La démocratie malade du mensonge de Alain Etchegoyen

La démocratie malade du mensonge de Alain Etchegoyen

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Falgo, le 28 juin 2010 (Lentilly, Inscrit le 30 mai 2008, 84 ans)
La note : 10 étoiles
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Un maître livre d'intelligence et de lucidité politiques

Décédé en 2007 à l'âge de 56 ans, Alain Etchegoyen serait-il déjà oublié? Normalien, agrégé de philosophie, disciple de Michel Serres, ce professeur s'est comporté dans la vie avec une grande originalité. En poste au lycée Louis-le-Grand (Paris), il obtint au forceps la possibilité d'enseigner au lycée professionnel Galilée (Gennevilliers). Ce n'est déjà pas si mal, mais ce n'est pas tout.
Chargé de mission au C.N.R.S., il fut en outre membre de plusieurs cabinets ministériels (Laurent Fabius, Claude Allègre, Marylise Lebranchu), ami de Jean-Jacques Goldmann (et coauteur avec lui d'un livre), conseiller de plusieurs grandes entreprises et administrateur d'Arcelor, et avant-dernier Commissaire au Plan (nommé par Jean-Pierre Raffarin).
Sa formation philosophique lui a permis de jeter un regard acéré sur les pratiques économiques, sociales et politiques auxquelles il a été confronté. De ces expériences multiples, il a tiré des leçons fortes formulées par un esprit libre, exigeant, honnête et lucide.
Au cours de déménagements j'avais perdu ce livre que je viens de redécouvrir grâce à un achat d'occasion. Quoique écrit en 1993, cet essai nous parle encore aujourd'hui d'une manière irrésistiblement actuelle. j'en recommande particulièrement la lecture à ceux qui, comme moi, considèrent depuis une trentaine d'années avec un effarement croissant le monde politico-médiatique. On y trouve une analyse profonde et originale qui débouche sur des recommandations pratiques maintenant encore - hélas - pleines de sens.

le prologue est une brillante analyse du chef d'oeuvre de John Ford "L'homme qui tua Liberty Valance", pris comme un exemple typique de fonctionnement démocratique. Etchegoyen en tire plusieurs conclusions, la principale étant que le mensonge est paradoxalement inséparable de la démocratie. S'il est consubstantiel aux régimes autoritaires et totalitaires, il est présent cependant dans toutes les démocraties. "La démocratie est plus une exigence qu'une réalité" affirme l'auteur qui poursuit en disant "qu"elle est avant tout l'expérience d'un manque" dans lequel s'insèrent les mensonges grands ou petits des responsables politiques. Repérer les mensonges et leurs causes est une tâche essentielle pour que la démocratie conserve un sens.
La thèse de l'auteur est que le mensonge est inévitable, sinon nécessaire au fonctionnement démocratique, mais qu'il importe de le contenir à l'intérieur de certaines limites, qu'il estime par expérience et par réflexion largement dépassées.
Le mensonge n'est d'ailleurs pas là où on l'attend le plus. De l'analyse de l'affaire du sang contaminé, Etchegoyen tire la conclusion que le mensonge des responsables est de ne pas comprendre et dire comment et en quoi le système politique français a engendré presque naturellement une telle affaire. Leur culpabilité est de ne pas agir pour réformer en profondeur un système capable d'une telle infamie, dont la répétition dans d'autres circonstances est plus que probable. Pour l'auteur, les éléments d'un tel désordre sont:
+ L'absence du pouvoir qui est incapable d'anticiper l'apparition ou l'évolution d'un problème. En fait le pouvoir ne sait pas et n'a pas le courage de s'expliquer sur cette ignorance et d'y remédier.
+ Cette incapacité a plusieurs causes: un éloignement du pouvoir des réalités masqué par des discours affirmant au contraire une proximité, l'écran constitué par des cabinets ministériels pléthoriques et plus constitués d'ambitieux serviles que de compétents honnêtes, une attention plus portée aux effets médiatiques qu'à la résolution des problèmes réels ("Tout distrait de l'essentiel"), une préoccupation des responsables plus tournée vers le court terme (à connotation électoraliste) que vers le long terme (horizon nécessaire de nombreuses décisions à prendre).

En fait le pouvoir, sa conquête et sa conservation sont de éléments absents des théories sur la démocratie. Or ils en expliquent largement le fonctionnement. Ainsi les politiques fabriquent consciemment des leurres destinés à orienter l'opinion publique pour des raisons électoralistes: élections primaires dans les partis politiques, programmes des candidats, projets de société, etc... Tous ces leurres remplissent leur objectif car les citoyens veulent toujours faire confiance aux intentions qu'ils découvrent et, déception bue, recommencent la fois d'après. "Le peuple n'exerce son pouvoir qu'en l'abandonnant" aux responsables désignés par délégation. Tout l'art de la politique devient dons celui de se faire élire, ce qui conduit à bafouer l'intérêt général, à perdre le sens de l'Etat et à privilégier l'ambition et la carrière personnelle (y compris les phénomènes de corruption).
Tout ce qui tourne autour des ambitions et recherches personnelles est masqué par ce que Etchegoyen appelle "la rhétorique nouvelle". La compétence du discours, manipulé par les spécialistes de la communication, remplace la compétence réelle et la présentation des enjeux dans de véritables débats librement présentés. La télévision et sa capacité de former des images l'emportent sur la construction de vrais débats démocratiques correctement informés. Dès lors le jeu est faussé et les politiques n'ont plus le temps nécessaire à leur information et à la réflexion.
Le fonctionnement du microcosme politique (Raymond Barre) prend le pas sur la recherche des compromis favorables à l'intérêt général. Le microcosme politique relève d'un fonctionnement opaque qui favorise le narcissisme personnel, lequel conduit à ne s'intéresser qu'au microcosme et à ignorer, sauf échéance électorale, l'intérêt général.
Bien entendu tout ceci contribue à détruire le sens de l'Etat, donc l'Etat lui-même, accusé dans l'idéologie ultra-libérale d'être la cause de nombreux maux. Or il est indispensable d'indiquer en permanence ce que sont les responsabilités de l'Etat, et leurs limites.
La volonté de sortir des impasses actuelles conduit Etchegoyen à recommander des changements profonds et décisifs des comportements et des pratiques:
- interdire le cumul des mandats électifs
- stage de chaque ministre dans sa propre administration
- limitation drastique des cabinets ministériels
- définition d'une instance judiciaire apte à évaluer la responsabilité des ministres et des élus (suppression de tous les mécanismes d'immunité)
- suppression de toute dépendance entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire
- interdiction de toute publicité politique
- publicité du patrimoine de tous les élus
- introduction du référendum d'initiative populaire
- inscription des modes de scrutin dans la constitution
- refus de participer à des émissions politiques dont on sait qu'elles annulent tout débat possible
- inciter les grands médias à innover dans le débat démocratique
- développer au Parlement des discussions de qualité
- assainir les relations avec les médias
- doter d'une réelle identité les formations politiques
- faire passer la vertu républicaine avant les amitiés personnelles
- proscrire les leurres de l'action politique
- préserver l'Etat et respecter la fonction publique
- considérer les citoyens comme des êtres raisonnables.

On peut être ou pas d'accord avec ces recommandations. On peut vouloir en ajouter d'autres, en supprimer certaines ou en modifier quelques unes. la voie est tracée, et de belle manière. C'est ainsi que doit fonctionner la démocratie.
Que ce livre ne soit plus disponible est un manque.

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