Sonnets de Prague de Jaroslav Seifert

Sonnets de Prague de Jaroslav Seifert

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Septularisen, le 5 mai 2013 (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans)
La note : 8 étoiles
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PRAGUE COMME UNE GORGÉE DE VIN!...

Quand en 1984 le Prix Nobel de Littérature fut décerné au poète de la République Tchèque (à l’époque la Tchécoslovaquie), Jaroslav SEIFERT (1901-1986), rien ou presque n’était traduit de son œuvre en Français.

S’engouffrant dans cette brèche les éditeurs publièrent très vite des petites plaquettes pour profiter de «l’effet Nobel». «Sonnets de Prague» en est une. Présenté comme un manuscrit «dissident» parvenu clandestinement en Occident et écrit après 1968, pour protester contre l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’URSS, ces sonnets étaient parus dans les années 50, et s’ils expriment çà et là des craintes quant au sort de la ville de Prague, ce sont des souvenirs douloureux de l’occupation nazie…

La poésie de SEIFERT est d’un lyrisme intimiste comme un «chant interne» très profond et n’appartenant qu’à lui… C’est une sorte de longue méditation, avec des images amples, libres… Son langage est simple, compréhensibles par tous, comme la langue parlée. On y retrouve la nature, la beauté du monde, les jeunes filles, la mélancolie, les souvenirs de jeunesse, les choses de la vie, du quotidien, du temps qui passe, de la vieillesse qui arrive bien trop vite et sans qu’on s’en aperçoive…

Amoureux fou de «sa» ville de Prague, qu’il considère comme sa mère, sa femme et sa maîtresse, amoureux de ses rues, de sa vieille ville, de ses ponts pour «l’agrafer», de ses estaminets, de ses belles jeunes filles, de ses pâtisseries, de son château…
À cette ville tant aimée, il consacre donc ces «Sonnets de Prague», dans la forme dite de la «couronne des sonnets», qui consiste à reprendre au début du sonnet suivant le dernier vers du sonnet précédent, donnant ainsi une sorte de «chant» qui se nourrit de lui-même, le tout pour nous restituer de la façon la plus magnifique «sa» ville, la ville qu’il a tant aimé…

Je n’ai pas grand-chose à dire de plus sur la lumineuse poésie de Jaroslav SEIFERT, comme toujours je préfère laisser parler le poète avec une extrait de ses «Sonnets de Prague»:

I

Prague, cette saveur comme une gorgée de vin
cent fois je m’en vais la reprendre
ce nom pris dans le souffle
plus doux que l’haleine de la bien-aimée

même si la sirène à travers la demeure
jette bas le casque et quitte le combat
calme ne s’est pas encore tue
la voix de sirène de la conscience

si je la voyais comme un vase
dont ne demeurent que poussière et fragments
si je devais survivre à sa ruine

sa poussière serait douce à ma salive
elle est comme un sceau sur un document
même si elle devait tomber en ruine

II

 Même si elle devait tomber en ruine
et si l’eau et les vents se partageraient
les cendres qui restent de sa beauté
et cela même qui survit à la peur

elle continuerait de vivre comme un message
et un chant qui sonne dans mon oreille
comme une image sur l’air qui tremble
et qui s’élève au-dessus de nous

si la mort commençait son compte
comme à portée de main de la fin
jusqu’à cent jusqu’à cinquante

je ne m’éloignerais pas des palissades
même si je titubais de faim
et si je devais perdre mon propre seuil

XIV

Pour vous pourtant je désirais le chant
lorsque dernièrement le vent
va à son gré et sans souffleur
sans lumière dans la nuit noire
 
et ce nom sur les lèvres j'irai vers elle
dans les flammes comme un enfant
je l'ai aimée comme une femme
je vais dans sa robe se blottir
 
en elle, capricieuse, dans ses aisselles
où la lune résonne comme une mandoline
en elle qui veille sur ses gardes
 
et qui tient sa main sur l'horloge
qui va et va et jamais ne cesse
Prague, cette saveur comme une gorgée de vin
 
XV

Prague, cette saveur comme une gorgée de vin
même si elle devait tomber en ruines
et si je devais perdre mon propre seuil
et si suffoque de sang son argile
 
je ne serai de ceux qui abandonnent
avec les morts j'attendrai ici
depuis le printemps jusqu'à tard en hiver
comme celui qui attend sur le parvis
 
si à nouveau la mort appelle les effraies
si Dieu tu tournes contre nous ton courroux
ta larme sur le cil de tes paupières
 
rompt la malédiction au-dessus des toits
tout cela qui pèse sur mon cœur :
pour vous pourtant j'ai désiré le chant

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