Il y a trente-cinq ans, trois auteurs créaient une nouvelle série de bande dessinée sans savoir que vingt-six albums plus tard, elle existerait encore et que des fidèles lecteurs seraient encore là à la lire et même l’attendre… Alain Dodier est le grand créateur de cette série, Jérôme K Jérôme Bloche, et il avait été assisté à l’époque par deux coscénaristes, Pierre Makyo et Serge Le Tendre… très vite, Alain Dodier construit seul ses scénarios et la série devient sa série à proprement parler…
On peut avoir plusieurs niveaux de lecture de ces albums et le public visé est essentiellement le grand public, un public très large et, donc, qui inclut les adolescents… Pourtant, très régulièrement, les thèmes abordés touchent à des secrets de familles, à des aspects inavouables des êtres humains et si on s’en tient aux deux derniers parus, à l’exploitation des femmes étrangères, à la violence sexuelle intrafamiliale… Oui, sous des aspects d’enquêtes policières, les aventures de Jérôme K Jérôme Bloche ne sont pas les enquêtes d’un simple privé, ne sont pas une parodie des privés des séries B américaines, ou, du moins, ce n’est pas que cela !
Ce sont, avant toute chose, des histoires profondément humaines où l’enquête est presque toujours un prétexte à aborder des thèmes sociétaux plus graves, plus essentiels à l’humanité… Dans le dernier paru, Le couteau dans l’arbre, il s’agit des frasques sexuelles d’un notable vis-à-vis de sa femme, de sa fille… Attention, rien n’est explicite – on reste dans une histoire lisible par tous – mais il n’y a aucun doute sur les accusations qui pèsent sur notre chef d’entreprise…
Voilà donc une série que ne se contente pas de nous distraire mais qui régulièrement se replace au cœur des questions citoyennes et cela me fait très plaisir. Je ne suis pas certain que le style graphique très classique et esthétique, avec les belles couleurs de Cerise1, soit l’idéal pour séduire mes étudiants mais j’espère que les thématiques abordées sauront les convaincre de l’intérêt de cette série… J’attends beaucoup de la rencontre avec Alain Dodier pour le cheminement dans ce sens-là…
Pour ce qui est des personnages récurrents – pour ceux qui ne connaitraient pas encore la série – disons que Jérôme K Jérôme Bloche est un privé de petite envergure, pas excessivement futé, maladroit – y compris dans ses relations avec son amoureuse, Babette – et qui est d’origine des Hauts de France comme son créateur. Comme Jérôme est toujours prêt à rendre service, comme il ne sait pas dire non, comme il est somme toute assez faible… il est toujours pris au piège, enfermé dans des affaires délicates et a beaucoup de mal à s’en sortir…
Cette fois-ci, appelé à l’aide par son oncle, il se retrouve à mener l’enquête au profit d’un homme peu sympathique, à se mettre mal avec toute le reste de sa famille, à devoir défendre l’insoutenable… Heureusement, comme bien souvent, Babette va veiller au grain…
Ce dernier album est d’une grande humanité et il sort au moment d’affaires de harcèlements sexuels ce qui donne une force encore plus singulière aux propos de l’auteur sans que l’on puisse l’accuser de profiter d’un effet d’aubaine ! Du coup, il faut lire cet album et le faire lire pour bien faire comprendre que le harcèlement sexuel et le viol sont des crimes qui peuvent frapper dans tous les milieux et dont sont victimes le plus souvent des femmes et des enfants… le tout dans un pays civilisé pour ne se limiter qu’à la France… enfin, pays dit civilisé !
On trouve dans ces deux volumes des critiques et articles sur Euripide, Musset, Labiche, Dumas, Victorien Sardou, Déroulède, Courteline, Eschyle… et, franchement, c’est passionnant surtout si vous aimez le théâtre, l’histoire du théâtre… Le tout est bien écrit avec plein de petits détails sur les acteurs de cette époque (1888-1898).
Il y a dix ans, dans mes lectures, j’ai eu un choc émotionnel fort avec la découverte de « Kiki de Montparnasse » de Catel. Je connaissais bien Catel et suivais ses parutions au fur et à mesure mais je ne m’attendais pas à un tel travail, une biographique comme elle dit de cette qualité, une narration graphique si puissante, un personnage si attachant… Bref, un chef-d’œuvre ! Oui, il peut y avoir des chefs-d’œuvre même en bédé !
Mais, cette même année, toujours en bande dessinée, il y avait eu la lecture de mon premier « Petit Poilu », ces magnifiques albums sans parole pour les jeunes lecteurs. Pierre Bailly et Céline Fraipont avaient juste voulu offrir à leur enfant une bande dessinée adaptée. Ils étaient auteurs par ailleurs et ils voulaient mettre leurs talents – indiscutables – au service de leur propre famille… Depuis la série n’a jamais cessé et quand Pierre Bailly est venu à Chalon-sur-Saône, ce fut un grand succès !
C’est durant cet été 2007, que j’ai lu ou relu tous les Spirou et Fantasio. En fait, c’est une série que je ne connaissais pas beaucoup – chez nous on ne lisait pas le magazine Spirou – et je voulais me faire une idée sur ces deux héros, cette série et les auteurs qui l’ont fait vivre. Dans l’ensemble, je dois avouer que j’ai plutôt été séduit et comme tout le monde j’ai eu mes petits chouchous… Par exemple un album comme « Qui arrêtera Cyanure ? » m’a beaucoup marqué et ses auteurs, Tome et Janry, sont pour moi ceux qui resteront comme des grands de la série… et je ne veux surtout pas oublier des grands noms comme Jijé ou Franquin…
Mais je ne lisais pas que de la bande dessinée car j’ai toujours eu des lectures très variées. Je retrouve dans mes notes des lectures de théâtre (Jean-Michel Ribes), des romans de toutes sortes d’Henriette Bernier à Hugo Boris en passant par Amélie Nothomb, la découverte des polars de Gladys Mitchell et pour terminer cette courte évocation je voudrais parler livre jeunesse…
En effet, cette année, j’ai lu un magnifique album pour enfants, un livre illustré comme on dit. Il s’agit de « Loup noir » d’Antoine Guilloppé. Je viens de vérifier, il est encore disponible alors si vous avez des enfants, des petits-enfants ou même si vous aimez les beaux livres… voilà une belle idée de lecture !
Après avoir lu plusieurs épisodes, j’ai eu l’opportunité d’interviewer l’auteur Jean Failler lui-même. Il faut dire qu’il habite en Bretagne à l’Île-Tudy, dans le Finistère. Comment pouvais-je ne pas accepter une invitation à venir déguster des langoustines chez lui ? Une belle rencontre qui permettait de mieux appréhender cet auteur qui a commencé par exercer d’autres métiers avant de se consacrer à l’écriture… Il se dit qu’il fut poissonnier ce qui explique bien le choix de faire déguster des crustacés locaux…
Par contre, les deux dernières enquêtes, Les mécomptes du capitaine Fortin et Mary Lester et la mystérieuse affaire Bonnadieu, m’ont complètement convaincu. Je ne dis pas réconcilié car je ne m’étais jamais fâché avec mon enquêtrice préférée de la police bretonne, euh, non, police nationale…
Puisque la barbarie, la guerre, le fondamentalisme, les extrémismes et la bêtise humaine nous privent pour le moment de ce magnifique pays, puisque nous ne sommes pas certains de pouvoir encore profiter des ruines antiques des anciennes civilisations de cette région, il ne nous reste plus qu’à nous réfugier dans les livres pour qu’au moins le souvenir demeure de la beauté de la Syrie !
Le Journal de Mickey, quand j’avais entre 5 et 8 ans, était l’un des magazines que l’on avait chez le coiffeur. Je retrouvais Mickey, Picsou et les grands classiques du genre mais aussi – et certains jeunes ne connaissent peut-être pas – Mickey à travers les âges, Les nouvelles aventures de la petite Annie, L’infernale poursuite, Davy Crockett, Lancelot, Tim la brousse, Bob et Phil mènent l’enquête, Nic et Mino, Robin des bois et Zorro, mais pour ce dernier je ne sais plus en quelle année il est arrivé dans le Journal…
Il y a quelques années, sous la pression amicale, filiale et bien sympathique d’un de mes enfants, je plongeais dans la série Lanfeust de Troy. Le scénariste Christophe Arleston et le dessinateur Didier Tarquin étaient pour moi de grands inconnus et je n’avais pas beaucoup lu à cette époque d’Heroic fantasy !
Comme beaucoup de personnes de ma génération, j’avais lu quelques petites choses (je pense aux bandes dessinées Aria et Thorgal, au roman Le Seigneur des Anneaux…), j’avais joué à certains jeux de rôle (merci à la revue Jeux & stratégie) et je n’avais malgré tout aucune attente spécifique vis-à-vis de cette série dont trois tomes étaient déjà parus…
Ainsi donc j’entrais dans l’univers de Lanfeust de Troy ! Une série étonnante qui allait me convaincre, ainsi que toute la famille, probablement un peu comme la série des Aventures d’Astérix le Gaulois avait conquis toute la Gaule… Oui, une série avec de l’aventure, de l’humour, des références et des citations, des grands décors, des personnages extraordinaires, des situations époustouflantes… Et avec tout cela de la fantaisie c’est-à-dire une pointe de magie, des personnages mythiques, de l’imaginaire débridé… Bref tout et son contraire et, surtout, du bonheur pour le lecteur !
Comme il existe probablement quelques personnes ignorant tout de cet univers, disons que Troy est un monde, un univers, une planète, où vivent des humains et de nombreuses créatures extraordinaires comme des trolls. Les humains ont des pouvoirs magiques très variés, ce qui fait la particularité de chacun, et les trolls sont des sauvages qui sont persuadés d’être très civilisés. Parmi les humains, il y a un certain Lanfeust, un apprenti forgeron, qui va découvrir qu’il a le don de faire fondre le métal… et je vais cesser de tout vous raconter car c’est à vous de découvrir tout cela si ce n’est pas encore fait !
Il se trouve que depuis 1994, date de la parution du premier album du premier cycle, j’ai eu l’occasion d’interviewer plusieurs fois le scénariste Christophe Arleston mais je n’avais jamais rencontré le dessinateur Didier Tarquin ! Après plusieurs échecs – oui les journalistes n’obtiennent pas toujours tout, immédiatement – c’est durant le dernier salon du livre de Paris, Livre Paris 2017, que j’ai pu interviewer Didier Tarquin !
Ce fut donc l’occasion de balayer une grande durée, de feuilleter ensemble près de 24 tomes, de tirer les leçons d’un tel succès… Un moment bien sympathique dont vont profiter les auditeurs du Kiosque à BD, mon émission hebdomadaire sur la bande dessinée…
Certaines personnes me demandent souvent comment définir les romans graphiques ? C’est un roman ? C’est une bande dessinée ? C’est un livre illustré ? Je peux comprendre l’angoisse de ceux qui sont nés comme moi le siècle dernier et qui ont vu arriver ce terme sans explication particulière… Le roman graphique…
On voit alors un certain nombre d’éditeurs mettre en place des nouvelles collections : Romans (à suivre) chez Casterman, Romans BD chez Dargaud, Encrage chez Delcourt, Tohu Bohu aux Humanoïdes associés, Romans graphiques au Seuil et Denoël Graphique chez Denoël… C’est au cœur de ces collections que certains talents vont éclore, qu’une nouvelle narration graphique se construit et se met en place, que les adultes vont trouver des titres d’une très grande qualité…
Un roman graphique est donc, d’une façon générale, une bande dessinée, au format libre, au sujet libre, destiné principalement aux lecteurs adultes. Les récits – pas toujours fictionnels – peuvent être beaucoup plus longs que dans le format traditionnel de la bande dessinée, les thèmes plus ambitieux, plus sérieux sans que ce soit une obligation…
Deux éléments peuvent compléter cette tentative de définition du roman graphique. Depuis quelques années, on voit beaucoup de bande dessinée de reportage et des biographiques arriver en librairie et ces deux catégories entrent elles aussi dans les romans graphiques. Les reportages bédés ont transformé certains auteurs en journalistes bédés tandis que les biographiques les ont poussés vers les historiens ! Attention, dans les deux cas, certaines spécificités ont bien été conservées et respectées avec des coauteurs journalistes et historiens.
Attendez, vous ne connaissez pas Vincent Wagner ? Sérieusement ? Bon, vous allez pouvoir vous rattraper car il vient à Dijon ce week-end… Il y a quelques années, je découvrais un jeune dessinateur et voici ce que j’écrivais :
C’est vrai que c’est cette histoire en trois tomes, Wild River que j’ai aimé le plus, sans aucun doute même si ce qu’il fait depuis me touche beaucoup. Si vous allez le rencontrer demain au festival Vini-BD de Dijon, vous pourrez découvrir ses albums sans parole qui sont de toute beauté, je pense en particulier à Cromalin et Cromignonne… Pour les réaliser il utilise une sorte de technique d’ombres chinoises mais je suis certain qu’il vous expliquera cela très bien…
Un des dessinateurs de bandes dessinées que l’on va retrouver à Dijon, dans le cadre du festival Vini-BD des 4 et 5 mars 2017, et que j’aime beaucoup est Emmanuel Michalak. Il dessine depuis quelques années la série scénarisée par Hub (celui de la série Okko), Aslak, une belle série de Vikings !
Comment donner le ton de cette série ? En disant que le chef d’un clan, qui en a marre d’entendre toujours les mêmes histoires, exécute sauvagement son barde raconteur… Comme cela ne lui redonne pas le sourire, il convoque la famille de ce pauvre artiste et il met le marché suivant en place : il garde la femme en otage, il demande aux deux fils, Skeggy (l’ainé) et Sligand (le cadet) de partir à la recherche d’une nouvelle et belle histoire… Quand ils reviendront, il les écoutera et il exécutera celui qui aura la moins bonne histoire… S’ils ne reviennent pas, il exécutera la famille en otage : la mère et le petit dernier de la tribu…
Je ne vais pas vous en dire plus, c’est très bien construit au niveau du scénario, très bien dessiné, il y a une petite pointe d’humour, d’originalité et on se laisse emporter dans cette quête farfelue de littérature ! Oui, voilà un peuple pour qui le récit est essentiel, vital devrais-je dire !
J’ai rencontré il y a quelques années Michalak à Angoulême et j’en garde un très bon souvenir et, du coup, je ne peux que vous conseiller cette rencontre et cette série bien sûr, Aslak !!!