Rencontre avec David Chauvel : Cycles Arthur et Wollodrïn

Après le dessinateur des cycles d’Arthur et de Wollodrïn, Jérôme Lereculey, c’est au tour de leur scénariste David Chauvel de passer par mon micro.

Clémentine : David Chauvel, bonjour, je vous êtes le scénariste des albums Arthur et Wollodrïn. Alors Arthur tout d’abord, d’où est née cette envie de se lancer dans une histoire qui a été vue, revue et re-revue par presque tous les média ?

David Chauvel : Ben c’était justement parce qu’il nous semblait qu’elle n’avait pas été traitée de toutes les manières possibles. En tout cas pas comme la notre, qui était celle qui remontait aux sources celtiques du mythe, qui sont les Quatre branches du Mabinogi, qui est le seul texte transformé, réécrit et recopié par des moines et donc forcément très changé mais qui garde dans son esprit et dans certaines de ses parties probablement le seul vestige qui nous reste de ce qu’étaient les celtes d’avant la Christianisation.

Il y avait là dedans certainement une matière à reprendre l’ensemble de mythe Arthurien, sous un nouvel angle. C’est sans doute parce que Jérôme et moi sommes bretons, que cela fait parti de notre culture et que la manière dont le cycle Arthurien avait été traité, que ce soit au cinéma, ou en bande dessinée avec des choses qui partaient plus sur de la Fantasy, sur le côté merveilleux, les elfes, les lutins etc. Nous on voulait ramener ça à quelque chose qui était à la fois un mélange d’Histoire et de folklore, mais le folklore dans le bon sens du terme, c’est-à-dire le folklore originel, celtique et donc européen.

Clémentine : Et pourquoi ce choix d’utiliser les noms celtes, en ancien gallois, dans cette bande dessinée ? Car finalement, des personnages comme Merlin, ne portent plus du tout les noms auxquels nous sommes habitués.

David Chauvel : Et bien parce que ce sont les noms qui sont utilisés dans les Quatre branches du Mabinogi, et qui sont probablement les noms originels de la plupart des personnages, encore que celui d’Arthur soit sujet à discussion. Merlin encore plus puisque dans les Quatre branches du Mabinogi il n’apparait pas du tout. Il apparait dans un autre vestige littéraire mais qui a probablement été accolé à l’autre de manière totalement artificielle.

Après voilà, on n’a pas non plus fait œuvre d’historien, on n’a pas voulu prétendre écrire une vérité mais on a voulu essayer de se rapprocher de cette essence là et aussi parce qu’à l’époque j’avais beaucoup travaillé sur les civilisations celtiques, la manière dont ils structuraient leur société : de manière horizontale puisqu’ils fonctionnaient en clans, ce qui était extrêmement proche et j’ai travaillé après sur la manière dont fonctionnaient les indiens d’Amériques et notamment les indiens des Plaines. L’organisation de la société, l’organisation de la vie au quotidien, tout était pareil. Quasiment. On change le décor, etc. mais c’était pareil. Ils ont probablement la même source, la source Anglo-Européenne, et on sait que les indiens d’Amérique sont probablement passés par l’Alaska et par la Russie pour atteindre le continent américain. Tout ça c’est la même base. Et c’est la même base de l’organisation de la société et c’est ce que l’on a essayé de diffuser à travers la série.

Clémentine : Alors au niveau graphique vous travaillez avec Jérôme Lereculey, dont nous avions fait l’interview quelques temps auparavant ; alors pourquoi ce choix de partenaire ? Est-ce du à une rencontre au hasard ou était ce vraiment un choix de votre part ?

David Chauvel : C’est un parcours d’amis, puisque Jérôme et moi nous connaissons depuis le lycée. On s’est connus au lycée à Rennes et on s’est perdus de vue pendant un ou deux ans puis on s’est retrouvés dans un studio, qui s’appelle le studio Atchoum qui à l’époque accueillait à peu près tous les jeunes dessinateurs rennais. Moi j’étais aspirant scénariste et on s’est retrouvés là, on a commencé à travailler ensemble et voilà : vingt ans plus tard on y est encore !

Clémentine : Alors passons à Wollodrïn, dans lequel on voit l’apparition d’orcs et de créatures fantastiques. Etait-ce un choix dans le scénario dès le départ ou bien est-ce Jérôme qui s’est laissé entrainer par son imagination ?

David Chauvel : Alors Jérôme a toujours dessiné des choses comme ça, les bestioles, les nains, les orcs, les dragons… ça a toujours été sont truc puisqu’il est comme moi : il est fan du roman du Seigneur des Anneaux, que l’on a lu tous les deux quand on était adolescents, quand on avait douze ans et dont on ne s’est jamais vraiment remis. Moi j’ai lu beaucoup plus de Fantasy, lui il en a lu quasiment pas, seulement cette œuvre mais de toute façon ça a toujours été très présent dans notre imaginaire commun et quand on a commencé Arthur on s’est dit «  De toute façon après, on fait quelque chose de cette obédience ! ».

On ne savait pas encore quoi et je pense que c’est bien que l’on ai attendu d’avoir fait une douzaine d’albums et non pas une douzaine d’années parce qu’il fallait beaucoup de temps pour digérer ce qui était un héritage extrêmement lourd, avec une influence quand même très très forte et voilà ! Vingt ans plus tard, enfin, plus de vingt puisqu’on a tous les deux plus de quarante ans et comme je le disais, moi quand j’ai lu le Seigneur des Anneaux j’avais douze ans,  Jérôme aussi à peu près donc voilà, presque trente ans plus tard, nous sommes à la fois toujours très proches, très amoureux des romans, et je spécifie bien les romans. Je ne parlerais pas des ignominies qui ont été faites au cinéma.

Et en même temps on a quand même trente ans de distance, de parcours artistique personnel, ce qui nous a permis de prendre du recul et d’apporter, dans le respect de cette tradition « Tolkienienne », la possibilité de faire bouger les lignes et d’amener notre propre vision, notre personnalité tout en respectant les codes du genre.

Clémentine : Alors justement, lorsqu’on travaille autant longtemps avec un même dessinateur, est ce qu’on évolue dans sa façon de travailler, autant au niveau du graphisme qu’au niveau de la façon de raconter l’histoire ?

David Chauvel : Bien sûr. Le duo scénariste-dessinateur, sur la durée, sur dix ans, quinze ans, c’est un mouvement perpétuel d’allers et retours. Moi je lui fais des retours sur son travail de dessinateur, il me fait des retours sur mon travail de scénariste. On parle ensemble de ce que l’on va faire, de ce que l’on pourrait faire, de la manière dont on va le faire : chacun a des lectures, chacun voit des choses, enregistre des informations artistiques et chacun en retour, dit à l’autre « Et bien j’aimerais que l’on bouge dans cette direction là, j’ai eu des idées pour telle chose, j’ai des envies comme ça… ».

A l’époque de Wollodrïn, sur le tome 1, on s’est beaucoup remis en question sur le traitement graphique de Jérôme et notamment sur l’articulation et l’usage de la page, de la case, de la manière dont on allait faire exploser les scènes d’action sur des grandes pages, qui était quelque chose qu’il n’avait jamais utilisé et sur lequel il a fallu que je le pousse un petit peu. Et après il était content de l’avoir fait !

Et lui, d’un autre côté, même si ce n’est pas direct et que je n’ai pas d’exemple précis, me renvoie forcément des choses qui font que mon écriture évolue, comme des petits détails mais aussi des grands mouvements comme la fin de notre collaboration sur le projet Arthur et quand l’on en entame un second : forcément on a de longues discussions parce que l’on sait d’expérience que ça va nous engager pour des années.

Et des années de travail en commun, ce n’est pas rien et donc ce sont des choses qui se font par le biais de discussions riches et plus on se connait, mieux ça se passe. Evidemment il y a une vraie richesse qui nous est propre grâce à notre relation à nous deux. Au bout de vingt ans, ce n’est pas difficile à imaginer, donc forcément il se passe des choses qui n’appartiennent qu’à nous.

Clémentine : Donc vos projets pour le moment, sont de progresser sur de nouvelles histoires ou bien de continuer un cycle ?

David Chauvel : Oui, continuer un cycle. Wollodrïn en fait c’est une histoire au long cours, assez longue mais qui est coupée en petites histoires de deux tomes. Et au départ on part sur une histoire assez classique avec un groupe d’aventuriers qui partent en mission et bon, évidemment rien ne se passe comme prévu, mais ce qu’on ne sait pas c’est que petit à petit, Wollodrïn va dériver vers autre chose et va prendre de l’ampleur.

« Là on est en train de poser les pierres, unes par unes, qui sont petites, qui vont devenir moyennes puis de plus en plus grosses. »

Et les enjeux de nos histoires, qui au départ étaient vraiment microcosmiques, à l’échelle de nos huit personnages et de leurs petites missions, vont devenir macrocosmiques, c’est-à-dire vont, petit à petit, engager l’ensemble de l’univers dans lequel ils évoluent et ça va prendre une dizaine de tomes.

Et en même temps, comme on sait que les lecteurs n’ont pas forcément envie de lire des histoires qui se suivent sur dix tomes et on les comprend, j’essaie de construire cette grande histoire à l’intérieur de petites histoires de deux albums ce qui fait que c’est plus satisfaisant et que l’on peut se permettre de lire uniquement un arc de deux tomes, pour une certaine souplesse à l’intérieur de l’intrigue.

Clémentine : Et bien David Chauvel merci, nous attendons avec impatience de découvrir cette histoire cachée dans l’histoire et nous vous souhaitons une excellente continuation !

Angoulême 2013 – Rencontre avec Jean-François Cellier

Lors du 40ème Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême, nous avons eu le plaisir de rencontrer Jean-François Cellier, dessinateur de Jeanne la Pucelle. Ce premier tome, intitulé Entre les bêtes et les anges rencontre un franc succès auprès du grand public et a remporté le prix de la BD Chrétienne.

Shelton: Vous êtes le dessinateur de cette bande-dessinée, Jeanne la Pucelle. Le tome 1 vient de sortir aux éditions Soleil. Comment rentre-t-on dans un tel projet ? Y-a-t-il eu des rencontres en amont avec le scénariste ?

Jean-François Cellier: Là, c’est plutôt le sujet qui est rentré en moi. Ça m’a un peu dépassé. C’est un film de Jacques Rivet, Jeanne la Pucelle, qui m’a traversé et qui m’a fait découvrir Jeanne d’Arc de façon plus fine. Tout le monde connaît Jeanne d’Arc, mais ce film m’a aidé à la découvrir plus en subtilité, plus en profondeur et notamment sa parole à travers le procès et le procès de réhabilitation.

Shelton: Il est vrai que nous avons cette chance d’avoir toutes ces paroles sur Jeanne d’Arc, retranscrites par des gens n’étant pas forcément de son côté.

Jean-François Cellier: C’est cela qui rend le témoignage crédible et touchant. On a le témoignage des loyalistes et surtout, des contemporains de Jeanne d’Arc. Et puis, on a le témoignage des opposants et des anglais. Des témoignages qui à la fois parfois s’opposent mais, en même temps, qui parlent du même personnage.

Shelton: Vous étiez habité par ça mais avant d’arriver à la bande dessinée, comment cela s’est-il construit ? Jeanne d’Arc étant un sujet sur lequel on a déjà beaucoup écrit…

Jean-François Cellier: Oui, c’est vrai. Il y a eu beaucoup de choses. Je suis aux éditions Soleil depuis une dizaine d’années déjà. J’avais fait Les Maîtres du Hasard, Alice. Alice, c’est un peu particulier parce que déjà il y a l’ombre de Jeanne d’Arc qui se faufile. On peut y voir la statue de Jeanne d’Arc sur la couverture. D’ailleurs, pour la petite histoire, il s’agit de la statue de Paul Dubois qui était à côté de chez moi à Strasbourg et je m’en suis inspiré pour la couverture. Et c’est de cette même statue que nous nous sommes inspirés avec le scénariste. Et puis, le désir était déjà de faire une bande dessinée sur Jeanne d’Arc. J’ai ensuite rencontré Fabrice Hadjadj, en le contactant, en lui écrivant et surtout en lui envoyant l’album Alice qui m’a pris 5 ans et qui l’a convaincu de travailler avec moi.

Shelton: Quand on lit cet album, on se dit que ce n’est pas tout à fait comme d’habitude. On voit très vite Jeanne d’Arc adolescente, post-adolescente et combattante. Vous avez ici décidé de la montrer toute petite, de montrer la genèse du personnage. Comment en arrive-t-on là ? Est-ce un choix délibéré et voulu d’évoquer tout cela ?

Jean-François Cellier: Oui. Evidemment, on ne connaît pas grand-chose de l’enfance de Jeanne d’Arc. Elle en parle un petit peu pendant le procès : elle parle de ces moments où elle dansait autour de l’arbre aux fées, des premières voix qu’elle a entendus à 13 ans. On a un peu extrapolé et imaginé son enfant, ce qui était important pour nous qui voulions l’incarner. Il fallait que Jeanne d’Arc fût aussi une petite fille. Elle n’est pas uniquement Jeanne d’Arc dans son épopée, dans son parcours guerrier. Elle a aussi été une petite fille. Je pense que déjà en gestation apparaît la Jeanne d’Arc que l’on connaît tous.

Shelton: Dans ce premier album, on voit en tous cas que vous avez pris le parti réel de matérialiser les voix comme elle le raconte elle, ce qui n’est pas toujours fait par les gens. Etait-ce un choix ?

Jean-François Cellier: Oui, vous touchez au fond de l’histoire. J’ai proposé plusieurs scénarios que j’avais déjà écrits à Fabrice dans lesquelles j’avais choisi de ne pas matérialiser les voix. Au fond, je tendais vers une Jeanne d’Arc un peu saint-sulpicienne, un peu transparente. Fabrice Hadjadj est juif de tradition, c’est quelqu’un d’assez incarné, de très attaché. Cela apparaît d’ailleurs dans ses livres dans lesquels il parle de la chair. Lorsque l’on a voulu représenter l’archange Saint-Michel, il m’a dit qu’il fallait utiliser les moyens qui sont propres à la bande dessinée, donc l’image, mais aussi toute la tradition catholique à travers ses vitraux, sa peinture. Et les anges y sont représentés comme des êtres de chair. Par contre, nous nous sommes arrangés pour ne pas montrer son visage. Le visage est peut être trop éloquent, il y a quelque chose de trop fort dans un visage. Or, on ne sait pas quel âge ont les anges.

Shelton: Il y a un autre point très intéressant. Il y a une incarnation des personnages : il y a des planches où il y a énormément de visages, de rencontres, de gros plans… une volonté de montrer des sentiments à travers ces personnages et pas forcément des mots intellectuels ou historiques.

Jean-François Cellier: Tout à fait. Je me permets de faire un petit aparté et revenir sur l’archange: c’est le pivot de l’histoire. Au milieu de l’album, on utilise même les deux pages de l’album comme les ailes de l’ange. On ouvre les ailes de l’ange comme on ouvre les deux pages. Je ferme la parenthèse. Concernant les visages, je ne voulais pas les faire. Je n’étais pas très à l’aise et je préfère les plans d’ensemble, les détails. Fabrice Hadjadj pensait quant à lui que c’était important. On traite de la rumeur, on traite de la parole qui circule. C’est une rumeur qui se fait et se défait. Il fallait donc des bouches, presque des postillons, il fallait des haleines… des choses qui soient encore plus incarnées et qui se réfère à la parole. C’est pour cela que nous avons fait des gros plans sur cette scène.

Shelton: Avec un tel personnage si souvent utilisé par la République, par l’Extrême Droite, par les Chrétiens et les anti-Chrétiens, nous avons l’impression dans cet album que vous avez décidé de donner la parole à Jeanne et non à ceux qui parlent d’elle…

Jean-François Cellier: Vous avez tout dit. Pour incarner le personnage, on s’est attaché à la montrer dans son enfance, dans sa parole, dans son discours en essayant d’évacuer toutes les fioritures qui se sont accumulées autour de son image et de son histoire.

Shelton: Pour qu’elle existe et qu’elle vive, il faut qu’elle soit incarnée dans sa terre et elle est Lorraine. On le sent puisque vous nous montrez son environnement familial, son village, la terre… c’est un personnage d’un terroir avec un retentissement plus tard, au-delà de cet album. Est-ce fascinant d’avoir un personnage qui semble échapper à tout, y compris à elle-même ?

Jean-François Cellier: Elle échappe à elle-même et c’est ce qui la rend touchante. Tout ce qu’elle fait, tout ce qui va la mouvoir, tout ce qui va la faire connaître, c’est toujours quelque chose qui la dépasse, qui la traverse. Elle ne concède jamais d’elle-même. C’est quelqu’un de très volontaire, avec un fort caractère et qui je pense ne doute pas. Elle se reçoit de Dieu, du roi, des autres mais pas trop d’elle-même. D’autres figures historiques se sont plutôt faite à la force du poignet. Jeanne d’Arc est rendue subversive par son obéissante. Elle obéit au roi, aux voix qu’elle entend et au Dieu en qui elle croit.

Shelton: Cela vous touche-t-il que des Chrétiens, des critiques d’une sphère humaniste judéo-chrétienne s’intéressent à ce type de BD et souhaitent la mettre en avant ?

Jean-François Cellier: Oui. C’est étonnant parce que l’on a reçu le prix de la BD chrétienne. Je dédicace à la fois dans le domaine catholique et dans le stand Soleil, qui n’a aucune attache religieuse. Je suis surpris de voir que les gens à qui je dédicace l’album, qu’ils soient croyants ou pas, sont assez simples et avides de découvrir ce personnage. Je n’ai eu aucune polémique avec qui que ce soit, ni de discussion houleuse. Pourtant, je pense qu’il y a toutes les sympathies, toutes les sensibilités. Mais, je suis bien évidemment obligé d’évoquer la foi catholique. Et cela ne gêne pas du tout, bien au contraire.

Shelton: C’est aussi très curieux de voir cette réception… La III° République est quasiment née avec Jeanne d’Arc comme porte-parole… Au XX° siècle, elle est encore un modèle et au XXI° nous avons encore envie de l’écouter…

Jean-François Cellier: Je dis souvent ça en dédicace. Elle est d’actualité car elle réconcilie beaucoup de choses. Sur le plan politique et social, elle réconcilie le monde paysans et le monde aristocratique. Ce n’est pas un personnage façon « lutte des classes » qui est révolté contre les injustices. Et cela fait du bien je trouve. Elle réconcilie même des concepts : la foi et la raison. C’est quelqu’un qui a une immense foi et qui est pourtant très rationnelle, très pragmatique, qui a beaucoup d’humour. Les auditeurs auront l’occasion de lire le procès dans lequel il y a beaucoup d’humour. Elle réconcilie l’humilité et la puissance. On pense souvent que quelqu’un de puissant ne peut être humble. Jeanne d’Arc fait figure d’autorité et c’est quelqu’un qui se reçoit toujours des autres et est, de fait, humble. Aujourd’hui, elle est très éloquente. C’est un témoignage qui fait du bien.

Shelton: Combien d’albums sont prévus au total?

Jean-François Cellier: On a prévu trois albums. Pour parler de Jeanne d’Arc, il en faudrait 20. Mais, pour essayer de toucher à la fulgurance de son histoire qui se fait en deux ans à peine, je pense que trois albums sont nécessaires. Cela nous contraint d’être le plus efficace possible. Vite et bien.

 

Sandrine.

Mes meilleures rencontres, mes plus beaux souvenirs d’Angoulême 2013… (2ème partie)

Dans les meilleurs souvenirs la tentation est toujours forte de glisser les rencontres avec les auteurs que l’on connaît déjà. C’est rassurant, c’est sans risque. On les a déjà rencontré, on parle de ce qu’ils font et que l’on aime depuis longtemps, on les flatte tout en se flattant puisque l’on apprécie leur travaux depuis longtemps… Mais un tel festival est d’autant plus marquant par ses moments passés avec des personnes que l’on ne connaissait pas, que l’on découvre, qui suscitent immédiatement une admiration ou, plus fort encore, avec qui on se sent naturellement en confiance au bout de quelques secondes…

C’est ce qui m’est arrivé quand je suis allé rencontrer, dans un bar d’Angoulême, après une longue journée d’interview, Dem et Looky… Ces deux noms ne vous diront pas grand-chose. Ils ne sont pas encore sur le devant de la scène du neuvième art et les lecteurs ayant apprécié le graphisme de qualité de Looky ne sont pas encore des millions, mais attention, cet état de fait peut changer vite…

L’envie de les croiser, au moins quelques instants est née de la lecture d’un album au nom connu, pour ne pas dire plus, Blanche Neige. Ce personnage de conte appartient indiscutablement à notre mémoire collective et le dessin animé de Walt Disney a consolidé ce mécanisme. Plus récemment, c’est le cinéma qui est venu nous montrer que ce conte n’était pas pour les enfants et il était intéressant de comprendre pourquoi ces jeunes auteurs se retrouvaient pris dans une telle aventure, comme s’il n’y avait pas assez de champs nouveaux à aller explorer… Pourquoi encore Blanche Neige ?

Looky en dédicace privée…

J’avais préparé mille et une questions pour dénicher chez eux un attrait financier – sortir une bédé en même temps que le film – ou une trace de fainéantise – nous faisons du Blanche Neige parce que nous n’avons pas d’autres idées – alors que je tombais sur deux jeunes auteurs sympathiques qui étaient heureux d’avoir eu l’occasion d’explorer un conte qui les avait enchanté jadis…

Looky, dessinateur un peu plus expérimenté, accompagné de Dem, qui est aussi sa moitié dans la vie, se sont appuyés sur un scénario de Maxe L’Hermenier pour nous livrer une Blanche Neige surprenante, cohérente et très agréable à rencontrer. Certes, tous les dessins ne sont pas pour les enfants, mais qui croit encore aujourd’hui que les contes des frères Grimm sont destinés aux enfants ?

Pourquoi se tourner vers des contes connus, pourraient dire certains grincheux parmi vous ? Je veux juste rappeler que les Frères Grimm, eux-mêmes, n’ont fait que mettre en forme une histoire qui venait de la tradition orale et de la mythologie germanique… Raconter ce type d’histoire c’est ce réapproprier le mythe et le transformer pour enchanter, au sens propre du mot, le lecteur ! C’est bien ce qu’on fait Dem et Looky, c’est une version avec des dessins forts, reflets d’un univers complexe aux tensions bien réelles, avec, en plus, des nains cannibales !

Quant à la sorcière, pour s’en débarrasser, je ne vois qu’une solution, celle qui est exposée dans cet album, le bûcher !

Et c’est au tour de Dem de dédicacer avec concentration…

Après avoir parlé de la simplicité et de la gentillesse des dessinateurs de cet album, après avoir dit combien cette appropriation était réussie, je voulais insister encore un peu en affirmant que ce Blanche Neige est aussi bien sympathique par la proposition finale, une série d’illustrations et textes qui donnent des témoignages sur « ma vision de Blanche Neige »… Marc Moreno, olivier Boiscommun, Alexis Sentenac, Xavier Roth Fichet, Julien Mariolle, Eric Hérenguel, Agnès Maupré, Régis Penet, Laurent Bonneau, Tony Valente, Paul Marcel, Djet et Brice Cossu se sont prêtés au jeu et c’est fort bien pour le lecteur qui aimerait, lui aussi, mettre son petit grain de sable à l’édifice…

Enfin, sur le même thème des contes, nous avons eu l’occasion de rencontrer plusieurs auteurs s’étant autorisés à se réapproprier des contes classiques, mythique ou mythologiques. C’est ainsi que nous avons lu le Cendrillon de Trif des éditions Tabou, un version érotique du conte – mais nous savions bien que Cendrillon était une bonne à tout faire – et cet auteur italien a accepté de converser avec nous quelques minutes. Enfin, comment ne pas évoquer toutes les bandes dessinées qui surfent sur l’Heroic fantasy en s’appuyant sur des légendes celtiques, nordiques ou asiatiques ? Et cela nous ramène à nos rencontres fascinantes avec David Chauvel, Hub, Emmanuel Michalak, Jérôme Lereculey…

Oui, finalement, le festival d’Angoulême est une grande occasion pour replonger dans notre enfance celle où certaines personnes prenaient le temps de nous aborder en nous disant :

« Il était une fois… »

Et c’est bien pour cela que certaines rencontres sont si belles et agréables ! Merci Dem, Looky, Hub, Chauvel, Michalak, Lereculey et tous les autres pour ces magnifiques retours en enfance qui rendent la vie si belle !

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Blanche Neige

Scénario de Maxe L’Hermenier, dessin de Looky et Dem

Editions Ankama

Wollodrïn et son dessinateur, Jérôme Lereculey.

Rencontre avec le dessinateur Jérôme Lereculey à l’occasion de la parution du dernier tome de Wollodrïn qu’il signe avec David Chauvel.

Interview de Jérôme Lereculey

Shelton : Bonjour Jérôme Lereculey, aujourd’hui nous partons vers le grand Nord, pour parler de votre série Wollodrïn, une série très forte après le cycle Arthur, avec des personnages eux aussi très forts en caractère puisque on commence finalement à récupérer le bas-fond de la société pour créer le groupe de héros.

Jérôme Lereculey : Oui, c’est vrai qu’au démarrage ce ne sont que des condamnés à mort à qui on propose un marché qu’ils ne peuvent pas vraiment refuser. À priori leur destinée est tracée, certains ne vont pas survivre longtemps, d’autres vont continuer un petit peu (rires).

Shelton : Pour le dessinateur, lorsqu’on a une bande comme ça, hétéroclite, c’est d’abord le plaisir d’avoir des personnages très différents à créer et faire vivre ?

Jérôme Lereculey : Oui au niveau du dessin bien sûr. Avec en plus des personnages variés, comme les orcs, le gobelin…

Shelton : Qui ne va pas vivre trop longtemps (rires)

Jérôme Lereculey : En effet ! Et d’autres personnages plus typés, plus exotiques puis par la suite de gros orcs ! Qui sont un peu le truc qui m’intéressait le plus (rires).

Shelton : Alors il y a des orcs, mais je me souviens que dans le premier album, il y a un nain qui pète les plombs et qui devient fou-furieux. une scène agréable à dessiner, jubilatoire, non ?

Jérôme Lereculey : Oui ! C’est vrai que c’est un personnage bien sympathique, que je trouve amusant, qui fait des blagues et qui, en plus, est dangereux !

Shelton : Justement, par rapport à une série comme Arthur, on est dans quelque chose de plus déjanté, il y a plus d’imaginaire, de choses fantastiques.

Jérôme Lereculey : Oui forcément. Arthur, c’était une retranscription d’un texte existant et en général toutes les scènes suivaient les textes, dont il me fallait être respectueux tandis que Wollodrïn s’inscrit plus dans un registre fantasy, où j’ai plus de libertés de dessin.

Shelton : Quand on doit dessiner des orcs, et puisque c’était une des choses que vous attendiez, est ce que vous essayez, inconsciemment de tenir compte de tout ce qui a été fait au cinéma, le dessin, la bande dessinée, ou est ce qu’à un moment donné on se dit aussi « ce sont les miens d’orcs ».

Jérôme Lereculey : Oui exactement, on essaye de faire ses orcs à soi mais forcément en tenant compte de ce qui a été fait avant. Ça fait des années et des années que je peaufine le style de mes personnages en essayant de les mettre au point, en insistant sur les détails pour qu’ils arrivent à ce qu’ils sont aujourd’hui. Je m’amuse bien avec eux et ils sont très agréables à mettre en scène. C’est vrai qu’ils s’inscrivent dans la ligne Warhammer, Seigneurs des Anneaux, moins le film mais plus les esquisses de Tolkien en ce qui me concerne et également tout ce qui a été fait en illustration.

Shelton : On avait senti pendant tout le cycle d’Arthur que vous étiez plongé dans tout ce qui était celtique, là on s’aperçoit avec les ouvrages qui suivent que finalement votre univers est un peu plus large que ça. Vous avez envie à un moment de revenir à du celtique pur ou finalement, vous vous orientez vers ce qu’on pourrait appeler du « Lereculois » ?

Jérôme Lereculey : Non non (rires). En fait, ce que David voulait en faisant Arthur, c’était de réaliser une transcription de texte mais avec un petit coté fantastique. Mais moi ce que j’aime par-dessus tout, c’est quand même le côté fantastique, donc après avoir fini Arthur, ce qui m’intéressait c’était l’héroïc fantasy, qui est un peu la base de mon inspiration et je voulais vraiment travailler dans un univers comme Wollodrïn où je peux mettre en scène toutes sortes de bestioles, des orcs, des gobelins, des dragons etc. Tout un bestiaire fantastique qui est très rigolo à dessiner.

Une planche des 7 voleurs

Shelton : Aujourd’hui, vous souhaitez travailler plutôt dans des séries longue durée ? Avec un album comme Les 7 voleurs par exemple, qui est un one-shot, cela donne plus de liberté pour le dessinateur ?

Jérôme Lereculey : Oui, le côté one-shot, ce qui est intéressant c’est que l’on peut aborder un univers qui est différent, on se fait plaisir, on se donne à fond puis c’est fait et on passe à autre chose ! Puis finalement, Les 7 voleurs c’était la base de Wollodrïn. D’ailleurs on retrouve dans Wollodrïn des personnages issus des 7 voleurs.

Shelton : Vous avez fait aussi un one-shot, Veillée Funèbre, ce sont des choses que vous aimeriez refaire de temps en temps ça, des petites pauses dans votre univers ?

Jérôme Lereculey : Oui, si l’occasion se présente, pourquoi pas ! Je n’ai pas de projet particulier pour le moment, mais j’ai beaucoup aimé travailler sur d’autres personnages. Mais bon pour l’instant c’est vrai que j’ai quand même beaucoup de travail !

Shelton : Wollodrïn c’est une série qui est prévue à très long terme ?

Jérôme Lereculey : Oui. Parce qu’en fait avec David au départ on avait prévu des diptyques, mais là David, à la fin du deuxième diptyque s’est calé sur un modèle série. On a 8 albums de prévus déjà, on sait ce qui va se passer et il a prévu quelque chose pour après…

Clémentine : Je voudrais revenir sur la série Arthur et plus particulièrement sur votre choix de garder les noms propres en gallois. Alors je me demandais si pour vous il fallait prononcer avec l’accent gallois ou si vous les lisiez « à la française » ?

Jérôme Lereculey : Ahaha ! ah non non non non non, moi je ne suis pas à l’aise avec le gallois ancien ! Ni le moderne d’ailleurs (rires). Non, nous quand on se parle entre nous on les prononce d’une manière qui n’a surement pas grand-chose à voir avec l’originale, mais ce n’est pas grave. Je suis allé me renseigner sur les prononciations qui sont tout simplement impossibles… Le seul truc que j’ai retenu c’est que le « w » ce dit « our ». Une fois qu’on a compris ça, ça devient déjà plus facile (rires).Clémentine : Alors quand on parcourt des yeux les paysages d’Arthur, on retrouve vraiment cette lande caractéristique galloise. Est-ce que vous vous y êtes rendu ou vous avez effectué des recherches ?

Jérôme Lereculey : Alors à la base quand j’ai commencé j’avais quand même beaucoup de documentation sur le Pays de Galles et sur les Celtes, les Vikings, donc j’avais bien regardé comment ça pouvait être mais après quand je fais les planches, je ne travaille jamais d’après la documentation, je fais tout de tête avec ce que j’ai emmagasiné.

Donc, les décors, si ça fait penser au Pays de Galles tant mieux, parce que je ne connais pas bien ce pays puisque je ne suis jamais allé là bas ! Ah si, je suis allé à Londres une fois, donc l’Angleterre, je ne connais pas très bien, je n’aime pas trop traverser la Manche (rires) ! Et j’ai été en Irlande aussi, avec de beaux décors, de sites naturels, donc Arthur c’est un peu ça : mes souvenirs d’Irlande mêlés aux souvenirs de mes recherches.

Et aussi, dès que je me ballade en France, je vois un bout de paysage, je me dis « Ah tiens ! Ça serait pas mal pour cette planche. ». Quand je sors de mon atelier, je ne quitte jamais vraiment la BD, on est un peu tout le temps dedans, donc dès que je vais quelque part je stocke les images dans ma tête. Quand j’ai fait Arthur, j’étais tout le temps à la recherche d’une idée de décor, donc dès que je me baladais un petit peu, comme j’ai pas mal tourné en dédicace, cela m’a permis aussi de regarder comme c’était autour de moi !

Jérôme Lereculey, merci de nous avoir consacré ces quelques minutes et on attend toujours, d’année en année, la suite de toutes ces histoires qui nous dépaysent.

« Mickey n’est plus la propriété de Walt, il appartient à tout le monde ».

Ce n’est pas moi qui le dis, mais bien le peintre français Robert Combas en 1979 : les œuvres de Walt Disney se sont inspirées de tous les univers culturels, d’Orient en Occident, et c’est maintenant à leur tour d’être « inspiratrices ».

Real Gold, Eduardo Paolozzi

Parce que les nombreux dessinateurs de Disney ont marqué les univers de l’art et de la BD, ils sont mis à l’honneur lors de ce 40ème festival d’Angoulême, avec notamment une conférence animée par Alexia Guggémos, critique d’art et experte en art digital, intitulée « Mickey, Donald et les personnages BD de Disney…héros de l’art contemporain ».

En effet, de nombreux artistes contemporains ont basés leurs œuvres sur l’univers Disney, avec de grands noms tels que Christian Boltanski, Bertrand Lavier, Peter Saul, Erró ou encore Gary Baseman.

Lors de cette conférence, nous apprenions que, très tôt, les artistes se sont emparé des personnages de Disney pour les détourner, les parodier ou même les encenser. Ainsi, avec l’apparition du Pop Art on peut constater que les personnages de Mickey et Donald gagnent très vite le statut d’icônes.

La piqure, Valérie Sonnier

Projetées au rétroprojecteur, on découvre ou redécouvre ainsi des œuvres depuis les années 50, avec par exemple le collage « Real Gold » d’Eduardo Paolozzi, ou encore les soins prodiguées à mickey, avec « La piqure » de Valérie Sonnier, qui nous fait réfléchir à la vie de ces « supers héros » en dehors des bulles.

Plus récemment, les travaux de Benjamin Béchet, avec la série de photographies intitulée « Je suis Winnie l’Ourson », qui traite de l’identité, des apparences et plus généralement de l’image que nous renvoyons aux autres. Ainsi, l’utilisation de ces personnages célèbres nous renvoi de façon métaphorique aux différents masques que nous portons chaque jour, qui nous cachent et nous faussent.

Spiderman, 36 ans, nettoie les pare-brise.

Qui sommes nous réellement ?

Une exposition qui dénonce ici les aprioris envers autrui, l’étranger et l’étrange, les facteurs d’exclusion qui en découlent et la dégradation des conditions de vie.

Blanche-Neige, 31 ans, prostituée.

Toutes ces questions, ces remises en question, permises par l’utilisation de « l’idéologie » Disney, de son imagerie, qui par son ampleur et sa présence dans les esprits sur plusieurs générations amènent le spectateur à étudier le phénomène de mondialisation, le capitalisme qui arrivent et qui changent nos sociétés.

Nous sommes, je le rappelle, au début des années 50 lorsque les premiers artistes commencent à détourner Mickey et ses compagnons.

Clémentine

 

Angoulême 2013 : Encore de bien belles mains au service du neuvième art

 Que la main est belle, à l’œuvre, quand elle fait naître sous nos yeux un dessin vivant qui raconte… Dessiner, raconter, enchanter… voilà ce que nous offrent ces grands artistes durant les quatre jours du festival international de la bande dessinée d’Angoulême… C’est aussi pour cela que chaque année on a envie d’y retourner !

Des photos de Shelton, Céline et Sandrine

Emmanuel Michalak
Série Aslak, Delcourt

Hub, série Okko
Éditions Delcourt

Quand le doigt devient instrument

La dédicace revêt ses habits de lumière

Zep dessine Nadia
Éditions Glénat

Philippe Buchet nous entraine dans son sillage
Editions Delcourt

Avec Roba comme Verron
Boule et Bill restent eux-mêmes

Vincent Wagner toujours au service de son scénariste Seiter
et du romancier Wilkie Collins, éditions Emmanuel Proust

Angoulême 2013 – Rencontre avec Isabelle Dethan, deuxième acte

Voici la deuxième partie de l’interview comme vous l’a promis Camille. Cette rencontre avec Isabelle Dethan a été très enrichissante pour nous.  Eva aux mains bleues est une bande dessinée née en 2004, il s’agit d’une bédé avec des traits très simples. C’est un style très différent de la série des Terres d’ Horus.

Céline : Comment est née la bande dessinée d’Eva aux mains bleues ?

Isabelle Dethan: Et bien en fait c’est parti de plusieurs anecdotes que m’avaient racontées des amis, des parents. Enfin il y avait un tas de choses très différentes que je ne savais pas du tout mettre ensemble. Et finalement est venue l’idée de raconter l’histoire d’une gamine au seuil de l’adolescence, enfin au seuil de sa vie de femme, elle attend d’être réglée quelque part. Et c’est sur elle que se sont concentrées ensuite toutes ces anecdotes,  il y en a certaines que j’ai vécues moi-même et d’autres ce sont mes amies.

Céline : Quand j’ai lu cette bande dessinée, j’ai vraiment senti que c’était du vécu tellement que c’est bien raconté et on a vraiment le sentiment d’être entré dans votre univers!

Isabelle Dethan: En fait, je voulais au départ vraiment partir sur un récit réaliste avec des vraies personnes que j’aurais mis en scène. Le souci était que quelque temps auparavant, j’avais réalisé une bande dessinée sur ma famille et un lointain cousin m’a fait un procès parce qu’il ne voulait pas que certaines choses soit montrées. Donc je voulais éviter ce genre de désagrément et j’ai choisi la voix de la fiction, tout en gardant cet aspect très réaliste pour les anecdotes qui ont donc encore une fois sont véridiques.

Céline : Est-ce que cette bande dessinée a été un succès ?

Isabelle Dethan: Contenu du format et de la collection, on peut dire plutôt c’est-à-dire ce ne sont pas des grands chiffres, ce n’est pas ce qu’on appelle une bédé commerciale mais ce n’était pas dans l’idée non plus, c’est-à-dire ça faisait parti d’une collection qui était plus une collection de prestige. Et donc ça s’est vendu entre 4000 et 5000 exemplaires, ce qui est très bien par rapport à ce qu’attendait l’éditeur.

Céline : Et bien justement j’ai essayé de la trouver et je n’ai pas pu l’acheter en librairie…

Isabelle Dethan: Alors ça c’est un peu normal ! Vue la surproduction actuelle en BD, les libraires qui ont gardé les mêmes locaux, n’ont absolument pas la place de conserver des albums en grand nombre, à fortiori celles qui ne sont pas assez commerciales ou qui ont quelques années. Déjà qu’on a du mal à leur faire admettre qu’il faut faire du réassort par rapport au tome 1 ou 2 d’une série qui est en cours… Alors une bédé comme celle-là qui est un one-shot paru il y a quelques années, il faut la commander !

Céline : Est-ce que vous pensez refaire d’autres bande dessinées dans le même style ?

Isabelle Dethan: Je pense que si je voulais, Delcourt serait intéressé. Maintenant je suis partie sur d’autres choses aussi intimistes mais pas forcément sur le même thème ou dans la même époque. Au départ je voulais faire Éva à 20 ans, Éva à 30 ans… Et le problème c’est que j’ai tellement de projets à faire et juste deux mains… Et ce n’est pas la peine, ça serait un beau projet mais je crois que je vais m’en tenir à ça parce que j’ai tellement de projet par ailleurs que je n’arriverai pas à suivre.

Nous sommes conscientes de la chance que nous avons eu de croiser Isabelle Dethan. Cette rencontre nous a permis de comprendre le monde dans lequel elle évolue, elle peut faire des bande dessinées avec des styles totalement différents mais tout aussi intéressantes. C’est une femme qui respire la joie de vivre, souriante, elle est passionnée par son travail. Je n’ai juste qu’une chose à dire : « Merci Isabelle Dethan pour ce merveilleux moment ! »

Céline

Angoulême 2013 – Conférence – Don Rosa

La grande épopée de Picsou aux éditions Glénat.

Nous nous installons dans la salle Marguerite de la marie d’Angoulême. Nous sommes ponctuelles et nous observons les organisateurs déplacer tables et chaises dans la précipitation. Une fois la partie logistique en place, nous nous installons. L’homme que nous attendons, je ne le connais pas encore, mais d’ici peu j’en saurais plus à son sujet. Notre homme arrive à 16H07 et nous voilà parties pour une petite conférence d’environ une heure.

Don Rosa est accompagné de deux personnes, son attachée de presse et le traducteur qui se charge des ouvrages sur lesquels Don Rosa a travaillé. Le traducteur annonce la couleur en nous disant qu’il est malade d’une part et que d’autre part il n’est pas interprète. Pendant qu’il explique la situation, Don Rosa se prête au jeu des photographes en grimaçant. L’assistance est bien plus intriguée par les frasques de notre homme aux cheveux blancs que par les propos du traducteur… Le jeu des questions-réponses commence.

Arrivée de Don Rosa dans la salle!

Comment Don Rosa a-t-il été amené à travailler sur les bandes dessinées Disney ?

Au départ, il ne savait pas qu’il y avait des bandes dessinées Disney. Une nouvelle maison d’édition (Gladstone) a été dépêchée par Disney  pour éditer de nouveau les bandes-dessinée Disney. Il a  été contacté pour réaliser une nouvelle histoire, il propose Picsou. Don Rosa avait décidé de ne pas reprendre l’affaire familiale, il a plutôt contacté la seule maison d’édition européenne qui faisait encore des bandes-dessinées Disney. De fil en aiguille il est amené à travailler avec Hachette qui édite Picsou Magazine.

Petit sourire angélique de Don Rosa une fois installé.

Pourquoi les personnages de Disney ?

Il faisait des fanzines pendant qu’il faisait des études. Il racontait les aventures de personnages qu’il avait créé lui-même. Il ajoute aussi qu’il avait grandi avec les personnages de Walt Disney. Comme il admire ces personnages, il les a dessinés à son tour.

Et le voilà qui se prête au jeu des photographes!

Pourquoi le personnage de Picsou ?

Carl Barx avait travaillé avant Don Rosa sur le personnage de Picsou (Uncle Scrooge). Pour Don Rosa, il avait réussi à faire des histoires avec un ton plus sérieux, moins enfantin. Don Rosa se dit heureux d’avoir pu travailler sur le personnage de Picsou, il n’était pas intimidé, il éprouvait de la joie à l’idée de faire les aventures de ce personnage. Les seules limitations qu’il a pu avoir : ce sont les pages qu’il avait pour dessiner.

La conférence a été un brin laborieuse entre les journalistes qui se déplaçaient sans cesse pour photographier notre homme, ceux qui ne s’étaient pas donné la peine d’éteindre leurs téléphones et ceux qui faisaient des va-et-vient entre la salle et l’extérieur… A cela s’ajoute qu’il s’agissait d’un traducteur et non d’un interprète. A priori on pense que ces deux professions sont identiques, mais voilà comment je les ai perçues. Le traducteur a un travail qui demande plus de temps, il faut respecter au mieux les propos tandis que l’interprète a une mission d’animation, il donne une dynamique entre le public et l’artiste interrogé. Ce travail se fait sur l’instant. Je ne blâme pas le traducteur, mais plutôt l’organisation de ne pas avoir demandé à un interprète de participer à cette conférence. On a perdu la fluidité des échanges et honnêtement j’avais du mal à m’intéresser, car on se perdait parfois sur d’autres sujets. J’ai eu du mal à suivre pour ces raisons et cela s’en ressent par ce bref compte-rendu, j’en suis désolée et cela ne doit pas nuire à l’auteur et à cette seconde jeunesse de Picsou.

Camille

Angoulême 2013 – Rencontre avec Régis Hautière et Hardoc

Lors du festival d’Angoulême 2013, Hardoc et Hautière présentaient le premier album de leur série La guerre des Lulus, une publication Casterman. Une occasion de rencontrer ces deux sympathiques auteurs qui se proposent de réaliser une série jeunesse ayant pour toile de fond la Première guerre mondiale… La Grande Guerre !
Shelton : Comment est née cette histoire de La guerre des Lulus ?

Hautière : C’est tout d’abord né d’une envie de ma fille qui a quatorze ans et qui me réclame depuis des années une histoire avec des enfants qu’elle pourrait lire. Une belle histoire plus accessible que des thrillers que j’ai déjà écrits. C’était le premier aspect du déclenchement de cette histoire, puis il y a eu une discussion que j’ai eu avec une copine qui travaillait à l’Historial de la Grande Guerre à Péronne (http://www.historial.org). C’est un grand musée national consacré à la première Guerre Mondiale en Picardie, et mon amie me faisait remarquer qu’il n’existait pas, à sa connaissance, de bande dessinée sur cette période de l’histoire de France que l’on pouvait mettre dans les mains des enfants. A l’Historial, ils ont une librairie, on y trouve des romans jeunesse, des romans, des documents, et les seules bandes dessinées que l’on peut y trouver sont celles destinées aux adultes, donc sombres comme cette période et inaccessibles aux enfants, aux jeunes lecteurs. Ça a trotté dans ma tête durant une période assez longue puis je me suis dit, tiens, pourquoi ne pas faire quelque chose qui se passerait pendant la guerre de 14 qui mettrait en scène des enfants ? Evidemment, on n’est pas sur le front, on est à l’arrière, mais pas du côté français, à l’arrière des lignes allemandes.

Régis Hautière

Shelton : Une histoire qui se déroule durant la première guerre mondiale, avec des enfants, lisible par des enfants, sans que ce soit trop noir… Dites-nous en plus car cela semble difficile à trouver au premier abord ?

Hautière : On a quatre orphelins dont l’orphelinat a été évacué. On est tout près de la frontière belge. C’est au moment de l’évacuation de l’institution par l’armée française que les quatre orphelins en question qui étaient sortis sans autorisation sont tout simplement oubliés. Les Lulus ont échappé à la surveillance des adultes, ils construisent une cabane dans les bois. Tout le monde est paniqué par les  Allemands qui arrivent et on va les laisser à leur triste sort… Enfin, triste… Ils vont surtout être amenés à survivre pendant la durée de la guerre…

Shelton : Dites-nous quand même pour des Lulus ?

Hautière : Oui, quatre garçons, quatre orphelins, mais surtout quatre prénoms qui commencent par Lu… On a Lucien, Ludwig, Luigi et Lucas. Ils vont rencontrer une jeune fille, Luce. Mais cette dernière est-elle une Lulu ? C’est un questionnement que vont avoir les garçons car si son prénom peut convenir, c’est quand même une fille, mais surtout elle a des parents ! Certes, ils ont disparu à ce stade de l’histoire – ils étaient dans une colonne de réfugiés – il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas une orpheline…

Shelton : N’en disons pas trop sur le scénario car il va y avoir une série pour nous raconter le destin de ces enfants… Par contre, il semble que certains jeunes lecteurs s’interrogent sur un aspect fondamental pour la crédibilité de cette bande dessinée… Les Lulus vont tenter de survivre, ils vont récupérer des aliments dans l’orphelinat, en particulier de la farine… Mais que faire de farine si on n’a pas de moyen de cuisson ? Or la cabane n’est pas équipée d’une cuisinière ni d’un four !

Hautière : C’est vrai, je vois que vous avez croisé des lecteurs perspicaces, et c’est pour cela que dans le tome suivant ils vont construire un four dans la cabane…

Shelton : Nous voilà rassurés car pour le moment c’est essentiellement de la ventrée de confiture…

Hautière : J’adore la confiture comme Luigi…

Shelton : Ne restons pas que dans l’alimentaire… comment choisit-on un dessinateur quand on porte un tel projet de série de bandes dessinées ?

Hautière : Ce n’est pas un choix unilatéral, cela se fait vraiment à deux. En l’occurrence, j’avais déjà travaillé avec Hardoc avant la guerre des Lulus. On se connaît depuis longtemps, on habite la même région. On est amis ! On a même déjà travaillé ensemble en bédé (par exemple www.sceneario.com/bande-dessinee/LOUP+LAGNEAU+ET+LES+CHIENS+DE+GUERRE+LE+2-Mercenaires-5607.html ). D’une façon générale, quand je monte un projet de bande dessinée, je préfère travailler avec un dessinateur avec qui je m’entends bien car on va être amené à se fréquenter au moins un an donc le choix ne porte pas simplement sur les aspects techniques ou artistiques. Mais il faut que ce soit quelqu’un dont je respecte le travail, dont le dessin m’inspire… et tout cela était réuni avec Hardoc !

Shelton : N’en dites pas plus, Hardoc pourrait avoir la grosse tête… Justement, tournons-nous vers Hardoc, le dessinateur de cette série. Hardoc, un village, une abbaye délestés de leurs habitants, cela nécessite de la part du dessinateur d’aimer l’architecture, d’avoir des modèles, des repères…

Hardoc sérieux comme un pape

Hardoc : Le village est imaginaire même si l’abbaye qui sert d’orphelinat existe bien. Comme il s’agit d’un petit village, que l’abbaye est devenue un lieu modeste d’accueil d’enfants abandonnés, j’ai beaucoup épuré l’architecture du bâtiment existant pour faire naitre celui de notre histoire… J’ai quand même gardé un espace de grande taille pour que cela semble immense aux enfants, surtout quand il est vide. De plus, les enfants vont évoluer dans peu d’endroits de l’abbaye ce qui pour moi m’a permis de me concentrer sur quelques lieux de l’abbaye-orphelinat. Mais les Lulus sont très souvent dans leur coin de forêt, dans leur cabane, et du coup c’est aussi comme un huis-clos ce que j’aime bien. C’est comme si je les suivais, je les collais, caméra sur l’épaule dans un espace restreint… Dans les deux premiers tomes, on se limite à la cabane, l’orphelinat, le village…

L’abbaye-orphelinat

Hautière : Après, sans vouloir tout dévoiler, ils vont devoir quitter ce cocon et parcourir les routes de France…

Shelton : Hardoc, vous aimez dessiner les cabanes dans les arbres, franchement ?

Hardoc : J’expliquais récemment que moi qui habitais un petit village de trois cents habitants – village que l’on voit à un moment dans l’album – j’ai fait beaucoup de constructions de ce genre. Des grandes cabanes avec des véritables planches, des cabanes en dur ! Bizarrement, dans le village, il y avait un clan constructeur et un clan destructeur. On ne sait pas pourquoi, chaque fois que l’on construisait, d’autres venaient casser… Pour se défendre on avait acheté chez l’épicier du village des sortes de pétards ou petits feux d’artifices, on avait récupéré des morceaux de tubes en PVC et quand ils arrivaient pour leur œuvre destructrice, on tirait nos munitions en utilisant les tubes pour viser dans leur direction et les faire fuir… Oui, donc j’ai beaucoup construit de cabanes et je suis très heureux de prolonger cela avec les Lulus… Du coup j’aime bien aussi les animer, les faire parler, je revis une partie de ma jeunesse… Les dialogues de Régis [Hautière] me font rire tout seul quand je les reçois via l’ordinateur. J’espère que les voisins ne m’entendent pas trop…

Shelton : Le quel de vous deux a inventé le gag du marteau ?

Hautière : C’est moi, en tous cas, c’était bien dans le scénario. Moi aussi j’ai beaucoup de souvenirs de cabanes. J’ai grandi dans une petite ville de Bretagne, à côté de la campagne, et, là, on faisait aussi des cabanes, avec des pièges pour des ennemis imaginaires qui ne sont jamais venus. Les seuls qui tombaient parfois dans les pièges, c’étaient nous-mêmes…

Shelton : L’ennemi savait qu’il y avait des pièges trop dangereux et il ne prenait pas de risque…

Des éléphants en Bretagne ?

Hautière : Oui, surement et c’est la même chose pour les pièges à éléphants que l’on avait installés [rires]…

Shelton : Revenons-en à cette période de la guerre. Vous traitez l’arrière du front, de surcroît du côté allemand, est-ce que l’on trouve une grosse documentation sur la vie dans cette zone ?
Hautière : Non, en fait, il y a peu de choses écrites sur la vie quotidienne à l’arrière du front en zone allemande. Dans les romans et les films, on trouve quelques éléments mais relativement peu. Il faut donc se documenter beaucoup et surtout arriver à constituer un nombre d’objets conséquents sur la vie quotidienne, ces objets permettant d’identifier cette période. Par exemple, dans le tome 2, la petite Luce a besoin d’être soignée. Il a fallu se renseigner sur les médicaments qui existaient à l’époque. Il y avait déjà de l’aspirine, mais sous quelle forme, sous quel conditionnement, tout cela pour permettre à Hardoc de dessiner du vrai. Les flacons d’aspirine en 1914, on est à la fois loin de la guerre mais en plein dans notre sujet…

Shelton : Le premier volume porte le sous-titre de 1914. Il y aura un album par année…

Hautière : Oui, un par année ce qui permet aussi de voir les enfants grandir. C’est tout d’abord un phénomène physique – challenge du dessinateur – mais aussi un aspect mental, intellectuel et psychologique… on a des enfants au début de l’histoire, qui ont entre 11 et 15 ans. Donc ce sont des adolescents. A la fin de la guerre, ils seront devenus de jeunes adultes… Ils auront accumulé une expérience énorme avec une guerre par procuration en quelque sorte. Certes, ils n’auront jamais été sur le front mais reviendront changés par la guerre. Notre propos est de rester lisible par tous, donc pas de scènes de guerre comme pourtant il y en a eu. L’horreur de la guerre ne sera donc pas vue, mais évoquée à travers le point de vue des adultes, des soldats, des déserteurs…

Shelton : Hautière, on a l’impression que de votre côté le scénario est presque bouclé pour l’ensemble de la série, mais combien de temps faudra-t-il attendre pour avoir le tome 2 de la série, c’est à dire plonger dans l’année 1915 ? Le dessinateur traine-t-il trop ?

Hardoc : Je ne sais pas si le terme de « trainer » est le bon terme. Ce qui est certain c’est que techniquement c’est toujours plus long, plus délicat, de dessiner que d’écrire une bande dessinée. Mais pour le tome 2 on est bien avancé puisque les deux tiers sont déjà réalisés. Je suis en train de travailler sur deux grosses séquences de la fin qui me prennent un peu de temps.

Hautière : L’album est entièrement découpé, le story-board est fini, dans trois/quatre mois on aura terminé l’album, restera alors le travail de l’éditeur. On peut donc raisonnablement penser à une sortie entre septembre 2013 et janvier 2014. On ne travaillait pas avec l’idée du centenaire de la Guerre de 14/18 en tête, mais on va bien avoir à un moment les partions de notre série qui tomberont avec cette célébration qui devrait toucher beaucoup de monde. La coïncidence est pour le moins porteuse…

Hautière et Hardoc loin de leurs outils habituels

Il ne reste plus qu’à lire cette série qui nous fait plonger dans cette période au moment où nous allons nous souvenir collectivement de cette grande boucherie humaine qui ravagea l’Europe entre 1914 et 1918…

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La maison des enfants trouvés, 1914
Tome 1 de La guerre des Lulus
Scénario de régis Hautière
Dessin de Hardoc
Editions Casterman
ISBN : 9782203034426

Angoulême 2013 – Rencontre avec Hub !

A l’instar d’Isabelle Dethan, Hub (de son prénom Humbert)  était un parfait inconnu. Après lecture de son dernier ouvrage sorti, je me suis dit que je devais le rencontrer. Mais qui est cet homme ? Il est l’auteur de la série BD Okko. Hub nous présente les pérégrinations d’un rônin (samouraï sans maitre) et de sa fine équipe dans le Pajan. Il travaille aussi en collaboration avec Fred Weytens et Emmanuel Michalak en tant que co-scénariste sur la bande-dessinée Aslak. Notre rencontre se focalise essentiellement sur Okko. Il faut savoir qu’Okko fonctionne en cycle. Un cycle est basé sur un élément et se découpe en deux volumes. Aujourd’hui il y a huit volumes soit quatre cycle (Eau, air, terre et feu).

Okko – Volume 8 – Cycle du Feu

Camille : Après lecture du Cycle de feu (Okko), je constate que l’univers dépeint est très fortement inspiré du Japon médiéval. Pourquoi ?

Hub : Alors, je pense que l’idée d’Okko est née il y a une petite dizaine d’années. Je pense que les inspirations sont multiples. Déjà j’étais intéressé, intrigué, fasciné par la culture japonaise et asiatique en règle générale. Le cinéma, les dessins animés comme Princesse Mononoké de Miyazaki et le cinéma de Kurosawa et les jeux de rôles ont complété cet intérêt puissant et fort que j’avais et à partir de là, j’ai travaillé dans le dessin animé, j’ai fait des storyboards pour le cinéma et d’autres choses comme des programmes pour la jeunesse. J’avais vraiment envie de me lancer dans un récit et je suis parti sur cet univers là qui m’intéressait amplement et fortement.

Camille : Vous auriez des références particulières qui vous auraient inspirées plus particulièrement ?

Hub : On pourrait dire par exemple Musashi ou La pierre et le sabre qui est un roman qui m’a beaucoup intéressé et qui est lié à des faits historiques. Musashi, lui, est un rônin  des plus renommés et qui a gagné le plus de combats en duel, c’est un roman qui m’a énormément influencé… Il y en a aussi beaucoup d’autres mais j’ai du mal à identifier vraiment toutes mes sources d’inspirations et qui ne sont pas toutes liées à la société japonaise et à la culture japonaise et asiatique. Il y a aussi d’autres influences des romans, des livres que j’ai sans doute lus. Il y a pleins de choses que je serai incapable de dire et définir particulièrement mais qui m’ont influencé. Par exemple le folklore japonais, tout ce qui est fantôme, bestiaire des kappas (démons des eaux) m’intéressaient beaucoup et je sentais qu’il y avait quelque chose à faire autour.

Intégrale du cycle de la terre (soit les volumes 3 & 4)

Camille : Avez-vous mené des études et des recherches pour donner de la cohérence à votre récit ?

Hub : Relativement peu en réalité. Autant pour certains projets je faisais beaucoup de dessins. Là, ça s’est imposé comme une évidence, c’est bizarre à dire. C’est-à-dire que le groupe de quatre je l’ai dessiné en quelques jours à peine. Mais même avec leur passé qu’on découvrira dans le cycle du vide. Tout cela m’est venu très très rapidement, le dessin aussi. Après, cela a un peu évolué, les personnages se sont affinés et les choses ont encore un peu bougé mais le premier jet était presque le bon je dirais. Après, je suis allé voir une maison d’éditions, on en a parlé, j’ai montré mes premières recherches, ils ont été intéressés. Et plus tard je suis revenu avec la première planche et les planches suivantes en croquis, et on a signé rapidement et c’est ainsi que je commençais la série Okko.

Camille : Comment travaillez-vous sur un cycle ? Avez-vous une vue d’ensemble sur ce qui se passe dans un cycle ou bien cela vous vient-il au fur et à mesure ?

Hub : Alors, pour l’ensemble de la série, je savais qu’elle serait en dix albums. J’ai commencé par le cycle de l’eau puis après je suis allé sur le cycle de la terre, puis j’ai abordé le cycle de l’air, maintenant je viens de finir le cycle du feu et je vais finir par le cycle du vide. Chaque cycle est un dytique, soit deux albums. Cette idée je l’avais d’entrée, je connais la fin de ma série. A partir de là, lorsque je travaille sur un cycle au niveau du scénario je le conçois dans les grandes lignes. Je sais qu’il va y avoir deux albums, environ 120 pages. Je définis les choses précisément bien avant que je les dessine. Souvent je réfléchis à l’histoire un an auparavant, un an, le temps de l’affiner, de pouvoir revenir en arrière de la polir jusqu’à ce qu’elle semble convenir à ce que j’ai envie de raconter. J’essaie aussi de faire en sorte que les cycles soient différents les uns des autres au niveau des symboliques. Le cycle du feu sera plus tourné vers des sentiments plus déchirés, la terre sera plus brutale, le cycle de l’air plus évanescent. Donc j’essaie d’avoir  une ambiance différente pour chaque cycle donc je l’étudie pas mal, mais il y a toujours des zones d’ombres sur le cycle suivant que je n’ai pas encore complètement écrit. Mais quand je l’écris je commence à avoir des idées très précises. Il faut que tout soit parfaitement défini avant d’attaquer le dessin.

Hub en pleine dédicace!

Camille : Combien de temps mettez-vous sur un cycle ?

Hub : Un peu moins d’un an, car en réalité lorsque je fini un cycle, j’ai tout ce qu’il y a promotion qui me prend pas mal de temps, comme rencontrer les gens, faire des dédicaces au festival d’Angoulême, je fais aussi pas mal d’affiches de produits dérivés, j’ai travaillé aussi sur un jeu de stratégie autour de Okko,un jeu de plateau stratégie avec des statuettes. Ça  ça me prend du temps. Et le temps d ‘écrire le scénario ça prend du temps. Donc après de façon pragmatique quand je commence vraiment à travailler le dessin sur un album, ça me prend à peu près huit mois. Huit mois pour faire le dessin avec la couleur. Donc c’est beaucoup beaucoup de travail, il faut vraiment beaucoup de discipline pour se lever le matin. Il n y a personne pour te dire qu’il faut se mettre au boulot, donc ça demande pas mal de volonté. Bon, j’ai de la chance ma série a rencontré un succès qui m’a aidé à me motiver, c’est un moteur puissant donc je suis content ; je vis une sorte de conte éveillé quelque part.

Camille : Vous avez une journée type ?

Hub : Une journée type ? Non. J’écoute beaucoup de musiques, la radio quand je travaille, quand intellectuellement je peux le faire. Mais une journée type pas vraiment, la journée type c’est beaucoup d’heures de boulot par jour. Surtout les fins d’album ou on se rapproche de l’échéance du délai qui a été fixé par l’éditeur où là, ça ne rigole plus du tout. On arrive à des journées où on finit à deux heures du matin voir plus. Mais bon, on ne peut pas comptabiliser en nombre d’heures parce qu’on est porté par une passion donc ce n’est pas métier neutre, la passion permet de beaucoup beaucoup travailler sur sa planche à dessin sans être épuisé comme on le serait sur un autre boulot je pense.

Petit aperçu de la dédicace

Camille : Vous destiniez-vous à une carrière de dessinateur dès le départ ?

Hub : J’ai commencé à entrevoir cette carrière en CM2. Je commençais à faire des bandes dessinées malabar, quand j’étais petit il y avait plein de petites cases pour raconter en 3-4 cases une petite histoire. J’ai commencé à reprendre ce personnage et lui faire des aventures, après en CM2 j’adorais les Tuniques Bleus de Cauvin aux éditions Dupuis et là, j’avais fait un album où j’ai repris ces deux personnages, mais pour moi, hein ! Avec 32 pages. Après, en tant que copiste je me suis essayé à des aventures de Tintin, je reprenais le personnage de Tintin je lui faisais faire mes propres aventures, Lucky Luke aussi. Toute ma vie, je n’ai jamais arrêté de dessiner, donc mon rêve d’enfant c’était de faire de la bande-dessinée.

Camille : Outre Okko parlez-nous de vos projets ?

Hub : Je co-scénarise une série qui s’appelle Aslak. Dont le second volume est sorti il y a quelques semaines. Et là c’est un univers complètement différent, c’est univers de Vikings. L’histoire est un drakkar on movies j’ai envie de dire, c’est deux drakkars qui se font une compétition, dans chacun des drakkars il y a deux frères, deux frères conteurs dont le père est mort. Pour prendre sa suite, ils doivent ramener au Roi la meilleure histoire parce que le Roi en a marre d’entendre la même histoire, parce qu’apparemment on ne lui raconte qu’un type d’histoire. Il les met en compétition en leur demandant de ramener la meilleure histoire. Au bout d’un an, celui qui ramènera la meilleure histoire deviendra le nouveau conteur, celui qui échouera sera tué ainsi que leur mère qui est retenue en captivité. C’est la nouvelle histoire sur laquelle je me suis embarqué avec un autre scénariste qui s’appelle Weytens, un ami et Emmanuel Micahalak qui m’aide parfois… Non pas parfois, qui m’aide au niveau du découpage d’Okko ! C’est un travail assez différent, car c’est un travail d’équipe.

Volume 2 de la série Aslak.

Camille : Comment se passe le travail de co-scénarisation ?

Hub : On fait du ping pong, c’est-à-dire qu’on a besoin d’être l’un à côté de l’autre pour se dire « Ouais cette idée-là… ». On ne peut pas fragmenter, segmenter un scénario en se disant « moi je fais un petit et toi tu fais ça ». Il faut que se soit un mélange, c’est un mélange, on regarde si ça marche, on les laisse reposer quelques mois, on revient dessus avec du recul pour voir si c’est toujours aussi bon ou voir ce qui nous semble pas mauvais, cohérent. C’est un travail à deux, deux cerveaux pour ce qui est du scénario et une fois qu’il est validé par notre éditeur c’est Emmanuel Michalak qui s’empare du scénario qui est écrit et qui va le mettre en dessin. C’est un travail d’équipe et c’est passionnant d’ailleurs. Vraiment. Déjà parce que l’univers est différent, c’est bien de pouvoir changer aussi un petit peu voir d’univers. Ça me sort de la routine de Okko.

Camille : Souhaiteriez-vous travailler avec d’autres auteurs ?

Hub : Tout peut-être intéressant, le problème c’est que je sais que par expérience qu’on ne peut pas tout faire. En l’occurrence je m’épanouis complètement dans ce que je fais. Donc je n’ai pas de rêve ni de volonté de travailler avec telle ou telle personne même si je respecte leur travail. Si je suis venu au dessin c’était pour raconter mes propres histoires, donc personnellement je dissocie difficilement le scénariste du dessin. Lorsque je travaille sur un scénario je commence à avoir quelques images qui viennent etc. Pour moi, ça ne fait qu’un bloc, dans l’absolu oui je pourrais dire que je voudrais travailler avec telle ou telle personne, mais ça ne serait pas vraiment la vérité je n’y pense pas régulièrement. Je pense surtout « Qu’est-ce que je vais pouvoir raconter la prochaine fois ? », c’est surtout ça.

Et c’est sur cette question que notre rencontre s’est achevée. J’ai pris beaucoup de plaisir en faisant cette interview et j’espère que vous bous lancerez dans l’aventure Okko vous aussi ! Je remercie éditions Delcourt pour avoir permis cette rencontre et Hub pour m’avoir accordé un peu de son temps.

Camille