Oubliez-moi de Feng Xu

Oubliez-moi de Feng Xu

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Débézed, le 5 août 2023 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 8 étoiles
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Pour ne pas l'oublier

Xu Feng, écrivain chinois né dans la région de Jiangsu, a mis ses pas dans les traces de Qian Xiuling qui a migré de Yixing en Belgique, en passant par Taïwan, pour faire revivre l’héroïne de la nation belge désormais quelque peu oubliée. Qian Xiuling a sauvé cent-dix otages belges de l’exécution par les SS pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a été décorée de la plus haute distinction belge, est devenue une personnalité incontournable mais elle n’a pas pu réaliser tous ses rêves. Xu Feng a raconté sa vie pour que les nouvelles générations sachent qui elle était et pourquoi une rue porte encore son nom à Ecaussinnes

Qian Xiuling est née à Yixing dans la province de Jiangsu en 1912, elle était très douée pour les mathématiques, la physique et la chimie notamment. Malgré l’opposition de son père, elle a accompagné son frère qui partait à l’Université de Louvain, où elle a été admise après avoir passé des examens d’entrée. A vingt-deux ans, elle était titulaire d’un doctorat en physique qu’elle enchaîna avec un autre en chimie. Elle était une grande admiratrice de Marie Curie qu’elle n’a hélas jamais rencontrée. Ayant refusé le mariage préparé par son père et son ami, elle a rompu avec lui et a épousé un médecin russo-grec qui s’installa à Herbeumont où ils devinrent des petits notables de campagne.

Pendant la guerre, elle réussit à convaincre von Falkenhausen, le Gouverneur général de la Belgique avec lequel son frère avait lié une sincère amitié avant la guerre en Chine, de commuer la peine de mort infligée à jeune de la ville en condamnation aux travaux forcés. Quand une centaine d’otages furent saisis à Ecaussinnes et menacés d’être exécutés l’un après l’autre, les personnalités de la ville décidèrent de solliciter une nouvelle fois Xiuling qui, une nouvelle fois, parvint à faire fléchir le Gouverneur Général. Elle devint ainsi une héroïne pour tout un peuple. Et, quand von Falkenhausen fut traduit devant la justice belge, elle plaida sa cause avec vigueur car elle disait que c’était un homme juste et droit qui avait sauvé des vies et fait partie du complot contre Hitler.

Grande scientifique, elle n’a jamais exercé dans les disciplines qu’elle avait apprises, malgré ses grandes capacités et de nombreuses publications, les autorités ne l’ont jamais soutenue, ne lui accordant jamais les crédits de recherche ni les promotions qu’elles avaient pourtant très largement mérités. Elle n’était qu’un femme et de plus étrangère venue d’un pays peu connu aux alliances peu claires. Elle a donc démissionné de l’Université de Louvain pour devenir infirmière auprès de son mari et mère de famille. Elle opta plus tard pour le métier de restauratrice, son dernier restaurant était le temple de la cuisine chinoise à Bruxelles, les plus hautes autorités et les hommes d’affaires le plus influents s’y rencontraient régulièrement.

Elle est retournée quelques fois en Chine, contrariée par les guerres et les conflits internes dans lesquels son cousin préféré, l’ami de von Falkenhausen, était impliqué aux côtés de Chiang kai-sek avant d’être mis à l’écart. A travers cette relation avec son cousin, Xu Feng raconte une page bien agitée de l’histoire de la Chine, la conquête de Chiang kai-schek puis sa débandade devant les troupes communistes et son refuge à Taïwan.

Dans ce texte à l’écriture lente, comme beaucoup de livres chinois, Xu Feng raconte de manière très détaillée, imagée, théâtralisée parfois et même un peu grandiloquente, la vie de Qian Xiuling comme scientifique très douée, comme chinoise exilée en Europe, comme héroïne mais surtout comme femme libre, déterminée, inflexible, parfois à l’excès. Une femme de caractère et de conviction, une femme pleine d’empathie pour les autres et d’amour pour les siens.

Ce livre montre aussi toute la différence qu’il peut exister entre l’éducation, l’instruction, la culture, …, en Chine et en Europ ; la façon des Chinois de comprendre et apprécier les événement, leur sens du courage, de l’abnégation, du devoir ; leur manière d’exercer le pouvoir, d’appliquer la justice, d’infliger la sanction. Ce livre est aussi une réflexion sur tous ces thèmes et un regard sur le racisme, la ségrégation et l’oubli venu de l’extérieur, du côté de celui qui les subit.

Mariée avec Grégoire de Perlinghi, Qian Xiuling est très peu connue sous son nom chinois en Belgique où il y a toujours une rue de Perlinghi. Elle a fini sa vie de façon tout à fait anonymes et presque abandonnée par les siens dans un EPAHD quelconque. D’où cette question reproduite par l’auteur : « qu’advient-il de toutes ces personnes et de tous ces événements qui n’ont pas été enregistrés par l’histoire ? Ne sont-ils pas voués à disparaître dans les méandres de l’oubli ? ». Et je conclurai avec Xu Feng : « Trop d’histoires disparaissent avec ceux qui nous quittent pour un autre monde ». Qian Xiuling, n’aimait pas qu’on lui rappelle ses exploits, elle refusait les honneurs et la médiatisation, elle voulait qu’on l’oublie. Elle semble avoir été entendue…

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