Ceux qui n'en mènent pas large ; Au fond de la cour à droite de Jean-Pierre Martinet

Ceux qui n'en mènent pas large ; Au fond de la cour à droite de Jean-Pierre Martinet

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Stavroguine, le 1 septembre 2011 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 5 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 4 étoiles (50 639ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 3 658 

La loose

Pour faire vite, on pourrait écrire que Ceux qui n’en mènent pas large est un Jérôme raté.

Le livre ne commence pourtant pas trop mal : « Maman regardait le ciel mais, de là-haut, personne ne le regardait, lui, Maman, il le sentait bien. » Une phrase qui suffit à immédiatement plonger le lecteur dans l’univers de Martinet : noir, triste, mais surtout caractérisé par une totale absence d’espoir. Cet univers est souvent décrit par les commentateurs comme l’un des plus pessimistes de la littérature française contemporaine ; on ne peut qu’agréer. Les rues sont sordides, il fait nuit, les personnages sont des ratés-ruinés, ils sont gros et laids, ont des noms ridicules, sont stupides ou mesquins, parfois les deux, et surtout, n’entrevoient aucune possibilité d’amélioration : même le ciel est vide. Les personnages de Martinet suivent la même trajectoire que celle de leur auteur selon la notice nécrologique qu’il avait lui-même écrite : « Parti de rien, Martinet a accompli une trajectoire exemplaire : il n’est arrivé nulle part. »

A partir de cela, Martinet avait su faire de Jérôme un chef-d’œuvre. Dans Ceux qui n’en mènent pas large, qui suit immédiatement Jérôme dans l’œuvre de Martinet, bien qu’il ait été écrit quelques huit années plus tard, on sent bien que l’auteur tente d’appliquer la même recette, mais ça ne prend pas : Georges Maman, acteur raté réussissant l’improbable exploit d’être sur le déclin sans avoir jamais connu d’apogée, et Dagonard, assistant de réalisation à la télé grande gueule et benêt, n’ont tout simplement pas les épaules d’un Jérôme Bauche. La différence principale réside dans le fait que, là où Jérôme Bauche jouait au niais tout en laissant transparaître une grande intelligence et permettait ainsi à Martinet de jouer sur cette ambivalence, Maman et Dagonard ne sont que deux médiocres loosers dépourvus de tout ce qui nous rendait Jérôme Bauche à la fois magnifique, attachant, et profondément malsain.

Ceux qui n’en mènent pas large est donc un roman de la loose, et pas grand-chose de plus. Bien sûr, en huit ans, Martinet n’a pas perdu son écriture : elle est toujours au cordeau et certaines phrases, certaines images, continuent de frapper et à rester gravées comme des cicatrices bien après la lecture. Le tout, cependant, manque d’ambition, de fulgurance, et on s’ennuie un peu avec cette étrange impression de relire Jérôme lors des quelques bons moments, trop rares et de plus en plus clairsemés au fur et à mesure que l’on progresse jusqu’à une fin ratée. Le reste du temps, l’humour est gras et aussi lourd que Dagonard. Surtout, toutes ces choses nauséabondes que Martinet avait su magnifier dans Jérôme ne sont plus qu’un amoncellement de mauvais goût (l’histoire des boîtes de Canigou en est l’exemple le plus flagrant). S’il a su conserver son écriture et son ton acerbe, en huit ans, Jean-Pierre Martinet a perdu sa magie, et ce livre est une déception.

A noter : l’édition inclut un court texte, Au fond de la cour à droite, qui rend un bel hommage à Henri Calet... et donne envie de le lire.

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"Maman trouvait toutes les conversations assommantes."

7 étoiles

Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 54 ans) - 2 septembre 2011

Rien à voir en effet entre l’époustouflant, le déroutant et très dense « Jérôme » et cette longue nouvelle d’une centaine de pages qui relève plus du « petit texte », celui qu’on lit un peu négligemment sans ressentir de bouleversement extrême (mais néanmoins avec plaisir), que du chef-d’œuvre.
Parce que, forcément, quand on sort du premier pour se plonger dans le deuxième, on ne peut s’empêcher de faire la comparaison, et c’est peut-être là l’erreur à ne pas commettre, une attente démesurée engendrant forcément la déception.

Alors si on attend/espère un autre « Jérôme », une suite de « Jérôme » ou un résumé de « Jérôme », on se retrouvera fatalement et rapidement face au désenchantement le plus radical.
Mais si on considère cette nouvelle comme un petit intermède de lecture qui révèle (ou fait replonger dans) l’univers de Jean-Pierre Martinet., alors ce petit moment de lecture sera finalement plutôt plaisant.
Parce qu’on la retrouve, cette plume si singulière, alerte, acerbe, à la petite phrase cinglante et juste.
On le retrouve bien, le côté très sombre, pessimiste, de l’auteur (qui axe cette fois-ci plus son texte sur l’ironie et l’humour noir que sur le sordide et le dérangeant), ainsi que les thèmes qui lui sont chers : l’inanité de l’existence, l’impossibilité de vivre une belle histoire d’amour très longtemps, l’hypocrisie, les faux-semblants qui sont au cœur de toutes les relations, la difficulté à trouver un sens à sa vie et surtout une place quelque part…

« Presque heureux, aurait-il pu dire, si ce mot avait signifié quelque chose pour lui. Rien de tel que ces petits plaisirs négatifs, où l’on passe juste de la souffrance à l’absence de souffrance, pour vous redonner un bref instant le goût de vivre. Pas la joie, mais le goût. »

C’est insuffisamment travaillé, franchement léger, parfois lourd, souvent maladroit et la fin est bâclée.
Plutôt moyen, donc, dans l’ensemble, mais le talent indéniable sous-jacent, même s’il n’est pas sublimé ici, rachète les lacunes et n’altère pas les réussites de ce livre, parmi lesquelles une bonne dose d’ironie.

« Une limace écrasée, toute baveuse, voilà ce qu’il lui avait servi, ce loufiat. Delon, on n’aurait jamais osé lui servir une bière aussi moche. »





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  Précision 6 Stavroguine 4 septembre 2011 @ 12:32

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