors de notre rencontre avec le dessinateur de The Walking Dead, Charlie Adlard.

Charlie Adlard, dessinateur de la série The Walking Dead

Troisième jour de festival, nous n’en sommes plus à notre première interview. Les réglages de caméra et de micro n’ont plus de secrets pour nous, les questions sont prêtes dans nos esprits, nous sommes parés. Et pourtant… c’est après quinze bonnes minutes d’une interview menée en anglais, dans une ambiance très conviviale, que nous nous rendons compte que la caméra n’a pas fonctionné…

C’est pourquoi, à défaut de vous proposer un montage vidéo de cette rencontre, il vous faudra vous satisfaire de sa retranscription. Mais ne dit on pas «  peu importe la forme, du moment que le fond y est » ?

Clémentine : Avez-vous été surpris de l’ampleur qu’à pris le phénomène The Walking Dead ?

Oui ! Je le suis toujours d’ailleurs. Surtout lorsque je repense aux difficultés auxquelles on a du faire face pour lancer le projet. Je me demande parfois comment nous pouvons avoir autant de succès alors que nous somme si éloignés de genre prédominant en Amérique, le comics avec tous les supers héros que cela entraine.

Clémentine : A force de dessiner des zombies, vous arrive t-il d’en rêver la nuit ?

Non (rires). Finalement, dans la série, les zombies sont là pour mettre en valeur les personnages principaux. Je suis plus concentré sur leur évolution que sur la présence des zombies.

Clémentine : Vous intéressiez vous déjà au monde des zombies avant The Walking Dead ? Où bien est ce le scénario qui vous a poussé à entrer dans ce monde ?

Je ne m’y intéressais pas particulièrement. Bien sur, j’ai vu les films de zombies, comme tout le monde, mais je n’étais pas un grand fan non plus. Par contre, lorsque l’on m’a proposé le scénario, ce que j’ai trouvé le plus intéressant était le caractère des personnages principaux et leurs possibilités d’évolution. Je ne me suis pas dis que c’était le projet du siècle, que le scénario de Robert était la meilleure chose qui m’ait été proposée. J’ai surtout accepté parce qu’il m’a proposé ce scénario à une période de ma vie où je ne travaillais sur aucun projet, je me suis dis «  pourquoi pas ? ». Vous connaissez ces séries où l’on commence les premiers épisodes en se disant « oui, ce n’est pas trop mal, je vais attendre la suite » puis au bout d’une dizaine, on devient complètement accro ? C’est ce qui m’est arrivé avec le scénario de Robert. Au début je me laissais porter par l’histoire, puis tout d’un coup, je me suis retrouvé en présence d’une histoire bien plus profonde.

Clémentine : Lorsque vous recevez un script de Robert Kirkman, quel est le degré de liberté qu’il vous laisse quand à votre travail de dessinateur ?

Je dessine ce qu’il écrit. A part ça, j’ai une totale liberté pour tout ce qu’il n’a pas écrit, dans la limite du raisonnable (rires). Il envoi toujours le script complet, donc la plupart du temps que sais ce que dois coucher sur le papier, pas comme pour les Marvels, où c’est quasiment au dessinateur d’imaginer certaines scènes (rires). Néanmoins, Robert ne fait pas de descriptions très détaillées. S’il souhaite quelque chose de vraiment spécifique, il me le fait savoir. Ce qui me laisse pas mal de libertés pour adapter mon dessin.

Clémentine : Avez-vous déjà travaillé sur le plateau de la série télévisée éponyme ?

Non, et je n’ai jamais vraiment souhaité participer à la conception de la série. Ils ne m’ont pas demandé non plus ! (rires). Mais la série étant basée sur du réalisme et non pas sur de la science fiction, je ne ressens pas le besoin de m’impliquer, comme cela aurait pu être le cas pour des décors de science fiction ou des costumes que j’aurai dessinés. Ici, les décors sont naturels, villes ou espaces sauvages. Par contre, j’ai été à un tournage et j’ai même joué le rôle d’un zombie !

Clémentine : Quel est votre personnage préféré ?

Michonne

Michonne ! Je trouve son caractère profond, cherché et surtout, elle sait se défendre ! Si je devais me retrouver au milieu de ce monde de zombies, c’est avec elle que je veux rester (rires !). Mais j’aime aussi Andrea, qui commence la série en étant un personnage « faible » et qui devient un excellent sniper ! Je trouve que le développement des personnages est un élément essentiel des comics, sans quoi l’histoire deviendrait très vite monotone.

Clémentine : La série The Walking Dead compte plus d’une centaine de numéros. Pensez-vous vous approcher de la fin ?

Je pense que la longueur de The Walking Dead fait sa force. En effet, elle nous laisse le temps de développer les personnages, ce qui donne envie au lecteur de connaitre la suite, de suivre leurs aventures.

Mais dès que les ventes commenceront à chuter, c’est sûr que nous arrêterons la série. Pour nous, le public se sera lassé. C’est la seule chose qui pourra vraiment nous stopper. J’espère juste que les ventes chuteront lentement, comme ça cela nous laisse le temps de trouver une fin satisfaisante ! (rires). Mais si tout se passe bien, Robert m’a dit qu’il avait assez d’histoires en tête pour continuer pendant des années !!!

Charlie Adlard, thank you very much.

Une belle équipe bien agréable à vivre !!!

Les étudiants ne sont pas des jeunes sans savoir ni compétence qui se promèneraient en dilettante dans un festival prisé en narguant ici ou là les collectionneurs bloqués dans des files d’attente…

Hub torturé ou bien accompagné ?
A vous de choisir !

En fait, durant de longues heures – entre 9h30 et 20h – ils rencontrent des professionnels – auteurs, éditeurs, dessinateurs, coloristes et traducteurs – pour construire des reportages et inviter les lecteurs, téléspectateurs et auditeurs à pénétrer des univers merveilleux. Mais pour cela il faut travailler, transpirer, lire, préparer, photographier, filmer, enregistrer, demander, expliquer, justifier, séduire, convaincre, écrire, réécouter pour la dixième fois, relire et encore relire… et finir le soir épuisé, liquéfié, éreinté…

Quel sérieux !

C’est cela un reportage à Angoulême ! Ce n’est pas une période de vacances, loin de là !

Imperturbables…

 Mais c’est aussi le plaisir des rencontres, des sourires de remerciement, des poignées de mains chaleureuses avant d’affronter la foule,  des souvenirs à garder et regarder plus tard… Le bonheur du reporter !

J’espère que ces étudiantes ont profité au maximum de ces longues heures dans l’univers des bulles, qu’elles se souviendront longtemps des auteurs rencontrés, qu’elles sauront les défendre lors des évènements publics que nous avons organisés et dans les classes de collégiens et lycéens qui nous attendent… Bref qu’elles seront devenues des ambassadrices de la bande dessinée pour toujours !!!