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Forums  :  Vos écrits  :  Lettre : VARANASI

Tistou 28/07/2004 @ 22:06:05
… Tu te souviens quand on était arrivé au Ghat des crémations, quand Pierre avait failli nous faire chavirer ce fichu bateau en se retournant pour une photo ? Entre parenthèses, j’ai eu confirmation que c’était une connerie que d’être partis à 5 sur cette … pirogue ? coquille de noix ? avec un temps de chien (on aurait dit un vent de force 8 ! je ne sais pas ce que ça veut dire exactement au fait !). Bon d’accord Jean Michel avait bien négocié le prix, 5 roupies par personne pour descendre les Ghats jusqu’aux crémations et remonter, j’ai eu confirmation que c’était le prix. Mais c’était parce que personne d’autre ne se serait embarqué par un temps pareil !
Bref, le Ghat des crémations donc, tu te souviens, à l’écart du bûcher, il y avait cette vieille femme, petite, tête rasée, assise en tailleur, immobile et ses grands yeux fixés au loin. Elle avait un côté surnaturel et je l’avais prise en photo ? Même que tu étais gênée. Elle avait un côté à la fois petit garçon et statue sereine. Elle s’appelle Badi.
Figures toi que depuis qu’on s’est quitté à la gare de PATNA, je suis revenu à BENARES, non c’est vrai VARANASI maintenant ! Je suis retourné au Mint House Mote, tu penses bien. Mr Jaïn, toujours aussi gentil, toujours assis sur sa literie à l’entrée de la réception, sous le ventilateur, et toujours ce regard bleu pale perdu derrière toi. Enfin tout pareil. Et à la nuit, j’ai pris un rickshaw pour redescendre aux Ghâts. La nuit, c’est encore plus fantastique ! Les pèlerins, avec leurs chiffons oranges autour de la taille, leur bâton et leur écuelle, les vaches qu’il faut contourner dans les ruelles, (ah au moins les détritus et les bouses on ne les voit pas, on marche juste dedans !). Les odeurs, tu sais l’encens, le jasmin, le santal, et puis les autres !, c’est encore plus fabuleux. L’éclairage c’est juste les bougies des étals ou de ceux qui sont allongés là, les ombres bougent, flottent. Et pourtant, même de nuit, toujours ce sentiment parfait de sécurité, impensable ailleurs dans de tels coupe-gorges. Sécurité, sérénité (t’imagines la même chose à FES ? !). Donc, sur mon petit nuage, je descendais vers le GANGE et les Ghats et là je suis tombé sur John. Tu te souviens de John ? Celui qui était à la réception du Mint House le jour où on est arrivé ? Celui qui s’étonnait que tu voyages avec 3 hommes ! On a baragouiné un peu et puis je lui ai demandé la meilleure façon d’arriver au Ghat des crémations. On y est allé ensemble (d’ailleurs à pied je ne saurais pas y retourner), et comme on allait déboucher- on commençait à deviner le rougeoiment d’un bûcher- on s’est mis à entendre la musique d’un de ces petits harmoniums, tu sais comme on en avait entendu aux temples jaïns à JAISALMER ?. C’était à vous faire dresser les poils sur les bras ! L’odeur de chair brûlée qui prenait le dessus, ce son aigrelet et ces tonalités indiennes, toujours lancinantes, les pèlerins plus nombreux, cette obscurité et cette touffeur de mousson… Et je suis tombé pile dessus. Elle était là ! A la même place ! Dans la même position, la même tunique apparemment. Elle n’était plus blanche la tunique, on aurait dit une souillon mais je l’aurais embrassée. Je n’arrivais pas à la quitter des yeux et John m’a expliqué qu’elle s’appelait Badi. Son mari était mort, juste la veille de notre passage, il avait été incinéré là et depuis elle ne quittait plus la marche de pierre où elle était installée. 6ème marche au dessus du GANGE, je les ai comptées. Je ne sais pas ce qu’elle voit. C’est l’immobilité faite veuve. C’est … je ne sais pas, c’est incroyable. Les fakirs, à côté, avec les piques qui leur traversent les joues, ou les bras, leurs yeux charbons écarquillés ; ça vous a un petit côté cirque…
Je ne sais pas combien de temps je suis resté, assis sur une marche. La température déclinait doucement. Il y avait toujours cette agitation feutrée, des pèlerins qui passaient pieds nus pour descendre au bord du GANGE, des mendiants, ceux qui te proposent les bondieuseries hindouistes. Cet éclairage à la bougie, lueur tremblotante et la lune, au dessus en amont du GANGE. Les cendres qu’on jetait dans le courant et ces feuilles de bétel qu’on mettait à l’eau avec une petite bougie dessus, …
Je crois qu’elle n’a pas bougé, comme en catalepsie.
On a fini par quitter les Ghats et revenir au Mint House. Mr Jaïn était lui aussi immobile sur sa literie. Il m’a souhaité le bonsoir de sa voix mourante et son sourire bleu pale. Y’a pas VARANASI, c’est pas DEHLI !
Au fait, la liste que tu m’as demandée, tu l’auras quand on se reverra en FRANCE. J’y serai avant toi, je t’y attendrai.

Benoit
avatar 28/07/2004 @ 22:19:20
On se croirait en Inde... Bravo!
Et quel pied-de-nez : le bateau avec la tempête force 8 est évacué dès le début et hop! on n'en parle plus! Très bien joué!

Monique 28/07/2004 @ 22:30:29
Tistou, c'est très réussi cette visite en Inde, au bord du Gange pour ressentir "l'ambiance" qui accompagne ce rite de la crémation. Qui n'en a pas entendu parler ? Eh bien tu fais un guide parfait car je suis sûr que peu de "touristes lecteurs" comme nous ont dû bénéficier de ce regard là. C'est doux et agréable, ça se lit facilement, malgré les mots et noms inhabituels.
Juste quelques répétitions un peu maladroites, mais rien de grave (au début : "j'ai eu la confirmation").
Mais je te répète, très doux, tu as réussi à faire ressortir ce tempérament généralement réservé des Indiens pour tout ce qui touche à leur religion.
Prochain défi à prévoir, tu seras forcément des nôtres !

Yali 28/07/2004 @ 22:37:27
J'avais l'odeur en te lisant, mais pas celle-là, parce que celle-là, nous savons qu'elle est nauséabonde, non, l'autre celle de l'inde rêvée. Puis question style Tistou, t'avances vite et la cadence est bonne.

Sibylline 28/07/2004 @ 22:42:44
Un texte de voyage. J’ai été un peu gênée par les mots que je ne connaissais pas, (Ghat, rickshaw…) mais j’ai apprécié l’étendue du vocabulaire, pour les parties que je comprenais. Une vraie ambiance de voyage et de dépaysement. Ca, j’ai aimé. Un petit reproche dans la première partie, trop de « Tu te souviens » . C’est peut-être pour faire tic de langage ou pour faire plus vivant, mais je n’ai pas trouvé que c’était une bonne idée. Ca devient de plus en plus joli au fur et à mesure qu’on avance dans le texte. Les petites bougies sur les feuilles de bétel au fil du Gange, je les vois, moi qui n’y suis jamais allée. Bravo.
La liste à la fin, par contre, tombe comme un cheveu dans la soupe,. C’est limite, triche.

Monique 28/07/2004 @ 22:53:51
La liste à la fin, par contre, tombe comme un cheveu dans la soupe,. C’est limite, triche.
L'avait oublié le règlement le Tistou, et s'en est souvenu trop tard....

Kilis 28/07/2004 @ 22:54:10
Une agréable balade, j'ai appris pas mal de chose. Les descriptions sont claires, l'énumération des noms un peu déroutante pur un non initié. Il m'a semblé que la narration changeait plusieur fois de direction ou de ton. Ce n'est pas un défaut mais sur un texte aussi court, cela perturbe un peu. J'aime beaucoup le paragraphe final à partir "Je ne sais pas combien de temps..." car on y pressent une envolée, une ouverture , le départ d'une réflexion plus large. On sent le style sur le point de venir... et c'est empreint d'une belle lumière poétique...

Je pense qu' il te faudrait plus d'espace, plus de temps pour installer ton rythme.

Comme Mo, j'espère que tu pourras embrayer sur de prochains exercices.

Tistou 29/07/2004 @ 11:55:06
Merci à tous de vos avis.
Personnellement j'ai eu beaucoup de mal à "écrire" dans le cadre de passages obligés. J'ai l'impression d'avoir besoin de temps avant, pour mâturer, et j'ai l'écriture laborieuse. Là pas de temps avant, il a fallu foncer. Par contre c'est vrai que j'ai du mal à partir dans la fiction, je colle toujours beaucoup à du vécu!
Alors est-ce que j'ai triché en contournant ou interprétant certaines obligations? Moi je ne me sens pas coupable, tout a été évoqué mais bon ... (Si vous pensez ça là qu'est-ce que ça va être pour le Paléolithique!) De toutes façons j'aime les pirouettes.
Pour info VARANASI est le nouveau nom officiel de BENARES, de même que BOMBAY est maintenant MUMBAI (dommage non?).
Les Ghat sont ces énormes marches qui descendent en terrasse sur le GANGE et but ultime des pèlerins et où tout, littéralement tout, se passe. Je crois qu'en réalité le terme de Ghats s'entend aussi pour les rives escarpées du GANGE tout au long de son parcours, car il n'est pas sacré qu'à VARANASI!
Quant aux Rickshaws, ce sont les cyclopousses ou véhicules à moteur genre vespas terminées par une nacelle à 2 places avec lesquelles on se déplace dans les villes indiennes, trafic humain oblige (trafic, je veux dire densité!)

Monique 29/07/2004 @ 13:42:49
j'ai du mal à partir dans la fiction, je colle toujours beaucoup à du vécu !|...] qu'est-ce que ça va être pour le Paléolithique !)
Merci pour ces précisions de vocabulaire ! Pour le paléo, on va bien voir, j'espère que tout le monde va répondre présent, ce qui me semble un peu douteux...

Tistou 20/04/2012 @ 13:55:26
Tiens ! Vais-je retrouver Badi sur les Ghats ?

Doune 01/06/2012 @ 19:28:44
J'aime cette façon dont tu es rempli de tout! C'est touffu, ça t'envahit, ça se chevauche, les odeurs, les couleurs, la crasse, le vent. Et pourtant au travers toutes ces images fortes tu es plein d'émotion pour cette femme fragile, pour le fidèle réceptionniste. Tu vois dans la nuit et tu sens la tiédeur.
Tu parles fort et tu murmures, du coup tu prends toute ta place dans tout ce cirque. C'est chouette.

Tistou 02/06/2012 @ 16:59:05
Et j'aurais bien envie de prolonger ce texte, de lui faire un enfant, puisque 35 ans après me voilà à nouveau de retour de Varanasi ! Et toujours une émotion sans pareille. Il va bien falloir que j'écrive quelque chose pour "paralléliser" mes émotions !

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