Ludmilla
avatar 10/02/2016 @ 20:02:43
La traduction de Markowicz:

"Au début du mois de juillet, par une chaleur torride, me soir venu, un jeune homme quitta le cagibi qu'il sous-louait ruelle S***, sortit sur le trottoir et, lentement, comme pris d'indécision, se dirigea vers le pont K***.

Il évita sans encombre de croiser sa logeuse dans l'escalier. Son cagibi se trouvait juste sous le toit d'un haut immeuble de quatre étages et tenait plus d'une armoire que d'un logement. Sa logeuse, à laquelle il louait ce cagibi avec la pension et le service, vivait, quant à elle, un étage plus bas, dans un appartement particulier, et, chaque fois qu'il sortait, il se trouvait dans l'obligation de passer devant la cuisine de sa logeuse, presque toujours grande ouverte sur l'escalier."

Saule

avatar 10/02/2016 @ 20:25:37
Les virgules scandent le texte à la fin, c'est pour rendre le style que j'imagine assez haché de Dostoïevski peut-être ? J'aime bien cette traduction aussi.

Myrco

avatar 11/02/2016 @ 10:02:24
Ce que je trouve curieux si l'on compare ces trois versions, c'est l'ordre.
Dans ta version Saule et dans celle de Markowicz, la mention du fait que R. ne rencontre pas sa logeuse intervient avant les précisions sur la chambre; c'est l'inverse avec Guertik.
2 contre 1, on est tenté de penser qu'à ce niveau ce sont eux qui ont raison. Si c'est bien le cas, je trouve que Guertik se permettrait bien des libertés avec le texte de l'auteur même si cela peut paraître plus pertinent comme ça.

Alina 11/02/2016 @ 13:36:37
Ah, cette chère Guertik :-). Je n'avais pas réalisé que c'était une traduction si récente (Alina dit en 2008), je pensais que c'était une vieillle traduction. Elle s'en sort bien je trouve. D. Ergaz (Folio classique), en 1950 (enfin je crois), dont je donne le début ici, me semble moins sobre. Je préfère la traduction de Guertik sur ce passage.
.

Oh nooon, je me suis trompee :/. La traduction la plus plus recente est de Markowicz (1998). L'edition recente est d'E.Guertik (2008) mais elle a traduit "Crime et Chatiment" en 1947. Voici la reference sur les edition francaises https://fr.wikipedia.org/wiki/…

Provis, merci beaucoup pour ton aide, mais je n'ai plus besoin de la traduction d'E.Guertik. Alors, il faut chercher la traduiction de Markowicz...

Saint Jean-Baptiste 11/02/2016 @ 15:13:58
Traduction de Véra Volmane aux éditions « les maîtres » à Paris 1949.

Au début de juillet, vers la fin d'une journée torride, un jeune homme sortit de la petite chambre qu'il sous-louait dans la ruelle S..., et se dirigea lentement, comme en hésitant, vers le pont de K...
Il eut la chance de passer dans l'escalier sans rencontrer sa logeuse. Sa chambre était située sous les combles d'un immeuble de cinq étages, et ressemblait plus à un placard qu'à une habitation. Quand à sa logeuse qui lui sous-louait ce réduit avec la table et le service, elle habitait un étage en-dessous et chaque fois qu'il avait à sortir, il devait obligatoirement passer devant sa cuisine, dont la porte était toujours ouverte. Et chaque fois le jeune-homme éprouvait une maladive sensation d'appréhension qui l'humiliait et lui faisait froncer les sourcils. Il devait beaucoup d'argent à sa logeuse, et redoutait de la rencontrer.

Assez lourdingue, comme traduction, je trouve. Et la tournure « chaque fois qu'il avait à sortir » n'est-elle pas un peu suspecte ?
De plus, peut-on dire qu'une chambre ressemble – ou ne ressemble pas – à une habitation ? Il me semble qu'une habitation c'est autre chose qu'une chambre, non ?
« ...l'humiliait et lui faisait froncer les sourcils » froncer les sourcils après l'humiliait, ça fait bizarre...
Qu'en pensent nos linguistes distingués ?

Traduction de Simon Versinelli et Myriam Alsch aux éditions Walter Beckers à Anvers 1969.

Juillet à Saint-Pétersbourg. Ce soir-là, par une chaleur terrible, un jeune-homme sortit de la chambre qu'il occupait, ruelle S et lentement, l'air hésitant, prit la direction du pont K. La chambre qu'il occupait ressemblait plus à un placard qu'à un logement et, était située sous les combles d'un haut immeuble de cinq étages.
Sa sortie s'était effectuée sans heurts (le s est dans le texte) ; il cherchait en effet, à tout prix à éviter une rencontre avec sa logeuse qui habitait l'étage en dessous du sien et à laquelle il devait beaucoup d'argent. Elle lui louait la chambre avec pension et service et chaque fois qu'il passait devant sa porte, le jeune homme éprouvait un sentiment de malaise et de crainte d'autant plus que cette porte était presque toujours ouverte sur l'escalier et qu'il risquait ainsi toujours de la rencontrer. Il avait honte de tout cela.

C'est une traduction qui me semble plus enlevée mais les virgules sont mal placées et, personnellement, je trouve ça très gênant.
Il faut lire Proust pour voir comment on peut faire des longues phrases en plaçant bien les virgules. C'est un art difficile.

Décidément c'est la traduction d’Élisabeth Guertik que je préfère. Elle s'écarte peut-être un peu du texte original mais elle a une qualité littéraire que les autres n'ont pas.
Je pense que c'était elle « la Russe » dont parlait Dirlandaise à propos de La Guerre et La Paix.  

Myrco

avatar 11/02/2016 @ 15:45:46
Concernant ma remarque précédente (sur l'ordre) SJB donne deux traductions qui adoptent un ordre différent; il serait intéressant de savoir que est l'ordre adopté par Dostoïevski.
Alina ?

Myrco

avatar 11/02/2016 @ 16:15:46
Pardon, "quel est" et non "que est".

Il y a peut-être aussi un autre élément à prendre en compte dans la comparaison des traductions.

Mon édition est celle de Garnier Frères (1961) traduite, annotée et introduite par Pierre Pascal.
Il précise dans son introduction que sa traduction a été faite sur le texte de 1877, dernière édition de "Crime et châtiment" publiée du vivant de Dostoïevski (ce qui laisserait supposer qu'il y a eu plusieurs versions).
Il ajoute:
"Cependant, cette édition présentant des erreurs manifestes, il a fallu tenir compte des corrections apportées par l'édition de 1906, soigneusement établie avec le concours de la veuve de l'écrivain".

A propos de la traduction de Derely, il parle de "sa constante et parfois scandaleuse infidélité".

Saule

avatar 11/02/2016 @ 17:35:06
C'est étonnant ce problème de virgules dans les vieilles traductions, peut-être que l'usage de la virgule a changé entre-temps ? Mais toute les traductions abusent de ces virgules, je pense que c'est pour coller au texte original. Chez Markowicz ça passe bien toutefois.

SJB, tu mentionnes deux éditions qui ne sont pas reprises sur la page wiki que Alina a mentionné plus haut. Et Mirco encore une autre ! Je suis content de voir que ma traduction (D. Ergaz) est celle de la pléiade.

Alina, tu trouveras facilement la traduction de Markowicz en babel (la collection de poche de Acte Sud).

Quant à moi je vais également acheter la nouvelle traduction, ça me donne envie de le relire

Saule

avatar 11/02/2016 @ 17:36:25
Concernant ma remarque précédente (sur l'ordre) SJB donne deux traductions qui adoptent un ordre différent; il serait intéressant de savoir que est l'ordre adopté par Dostoïevski.
Alina ?

Oui, j'espère que Alina nous tiendra au courant de ses recherches. Elle a l'énorme avantage de pouvoir lire l'original !

Provis

avatar 11/02/2016 @ 19:18:29
De plus, peut-on dire qu'une chambre ressemble – ou ne ressemble pas – à une habitation ? Il me semble qu'une habitation c'est autre chose qu'une chambre, non ?
Bien d'accord avec toi, SJB..

On a le choix :
"Sa chambre...
.... ressemblait davantage à un placard qu’à un logis." (Guertik)
"... ressemblait plutôt à un placard qu'à une pièce." (D. Ergaz)
"... tenait plus d'une armoire que d'un logement." (Markowicz)
"... ressemblait plus à un placard qu'à une habitation." (Véra Volmane)
"... ressemblait plus à un placard qu'à un logement." (Myriam Alsch)

A cette occasion, on voit la qualité du texte de Guertik. Pour moi, "logis" est le bon mot, supérieur à "logement, habitation ou pièce", qui sont trop techniques, pas assez "cosy". Ils ne rendent pas le côté intime et confortable du logis, du chez soi...

... mais les virgules sont mal placées et, personnellement, je trouve ça très gênant.
Il faut lire Proust pour voir comment on peut faire des longues phrases en plaçant bien les virgules. C'est un art difficile.
Oui, les virgules mal placées c'est effectivement un calvaire, mais je ne suis pas d'accord pour le bon exemple de Proust. Parfois on se demande s'il a relu son texte ! (tu veux des exemples ?)

La virgule est aussi une illustration de la difficulté à traduire : certaines langues aiment bien les virgules, par exemple le français, il me semble, mais pas l'anglais. Pour le russe, Alina pourrait peut-être nous dire...

Décidément c'est la traduction d’Élisabeth Guertik que je préfère. Elle s'écarte peut-être un peu du texte original mais elle a une qualité littéraire que les autres n'ont pas.
Bien d'accord à nouveau..

Mais s'il te plaît, arrête de nous dire que tu as une mauvaise orthographe, tu vas nous faire rire.. :o)

Saint Jean-Baptiste 11/02/2016 @ 19:47:26



Mais s'il te plaît, arrête de nous dire que tu as une mauvaise orthographe, tu vas nous faire rire.. :o)
Oh oh ! merci Provis, mais là, c'est trop !
;-)))

Stavroguine 11/02/2016 @ 19:49:02

... mais les virgules sont mal placées et, personnellement, je trouve ça très gênant.
Il faut lire Proust pour voir comment on peut faire des longues phrases en plaçant bien les virgules. C'est un art difficile.
Oui, les virgules mal placées c'est effectivement un calvaire, mais je ne suis pas d'accord pour le bon exemple de Proust. Parfois on se demande s'il a relu son texte ! (tu veux des exemples ?)


Et encore, il me semble que dans la plupart des éditions modernes, les éditeurs revoient une partie de la syntaxe et la position des virgules. Il n'empêche qu'il y en a effet de très bizarres, comme il y a certaines grammaticalement fausses, constituées de subordonnées sans aucune principale.


La virgule est aussi une illustration de la difficulté à traduire : certaines langues aiment bien les virgules, par exemple le français, il me semble, mais pas l'anglais. Pour le russe, Alina pourrait peut-être nous dire...


Je ne connais pas le russe, mais pour l'anglais, il est plus allergique aux longues phrases qu'aux virgules : c'est une langue de businessmen, de techniciens : il faut que les choses soit claires (et pour la même raison, ils n'accordent aucune importance aux répétitions successives d'un même mot). Du coup, il y a moins de virgules, mais il me semble que c'est plus une conséquence de la brièveté des phrases (il n'y a pas lieu d'en mettre) qu'un véritable parti pris.

Décidément c'est la traduction d’Élisabeth Guertik que je préfère. Elle s'écarte peut-être un peu du texte original mais elle a une qualité littéraire que les autres n'ont pas.

Bien d'accord à nouveau..

Mais s'il te plaît, arrête de nous dire que tu as une mauvaise orthographe, tu vas nous faire rire.. :o)


Eh bien moi, je reste fidèle à Markowicz. C'est peut-être un moins beau français (les répétitions éhontées de "cagibi" dans l'extrait fourni par Ludmilla), mais il y a un élan, un dynamisme qui collent bien à Dostoïevski. J'ai découvert ses oeuvres ado dans les traductions anciennes (Gallimard et Livre de Poche) et elles m'ont véritablement ouvert les portes de la lecture. Cela dit, les relire en Babel a été une redécouverte : je les ai trouvées plus fortes, plus déchaînées, collant plus in fine à l'univers de Dostoievski, au caractère de ses personnages. C'est peut-être encore plus vrai pour ses oeuvres courtes, moins travaillées. Mais même dans Les Démons, L'Idiot (je n'ai pas encore relu Crime et Châtiment sous sa plume), les relire a été une vraie redécouverte, une jouvence.

SpaceCadet
avatar 11/02/2016 @ 19:56:32
De plus, peut-on dire qu'une chambre ressemble – ou ne ressemble pas – à une habitation ? Il me semble qu'une habitation c'est autre chose qu'une chambre, non ?
Bien d'accord avec toi, SJB..

On a le choix :
"Sa chambre...
.... ressemblait davantage à un placard qu’à un logis." (Guertik)
"... ressemblait plutôt à un placard qu'à une pièce." (D. Ergaz)
"... tenait plus d'une armoire que d'un logement." (Markowicz)
"... ressemblait plus à un placard qu'à une habitation." (Véra Volmane)
"... ressemblait plus à un placard qu'à un logement." (Myriam Alsch)




Je n'ai peut-être pas bien suivi (?), la traduction de Pierre Pascal semble avoir été mise de côté; quoi qu'il en soit, sa version est la suivante:

"Sa chambrette était située juste sous le toit d'une haute maison de cinq étages et ressemblait plutôt à une armoire qu'à un logement."

Perso, je préfères la version de Guertik parce que 'davantage' est plus élégant et parce que la comparaison 'placard' avec 'logis' évoque non seulement une image mais un sentiment (ironie?) plus précis.

Outre les différences liées à la version originale utilisée, pour le reste, il me semble que les variations dans la plupart des traductions, sont généralement attribuables à l'interprétation que l'on fait du texte d'origine ainsi qu'à la méthode/approche de traduction utilisée (fidélité au texte versus fidélité au sens versus fluidité du texte final), puis aux modes d'expression ayant cours à l'époque où une traduction est effectuée.

Mais je me pose la question; une traduction récente ne nous paraîtra-t-elle pas pratiquement toujours 'plus claire ou plus fluide' qu'une traduction plus ancienne? Et la fluidité n'est-t-elle pas toujours réalisée au détriment de la fidélité au texte d'origine?

SpaceCadet
avatar 11/02/2016 @ 20:11:11


Je ne connais pas le russe, mais pour l'anglais, il est plus allergique aux longues phrases qu'aux virgules : c'est une langue de businessmen, de techniciens : il faut que les choses soit claires (et pour la même raison, ils n'accordent aucune importance aux répétitions successives d'un même mot). Du coup, il y a moins de virgules, mais il me semble que c'est plus une conséquence de la brièveté des phrases (il n'y a pas lieu d'en mettre) qu'un véritable parti pris.

.


Alors là, je ne suis pas d'accord... Mais comme la discussion porte sur le russe, je n'irai pas plus loin.

Feint

avatar 11/02/2016 @ 20:15:19
Je ne crois pas du tout qu'il faille traduire Dostoïevski avec élégance.

Stavroguine 11/02/2016 @ 20:27:00
Je ne crois pas du tout qu'il faille traduire Dostoïevski avec élégance.


C'est aussi mon point de vue et sans doute la raison pour laquelle je préfère Markowicz.

Dostoïevski me fait l'effet d'un homme (d'un écrivain, mais surtout d'un homme) nerveux, qui écrit comme par crise, assez proche finalement (mais c'est peut-être à tort que je confonds ici personnage et auteur) du narrateur des Carnets du sous-sol. Un auteur également capable de rédiger Le Joueur en moins d'un mois, des pavés comme L'Idiot ou Crime et Châtiment en moins d'un an : cela suppose de faire quelques impasses sur le style, lequel d'ailleurs n'est pas chez lui l'essentiel.

SpaceCadet
avatar 11/02/2016 @ 20:27:11
Je ne crois pas du tout qu'il faille traduire Dostoïevski avec élégance.


Intéressant ce que tu dis-là.

SpaceCadet
avatar 12/02/2016 @ 04:27:28
Pendant que je réfléchis à vos commentaires et relisant les citations proposées, je note que toutes les versions citées parlent d'un immeuble à cinq étages sauf chez Markowicz où l'immeuble en question compterait quatre étages. Etrange...

Myrco

avatar 12/02/2016 @ 08:33:02
Pendant que je réfléchis à vos commentaires et relisant les citations proposées, je note que toutes les versions citées parlent d'un immeuble à cinq étages sauf chez Markowicz où l'immeuble en question compterait quatre étages. Etrange...


L'explication a été donnée par Jeanlebleu dans la première page du fil. D'après lui, les russes comptent le rez-de-chaussée comme un étage, donc un immeuble de 5 étages en Russie correspondrait à un immeuble de 4 étages chez nous.

Cela atteste en tout cas d'une meilleure connaissance de la culture russe chez Markowicz.

Myrco

avatar 12/02/2016 @ 08:46:19
Du coup, je ne suis pas sûre que Guertik soit russe...Alina pourrait peut-être nous éclairer.

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