Angoulême 2017 et la rencontre avec Filippo Cenni dans un temple réformé de la ville

Martin Luther est né en 1483. Dans sa jeunesse, pris dans un orage effroyable, il se tourne vers Dieu et s’engage, s’il survit, à consacrer sa vie entière à Dieu. Cet épisode n’est pas certain du tout mais c’est celui dont se servent Olivier Jouvray et Filippo Cenni pour ouvrir leur bande dessinée consacrée à Martin Luther.Martin Luther fait bien partie de ceux qui ont fait le monde – à ce titre il a totalement sa place dans la collection historique de Glénat – et on peut même penser que parmi les personnages importants de l’histoire il appartient à ceux qui sont encore influents voire même très influents ! En 1517 – il y a 500 ans cette année – il placardait sur la porte de son église les 95 thèses qui allaient entrainer l’Eglise catholique dans une scission terrible. Léon X régnait à Rome et il ne comprit pas qu’il ne s’agissait pas d’une simple petite révolte d’un moinillon allemand mais que nous avions là les bases d’une nouvelle religion, d’une véritable réforme du christianisme, plus exactement dirait Martin Luther, d’un retour au christianisme initial…La bande dessinée va sortir dans quelques semaines mais durant le festival d’Angoulême, au cœur du temple réformé de la ville, Filippo Cenni exposait ses planches et il a accepté de me rencontrer pour parler de son personnage, Martin Luther. C’est pour moi l’occasion de parler de ce qui fait la particularité d’Angoulême : quand la bédé s’y installe, elle occupe tous les lieux de la vielle, de la gare à l’Hôtel de ville, du tribunal à la cathédrale, des restaurants aux magasins de fringues, des musées au temple, des banques aux cabinets d’assurances… Bref, toute la ville ne vit plus que pour la bande dessinée, par la bande dessinée, avec la bande dessinée…Retrouver un auteur, dans un temple, au milieu de ses planches, c’est très sympathique et cela montre qu’au-delà des croyances des uns et des autres cet art narratif est capable de relier les lecteurs entre eux !

Avec Filippo nous avons donc parlé de Martin Luther, de son caractère, de son influence aujourd’hui, y compris en Italie, de sa vie, de la Réforme, de la bande dessinée, de l’Histoire… Il faut rappeler que Cenni est aussi le dessinateur de l’album consacré à Saint-Louis chez le même éditeur.

L’auteur est italien mais il parle très bien le français avec un bel accent chantant qui transforme une journée assez morose sans soleil en journée méditerranéenne… pour un peu, on aurait presque un coup de chaud ! Filippo Cenni est un homme très agréable et il faut aussi remercier les personnes de la paroisse réformée qui ont accueilli l’exposition et qui nous ont très bien reçus… Avec un café, à l’italienne !

Angoulême 2017, Albertini, Panaccione et le grand bon dans le temps…

Il y a des auteurs que l’on découvre un jour parce que le livre nous arrive dans les mains… Hasard, circonstances, relations, peu importe le cheminement du livre, il est là et on le dévore… Un jour on découvre Match, Un océan d’amour ou Âme perdue… Un point commun, le dessinateur, Gregory Panaccione ! C’est ainsi que l’on trouve sa dernière production, Chronosquad, série très particulière, déjantée et fantastique, sur un scénario de Giorgio Albertini… On lit avec prudence, on est séduit et on attend la suite…Giogio Albertini est un archéologue de formation, auteur de plusieurs essais historiques et il rêvait depuis longtemps d’utiliser la bande dessinée pour expliquer aux lecteurs la vie quotidienne à une époque ou une autre. Mais il ne voulait pas écrire quelque chose de difficile à lire, il fallait une véritable bande dessinée d’aventure, avec rythme, humour, émotions…C’est ce projet un peu spécial qui a retenu l’attention de Gregory Panaccione, le dessinateur. Le résultat est très simple au départ dans sa vision générale : les riches peuvent aller passer leurs vacances dans d’autres époques et il y a une sorte de police qui réglemente ces déplacements particuliers, la Chronosquad…On est dans une série de science-fiction mais avec une toile de fond historique d’une grande qualité… car nos personnages voyagent beaucoup dans le temps et l’espace ! Une série qui allie humour et rigueur, science-fiction et histoire…On va intégrer cette brigade spéciale, la Chronosquad, avec le jeune Bloch qui vient juste d’être recruté pour une urgence, direction l’Egypte antique…La rencontre avec les deux auteurs s’est très bien déroulée et on sent très rapidement l’entente exceptionnelle qui unit ces deux auteurs. Pour le coup, aucun silence, aucun temps mort, il faut presque faire preuve d’énergie pour les canaliser car cela pourrait partir dans tous les sens, comme dans leur série d’ailleurs !Deux tomes sont parus sur quatre prévus… Il faudra donc attendre un peu pour avoir la suite et la fin !

Angoulême 2017, Christophe Bec et Stefano Raffaele… sur Mars !!!

C’est en 2004 que j’ai rencontré pour la première fois Christophe Bec et c’était pour le scénario de la série Carême, une histoire qui m’avait beaucoup touché. A cette époque j’appréciais énormément la maison d’éditions Humanoïdes Associés et je trouvais qu’elle proposait des histoires profondément humaines…Christophe Bec allait poursuivre son travail dans la bande dessinée en étant tantôt dessinateur tantôt scénariste. Certes, les métiers sont différents mais il aime les deux car ce qu’il aime par-dessus tout c’est raconter des histoires, créer des univers, plonger les lecteurs dans son imaginaire, imaginaire qui ne manque pas de surprises…J’ai donc lu Christophe Bec – pour ne parler que des séries qui m’ont le plus marqué – dans Sanctuaire puis Bunker. Je ne veux pas limiter cet auteur à deux ou trois séries, mais j’avoue que ces exemples sont pour moi la preuve absolue de la qualité de cet homme et de sa capacité à créer du profond, du solide, de l’humain même si on est aux limites de l’humanité…Aussi, quand j’ai appris que l’auteur repartait dans une série de science-fiction-fantastique chez Soleil, j’ai tout de suite réagi et demandé à lire… avant de rencontrer l’auteur et son dessinateur puisque cette fois-ci il allait travailler avec Stefano Raffaele, dessinateur italien.Plantons le décor de cette série Olympus Mons dont le premier volume pose les bases… On est en 2026, une équipe de chercheurs de trésors travaille dans la mer Baltique. Dans les profondeurs aquatiques, ils trouvent un artefact inconnu et surprenant. Pour ceux qui ne sont pas habitués, un artefact est en quelque sorte une construction humaine à opposer à une formation naturelle. Cet artefact va se révéler des plus mystérieux…Dans le même moment, un médium au cœur des USA va avoir des visions liées à cet artefact… Enfin, sur la planète Mars où l’homme vient de poser les pieds, l’équipe d’exploration semble avoir trouvé les traces du passage – assez violent – d’un vaisseau spatial…

Reste à savoir si ces trois phénomènes sont liés entre eux et ce que tout cela signifie… d’autant plus que les auteurs s’amusent à nous parler aussi d’un phénomène étrange qui aurait permis à Christophe Colomb de découvrir l’Amérique…

Un très beau début de série et j’avoue qu’une fois que l’on est entré dans Olympus Mons, on n’est plus obsédé que par une seule chose : quand arrive la suite ???

En attendant, j’ai rencontré les deux auteurs à Angoulême, j’ai même bénéficié de l’aide d’un autre auteur italien pour traduire les propos de Stefano Raffaele car je ne me sentais pas capable de parler italien avec lui…

J’ai pu mesurer que ces deux-là s’entendent très bien et que c’est bien ensemble, avec un dialogue solide, qu’ils ont posé les jalons de leur univers. On a maintenant vraiment hâte de voir les choses bouger car ce premier volume passe trop vite… Il faut tout expliquer, créer les personnages, rendre tout cela crédible… Maintenant, on a envie d’entrer dans l’artefact, fouiller le vaisseau échoué sur Mars, entendre le chamane américain… Donc, à très bientôt !!!

Je sais que certains trouvent toujours pénible d’attendre la suite d’un album mais je rappelle avec un petit sourire au coin des lèvres que quand j’étais enfant – oui, c’était au siècle dernier il y a quelques décennies – c’était encore pire car on nous livrait deux à trois planches par semaine et il fallait attendre la suite au numéro suivant de Mickey, Pilote, Tintin, Pif ou Spirou… Donc, (A suivre) !

Angoulême 2017 et la rencontre heureuse avec Zelba…

Bon, il est temps de vous parler de ma rencontre avec Zelba. Oui, Angoulême, c’est l’occasion des rencontres avec des auteurs. Parfois on a lu ces auteurs mais il arrive aussi que l’on fréquente leur page Facebook ou leur blog. On a une sorte de proximité avec eux, le sentiment de les connaitre et je ne parle pas de ceux que l’on rencontre chaque année…Mais il y a aussi des auteurs que l’on découvre. On lit leur ouvrage en avant-première, parfois même en PDF deux jours avant de partir pour le festival, on les attend en salle de presse mais on ne les a jamais croisés avant, parfois même on ne trouve même pas leur photo sur internet pour les reconnaitre !Ma rencontre avec Zelba c’est un peu tout cela. Je ne la connaissais pas du tout, je n’avais lu que ce « Udama chez ces gens-là » quelques jours avant de partir, je venais de toucher le livre bien réel que la veille, j’avais relu la bande dessinée juste avant pour bien me pénétrer du sujet et je dois le dire j’avais adoré cette histoire…

La rencontre fut merveilleuse, l’interview naturelle et paisible, le dialogue aisé, le tout avec un sentiment presque instantané de se comprendre… Pourtant Zelba, Allemande, m’avait dit que peut-être elle aurait quelques difficultés à comprendre certaines questions, à formuler ses réponses… En fait, rien de tout cela et un bonheur bien réel de parler ensemble, d’échanger autour de ses personnages…Venons-en à l’histoire d’Udama. Elle explique que tout est né d’une émission de radio sur Radio-France. C’est une présentation des problèmes rencontrés par les nounous sur Paris et à cette occasion, elle découvre que les nounous sont divisées, voir même en conflit, en fonction de leurs origines… Les nounous africaines d’un côté – sous-entendu les noires – et les maghrébines de l’autre… Elle imagine alors une nounou africaine, malienne, et va lui construire une histoire…

Pour incarner son personnage il fallait lui trouver une histoire solide et c’est là qu’entrent en scène Claire, Hervé et Rose. Rose est en quelque sorte le personnage essentiel car c’est le bébé qu’il va falloir garder et vous avez bien compris que c’est Udama qui sera désignée Nounou !Mais le personnage le plus important, allez savoir, c’est peut-être bien le couple Claire-Hervé. La maternité a déstabilisé leur relation, leur amour, leur vie. L’album, c’est leur histoire et comment ils vont réussir à retrouver un rythme, un avenir… ils s’aiment profondément mais doivent surmonter quelques épreuves et parfois Udama mettra la main à la pâte… et Udama saura aussi en profiter pour améliorer sa vie qui n’est pas tous les jours facile car elle aussi maman…

Je ne veux pas vous en dire plus car le livre se suffit largement à lui tout seul et j’ai trouvé qu’il était écrit et dessinée tout en finesse, poésie et humanisme…

Quant à l’entretien, il s’est terminé d’une façon surprenante et émouvante. Quand j’ai arrêté l’enregistrement radio, Zelba s’est levé, a fait le tour de la table et m’a embrassé en me disant « merci »… J’avais bien compris que l’on était sur la même longueur d’ondes, mais c’était confirmé, j’avais donc bien compris son histoire…

Merci Zelba pour cette bande dessinée, pour cette rencontre, pour cette émotion et à très très bientôt !!!

Angoulême 2017 et Philippe Ogaki

Philippe Ogaki est entré dans ma sphère de connaissance bandes dessinées en 2005 en même temps que Patricia Lyfoung. Il faisait une partie des couleurs de la Rose écarlate. Mais son véritable travail d’auteur c’est avec l’adaptation de Guerriers du silence qu’il prendra forme, d’après le roman de Pierre Bordage et le scénario d’Algésiras. Il faisait ainsi sa grande entrée dans la science-fiction BD et il comptait bien y faire une vie entière… Après les série Meteors et Azur, il ouvre, en 2015, une nouvelle série de science-fiction, scénario et dessin, Terra Prime.Deux albums sont déjà sortis et le troisième va pointer son nez dans quelques jours… on est sur une planète lointaine ou un groupe de survivants de la Terre va tenter de s’installer. Mais, cette planète n’est pas vide et la cohabitation va être assez compliquée… Les thèmes sont très nombreux et classiques en science-fiction : amour, survie, vie sociale, technologie, politique, liberté, religion, humanité et perception des autres…Les étudiants, même ceux qui avaient lu cette bande dessinée, ont fui… Pas lâchement mais parce qu’il y avait trop de politique dans cette série. Cela ne leur plaisait pas… Pourtant, quand on réfléchit un peu cette politique dans Terra Prime est une politique avec un « P », c’est-à-dire une véritable réflexion, certes à travers des personnages de fiction, sur la façon de vivre et faire vivre la démocratie, dans une société humaine isolée, coupée de ses racines, avec une histoire particulière, avec des dangers importants autour d’elle… Dans les temps que nous vivons, c’est probablement beaucoup plus d’actualité que ce que l’on croit…J’avoue que je suis séduit par cette série depuis la sortie de premier tome et j’attends avec impatience le troisième volet pour ce mois-ci…La rencontre avec Philippe a été chaleureuse et sympathique, il a parlé de sa façon de construire et faire évoluer sa série et il revendique, bien sûr, l’aspect politique et l’interrogation religieuse qui sont pour lui essentiels à sa série car qui parle de communauté humaine parle nécessairement de politique et de religion, pas obligatoirement de magouilles politiciennes et ecclésiastiques…Bon vent à Terra Prime et à cet auteur que j’ai toujours beaucoup de plaisir à rencontrer !

Angoulême 2017, Patricia Lyfoung et sa Rose écarlate !!!

En 2005, dans les anciens locaux des éditions Delcourt, rue Hauteville à Paris, je rencontrais une jeune autrice – on ne disait pas encore cela à l’époque – pour sa première bande dessinée, le volume 1 de la Rose écarlate. Pendant plus de trente minutes, de façon hésitante mais naturelle, avec la fraicheur et l’innocence d’une jeune femme, elle me parlait de son héroïne, Maud, de ses influences graphiques et scénaristiques asiatiques – mangas à la télévision en tout premier – et je découvrais qu’elle avait été aidée par un certain Philippe Ogaki pour les couleurs… Maud était une sorte de Zorro du XVIIIème siècle et sa bande dessinée avec un côté cape et épée… Dès le départ, elle avait posé des jalons d’avenir avec un secret qui pesait sur les frêles épaules de Maud…En 2017, dans l’espace presse des éditions Delcourt, je reçois Patricia Lyfoung pour le douzième album de la série, Tu m’as ouvert les yeux. Ce n’est plus la première rencontre, je rencontre Patricia presque chaque année, à Paris, à Montreuil ou à Angoulême. J’ai suivi son travail, constaté son évolution, sa maturité, sa maitrise. Sans renier ses influences, elle ne fait plus du « à la manière de » mais du « Patricia Lyfoung ». La rose écarlate est devenue une belle série, elle a son public, il y a même une série dérivée, La Rose écarlate, Missions.Pourquoi les étudiants ne m’ont-ils pas accompagné dans cet entretien ? Tout simplement, comme l’a dit immédiatement l’un d’eux, parce que La Rose écarlate c’est la série que lisait sa petite sœur ! Non mais…En fait, moi j’aime bien ce type de lecture. Paisible, sereine, de qualité, cette lecture fait du bien et montre que l’on peut raconter de belles histoires sans pour autant tout baigner dans le sang, la violence ou la haine… Maud, le personnage central et un peu romantique au départ, a évolué, elle s’est épaissie au niveau du caractère, le scénario de la série est beaucoup plus complexe, les personnages sont en quête de leurs origines et le lectorat de la série a vieilli lui aussi quelque peu… La petite sœur a grandi en quelque sorte !Au départ, le thème principal était certainement la justice mais, au fur et à mesure, on parle amour, amitié, trahison, fidélité, souffrance, origine, maladie, courage, vieillesse, mort… Oui, Patricia propose une série plus complète, plus riche, plus humaine et cela devient meilleur !

Angoulême 2017 et Néjib

Parfois on nous met en mains un album de bande dessinée qui nous avait complètement échappé. A Saint-Malo, le dernier jour, à la dernière heure presque, une amie me donne l’album d’un auteur qui vient de recevoir le prix de la révélation. Ce prix attribué conjointement par l’ADAGP (Associations des Droits des Artistes Graphistes et Plasticiens) et l’équipe du festival Quai des bulles a été décidé cette année, pour la première édition de ce prix, de mettre à l’honneur Néjib et son Stupor Mundi… et c’est un excellent choix, sans aucun doute !Si je n’avais pas interviewé cet auteur, Néjib, à Saint-Malo par méconnaissance de son ouvrage, il n’allait pas en être ainsi à Angoulême car non seulement j’avais lu son roman graphique mais je l’avais trouvé excellent !  Le bruit court que ce serait par un heureux hasard que Néjib aurait trouvé l’inspiration de Stupor Mundi. Je n’ai toujours pas vérifié car dès que j’ai pu m’assoir avec Néjib, je suis entré dans une très belle discussion sur ses influences, la façon dont l’histoire avait pris place dans son imaginaire et surtout comment il avait pu mener son projet jusqu’au bout… Passionnant !D’une certaine façon, il semble bien que tout a commencé durant ses vacances… « Pendant mes vacances, Je me suis rendu compte que la place du village et tout ce qu’il y a autour était projetée dans ma chambre, par un trou dans les volets, à l’image d’une camera oscura. Partant de cette idée, je me suis renseigné sur le sujet et j’ai découvert que le phénomène de la camera oscura était connu depuis l’antiquité. Le phénomène est ensuite théorisé et mis en pratique par le père de l’optique moderne, Alhazen (965-1039). » Pour en faire une fiction sur fond historico-scientifique, il décide de créer de toutes pièces un descendant imaginaire de ce savant : Hannibal Qassim El Battouti.Au départ, tout commence comme une bande dessinée banale avec un personnage clef que l’on va suivre dans son « installation » en Occident alors que ce savant a été chassé de l’Orient par un grand religieux… Et c’est alors que tout va basculer, on n’est pas dans une nouvelle histoire Occident-Orient, on n’est pas dans une critique des uns ou des autres, on n’est pas dans du connu mais dans une grande histoire où l’humanité se révèle dans ce qu’elle a de plus grand ou de plus petit… Entre génie et médiocrité, entre grandeur et avilissement… Génial !

On est dans un château, Castel Del Monte, là où l’empereur Frédéric II – La Stupeur du Monde – avait rassemblé les plus grands savants et artistes de l’époque. Là, on va accueillir Hannibal, le savant chassé par l’obscurantisme musulman arrive au cœur de ce qui pourrait bien être un obscurantisme chrétien… Dans les deux cas quand les religieux se mêlent de science, politique et art… peut-il en sortir quelque chose d’humain ?

L’auteur s’amuse à évoquer avec moi science, religion et mystère, et la discussion est tellement prenante que l’on se retrouve au moment de se séparer sans avoir vu le temps passer… C’est le signe d’une belle rencontre, non ?

Néjib propose une histoire d’une grande qualité, dense, parfaitement construite et documentée qui donne au lecteur l’impression d’être parfois dans Le Nom de la Rose et dans d’autres circonstances de se retrouver dans le cabinet d’un certain Sigmund Freud… Mais la bande dessinée est très riche culturellement et les citations et allusions sont très nombreuses, si nombreuses que chacun pourra en oublier quelques-unes sans que cela ne pénalise la compréhension du livre… Oui, j’ai bien dit livre car ce roman graphique est un livre à part entière !

Certains personnages semblent secondaires mais attention, il se pourrait que cette majestueuse Stupeur du monde vous réserve quelques surprises… Houdê, la fille d’Hannibal est importante, sa mère aussi même si vous ne la voyez pas beaucoup… Quant à El Ghoul, le gardien masqué… je ne vous en dis pas plus…

J’ai adoré et me suis laissé prendre par l’histoire, puis par la personnalité de l’auteur… je ne peux donc que vous conseiller la lecture de cette bande dessinée et j’attends avec impatience son prochain travail pour avoir la chance de le rencontrer une nouvelle fois…

Angoulême 2017 et la guerre de 14-18 !

La célébration et les hommages aux combattants du premier conflit mondial, la Guerre de 14-18, continuent et se prolongeront jusqu’en 2020 car il y a fort à parier que l’on fera bien un petit quelque chose pour le Traité de Versailles… En attendant, certaines publications BD ont abordé et racontent encore la guerre, la Marne, la Somme, Verdun… dans ces multiples publications, j’ai repéré une série atypique car elle a choisi de prendre un angle essentiellement humain et a donc laissé de côté les aspects politiques et militaires…Eric Corbeyran, le scénariste de la série 14-18, a décidé de poser en quelque sorte son objectif sur un village, sur un groupe de jeunes gens. Ils vivent heureux, jusqu’en 1914, ont des amourettes, voire des amours, boivent un peu, se chahutent gentiment, constituent une bonne bande de jeunes… Ils sont sur le point de devenir de bons adultes, d’honnêtes citoyens, d’entrer dans la vie active… et, malheureusement pour eux, c’est dans la guerre qu’ils vont entrer…Ces huit jeunes hommes vont constituer le panel de Corbeyran et Le Roux, le dessinateur de la série. Ils vont les suivre année après année, dans ce terrible conflit. On suivra aussi, c’est logique, les copines, femmes et familles de ces huit jeunes gens… Et on va les voir évoluer au cours de cette guerre qui va définitivement les transformer, peut-être même leur faire perdre leur humanité…Ce qui est remarquable dans cette série, c’est que le choix de montrer les humains avant toutes choses transforme le récit et nous éloigne de la chronologie stricte. D’ailleurs, les auteurs jouent avec efficacité de petits récits d’après-guerre si bien que l’on voit certains changements profonds chez ces êtres humains…Je trouve cette série très complète, très riche en informations, en éléments historiques, profondément humaine et porteuse, même, d’éléments de réflexion sur la guerre, la vie, la mort, Dieu, la paix, l’amour, l’enfance, le travail, l’autorité… Elle est très bien dessinée par Etienne Le Roux. C’est pour cela que chaque année, depuis le début de cette série, je rencontre les deux auteurs qui sont sympathiques et chaleureux. J’ai l’impression que peu de journalistes cherchent à les voir comme si parler de la guerre, de la mort, de la folie pouvait toucher ceux qui en parlaient… Non, la barbarie est contagieuse, certes, mais pas quand on en parle de façon pédagogique et préventive, avec humanité… et là ces deux auteurs sont rois !Une très belle rencontre et comme il y a encore quatre tomes à venir, à très bientôt !!! Pour ceux qui n’étaient pas à Angoulême, ils seront tous les deux les 4 et 5 mars 2017, à Dijon, dans le cadre du festival Vini BD dans la salle Devosges.

Angoulême 2017, road trip en compagnie de Max de Radiguès…

Parfois le titre d’un album de bande dessinée peut écarter de la lecture mais le lecteur curieux devrait toujours rester prudent, le titre ne donne pas le contenu. Il peut y avoir tromperie, dans les deux sens d’ailleurs, un bel album avec un titre moyen, un livre très faible avec un très bon titre…Quand j’ai entendu parler de « La cire moderne », j’avoue être resté dubitatif. La cire n’évoque pas grand-chose et je ne savais pas s’il fallait croire à une histoire d’épilation complète ou sur la survie des abeilles… J’étais bien loin de la vérité mais pour y arriver, il fallut dépasser le titre, lire le communiqué de presse, allez voir qui était le dessinateur, Max de Radiguès…Les mots magiques furent donc « héritage improbable » et « road trip estival » sans oublier « tournée des monastères ». La rencontre avec l’auteur complet d’Orignal, une bande dessinée que j’avais beaucoup aimée, fut aussi décisive pour provoquer la rencontre qui eut bien lieu à Angoulême le samedi matin…La cire moderne est une bande dessinée spirituelle c’est-à-dire qu’elle met trois jeunes – Manu, personnage principal, Sam sa copine, Jordan, le petit frère de la copine – face à un héritage improbable, un stock de cierges. Tonton Poirier est mort et c’est le stock de cierges dont hérite Emmanuel…Que faire d’un tel stock quand on est jeune, sans argent et que les vacances sont là ? C’est Jordan qui prend l’initiative et qui pense que le mieux est d’aller vendre ces cierges aux clients du Tonton. Le trio part sur les routes de France pour vendre des cierges. Les clients sont des paroisses, des monastères, des communautés, des illuminés…  Max de Radiguès, qui se dit plutôt athée, trouvait cette idée intéressante d’autant plus que le scénariste de l’histoire, Vincent Cuvelier, lui, se dit plutôt chrétien. Les trois jeunes vont être confrontés à une spiritualité qu’ils n’imaginaient pas et aucun ne sortira strictement indemne de ce périple. Manu découvre le sens de sa vie et, peut-être, y intègrera-t-il dorénavant une dimension spirituelle, mais rien n’est sûr car la fin de l’album est très ouverte…

La rencontre avec Max de Radiguès fut très agréable et le dessinateur formé à Saint Luc de Bruxelles a pris le temps de parler de son travail, de ses rencontres avec le scénariste, avec les lecteurs et de son avenir proche comme auteur. Régulièrement, il alterne les façons de travailler ici scénariste, ici dessinateur, ici auteur complet… mais il est aussi éditeur à L’Employé du Moi et libraire spécialisé à Bruxelles. Autant dire que sa vie est dans la bande dessinée et qu’il en parle avec énergie, enthousiasme et précision…

Un beau livre, un bon roman graphique, une belle histoire, une très belle rencontre et bon vent à Max de Radiguès que l’on retrouvera certainement très vite !

Angoulême 2017 et les pirates de Franck Bonnet !

Les pirates !!! Tout un programme et c’est vrai que depuis le plus petit âge j’ai toujours aimé les Pirates, les Corsaires, les Cap-horniers, les Marins en général… Pour ce qui est de la bande dessinée, j’ai baigné dans Barbe-Rouge, une bande dessinée de Pilote que j’aimais beaucoup et dont les albums sont restés en belle place dans ma bibliothèque…

Seulement, voilà, j’ai dû échouer dans le message auprès de mes étudiants car aucun ne s’est lancé dans la lecture de cette très bonne série de Marc Bourgne et Franck Bonnet, Les pirates de Barataria. Qu’est-ce qui les a bloqués ? Je ne leur ai pas demandé mais je peux imaginer quelques bonnes – ou pas – raisons…Tout d’abord, le thème peut sembler définitivement mort car que raconter de pertinent après Pirates des caraïbes ? Dix albums à lire, désolés on n’a pas le temps ! Quoi, une bédé historique, avec plein de personnages, avec une femme qui navigue, le tout à l’époque de Napoléon… Non merci ! Bref, on a certainement mieux à faire d’autant plus que le tome 10 ne clôt même pas le récit…Donc, je me suis retrouvé seul avec Franck Bonnet pour une belle rencontre – et ce n’est même pas de la promotion népotique en famille car nous ne sommes pas de la même famille, si ce n’est en humanité !

Même si la mer n’est pas omniprésente, même si beaucoup de l’histoire se déroule au sol, dans les bayous ou dans les déserts, dans les palais ou des abris de fortune, il n’en demeure pas moins que je suis fasciné par grand nombre de scènes de mer, combats maritimes, tempêtes tropicales… Les bateaux de Franck Bonnet semblent naviguer réellement, pour un peu on les verrait presque disparaitre à l’horizon… Et donc vous ne serez pas surpris de savoir que nous avons beaucoup parlé de la mer, des voiles, des cordages, des bateaux… on aurait même failli être pointus !Trop longs, c’est certain mais il faut dire que pour chaque question Franck répond excessivement longuement et comme par ailleurs je ne suis pas toujours bref… il y a 30 minutes de radio potentielle et donc beaucoup trop long sauf si vous voulez absolument savoir la quantité de chanvre dans un cordage sur l’Hermione, mais cela nous éloigne légèrement de nos pirates et de la bande dessinée…

Donc ce fut un grand plaisir de rencontrer le dessinateur, Franck Bonnet, et j’espère que vous serez nombreux à aller voir ses dessins, ses bandes dessinées… même si mes étudiants ont, eux, refusé de prendre le large !