Le livre des quatre éléments de Armel Guerne

Le livre des quatre éléments de Armel Guerne

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 16 juillet 2017 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 9 étoiles
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Une poésie exigeante et âpre, aux accents mystiques

Armel Guerne, écrivain solitaire et taciturne qui choisit de s’extraire des foules « encagées » dans les villes et de s’exiler loin de Paris dont il exécrait les coteries littéraires, est avant tout connu pour ses nombreuses traductions mais lui-même, qui mettait la poésie au-dessus de tout, se considérait d’abord comme un poète, vivant ailleurs, en poésie, dans un vieux moulin de campagne du Lot-et- Garonne. Son œuvre, même si elle est aujourd’hui un peu oubliée, fut abondante et reconnue (il fut notamment l’ami de Bernanos et de Cioran).

Dans ce mince recueil, que je crois assez représentatif de son écriture poétique, Armel Guerne se montre impétueux et véhément. Sa poésie, à mi-chemin du vers libre et de la prose, ne recherche pas une musicalité harmonieuse mais, de manière parfois un peu cahotante et brusquée, s'évertue à retrouver la puissance d’impact du Verbe par la mise en scène d’un Homme qui s’est affranchi des limites de sa condition d’homme. Le recueil s’ouvre par l’évocation d’une marche de nuit dans la sierra, où le poète, montant un cheval qui soudain frissonne comme lui face à l’immensité terrible du ciel constellé d’étoiles, éprouve le sentiment d’une solitude absolue attendant d’être revivifiée par le Verbe :

Il manquait un cri dans l’espace pour que la vie perçât de nouveau ces solitudes, un long cri un peu chanté, qui serait comme son propre écho, lointain, la crainte modulée de cette peur qui affirme encore : je suis là. Il manquait un chant d’homme dans l’espace, un appel, qu’on attendait immensément à chaque minute et dont on percevait immensément l’absence.
Moi, hélas ! je n’avais plus le courage de chanter, fût-ce même pour me rassurer avec ma propre voix : je n’osais pas la jeter en avant, ignorant tout à coup ce qu’elle pourrait atteindre en s’en allant ainsi, au loin, dans les solitudes.
Sous le ciel, il ne manquait qu’un cri. Et c’est ainsi que j’apprenais que la véritable détresse est ce qui n’a pas de voix pour se plaindre…

Une certaine religiosité teintée de mystique chrétienne affleure à plusieurs endroits du recueil, qui fait un peu écho à la volonté des romantiques allemands, dont Armel Guerne était un spécialiste, de transformer le monde par le pouvoir démiurgique de la poésie. On peut aussi ressentir l’influence de Nietzsche, par l’affirmation d’une volonté d’émancipation et d’élévation au-dessus de la masse des hommes, au risque de la folie. En effet, le récit s’apparente parfois à une biographie ramenée à sa quintessence (il évoque l’enfance, l’apprentissage de la solitude et de l’absence, la rencontre des femmes, l’incompréhension de ses contemporains, une soif inassouvie de voyages et d’explorations) mais transcendée par un ton prophétique, qui annonce l’avènement d’une Voix inaudible comme un silence. Invoquant les poètes maudits (comment ne pas songer à Rimbaud quand il célèbre les « homme-voyelle » avec des accents à la fois christiques et péremptoires dont l'impétuosité rappelle le ton des Illuminations), comme s’ils étaient (Homme et non homme) les intercesseurs parmi nous d’un ordre supérieur, il proclame :

Quand le monde sera réduit en cendres, l’âme nette portée par le feu, quand l’ombre décidément noircie aura repris dans son ombre toutes les ombres, et quand le jour sera levé, debout dans un temps de miracles, partout où il faudra, portant l’eau dans ses eaux,

alors,

cette voix depuis toujours retenue, retentira, parce qu’il n’y aura plus personne pour l’entendre

Or cette voix est déjà présente, en ce monde. Seulement, de même que nous ne savons pas être heureux (polluant par l’analyse ou le dogme le bonheur d’être au monde parmi les éléments), nous ne savons pas l’entendre. Le recueil s’achève ainsi :

Précieux, il était plus précieux que tout au monde, aigu comme un cri de peur, et si petit au cœur de son scintillement de fortune qu’on craignait de l’égarer au milieu des autres ou de le briser, car il était fragile. C’était un certain silence, venu on ne sait pourquoi, et qui sentait la myrrhe et l’encens.

S’il hésite ? Hélas, nous hésitions plus encore, nous, avec notre sale ancestrale prudence. Ce que nous sommes ? Mais lui, qui est-il ?

… Maintenant il est tout près du centre, au cœur du secret du silence que font les silences, tout près de l’âme de chacun. Il apparaît encore, par moments, on peut le voir :

une toute petite tache bleue, éclatante et discrète.

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