Isohélies de Jean-David Lemarié

Isohélies de Jean-David Lemarié

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Yannick Torlini, le 24 octobre 2010 (Inscrit le 24 octobre 2010, 35 ans)
La note : 10 étoiles
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La Voix incarnée

Isohélies, c'est le premier recueil de poèmes d'un jeune auteur : Jean-David Lemarié. Et prometteur, le recueil ! (mais ça, vous aurez l'occasion de le constater par la suite, sur Tapages et ailleurs...)
Isohélies, c'est avant tout une technique d'infographie faisant écho au travail du poète. Va pour la métaphore visuelle. Mais il y a plus que ça : lors de la lecture, j'ai pu constater que le recueil de Jean-David Lemarié opère, au fil des pages, un retour à l'oralité originelle de la parole, que ce soit par des hommages à la chanson, des jeux de mots (même si le terme est réducteur), ou bien par des tentatives de matérialisation du son grâce à la typographie (comme dans "Ricochets sonores"). Il y a une volonté d'incarnation de la voix qui parcourt tout le livre et – dans une époque où les livres justement se meurent dans la poussière et les rayons silencieux des bibliothèques – le geste est plus que jamais le bienvenu :


"Il tâtonne, il se tend, il se gonfle, il s'épand, poète, il s'éprend, de son monde intérieur, ailleurs, dans les méandres de son âme, constellée d'étoiles confites, il profite du rien pour créer amateur : il s'adonne, il se donne, amant, narcisse, il se ploie et se tend, la bâtisse se plisse, les rides se déploient et l'Univers s'étend." (p. 7)


Jean-David Lemarié nous sort de la simple page, pour nous offrir une matérialité engendrée par le corps et sa voix. Le son devient le moteur de l'écriture, sans pour autant laisser de côté la profondeur du poème. La voix, ses tâtonnements, ses bégaiement apparents, donnent lieu à un rythme assuré, martelé, presque physiologique, reflet du corps de l'auteur : il y a profération. C'est le réel qui est en jeu, et notamment la saisie du monde par le mot, comme dans "L'Abécédaire Subréaliste" (p. 17), qui tente de faire coller la lettre aux choses, et de créer ainsi une langue qui serait également un poème-monde.
Mais, malgré cet aspect expérimental, les poèmes atteignent tout de même une forme de lyrisme fragmenté et fragmentaire. Lyrisme lucide, dirons-nous (comme dans "Espérance"), où la matière autobiographique n'est jamais absente, et parfois sujette à l'humour :


"Je me suis tour à tour
Appelé Innocence
Passé l'adolescence
Où je cherchais l'amour
J'étais Célibataire
L'âge venant je fus
Nommé Lemarié
Puis le Vieux Grabataire
Ou El Desdidacho
Et c'est au cimetière
Où maintenant je crèche
Qu'on m'élut Vieux Débris
Bonne Brèche, ou Tas d'Os
Amoureux Econduit
Et rien qu'un peu de terre
Ô girouette des noms !" (p. 21)


Le recueil de Jean-David Lemarié, jusque dans une expérimentation poétique poussée, reste totalement et profondément humain, à la dimension de son auteur. Et même si le texte offre ça et là quelques belles envolées ("J'entends le son du temps qui disjoint les espaces" p. 7), le corps n'est jamais oublié : les pieds restent toujours ici, sur terre, dans la matérialité, lieu d'exploration du poète.
C'est que nous sommes tous faits de chair et de son.

Yannick Torlini

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