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Forums  :  Forum général  :  Fayard et Bolloré

Eric Eliès
avatar 30/03/2024 @ 20:33:45
@Frunny : ce serait vrai si les critiques contre Zemmour ne venaient que de ses opposants politiques mais elles viennent aussi d'historiens (cf le lien donné par Feint, mais il y en a eu d'autres) qui s'irritent des déformations et des biais imposés par quelqu'un qui parle avec éloquence, qui est indéniablement cultivé mais se prétend historien davantage qu'il n'est véritablement historien. Ce qui distingue Zemmour de Le Pen (et sans doute le dessert vu son effondrement depuis le 1er tour de la présidentielle par rapport au RN), c'est que Zemmour, contrairement au RN, n'est pas démagogique, en ce sens qu'il ne cherche pas à coller aux attentes populaires mais plutôt à imposer une vision historique, assez élitiste, qui ne cesse, en ressassant des arguments déformés, de se lamenter sur la grandeur perdue de la France. Le problème de Zemmour, c'est que son discours tourne en rond et se perd dans un "c'était mieux avant" un peu ridicule (et nauséabond...) car son "avant" est nettement fantasmé (et se détourne de ce qu'il ne veut pas voir...)

@Feint : je trouve la posture des éditeurs finalement assez hypocrite. Qu'est-ce qui a changé en Zemmour depuis que Fayard (déjà...) a publié "Mélancolie française" et qu'Albin Michel a publié "Le suicide français" ? Tout ce qui est aujourd'hui gênant chez Zemmour (sa vision déformée de l'Histoire, qu'il réinterprète en permanence) était déjà présent dans les livres qu'ils ont publiés. Ce qui a changé, et rien d'autre, c'est la politisation de Zemmour, mais les idées étaient déjà là, et à l'époque les éditeurs ont accepté de le publier. Donc c'est un peu de l'hypocrisie de jouer maintenant les vierges effarouchées...

@Magicite : j'ai essayé mais j'avoue que j'ai fini par décrocher : ne le prends pas mal mais je pense que tu gagnerais vraiment à être plus concis et limiter les digressions pour aller plus efficacement au but. Néanmoins, après lecture diagonale, je pense que tu te trompes en associant Zemmour et populisme. Il me semble qu'il ne l'est pas, ce qui explique aussi qu'il ait tant de mal à décoller malgré sa notoriété d'écrivain et d'animateur télé...

Stavroguine 31/03/2024 @ 15:20:08
Feint, je ne doute pas que tu sauras nous expliquer pourquoi les gouvernements européens basculent tous progressivement à Droite, voir à l’extrême Droite. Les populations européennes sont elles devenues crétines ou le réel a t il rattrapé tout le monde ?


Si je peux me permettre, il me semble que c'est plutôt à une corruption par le haut que nous assistons.

Je ne sais pas si "les populations européennes" (qui incluent, si j'ai bien compris, celles des Etats-Unis, de l'Argentine, d'une bonne partie du Brésil, c'est-à-dire une assez large part de ce que le monde compte de démocraties — les autres étant déjà à l'extrême droite depuis plus ou moins longtemps sans que le choix leur ait été laissé) sont devenues crétines mais il me semble tout d'abord que pour la première fois depuis longtemps, elles souffrent plus que leur parents et sont inquiètes pour la survie même de leurs enfants et d'autre part qu'elles sont représentées par les élites les plus médiocres depuis longtemps.

Mon premier postulat explique cette vague de nostalgie rance, ces regards désespérés tournés vers un "avant" indéfini (celui des blouses grises à l'école et des coups de règle sur les doigts ? de Vichy et de l'Occupation ?) et largement fantasmé durant lequel "c'était mieux". C'est sans doute un réflexe un peu crétin (surtout quand on examine de plus près les périodes élues comme réceptacles de ces fantasmes et qui ne semblent pas vraiment correspondre aux temps les plus heureux de l'histoire de France), mais il me semble assez naturel et surtout excusable.

Ce qui ne l'est pas, c'est le cynisme d'élites sans vision qui 1/ flattent éhontément cette tendance (RN et, de plus en plus, LR), 2/ n'ont rien de mieux à proposer que le maintien "quoi qu'il en coûte", en termes de casse sociale et environnementale notamment, du credo actuel (avec une foi messianique dans la Croissance et le Progrès pour nous sauver après qu'on aura subi comme Job les rigueurs de l'austérité : LREM) ou 3/ un retour à un modèle autoritaire et aristocrato-raciste dans lequel un Blanc chrétien vaut mieux qu'un Arabe musulman — forme malgré tout, je crois, de populisme d'inspiration trumpiste qui s'adresse aussi bien à une vieille France un peu dépassée qu'au "white trash", c'est-à-dire aux nombreux déclassés du libéralisme en leur rappelant (leur faisant croire à) un temps (des colonies ?) où être "white" et chrétiens leur suffisait pour gouverner, et donc les convaincre qu'ils valent, à ce titre, encore bien mieux que les autres, à commencer par ceux qui ont pu prendre la place qui aurait dû leur revenir au sommet de l'échelle (Reconquête — dont tout le programme est donc dans le nom). Quant à la gauche, elle ne propose rien, n'existe pas au-delà du ridicule dont elle se couvre dans ses luttes intestines et ses querelles sur le sexe des anges.

Ainsi, les "populations européennes" n'ont pas besoin d'être crétines : il leur suffit de répondre à l'offre qui leur est faite par des hommes et des femmes qui ne sont plus des hommes ou des femmes d'Etat, mais des hommes ou des femmes de pouvoir : des ambitieux pour lesquel(le)s une carrière politique n'est qu'une étape dans une carrière tout court (avec d'incessants passages du privé au public). A ce titre, Mitterrand, au moment du virage néo-libéral que prend le monde lors de la chute du Mur, est peut-être le dernier des hommes d'Etat et le premier des ambitieux auquel succèderont Chirac, Sarkozy et Macron... Je laisse volontairement Hollande de côté car il n'est vraiment ni l'un ni l'autre, mais une sorte de fusible ou de courroie de transmission entre Sarkozy (par simple rejet duquel il a été élu) et Macron (qu'il a engendré et qui est le clone, ou la version 2.0 du précédent).

En somme, le pourrissement vient de la tête, comme dans le poisson, et se répand dans le "corps" social par les canaux médiatiques qui l'irriguent et qui, qu'ils viennent de Chine (TikTok), de Musk (Twitter) ou de Bolloré, reprennent tous en choeur des psaumes à la gloire d'une sorte de monstrueuse oxymore libérale-autoritaire, Cthulhu (notons qu'il appartient lui aussi à un lointain passé fantasmé dans les abysses duquel il dort) associant à l'économie néolibérale la plus débridée une structure étatique fascisante : the worst of both worlds. Je crois qu'on y court tout droit et à ce titre, Frunny a-t-il sans doute raison : le "réel" (quoi que cela signifie) est sur le point de nous rattraper. J'ai toutefois du mal à y voir le triomphe de la raison. Mais du rationalisme comme modèle économique, peut-être, oui.

Saint Jean-Baptiste 31/03/2024 @ 17:49:56
Je pense que Zemmour a une vue assez juste de l’état de la France d’aujourd’hui (cet état est largement le même pour la Belgique, du moins francophone). Il pense que c’était mieux avant. Mais les solutions qu’il propose sont impossibles à réaliser. Il faudrait que la France se transforme en dictature de type nazie. Il vaudrait beaucoup mieux d’essayer de s’adapter aux changements que d’essayer de revenir en arrière.

Mais quand il regrette le temps passé, il n’a pas tort sur tous les points. On peut ironiser sur le temps des blouses grises et des coups de règles sur les doigts. Mais les blouses grises ça voulait dire que tous les élèves sont strictement égaux devant le maître ; il n’y a pas le fils de riche bien habillé à côté du fils d’émigré ou de la fille voilée. Quant aux coups de règle sur les doigts ça veut dire qu’il y avait une discipline qui a complètement disparu aujourd’hui ; et ça, on peut le regretter.

Zemmour regrette aussi la condition actuelle des femmes. Elle est due beaucoup plus à l’invention de la pilule qu’à Mai 68 et on ne fera jamais marche arrière. Mais dans un pays de liberté d’expression il est permis de dire ce qu’on pense ; et c’est intéressant de savoir pourquoi des gens, qui ne sont pas idiots, pensent autrement que tout le monde.

Je crois qu’on reproche à Zemmour d’être élitiste. Personnellement je pense qu’un pays a besoin d’une élite. Ce serait une grosse bêtise et même une grave injustice de « couper les têtes qui dépassent ». Dans l’enseignement, les plus riches ont la possibilité d’aller dans des écoles privées. Pour les autres, c’est le nivellement par le bas et c’est la catastrophe. Personnellement, je trouve inquiétant cet « égalitarisme » à tout prix qui semble devenir la nouvelle idéologie de nos démocraties.

En Belgique on n’entend plus que : chances égales pour tous ; école de la réussite ; suppression des examens ; diplôme pour tous… C’est à qui trouvera le slogan le plus attractif pour faire croire aux gens que tout le monde occupera la première place dans la société grâce aux nouvelles écoles égalitaristes.
Si Zemmour condamne cet égalitarisme, ne frappez pas ! je trouve qu’il a raison. Il a raison au moins dans ce domaine là. Pour le reste, je pense qu’il devrait lutter pour harmoniser la nouvelle société telle qu’elle est aujourd’hui, plutôt que de proposer des solutions impossibles et inhumaines.

Eric Eliès
avatar 31/03/2024 @ 22:47:43

En somme, le pourrissement vient de la tête, comme dans le poisson, et se répand dans le "corps" social par les canaux médiatiques qui l'irriguent et qui, qu'ils viennent de Chine (TikTok), de Musk (Twitter) ou de Bolloré, reprennent tous en choeur des psaumes à la gloire d'une sorte de monstrueuse oxymore libérale-autoritaire, Cthulhu (notons qu'il appartient lui aussi à un lointain passé fantasmé dans les abysses duquel il dort) associant à l'économie néolibérale la plus débridée une structure étatique fascisante : the worst of both worlds. Je crois qu'on y court tout droit et à ce titre, Frunny a-t-il sans doute raison : le "réel" (quoi que cela signifie) est sur le point de nous rattraper.


@Stavro : j'ai lu avec beaucoup d'intérêt ton argumentaire (et amusement aussi sur la fin, car je ne m'attendais pas à cette référence cthulhuesque ! :D) mais ne suis pas totalement convaincu. Il me semble que la vraie tendance de fond est celle de la dissolution de l'Etat et non son renforcement dans une structure "fascisante". Ce à quoi on assiste n'est pas une corruption par le haut mais une déliquescence du politique qui se dissout dans le libéralisme économique, qui n'avait pas attendu la chute du Mur pour triompher. Dès les années 70, quand la monnaie s'est affranchie de l'étalon-or, l'économie a pris le pouvoir sur le politique. Nos hommes politiques ne sont pas des ambitieux (il n'y pas de mal à avoir de l'ambition) mais des hommes de leur époque, globalement assez médiocres (ils ne définissent aucune élite) et individualistes cupides, qui considèrent la politique comme un levier de réussite et la fortune comme le critère de réussite. Trop de nos représentants parlementaires (députés ou sénateurs) n'ont pas d'autres qualités que leur réseau ou leur éloquence pour arriver à exister et à exploiter un filon clientéliste avec des techniques presque commerciales, sans autre objectif que profiter le plus longtemps possible des avantages de la fonction. La porosité entre l'économie et le politique étant la règle, avec des va-et-vient incessants (on ne compte plus le nombre d'hommes politiques financés par des lobbys ou siégeant au conseil d'administration de grands groupes industriels), il n'y a pas à s'étonner que tous les milliardaires français fassent du lobbying politique, de manière plus ou moins subtile, et poussent leurs poulains en fonction de leurs intérêts et affinités personnelles (on a raison de pointer l'activisme de Bolloré mais François Pinault et surtout Bernard Arnault ne sont pas en reste - le pire étant aux USA). Je ne pense pas qu'on aille vers "the worst of both worlds" car il n'y a qu'un seul monde, où le politique se dissout dans l'économie et la ploutocratie. Dès les années 30, Ortéga y Gasset avait souligné l'effondrement du modèle européen et l'effacement du modèle de l'honnête homme, conscient de ses devoirs et responsabilités pour le bien commun, miné par l'individualisme libéral américain.

Bon, tout ça nous a encore bien éloigné du sujet initial ! :D

Saule

avatar 01/04/2024 @ 09:21:27
Clin d'oeil à Eric : le livre que tu as critiqué sur les îles de Pâques est de Points, qui appartient au groupe Media Publishing (depuis le rachat de Lagardère). Comme quoi la concentration de l'édition est une réalité.

Un éditeur qui publie des livres subversifs (qui vont contre le modèle capitaliste, sans etre radicaux pour autant) ce serait les éditions du Cerf (qui appartient à l'ordre des Dominicains viens-je de voir). Et Attac mais on en entend pas beaucoup parler. Et on n'est pas dans le monde de la littérature.

Mais sinon je trouve que autant Frunny que Stavro ont raison: si autant de monde vote pour l'extrême droite (que j'assimile à un vote de la peur plus que de la crétinerie), il est grand temps que les "élites" se posent des questions.

Eric Eliès
avatar 01/04/2024 @ 11:07:11
Clin d'oeil à Eric : le livre que tu as critiqué sur les îles de Pâques est de Points, qui appartient au groupe Media Publishing (depuis le rachat de Lagardère). Comme quoi la concentration de l'édition est une réalité.

Un éditeur qui publie des livres subversifs (qui vont contre le modèle capitaliste, sans etre radicaux pour autant) ce serait les éditions du Cerf (qui appartient à l'ordre des Dominicains viens-je de voir). Et Attac mais on en entend pas beaucoup parler. Et on n'est pas dans le monde de la littérature.


@Saule : le groupe possédant Points, Seuil, etc. s'appelle Media Participations et, à ma connaissance, n'a pas été racheté par Lagardère. 90% des éditeurs appartiennent à des holdings mais la concentration peut se faire aussi dans des groupes à "taille humaine", comme pour l'association des éditions Belin, PUF, Le Pommier et L'Observatoire. Cela dit, il reste encore quelques éditeurs indépendants : on a évoqué Toussaint Louverture mais il y a aussi José Corti, les éditions de l'Aube, etc. Après, la concentration ne se fait pas que dans l'édition mais aussi dans la diffusion et dans les librairies : c'est une tendance de fond...

Frunny
avatar 01/04/2024 @ 11:31:26


Mais sinon je trouve que autant Frunny que Stavro ont raison: si autant de monde vote pour l'extrême droite (que j'assimile à un vote de la peur plus que de la crétinerie), il est grand temps que les "élites" se posent des questions.


Les questions sont connues et les réponses tellement évidentes qu’elles nous aveuglent. Aujourd’hui, la France est condamnée à obéir docilement à Bruxelles ( comme l’Italie) cat son endettement est faramineux et elle dépend de la BCE pour le financer. Bruxelles internationaliste et criminelle…
Les problèmes du quotidien qui pourrissent la vie des français sont identifiés mais les pouvoirs publics et la Gauche extrême font tout pour cacher la poussière sous le tapis. C’est - à mon avis - la raison de la montée de l’extrême droite en Europe.
L’extrême droite apporterait peut être une réponse pour un état fort et respecté mais je doute de sa capacité à gérer un état où l’assistanat est la règle.
Oui, Saule, je pense que tu as raison, il s’agit principalement d’une adhésion à un sentiment de peur.
Ce qui est frustrant, c’est que les solutions sont simples et pleines de bon sens.

Stavroguine 01/04/2024 @ 16:37:43

Bon, tout ça nous a encore bien éloigné du sujet initial ! :D


J'essayais pourtant de faire le lien dans le paragraphe que tu cites en montrant l'importance de certains acteurs, parmi lesquels le même Bolloré qui s'empare de Fayard, pour "contaminer" le corps social avec ces idées.

Pour le reste, le problème n'est pas l'ambition, mais plutôt que l'ambition de ceux qui nous dirigent semble être toute personnelle. Il me semble qu'on doit exiger d'un chef d'Etat qu'il se mette au service de quelque chose de plus grand que lui. Cette notion est d'ailleurs peut-être mieux rendue par l'anglais "civil servant" (qui se met au service de la société) que par le français "fonctionnaire", qui semble immédiatement péjoratif et bureaucrate, réduit à l'accomplissement d'une "fonction" forcément lénifiante — mais peut-être est-ce une déformation due à l'usage. Il me semble que Macron, Sarkozy, Zemmour, Bardella, Mélenchon... ne sont au service que d'eux-mêmes et ne mettent rien au-dessus de leur égo. Le cas de Marine Le Pen est peut-être un peu différent : il y a du tragique et du freudien dans sa quête du pouvoir, mais elle n'en est pas moins toute personnelle.

Mon emploi du mot "fascisante" est sans doute fautive, tu as raison. Il ne s'agit pas tant d'un renforcement de l'Etat qui entendrait gouverner tous les aspects de la vie des individus, que d'une réduction de l'Etat à ses seules fonctions de police et régaliennes. Glissement qu'opère d'ailleurs Bruno Lemaire en évoquant un "Etat protecteur" (de qui ?) qui se substituerait à l'Etat providence qui a cours depuis l'après-guerre, voire le Front populaire. Si je parle (à tort, sans doute, ou de façon réductrice) de fascisme, c'est parce qu'il me semble qu'un tel glissement s'accompagne d'un durcissement de l'Etat qui, aux différentes crises qui le secouent, n'opposerait plus qu'une réponse autoritaire. Ce glissement est déjà amorcé si l'on songe qu'on vit depuis 2015 (ou est-ce même avant ?) dans un état d'urgence permanent, que les lois présentées comme exceptionnelles votées suite aux attentats font aujourd'hui partie du droit commun, que le JO vont permettre le déploiement massif de caméras à reconnaissance faciale dans les rues de Paris ou quand on voit la violence avec laquelle Macron a réprimé les manifestations qui ont émaillé ses quinquennats (violence qui, quoi qu'on pense desdites manifestations, a de beaucoup excédé ce qu'on a coutume de voir dans les démocraties européennes). Tout ceci me semble aller dans le sens de la création de cette créature hybride que je décrivais, une sorte de modèle chinois dans lequel convergeraient les démocraties libérales et les régimes autoritaires qui s'opposaient jusque là (empruntant aux premières la libre circulation des biens et des capitaux, la mise en concurrence de tous avec tous ; aux seconds un système répressif basé sur une surveillance permanente de la population) et où je vois donc "the worst of both worlds".

Or, il me semble que le rôle des Bolloré et des Musk de ce monde pour faire accepter ce modèle est primordial. Il me semble que, sur les plateaux de C8/News, l'idée est populaire que toute régulation (sociale, environnementale, redistributive) est à bannir car mauvaise pour le business et parallèlement qu'il n'y a pas de raison d'être contre le déploiement de caméras de surveillance "si on n'a rien à se reprocher". Message "simple et plein de bon sens" où se retrouvent les deux termes de ma déduction. Fayard, aujourd'hui, va un cran plus loin en dotant ces idées d'un caractère plus respectable que quand elles n'étaient qu'éructées par Praud ou Hannouna.

Eric Eliès
avatar 01/04/2024 @ 20:37:32

J'essayais pourtant de faire le lien dans le paragraphe que tu cites en montrant l'importance de certains acteurs, parmi lesquels le même Bolloré qui s'empare de Fayard, pour "contaminer" le corps social avec ces idées. (...) Fayard, aujourd'hui, va un cran plus loin en dotant ces idées d'un caractère plus respectable que quand elles n'étaient qu'éructées par Praud ou Hannouna.

@Stavro : Bolloré ne s'est pas emparé de Fayard mais de Hachette, dont Fayard n'est qu'une des "marques". Bolloré s'est en fait aussi emparé, outre Fayard, de Grasset, de Stock et d'Albin Michel, pour ne citer que les plus gros. Néanmoins, ça ne change pas grand chose à la main-mise des milliardaires français sur les média et l'édition. Je ne sais pas si tu as lu mon post du 17/03 mais Bolloré était depuis longtemps ancré dans l'édition (via la holding Editis : Plon, Julliard, 10/18, etc.). De même, Bernard Arnault, via LVMH, possède des parts importantes de la holding Gallimard. S'émouvoir de ce qui s'est passé chez Fayard avec le limogeage de Saporta, c'est s'émouvoir d'un épiphénomène par rapport à la soumission globale de l'édition et des média aux lois du marché et aux grands milliardaires qui tiennent le marché. Par exemple, le rachat d'Altice Média par CMA-CGM offre BFMTV à Rodolphe Saadé, un milliardaire moins connu que les autres car il n'est pas parisien et se tient à l'écart de la Bourse, mais il n'en est pas moins milliardaire que Bolloré et cie.


(...) un tel glissement s'accompagne d'un durcissement de l'Etat qui, aux différentes crises qui le secouent, n'opposerait plus qu'une réponse autoritaire. Ce glissement est déjà amorcé si l'on songe qu'on vit depuis 2015 (ou est-ce même avant ?) dans un état d'urgence permanent, que les lois présentées comme exceptionnelles votées suite aux attentats font aujourd'hui partie du droit commun, que le JO vont permettre le déploiement massif de caméras à reconnaissance faciale dans les rues de Paris ou quand on voit la violence avec laquelle Macron a réprimé les manifestations qui ont émaillé ses quinquennats (violence qui, quoi qu'on pense desdites manifestations, a de beaucoup excédé ce qu'on a coutume de voir dans les démocraties européennes).

Le glissement sécuritaire est amorcé depuis bien plus longtemps que les attentats de 2015. Vigipirate est en place depuis les années 90 et s'est véritablement durci après les attentats de 2001. La seule chose qui a changé en 2015, c'est la mise en place de Sentinelle en complément de Vigipirate, avec des militaires en patrouille dans les villes et les sites sensibles. Ca ne va pas se relâcher car le contexte international ne le permet pas, d'autant qu'il risque de continuer à se dégrader. On était déjà dans une situation de menace terroriste élevée permanente ; viennent maintenant s'y ajouter les risques de déstabilisation par des puissances étrangères : les dispositions de surveillance vont donc continuer à se développer et se renforcer et il va falloir l'accepter, car le contexte international nous l'impose. Ce n'est pas un alignement sur les régimes autocrates mais la nécessité de rester vigilant et réactif face à ceux qui ne nous veulent pas du bien...

Spirit
avatar 02/04/2024 @ 18:17:58
Avant, jadis! le securitère se faisait par endroit, par pays. Avec la "mondialisations" il prend de l'ampleur mais les raisons sont les mêmes : le pouvoir des riches et des puissants contre ceux qui crèvent, qui en chients . Quand à la solution c'est aux peuples de la trouver et de s'y tenir.

Spirit
avatar 02/04/2024 @ 18:20:08
Quand à zemmour, bolloré et bien d'autres quand ils auront chaud aux fesses ils sauront ou se réfugier.

Thaut 04/04/2024 @ 16:36:30
Le glissement sécuritaire est amorcé depuis bien plus longtemps que les attentats de 2015. Vigipirate est en place depuis les années 90 et s'est véritablement durci après les attentats de 2001. La seule chose qui a changé en 2015, c'est la mise en place de Sentinelle en complément de Vigipirate, avec des militaires en patrouille dans les villes et les sites sensibles. Ca ne va pas se relâcher car le contexte international ne le permet pas, d'autant qu'il risque de continuer à se dégrader. On était déjà dans une situation de menace terroriste élevée permanente ; viennent maintenant s'y ajouter les risques de déstabilisation par des puissances étrangères : les dispositions de surveillance vont donc continuer à se développer et se renforcer et il va falloir l'accepter, car le contexte international nous l'impose. Ce n'est pas un alignement sur les régimes autocrates mais la nécessité de rester vigilant et réactif face à ceux qui ne nous veulent pas du bien...


Je ne pense pas que ce soit ce dont voulait parler Stavroguine ; la police française aujourd’hui est la plus violente (à cause de ses tactiques, de son armement plus lourd, ainsi que de consignes très permissives) d’Europe dans la gestion des manifestations, et j’ai du mal à voir en quoi ça aide à lutter contre le terrorisme (surtout quand on voit le bordel monstrueux que ça met dans les manifestations, à mon avis ça ne sécurise pas grand-chose ; de la même manière, avoir la gâchette facile en banlieue semble provoquer des émeutes dont je doute qu’elles soient sécurisantes pour qui que ce soit ^^).
A mon avis, il y a bien trois phénomènes concomitants qui se nourrissent les uns des autres ; une tendance – étatique – vers le tout-sécuritaire, qui a sans doute des origines légitimes dans la nécessaire lutte contre le terrorisme et les menaces internationales, mais qui dépasse désormais de beaucoup ces deux points ; un effacement de l’État, en revanche, derrière une libéralisation économique forcenée et prédatrice sous la houlette des chances pour la France que sont les Bolloré et consorts ; et la montée de l’extrême-droite, résultat de la paupérisation des classes moyennes, de la peur devant un avenir, qui, à vrai dire, fait peur, en effet, et de l’omniprésence des idées de cette mouvance à peu près partout dans les médias mainstream depuis un bon moment maintenant.

Ces mouvements peuvent sembler contradictoires : recul de l’État, ou renforcement de celui-ci ? Dans tous les cas, on assiste à une recomposition des rapports de force économique, politique mais aussi symbolique entre les sphères privée et étatique. Ces rapports sont toujours mouvants et difficiles à lire. Un exemple complètement détaché du propos : le Covid a-t-il renforcé l’État, ou contribué à son affaiblissement ?

Mais derrière ces contradictions, on peut chercher un lien, et c’est dans cette tentative de lier toutes ces tendances que je rejoins le plus Stavroguine car ça me semble essentiel : il faut essayer de voir les moteurs premiers derrière ces remous chaotiques, et je pense que Bolloré en est un, même si le rachat de Fayard d’où est parti la discussion est sans doute anecdoctique de ce point de vue (Cnews, C8, Europe 1, non, en revanche).

Saule

avatar 05/04/2024 @ 03:44:03
Je trouve tout ca super anxiogène. Je ne me rendais pas compte qu'il y avait une telle concentration de l'édition et de la presse en France. Et je ne sais pas comment répondre à cette angoisse. Toute cette désinformation sur les réseau sociaux, le Trumpisme, ... ca fait vraiment peur. Je ne pense pas que l'extreme droite a des réponses. Peut-etre la science et les progrès fulgurants de l'IA ?

J'écoute à l'instant un podcast sur l'intelligence artificielle, et quand on interroge le chercheur sur qui est son idole, il répond Bill Gates ! En référence à ce qu'il a fait via sa fondation pour la Malaria. Mais est-ce que Bolloré a la carrure d'un Bill Gates et les même intentions ? Je ne pense pas.

A une époque je me serai tourné vers la littérature, par exemple un auteur comme Delillo capable d'expliquer le monde (avec des livres comme Bruit de Fond) mais je ne sais pas si il écrit toujours. N'est-ce pas le role de la littérature et de l'art d'expliquer notre monde et de proposer des solutions ? Je pense par exemple au film Don't look up très réussis. A notre époque de désinformation massive on a besoin de ca.

Saule

avatar 05/04/2024 @ 03:45:45
Evidemment le problème c'est si la littérature et l'art en général est aux mains de milliardaires qui veulent promouvoir leur agenda :-(

Eric Eliès
avatar 06/04/2024 @ 00:31:47
@Saule : la littérature est devenue une industrie mais je pense que, à son modeste niveau, CL joue un rôle - même mineur même modeste ce n'est pas grave, l'important c'est qu'il existe ! - dans la défense de l'amour désintéressé de la littérature, en rassemblant des personnes mues uniquement par la passion et le désir de partager leurs ressentis de lecteurs. Pas de pub, pas de "sponsoring" par une maison d'édition, aucun filtre de "modérateur" dans la libre expression des coups de gueule et des coups de coeur, c'est devenu rare !!!!

@Thaut : je suis d'accord avec tout ce que tu dis mais en nuançant sur Bolloré qui, en lui-même, n'est qu'un milliardaire parmi les milliardaires français. Le problème ne me semble pas être Bolloré mais la soumission du politique en général à l'économique en général. Bolloré est visible car il ne fait pas l'effort d'être discret dans ses investissements dans les média ou ses amitiés (par rapport à Pinault ou Arnault) mais il est présent depuis des années (il n'y a qu'à se souvenir de l'épisode de Sarkozy en 2007) avec une influence qui me semble en réalité assez limitée (son poulain, Zemmour, ne pèse pas grand chose dans le débat public). En fait, plus inquiétant que l'entrisme de l'économie dans le politique, c'est la complaisance, voire la médiocrité, du politique qui m'inquiète le plus, notamment les commissions parlementaires qui démontrent parfois une effarante méconnaissance des dossiers et un amateurisme qui inciterait presque à remettre en cause le modèle de la démocratie représentative tant nos représentants élus semblent par moments intellectuellement malhonnêtes ou naïfs jusqu'à l'incompétence. Par exemple, pour rester sur Bolloré et ses chaînes (CNews, C8, Canal), comment un député (Quentin Bataillon) peut-il aller sur TPMP pour, sans y voir le moindre problème, débattre avec Cyril Hanouna du travail EN COURS de la commission d'enquête qu'il préside sur les chaînes de la TNT ? C'est hallucinant...

Saint Jean-Baptiste 06/04/2024 @ 11:58:31
N'est-ce pas le role de la littérature et de l'art d'expliquer notre monde et de proposer des solutions ?
Ça c’est la bonne question. Je serais curieux d’avoir vos réponses. Pour moi, oui : expliquer le monde. Mais, trouver la solution ?

Myrco

avatar 06/04/2024 @ 12:20:23
N'est-ce pas le role de la littérature et de l'art d'expliquer notre monde et de proposer des solutions ?

la question de savoir ce qu'est la littérature est une intéressante question et là encore on sort du débat de ce forum;-)
Je dirai juste qu'on n'est pas obligé d'adhérer à la définition sartrienne de la littérature dont Saule semble se rapprocher.

Pieronnelle

avatar 06/04/2024 @ 17:13:00
En fait, plus inquiétant que l'entrisme de l'économie dans le politique, c'est la complaisance, voire la médiocrité, du politique qui m'inquiète le plus, notamment les commissions parlementaires qui démontrent parfois une effarante méconnaissance des dossiers et un amateurisme qui inciterait presque à remettre en cause le modèle de la démocratie représentative tant nos représentants élus semblent par moments intellectuellement malhonnêtes ou naïfs jusqu'à l'incompétence. Par exemple, pour rester sur Bolloré et ses chaînes (CNews, C8, Canal), comment un député (Quentin Bataillon) peut-il aller sur TPMP pour, sans y voir le moindre problème, débattre avec Cyril Hanouna du travail EN COURS de la commission d'enquête qu'il préside sur les chaînes de la tnt !
C'est hallucinant !

Oh comme je suis d'accord avec ça !
Et avec tout ce qu'a écrit Stavro ! Et Thaut !
Si vous saviez, même si ça paraît ridicule ou naïf, comme je me sens mieux de ressentir cet écho dans tous ces propos évoqués si librement (comme l'a souligné Eric sur notre liberté d'expression ici sur CL..) . Cette question des gros groupes de presse me mine depuis longtemps dejà, qui perturbe dans la confiance des informations même de celles de journaux comme Le Monde qui a perdu son coeur d'origine...ça devient fatiguant, anxiogène, cette obligation de la pratique de surveillance, de verification...je sais bien qu'elle est saine et essentielle mais s'en est devenu à un tel degré que c'est désespérant...J'ai le sentiment de raller ,de protester en permanence presque par survie (intellectuelle) pour ne pas sombrer dans la lassitude ; car je ne peux me résoudre à n'ecouter qu'un son de cloche, celui qui correspondrait a mes propres idees ou idéaux, c'est pourquoi ces accusations de bien-pensence me blesse quand je sais l'effort que je fais pour écouter et voir les médias divers pour constater qu'ils sont de plus en plus d'une médiocrité ou d'un manque d'objectivite voire parfois d'un tel consensus d'état !
Alors ici sur CL, même si parfois je ne suis pas d'accord ou contente je sens l'échange d'idées et surtout l'analyse. C'est pourquoi Martin, s'il abandonnait sa propagande, est pour moi utile car je sens qu'il est vrai, et Rad n'aurait pas dû partir car je sais qu'il aurait aimé ces derniers échanges.
Quant à Frunny, c'est un vrai tourment pour moi :-) (avec ces oscilliations Gaza et rêves de pouvoirs extrême-droite)...mais je ne renonce pas à parvenir peut-être un jour à comprendre...

Pieronnelle

avatar 06/04/2024 @ 17:14:41
Desolée j'ai omises les balises pour le texte du debut de Eric...

Frunny
avatar 06/04/2024 @ 20:19:06
Par exemple, pour rester sur Bolloré et ses chaînes (CNews, C8, Canal), comment un député (Quentin Bataillon) peut-il aller sur TPMP pour, sans y voir le moindre problème, débattre avec Cyril Hanouna du travail EN COURS de la commission d'enquête qu'il préside sur les chaînes de la tnt !
C'est hallucinant !



100% d'accord avec toi Pieronnelle. c'est minable !
J'aurais apprécié que tu évoques les commissions d'enquête diligentées contre Rachida Dati et Vincent Bolloré par un député LFI. Un interrogatoire à charge d'une médiocrité rarement entendue. Malheureusement pour lui, il n'était pas de taille devant ces 2 personnalités et s'est ridiculisé devant tout le monde...

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