Le village transparent de Claude-Henri Rocquet

Le village transparent de Claude-Henri Rocquet

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 10 février 2019 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 10 étoiles
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Etre dans la présence du monde

La poésie française contemporaine est riche de trésors et d’auteurs injustement méconnus. Je viens de découvrir Claude-Henri Rocquet avec ce petit recueil qui fait entendre une voix discrète, dont les accents à la fois poignants et sublimes m'ont irrésistiblement fait songer à Jean Le Mauve et à Robert Momeux. L’amour envers le monde, qui irrigue le recueil, m’a également fait songer à Ilarie Voronca, qui avait intitulé un de ses recueils « L’amitié des choses ». Dans cette plaquette en petit format, Rocquet évoque une vie à l’écart de la frénésie contemporaine, vouée à exalter, sans grandiloquence et avec une sérénité paisible, un sentiment de plénitude dans la contemplation des lentes métamorphoses, au fil des saisons, d’un paysage de campagne où le poète a établi sa demeure.

Déjà

Déjà le rouge a gagné les collines
Déjà l’automne se recueille
Dieu de grâce Dieu de lumière veuille
Que je me tienne dans le feu des vignes

Et que je vive encore une saison
Dans la douceur de ma maison

L’immersion dans la nature, dont la présence muette hante le recueil, élève l’âme au-delà des apparences sensibles et révèle les liens qui unissent, pour qui sait écouter la parole oraculaire de la Terre, les choses et les êtres. Tous les poèmes bruissent de la présence amicale du monde, qui se manifeste dans les forces élémentaires où la vie puise sa vigueur. Roches, plantes et animaux semblent les messagers de ce monde, si proche et si lointain en même temps car rendu invisible par le masque des apparences que notre regard infirme ne sait pas percer…

A l’abri

Trouverez-vous le chemin de la maison ? Verrez-vous sa façade ? Reconnaîtrez-vous l’arbre et le jardin ? Nous demeurons dans l’invisible et le village est transparent. Un buisson d’oiseaux le couronne qu’une source à midi revêt de rosée. Ce que vous prendrez peut-être sur le sentier pour une pierre stupide est le seuil de notre loge. Si vraiment vous désirez nous voir, prenez par la sylve, prenez par la sève.

Le poète lui-même, par sa proximité charnelle avec le monde élémentaire et sa compréhension aimante de l’intimité des choses, se tient à cheval entre les deux mondes, comme un devin qui sait lire les signes ou un passeur qui invite à franchir le seuil invisible qui nous sépare du « vrai lieu » où s’enracine la beauté du monde, à la fois évidente comme une réalité matérielle et ténue comme un songe.

Lieu

Vois ce fragment de la terre
Collines couleur de paille
Chemin de ciel et de pierre
Troupeau serré dans la draille

Vois ce lieu vêtu de vent
Ce feu d’herbes qu’il attise
Ce chaos de roche grise
Semé sur l’espace lent

Ce paysage réel
Est comme un songe sans faille

A ce songe qui abolit les frontières et élargit le monde aux dimensions du rêve, le poète donne voix et regard. Rocquet semble alors s’inscrire, mais sans qu’aucune emphase n’enfle sa poésie, dans la lignée des poètes portés par une vision cosmique, comme Victor Hugo, Saint Pol Roux ou Charles Duits, et une volonté de révélation à travers la contemplation.

Pour la nuit

Maître absent, père inintelligible
Que suis-je venu faire en ce monde ?
- Donner des yeux à la nuit profonde
Et rendre les étoiles visibles

Dans ses courts poèmes, d’une forme variée accueillant parfois la rime mais le plus souvent en vers libres, le poète célèbre la puissance d’un élan vital, où la mort joue sa part, qui transcende les siècles et dépose dans le temps présent les reliques d’un passé qui ne disparaît pas et reste vivant, puisque tout est lié. Dans ses lentes métamorphoses au fil du temps, le paysage est mouvant, presque vivant dans son équilibre instable à la bascule de l’instant qui nous confronte à la fragilité et à la mortalité de tout ce qui vit.

Grande roche

A ma fenêtre je vois
Dans l’air très bleu du Vaucluse
Un paysage chinois
Un roc énorme se creuse
Pour abriter le refuge
D’oiseaux las de leur voyage
Un roc énorme se creuse
Et l’on dirait une vague
Elevée par le déluge
Et fossilisée

***
Chemin faisant

N’oubliez pas l’insecte qui songe
Au bord de l’écorce et de l’eau
N’oubliez pas la carpe qui respire
Et plonge à l’ombre du roseau

N’oubliez pas le minuscule empire
De votre vie au milieu de ce monde

N’oubliez pas

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