Dans l'embrasure des vasistas de Laurent Girerd

Dans l'embrasure des vasistas de Laurent Girerd

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 3 novembre 2014 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 9 étoiles
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Poésie intimiste d'instants vécus hantés par le désir d'errance

Ce recueil se nourrit de moments vécus et de lieux traversés. Chaque poème est d'ailleurs suivi de la mention du lieu précis qui l'a inspiré, comme une lettre d'accompagnement aux cartes postales suggérées par l'éclat des images, souvent colorées. Je les ai visualisées aisément car je connais la plupart des lieux (Solliès, l'anse Méjean, etc.), situés près de Toulon où l'auteur a passé son enfance...
L'écriture, en première approche, semble manquer d'ambition. Elle est descriptive et ne s’interroge pas sur elle-même ou sur le lien que le langage tisse avec le monde ni ne se confronte aux réalités indicibles de l’expérience humaine. La « mort » et le « silence », qui sont les limites auxquelles se confrontent toute poésie majeure, ne sont ici quasiment jamais évoquées. Seule la fugacité du temps fait parfois résonner un écho plus grave :

Le ciel violine avant qu'il ne s'évapore
et la jeunesse avant qu'elle ne décline
qui saura les retenir ?

Pourtant, cette poésie immédiate, malgré la trivialité apparente de ses procédés et la grande clarté de son écriture en vers libres, n'est jamais banale car, au-delà de l'évocation d'un lieu, les instants cristallisés dans le poème ne sont pas ceux de la vie quotidienne : ils condensent des émotions ou des sensations de plaisir, de peur ou de fascination pour l'ailleurs. Dénué de toute emphase, le vers libre ressemble à une longue phrase découpée, ramifiée comme une algue et entrecoupée d'images et de tableaux où la Méditerranée est omniprésente. Les poèmes ressuscitent au présent (parfois à la 1ère personne parfois à la 3ème personne) ces moments, souvent d'apparence banale, qui transpercent la trame des jours et resurgissent brutalement en pleine mémoire quand les pensées divaguent...
Par exemple, il se souvient ainsi de la peur délicieuse de l'enfant qui, au sommet d'un rocher surplombant la mer, se met au défi de plonger :

Parmi les racines apparentes
il brave le vertige
attaché par une peur qui l'interroge

Une échelle de plomb
lui offre de redescendre à la dérobée
ainsi qu'un pauvre diable

Dans l'extrême attente
il se détache comme l'emblema d'une mosaïque murale

Il joint ses mains à ses pieds

Dans son corps en boucle au-dessus du vide
se recoupent la vie et la mort

Tout est apte, par la résurrection du souvenir qui conserve la sensation pure détachée de la gangue du quotidien, à devenir poème. Les matchs de football « quatre contre quatre et goals volants », et même une scène de masturbation derrière un buisson, sur une colline face à la mer... Mais c'est le voyage, immobile ou réel, qui constitue le thème récurrent du recueil qui semble se dérouler chronologiquement comme les souvenirs au présent d'une vie qui défile de l'enfance à l'adolescence, hantée des rêves de départ et d'errance. Ainsi, au lycée Dumont-Durville :

Raidi
Acculé au tableau d'exécution
l'élève refuse de réciter la leçon
la leçon des îles-soeurs et du brise-lames et la cantilène du naufragé
qu'il aurait cent fois sur le promontoire déclamée
à la mer poissonneuse

(...)

Sur l'estrade
scandaleusement mutique
l'élève se voit soudain fendre en deux le ciel
à coup de hache

Ô mes vingt ans
nous en aller conquérir les rivages barbares

Le dernier tiers du recueil s'ouvre alors à d'autres lieux, bien au-delà des environs de l'enfance toulonnaise (Paris, la Grèce, le désert africain, Amsterdam, l'Italie, Istanbul, etc,). Le voyage, souvent par la mer au milieu d'un monde élémentaire peuplés de présences amies (le vent, le soleil, les vagues...), mène à des rencontres de hasard, muettes, où le poète semble chercher à traverser les apparences et à vivre, et à faire vivre par les mots, l'expérience de la vie d'autrui et le monologue intérieur de ses pensées. Ainsi, à Amsterdam (qui est dans le recueil la seule ville, avec Paris, hors de Méditerranée), est évoquée la présence d'Anne Franck :

Voyager dans le papier peint
cartographié de la chambre au salon

Par où passer la tête et entendre
le bruit qui court dans la ville ?

Combien d'heures d'apnée
avant de ressortir libre de l'autre côté de la vitre ?

A d'autres moments, le poète se fait simple témoin évoquant la magie d'un instant vécu dans sa plénitude sensorielle. Ainsi, dans le désert du Grand Erg oriental, il décrit le berger festoyant d'une orange :

L'orange rouge embaume
ses mains noires
il la rompt comme un pain blanc

(…)

Si légère sa gourde
il verse en sa paume droite
matière à faire barboter une alouette

Fermant les yeux
il se grise du bruit mat
des peaux mouillées qui se frictionnent

Au retour de son périple faits de microdyssées et d'immersion dans les "petites vies" croisées au long des voyages, tout est changé car« tout est partance même un retour ». Le navire n'accoste plus à Toulon mais à Port-Toulon, qui est Toulon transfiguré par son passé soudain devenu visible et accessible par la confusion des images...

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