Les forums

Forums  :  Vos écrits  :  S.F. : 26 Août 2004

Tistou 25/08/2004 @ 19:04:45
Une lueur iridescente inondait le paysage. On l’aurait qualifié de lunaire n’était cette lumière, aveuglante et permanente. Lunaire, c’était les falaises, abruptes et vides, vides de toute vie, de tout mouvement. C’était aussi au pied des falaises ce plateau, ce chaos de pierres, noires et menaçantes, de petites pierres, de sable mais de gros rochers aussi. Au loin des sommets, en forme de pics, dessinaient comme des barrières autour de l’espace, et cet espace était désespérément vide.
L’absence de sons, (pas le silence), l’absence de sons aurait pu évoquer l’hopital psychiatrique. Non pas que ce soit silencieux un H.P., même en cellule d’isolement, mais pour la folie que ça aurait induit à n’importe quel être confronté à ce vide. Le Ténéré, peut être ? Oui, vous, perdu seul au coeur du Ténéré, auriez pu imaginer ce genre de négation de vie. Encore qu’à y bien écouter, il y avait comme une sourde vibration, ou comme un petit cliquetis, en relation avec les variations d’intensité du souffle meurtrier qui balayait le paysage.
La lumière brûlait tout. A vrai dire elle avait déja calciné les pierres, uniformément noires, comme torréfiées. Palpable dans l’atmosphère, comme un crépitement magnétique, l’irradiation tombait comme en pluie et rappelait les expériences qu’on pratiquait au 20ème siècle, dans des tubes en verre truffés d’électrodes, remplis de gaz inertes afin de simuler la création de la « soupe primitive » à partir de chaleur, de décharges électriques et d’eau. Mais ce n’était plus le 20ème siècle, ce n’était pas non plus le commencement du monde. Non, c’était le 26 Août 2004.
Enfin, ça faisait bien longtemps qu’on était le 26 Août 2004. Personne n’était plus là pour dire depuis combien de temps la pendule cosmique s’était bloquée au 26 Août 2004. La pendule, le temps et le 26 Août 2004 étaient des concepts humains, qui ne valaient que pour eux, ou plutôt qui n’avaient valu que pour eux. Aucune conscience n’aurait pu expliquer pourquoi la race humaine avait éprouvé le besoin d’inventer le concept de temps, ni pourquoi celui ci avait pris tant d’importance à ses yeux. Depuis cette explosion qui avait eu lieu le 25 Août 2004, à 24h00 heure de Nodin, près du Cirque de Gavarnie, la race humaine comme toutes les autres races qu’on qualifiait de vivantes, animales comme végétales, tout le monde vivant avait été vitrifié, minéralisé, pétrifié. Et le temps aussi avait disparu, en même temps que la race qui l’avait créé. De toutes façons, les éléments qui avaient conduit les hommes à inventer le temps ; la succession des jours et des nuits, les apparitions successives du soleil et de la lune, n’existaient plus. La lumière avait pris le pouvoir, un pouvoir de feu.
Les formes s’étaient peu à peu érodées, arrondies sous l’effet des vents magnétiques qui balayaient régulièrement la surface de la terre, de la chaleur intense et de l’irradiation permanente, et tout s’était mis à devenir rocher, ou pierre et sable selon l’exposition. Le monde organique, qui avait permis de donner naissance à ce que la race humaine, dans sa incommensurable prétention, appelait la vie, n’existait plus. Hors le minéral point de salut. Tout était devenu minéral et l’immobilité conférée à toutes choses était vertigineuse. Seul les déserts les plus reculés, du temps de l’homme, auraient pu donner une idée de ce que la surface de la terre était devenue. Et encore dans les déserts finissait toujours par apparaître inéluctablement une forme de vie ; bactérienne, végétale, … L’immanence du minéral avait toujours fait reculer l’homme, incapable de concevoir un règne détaché du concept temps. Et l’homme aurait eu peur.
Monique, qui vivait, jusqu’au 26 Août 2004, à Nodin, n’avait plus peur. Monique, à vrai dire, n’était plus Monique. Comme Snow son chat n’était plus un chat et le caroubier qu’elle cultivait amoureusement en serre n’était plus un caroubier. Non, Monique comme Snow et le caroubier faisaient maintenant partie de la Conscience Universelle. Celle qui s’était penchée sur eux au moment de l’explosion et leur avait faite la Révélation. Jusqu’au 26 Aout 2004, Monique aurait appelé ça Dieu, un autre des concepts que la race humaine avait inventé, et qui avait fait de sacrés ravages celui là, plus que le Temps encore. A l’époque, les humains se battaient au nom de ce concept, s’exterminaient. Monique s’en souvenait avec confusion.
Comme élément de la conscience universelle, Monique, sous sa forme de caillou, avec Snow et le caroubier à ses côtés sous forme de grain de sable et de petit rocher, pouvait passer tout ceci en revue. De la première combinaison des molécules organiques jusqu’au 26 Août 2004, elle avait accès à toute forme et tout évènement passés, et elle pouvait mesurer la profonde inconscience de cette race humaine. De sa bizarre évolution et son incroyable prétention à se considérer comme la race élue. Elle était maintenant à l’unisson d’état avec le grain de sable Snow et le petit rocher caroubier, comme avec les petits graviers qui peuplaient avant le 26 Août 2004 les allées de son jardin et qu’elle considérait alors …, en fait qu’elle ne considérait pas. Tout était plus simple maintenant, comme sublimé. L’échange était permanent et se réalisait d’une manière que l’homme aurait même été incapable d’appréhender. Quand elle passait en revue, avec les petits graviers, les derniers évènements provoqués par la race humaine, dans une fourchette de 10 000 ans jusqu’au 26 Août 2004, elle était bien obligée de convenir que l’issue était inéluctable. Certains de ces petits graviers se montraient même ironiques sur la fatuité qui avait guidé les hommes jusqu’à la fin et Monique se sentait alors particulièrement heureuse d’avoir retrouvé l’état de caillou, partie de la Conscience Universelle. L’épopée humaine n’avait été qu’un accident de l’histoire cosmique et on pouvait considérer que la Conscience Universelle avait laissé cet artefact se développer pour voir.
Comme au poker, pour voir.
La lumière continuait d’irradier, les vents magnétiques de souffler. Un 26 Août 2004, à Nodin. La paix était revenue sur Terre. Du temps de sa vie humaine, Monique aurait considéré le décor comme inhumain. Et de fait il n’était pas humain et la paix avait pu revenir sur Terre.


Benoit
avatar 25/08/2004 @ 19:17:44
Etrange....
Au début, les phrases me paraissaient indigestes. Puis, à force, j'ai commencé à les assimiler, à prendre plaisir à la lecture...
Je verrais bien ce texte au début d'un roman décrivant la fin de l'espèce humaine...
Etrange...

Benoit
avatar 25/08/2004 @ 19:19:33
J'ai commencé à relire ton texte et je bute toujours sur cette phrase : "Non pas que ce soit silencieux un H.P., même en cellule d’isolement, mais pour la folie que ça aurait induit à n’importe quel être confronté à ce vide." J'ai un peu de mal, là... Il en manque pas un bout??

Monique 25/08/2004 @ 19:28:13
Tistou, il ne se passe rien. Rien. A part que le vent magnétique souffle et que la lumière essaye de brûler ce qui est depuis belle lurette reminéralisé. Tu arrives à décrire de façon très imagée ce que sera la Terre (par notre faute certainement), dans quelques millions..., milliards...; d'ann... quelques jours, et c'est un petit exploit.
Je pense depuis longtemps que les "objets inanimés ont une âme", maintenant j'en suis sûre, comme je crois en la réincarnation, bien que ce mot ait une racine impropre à mon sens.
Bon texte Tistou avec quelques maladresses disparates qui ne lui enlèvent rien.

Sahkti
avatar 25/08/2004 @ 19:33:29
Tistou... j'adore ton texte!
Quelle lente et belle description de la terre "après la vie", de la lumière, de la conscience, d'un autre monde encore inexploré par les pauvres humains terriens que nous sommes. Je crois dur comme fer à une vie ailleurs (je ne parle pas d'extraterrestres mais d'esprits), à un monde parallèle qui renferme les âmes et leur donne la possibilité de créer leur propre monde, une seconde vie, un autre univers qui dépasse tout ce que notre cerveau peut concevoir.
Ces idées, je les retrouve intactes dans ton récit, qui mêle poésie et mystère. Une réussite.

Kilis 25/08/2004 @ 20:05:04
C'est extra-ordinaire, très belle idée, très beau texte. Cette fois, tu es en tête de mon classement Tistou.

Tistou 26/08/2004 @ 09:27:16
J'ai commencé à relire ton texte et je bute toujours sur cette phrase : "Non pas que ce soit silencieux un H.P., même en cellule d’isolement, mais pour la folie que ça aurait induit à n’importe quel être confronté à ce vide." J'ai un peu de mal, là... Il en manque pas un bout??


Non. Mais j'admets que c'est lourd.
Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour écrire et je n'ai pas pu peaufiner comme il aurait fallu.

Yali 26/08/2004 @ 14:47:42
C'est extra-ordinaire, très belle idée, très beau texte. Cette fois, tu es en tête de mon classement Tistou.


J'ajoute que : C'est extra-ordinaire, très belle idée, très beau texte. Cette fois, tu es en tête de mon classement Tistou. Ouais, j'suis fainéant aujourd'hui !

Tistou 26/08/2004 @ 15:30:53
Je n'en reviens pas que ça vous plaise!!! C'est super.
A la vitesse où j'ai fait ça ... et c'est le genre casse-gueule où soit c'est bien, et ... ouf!, soit ça manque le but et on passe pour un ouf!
Merci de vos avis.

Olivier Michael Kim
22/11/2004 @ 13:26:50
Bon, je t'avoue que je l'ai trouvé dur à lire ce texte. C'est lourd de dépeindre l'inactivité, le silence...

L'idée est bonne, je pense. Ceci dit, je ne considère pas ce texte comme optimiste. Mais en fait tout dépend de l'idée que l'on se fait du monde.

Descartes dit : "Je pense donc je suis". Pour moi penser ne suffit pas. Je dirais même que penser est insignifiant si ce n'est suivi d'actes. La pensée se meurt, nos faits nous survivent.
Là, dans ce monde imaginaire, personne ne pense, personne n'agit. Est-ce que les gens existent encore? Pour moi tu présentes une forme de néant qui ne me semble ni heureuse ni optimiste. Sauf si figer l'instant serait pour toi un moyen d'éviter le pire. Dans ce cas, ça reviendrait à prendre la fuite devant nos responsabilités et l'avenir.

Ca fait fait froid dans le dos. Je n'ai pas envie d'être pétrifié.

La force de ce texte vient surtout de sa capacité à poser des questions sur notre état, la notion de temps ou l'existence même. Peut-être même que ton sujet mériterait un débat ou un essai philosophique.

Ensuite je trouve qu'il y a une recherche pour essayer rendre les descriptions poétiques ou lyriques. Il me semble même que c'est ta volonté première.

Page 1 de 1
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier