Des larmes et des saints de Emil Cioran

Des larmes et des saints de Emil Cioran
(Lacrimi si Sfinti)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie , Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Septularisen, le 26 mars 2017 (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans)
La note : 8 étoiles
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«L’EFFET CIORAN»

Longtemps ignoré de ses pairs et du grand public Emil Michel CIORAN (1911-1995), est aujourd’hui revenu à la mode et son œuvre redécouverte.

« Des larmes et des saints » est paru initialement en 1937, en roumain sous le titre «Lacrimi si Sfinti », CIORAN avait alors 26 ans et s’apprêtait à partir pour Paris, pour – bien qu’il ne le savait sans doute pas encore -, le reste de sa vie. Ce n’est que son quatrième livre, mais il contient déjà cette sensation étrange d’euphorie, - que tous ses vrais lecteurs connaissent bien -, de se tenir au bord d’un gouffre et de ne pas savoir où aller… «L’effet CIORAN» !

Comme souvent avec ce philosophe, pas de pages touffues et d’envolées illisibles, pas de pensée théorique à rallonge. Non, avec lui philosopher, c’est « philosopher poétiquement », des petites phrases, des réflexions, des aphorismes, comme des conseils donnés à des amis… Le travail de réflexion est lui laissé à la libre charge du lecteur. Soit rien ou bien soit se laisser envahir par le scepticisme, le paradoxe de la négation, le dénigrement, l’angoisse, le sentiment du néant, l’irréparable, l’inquiétude, l’irrémédiable, l’ironie, le pessimisme, les effusions, les retournements, les imprécations, le sarcasme, la lucidité féroce, la futilité de l’existence…

Dans ce livre on retrouve le philosophe face à Dieu et à la Création. Il nous parle de sa passion pour la mystique et les mystiques, les saints et les saintes, le Jugement dernier… CIORAN était sans doute un religieux… Qui ne croyait pas en Dieu ! Mais qui avait un rapport ambigu - de passion et de haine -, avec le mysticisme. Qui avait beau s’éloigner de la religion, mais qui toujours y revenait… Lui-même était sans doute un mystique qui s’ignorait…

Florilège :

Vous êtes-vous regardé dans le miroir lorsque entre vous et la mort plus rien ne s’interpose ? Avez-vous interrogé vos yeux ? Avez-vous compris alors que vous ne pouvez pas mourir ? Les pupilles dilatées par la terreur vaincue sont plus impassibles que des pyramides. Une certitude naît alors de leur immobilité, une certitude étrange et tonique dans son mystère lapidaire : tu ne peux pas mourir. […]

Impossible d’aimer Dieu autrement qu’en le haïssant! […]Qu’importe qu’il existe ou non, aussi longtemps qu’à travers lui notre lucidité et notre folie s’équilibrent et que nous nous apaisons en l’étreignant avec une passion meurtrière ?

[…] Vous pensiez arpenter l’Absolu, craintif et méprisant, lorsque soudain surgit un nouvel obstacle ! Le Jugement ! Et alors ? Dieu voudrait-il nous faire mourir une deuxième fois ?

Le seul argument contre l’immortalité est l’ennui. De là dérivent d’ailleurs toutes nos négations.

Le plus humble des chrétiens a des moments où il s’entretient avec Dieu d’égal à égal. La religion elle-même tolère ces grands airs sans lesquels l’homme crèverait de modestie. C’est pourquoi l’athéisme flatte la liberté humaine, car en parlant de haut à Dieu, il élève l’orgueil au rang de démiurgie. Celui qui n’a jamais méprisé le principe suprême est prédestiné à l’esclavage. Nous ne sommes véritablement nous-mêmes que dans la mesure où nous humilions le Créateur.

[…] A force de regarder la vie on finit par l’oublier.

Au Jugement dernier on ne pèsera que les larmes.

Serai-je un jour assez pur pour me refléter dans les larmes des saints?

Pour le baiser coupable d’une sainte, j’accepterais la peste comme une bénédiction

L’avantage de penser à Dieu c’est de pouvoir dire n’importe quoi à son sujet. Moins on lie les idées les unes aux autres, plus on a de chance de s’approcher de la vérité. Dieu profite, en somme, des périphéries de la logique.

La chute d’Adam est le seul événement historique du paradis.

La limite de chaque douleur est une douleur plus grande.

Le christianisme tout entier n’est qu’une crise de larmes, dont il ne nous reste qu’un goût amer.

Certains se demandent encore si la vie a un sens ou non. Ce qui revient en réalité à s’interroger si elle est supportable ou pas. Là s’arrêtent les problèmes et commencent les résolutions.

Dieu a exploité tous nos complexes d’infériorité, à commencer par celui qui nous empêche de nous croire des dieux.

[…] Une femme peut nous sauver de Dieu, de même que Dieu peut nous délivrer de toutes les femmes.

La version française aujourd’hui disponible a été largement revue et corrigée par son auteur en 1987, certains aphorismes ont été définitivement effacés (certains diront reniés…), d’autres profondément remaniés par l’auteur. Il est intéressant toutefois de découvrir l’œuvre de CIORAN dans sa jeunesse, avec ce que le philosophe a gardé et ce dont il s’est délesté au fil des années…

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