Les trois grosses dames d'Antibes : Et vingt-neuf autres nouvelles de William Somerset Maugham

Les trois grosses dames d'Antibes : Et vingt-neuf autres nouvelles de William Somerset Maugham
(The complete short stories)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Littérature => Nouvelles

Critiqué par Jlc, le 11 juillet 2011 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 8 étoiles
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Bouquet d'artifices

Peut-on encore lire aujourd’hui Somerset Maugham ? Aria répondrait beaucoup mieux que moi à cette question, elle qui m’a fait retrouver au fin fond de ma bibliothèque ce livre oublié. En le refermant, la réponse est évidemment oui. Maugham qui fut bègue à 10 ans est un conteur né et ces nouvelles procurent un immense plaisir de lecture. D’autant plus que l’auteur a composé ce recueil comme on compose un bouquet avec une partie sur les îles ou les colonies, une autre sur quelques pays européens, la France ou l’Espagne, une autre encore qui rassemble des récits tragiques quand d’autres sont hautement comiques, les nouvelles longues suivies de plus courtes. Maugham veille au confort de ses lectrices et lecteurs et crée ainsi un effet de loupe qui fait mieux ressortir encore ce qu’il veut nous dire.

L’auteur est présent dans chaque histoire, jamais comme acteur, toujours comme témoin. Curieux et excellent auditeur, il écoute attentivement ce qu’on lui raconte et il en fait une nouvelle. Ce rôle de témoin qu’il affectionne crédibilise son récit tout en prenant avec celui-ci une certaine distance. Et comme tous les grands écrivains il est un adepte du « mentir vrai » qu’il définit ainsi : « Une histoire vraie ne l’est jamais tout à fait au même point qu’une histoire inventée ». Son regard est parfois teinté « d’une lueur d’ironie » mais à l’inverse d’un de ses personnages jamais « empreint de cynisme » (Avant la réception). C’est un mémorialiste, pas un moraliste.

Maugham a appris l’art de la nouvelle. Il sait structurer son récit avec un début où la fluidité de son style lui permet de situer tout de suite le milieu, le lieu et le temps, puis le corps de son histoire où il choisit ses ingrédients pour attiser notre curiosité, avant une chute souvent inattendue. Un régal. Parfois le décor ou des conditions météorologiques sont parties intégrantes de la nouvelle (Pluie, qui ouvre le recueil, en est un bon exemple).

Maugham a longtemps eu la réputation d’être un mondain qui sait écrire. Mais il est aussi « l’ennemi des conventions, des hypocrisies et des injustices » ainsi que le rappelle Robert Merle dans une belle préface. Son œil vif et critique, son intérêt pour le monde, sa liberté de vie à une époque où dissimuler était la règle en font un homme d’avant garde. Ces nouvelles, qui ont été écrites dans les années 1910 à 1930 à l’époque où l’Angleterre se glorifiait de sa politique coloniale, montrent l’envers du décor en racontant l’histoire de coloniaux qui sombrent dans la paresse, l’ennui, l’alcool ou la luxure quand ce n’est pas le suicide. Et tout ceci sous le regard languide des « indigènes » dont le silence cache mal la réprobation. On peut imaginer que ces récits ont du être perçus comme des brûlots par ceux qui savaient lire entre les lignes.

Bien sûr ce recueil est inégal. Maugham est brillant, drôle (Le déjeuner, Apparence et réalité, Les trois grosses dames d’Antibes qui est d’une cruauté réjouissante) ; il sait être tragique (Pluie, Mackintosh, Avant la réception où il peint en une ligne le portrait d’une grande bourgeoise : « Je ne veux pas donner moins que les autres mais d’autre part, il n’y a aucune raison de donner plus qu’il ne faut. »). En revanche certains passages ont vieilli, des mots ont disparu de notre langage (on ne parle plus de gigolo bien que l’usage en demeure paraît-il ; il n’y a plus de ploutocrates mais la corruption prospère dit-on) ; son Espagne est un peu de pacotille (la corrida chez Maugham n’a rien à voir avec celle d’Hemingway, le premier décrivant ceux qu’on appelle aujourd’hui les « people », c’est à dire la futilité quand l’autre ne regarde que le taureau et le matador, c’est à dire la mort) ; ses réflexions sur l’honneur hispanique sont des clichés . Il use aussi de stéréotypes comme « les Chinois industrieux » ou « les Japonais rusés ». Enfin ses remarques sur les femmes ne sont pas toujours du meilleur goût, même si c’est pour faire un bon mot.

Mais ces remarques ne sont que peccadilles, tant ce recueil, s’il est le reflet d’un monde disparu dans ses apparences, demeure d’une parfaite acuité dans sa description des passions des hommes.

Un bouquet d’artifices éblouissant de vérité.




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Les éditions

  • Les trois grosses dames d'Antibes [Texte imprimé], et vingt-neuf autres nouvelles Somerset Maugham traduit de l'anglais par Joseph Dobrinsky et Jacky Martin introduction de Joseph Dobrinsky
    de Maugham, William Somerset Dobrinsky, Joseph (Traducteur) Martin, Jacky (Traducteur)
    R. Laffont / Bibliothèque Pavillons
    ISBN : 9782221114780 ; 2,98 € ; 14/01/2010 ; 693 p. ; Poche
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