Fragments du silence de Gérard Blua

Fragments du silence de Gérard Blua

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 25 mars 2018 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 8 étoiles
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Un poème métaphysique qui interroge, à l'échelle du cosmos, l'évolution du vivant et la place de l'humanité

Ce recueil de Gérard Blua, écrivain et éditeur, est composé d’un poème en trois sections (intitulées Quand / Comment / Pourquoi) et de deux entretiens avec Rodica Draghincescu (une poétesse roumaine) et Abdelmadjid Kaouah (un poète algérien).

Les entretiens sont intéressants sur le fond (mais un peu désagréables sur la forme - j'y reviendrai plus loin) et illustrent bien la démarche engagée de Gérard Blua pour la défense de la poésie et de la langue française, qu’il aime et dont il chercher à protéger la beauté et la richesse contre les projets de réformes qui, sous prétexte de simplification, risquent de l’appauvrir et la dessécher. Il est important de noter que Gérard Blua, au contraire par exemple de Jean Dutourd qui a aussi beaucoup œuvré pour la langue française, ne manifeste aucune grandiloquence patriotique. Au contraire, il ne cesse d’affirmer l’individualité du poète, sans jamais s'arc-bouter sur un legs historique dont il faudrait préserver la pureté ou évoquer un quelconque génie particulier de la langue française, et rend un hommage appuyé à toutes les langues qui subliment les différences culturelles et composent la mosaïque humaine menacée d’uniformisation mortifère par la mondialisation. Cette notion de mosaïque est essentielle pour Gérard Blua qui a toujours refusé, en tant qu’auteur ou éditeur, de se laisser enfermer dans un mouvement artistique et/ou un courant politique. Blua se montre, à travers les entretiens, un poète indéniablement engagé et un homme courageux car, en tant qu’éditeur, son soutien aux poètes et à leur liberté de parole, dans un contexte parfois oppressant comme en Algérie, va bien au-delà des mots. Cette liberté de parole, il la revendique également pour lui-même dans ses propres écrits et sa volonté de décloisonner les genres littéraires, qu'il a tous pratiqués : roman, nouvelles, théâtre, poésie.

D’où provient alors la gêne que j’ai ressentie à la lecture de ces deux entretiens ? Ils sont trop retouchés, que ce soit dans les questions ou les réponses « boursouflées » par des formulations vainement prétentieuses. Ils n’ont pas la spontanéité ni la franche simplicité d’un entretien. Les grands poètes sont, en général, humbles et modestes dans leur rapport au langage et au monde. Or ces entretiens donnent le sentiment, pour tous les protagonistes, d’être un exercice de mise en valeur. Quel besoin – si ce n’est la vanité d’une parcelle de gloire (pour parler comme le général Bigeard !) - d’asséner, à de si multiples reprises, que Gérard Blua est présent dans des anthologies et des recueils où figurent des poètes connus ? Quel besoin – si ce n’est la prétention de chercher à héroïser sa vie – de présenter, comme une première manifestation de volonté de résistance à la mort, d’avoir survécu à l’âge de 18 mois à une vaccination qui avait provoqué une violente réaction ?

C’est dommage car le poème de Gérard Blua se lit avec plaisir et intérêt. Très différent, dans son intention, du recueil « Amniotiques » que j’ai déjà présenté sur le site, ce poème a des résonances métaphysiques assumées et interroge le destin de l’humanité depuis sa naissance jusqu’à son devenir incertain. D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? A ces questions fondamentales qui l’agitent depuis toujours, l’humanité peine à répondre et s’invente des certitudes illusoires pour combler les lacunes de son maigre savoir. Mais toutes butent sur la finitude mortelle de notre être biologique…

Connaître n’est-il pas persévérance
Cette muraille élevée
A toutes petites briques
Vers un firmament fantasmé ?
Savoir demeure le socle
L’évasion des promiscuités
Où grouillent génuflexions
Et reptations inutiles.

N’être que le sel de la masse
Remplit sans fin les vides cellulaires
Apprendre sans cesse l’ailleurs
Peuple l’âme de questions rédemptrices.

Chaque individu semble être jeté au hasard, tentant péniblement d’exister pendant le clin d’œil que dure sa vie qui n’est rien à l’échelle des galaxies. La vie, ici sur Terre, fourmille intensément et se transforme frénétiquement mais tout n’est que palpitations à l’échelle du cosmos. Y-a-t-il un sens à tout ça ? Les questions restent sans réponse, même si l’esprit a l’intuition d’un infini dans les profondeurs du ciel.

Ils vont et viennent
Bousculade insensée
Du vivant
En ses jungles impassibles
Dans l’épaisse mangrove
Des galaxies
Des reflets extatiques hurlent leur mouvement :

L’infini
Qui enroule le voile
De Nessius
Sur notre inanité

***

Roulements sinistres
De l’inaccessible
Sur la tendre portée
Des musiques intimes.
Le chant du monde
N’est qu’un cri de fourmi
Dans les spirales blêmes
Des équations relatives.

Pourquoi un grain de sable
Fût-il bleu
Porterait-il vérité
D’une immensité à découvrir ?

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