Rue des fleurs de Jean-Michel Maulpoix

Rue des fleurs de Jean-Michel Maulpoix

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Septularisen, le 24 septembre 2022 (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans)
La note : 8 étoiles
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«Et je projette sur vos cheveux des pétales de cerisiers blancs Afin que se fortifie dans vos cœurs la pensée de l’amour.»

«PETIT JOUR»

«Cœur fripé l’amer du sommeil dans la bouche
Tous ensemble ils arrivent par le tram de sept heures
Le bleu sent la javel la terre sent le goudron
Palmiers de ferraille et palmiers de suie
Des débris d’images couvrent leurs paupières
Les poulies du ciel grincent à grand bruit
Avançant sur le quai jusqu’à l’extrémité de la fatigue
Ils n’iront pas plus loin que ce monde-ci ce wagon-là
Du soir qui se lève au jour qui se couche.»

«Rue des fleurs» est le dernier recueil en prose et en vers, de Jean-Michel MAULPOIX (*1952), tout juste auréolé du plus prestigieux prix littéraire dédié à la poésie en France : le Prix Goncourt de la Poésie.

Jean-Michel MAULPOIX a ici retravaillé, revisité, réécrit certains de ses «anciens» poèmes (parfois écrits il y a plus de vingt ans!..), pour nous les reproposer, - nous les donner à réentendre -, les remettre en place, dans une nouvelle version, parfois même avec un nouveau titre. Ces poèmes sont comme des instantanés pris sur le vif, - comme des photographies où jouent l’ombre et la lumière, les couleurs, la diversité du monde -, qui parlent à nos yeux, à nos sens…

«ARRIÈRE-SAISON» Pour Henri

I

«L’araignée tombe sans parachute
L’horloge en berne marque six heures et demie
Les ongles du calendrier brûlent
Je ne me souviens pas

Il y a un petit ver blanc
Qui fait des trous silencieux
Dans le cercueil noir
De la musique

Une serviette d’or sur les genoux
Bas filés tête nue
Gouttes de rosée au bout des doigts
L’automne se désespère.»

Les images qui en découlent, sont belles, justes, expressives, saisissantes, fragiles, sensuelles, éphémères… Ce sont celles que l’on a l’habitude de voir, - sans les regarder bien sûr! -, tous les jours… Citons entre autres p. ex. : le cimetière ; le trottoir ; l’hôpital ; le café ; le bord de mer…

«PLUIE»

«Il pleut
La transparence
Au cou des choses
Se précipite
C’est l’heure
De la distribution

D’invisibles cailloux
Ricochent
Contre la fenêtre
Qui pleure
Sans essuyer ses larmes.»

Comme toujours dans les poèmes de M. MALPOIX, on retrouvera ici les thèmes habituels de cet écrivain, son imaginaire, son «monde personnel». Citons entre autres p. ex. : la douleur, la mémoire, l’absence, le vertige, l’inconnu, l’angoisse, l’instant, la recherche, l’amour, la beauté… Comme toujours aussi le poète français met en avant les mots, les réveillant, les sortant de leur torpeur, les «fêtant»… Il a bien sûr recours a son «vocabulaire personnel», son domaine verbal, certains mots reviennent de manière insistante : la neige, le bleu (bien sûr!..), l’automne, le cimetière…

Laissons maintenant la place au poète, avec une poésie sur la photographie, qui n’est pas sans rappeler celle de la poétesse grecque Kiki DIMOULA (1931 – 2020). (1)

«PHOTOGRAPHIES»

«Pardonnez-moi si je ne parviens plus
À classer dans l’album les images de ma vie
Il y a trop d’absents et sur la table
Trop de verres vides

Plus de boucles non plus
Aux lacets du temps
Plus de billets retour

Non je ne déchire pas
Les photographies à présent
Ce sont elles qui me déchirent

Il faut apprendre à faire au mieux
Avec ce rien que l’on est
Pour quelque temps encore

Je parle voyez-vous une autre langue
Où les phrases sont plus courtes
On y compte moins de vis et de clous
Car la boîte en planches est plus simple

Je n’irais plus très loin
Avec cette encre-là
D’une couleur si pauvre
Qu’elle n’éclaire plus rien

Et il n’est pas certain qu’en parler soit utile.»

Je finis émerveillé par la poésie de M. Jean-Michel MAULPOIX, on a l’impression qu’il trouve toujours le mot juste pour faire passer l’émotion qu’il ressent, ou plutôt qu’il veut nous faire ressentir… Le sens de ce qu’il veut nous faire passer se livre progressivement, presque par inadvertance, il ne faut pas hésiter à «chercher», à relire, à fouiller… C’est tout, sauf une poésie facile!
Ne vous y trompez toutefois pas, lire un poème de Jean-Michel MAULPOIX, c’est lire l'un des plus grands poètes français contemporains!..

Rappelons que Jean-Michel MAULPOIX, a reçu le Prix Goncourt de la Poésie 2022 pour l’ensemble de son œuvre.

(1) : Cf. Ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/46085

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