Le Christ s'est arrêté à Eboli de Carlo Levi

Le Christ s'est arrêté à Eboli de Carlo Levi
( Cristo si è fermato a Eboli)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Septularisen, le 24 octobre 2008 (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 10 avis)
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L'AUTRE LEVI DE LA LITTERATURE ITALIENNE...

Après Primo LEVI (1919-1987), voici l’autre LEVI de la littérature Italienne du XXe Siècle… Carlo LEVI (1902-1975), né à Turin et médecin de formation, il n’a cependant jamais pratiqué la médecine préférant de très loin la peinture et surtout... l’écriture.

Antifasciste notoire, il est arrêté en 1935 par les autorités italiennes en place et condamné au «confinamento», c'est-à-dire à l'exil intérieur surveillé, durant les années 1935-36. Il est alors envoyé dans le "Mezzogiorno" à Grassano, puis à Aliano (qu’il appellera Gagliano dans son livre) au fin fond de la Lucanie (aujourd'hui la Basilicate) dans le Sud de l’Italie.
En 1943-44, il racontera cet exil forcé dans son livre autobiographique, «Le Christ s’est arrêté à Eboli» (qui paraîtra en 1945), devenu un des livres les plus célèbres de la littérature italienne.

De quoi nous parle-t-il dans ce livre ? Et bien, tout d’abord, il y a très peu d’action, et il ne se passe «pas grand chose», Carlo LEVI est, ne l’oublions pas, tout d’abord un peintre et donc il «peint» avec sa plume, le portrait d’une région, d’un village, des pauvres gens abandonnés de tout et de tous qui l’habitent, eux aussi confinés à la marge de la civilisation moderne…

Carlo LEVI, (qui ne peut quitter le village), passera donc son exil à peindre, soigner gratuitement les paysans, et surtout à se promener et à décrire les gens, les pauvres qui vivent comme des animaux dans des cavernes, ceux qui se sont enrichis en allant travailler en Amérique, le coiffeur-arracheur de dents, le Podestat fasciste, les deux autres médecins du village qui sont jaloux de son savoir, les femmes du pays et leur étonnante sensualité, les seigneurs, les veuves, les sorcières et leur rites religieux (qui n’ont rien de religieux d’ailleurs), les carabiniers…

Il raconte ce qu’il voit chaque jour, la misère, la malaria qui décime les populations, les montagnes, la campagne, les enfants, les animaux, les maladies, les sentiers dans les montagnes… mais surtout les habitants et les paysans de Gagliano, leurs amours, leurs haines, leurs conflits, leurs croyances, leurs révoltes, leurs peurs…le tout dans d’étonnants portraits très réalistes, le contraste est étonnant entre lui, intellectuel cultivé, médecin, peintre et écrivain, et la population qui l’entoure, ignorante, inculte et vivant comme au moyen âge au milieu des animaux et des croyances.

Finalement, il tombe littéralement «amoureux» de ce pays, au point d’hésiter à repartir le jour où il sera libéré de son confinement (Carlo LEVI a d’ailleurs demandé à être enseveli à Aliano, où en plus de sa sépulture on peut encore aujourd’hui visiter la maison où il vécut et voir certaines de ses peintures).
La fin du livre se change d’ailleurs en un véritable réquisitoire pour la défense du «Mezzogiorno», et contre les injustices sociales et les problèmes de ces régions, complètement abandonnées par Rome.
C’est d’ailleurs en partie de là que vient le titre du livre puisque l’expression «Le Christ s’est arrêté à Eboli» est utilisée par les habitants de Aliano eux-mêmes, puisqu’ils disent qu'Eboli est le dernier pays de «chrétiens» (chrétien étant à prendre ici avec la signification italienne d’homme…) et que dans les villages suivants, parmi lesquels le leur, on ne vit pas une vie de chrétiens... mais d’animaux!

Il est toujours difficile de critiquer un livre comme celui-ci, véritable «monument» de la littérature italienne (traduit en 37 langues), d’après guerre et sur la Deuxième Guerre Mondiale (au même titre que «Si c’est un homme» de Primo LEVI où «Le sergent dans la neige» de Mario RIGONI-STERN), on se sent humble et très petit, face à des œuvres aussi magistrales... je dirais toutefois que c’est un grand livre, écrit dans une langue belle et accessible, par un grand, très grand écrivain, décrivant de façon merveilleuse les hommes et les paysages italiens… les fouillant jusqu’au plus profond de leur âme…

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les damnés de la terre

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 75 ans) - 2 avril 2018

Relégué dans une petite ville de Basilicate, dans le sud de l’Italie mussolinienne, l’auteur, antifasciste notoire, nous conte par le menu sa vie dans ce coin perdu, oublié de tous. Il va y découvrir une civilisation paysanne, remontant aux temps les plus lointains et ayant survécu à toutes les vicissitudes de la religion et de la politique. Dans un paysage de mauvaises terres infestées par la malaria (le paludisme), la population survit au prix d’un labeur effréné, avec comme seule médecine le savoir ancestral de quelques sorcières patentées. Carlo Levi, qui a abandonné l’exercice de la médecine, y exerce son activité favorite, la peinture. Devant la misère physique et morale des paysans et le désintérêt des villageois les plus aisés (les "seigneurs"), il va se mettre à les aider et leur apporter quelque réconfort, stoppant pour un temps la mortalité galopante qui ravage la population. Dans ce récit puissant, l’auteur nous délivre un message aux résonances tout actuelles. Que représente l’État, et ses affidés, lorsque l’on se sent collectivement mis au ban de la société ? La révolte, lorsque la situation devient insupportable, n’est-elle pas la seule façon de se faire entendre, même si l’on sait d’avance qu’elle est vouée à l’échec ? Hors des idéologies dominantes, qu’elles prônent la dictature ou la démocratie, Carlo Levi propose des solutions pour redonner leur honneur aux plus démunis. Puisse son message être entendu, en ces temps où s’effondrent les modèles politiques et économiques qui ont cru assurer le bonheur de l’humanité…

tout est dit

8 étoiles

Critique de Krapouto (Angouleme Charente, Inscrit le 4 mars 2008, 78 ans) - 9 septembre 2017

Tout est dit, et bien dit, dans les précédentes critiques. En effet, il ne se passe rien ou presque. La relation de 3 années où en effet il ne s'est pas passé grand chose. j'ai découvert ce livre après un voyage en Basilicate (anciennement Lucanie), et heureusement , on ne reconnait pas aujourd'hui la région décrite par Carlo Levi. Dans ses descriptions de paysages, il n'est jamais question du moindre olivier alors que c'est la base de l'économie de la Basilicate et du Mezzo-giorno.
La finesse des descriptions des paysages n'a d'égale que celle des gens, leur physique bien sûr mais surtout leur psychologie, leur mentalité, cette tristesse, cette résignation est bouleversante. Par contre l'envolée politique vers la fin du livre est pour moi obscure et inintelligible.
Après l'épisode Gagliano, Carlo Levi a vécu en France, et rentré en Italie en 41 il a été emprisonné jusqu'en 44 date à laquelle il a publié ce livre. Je me demande si depuis il y est retourné autrement que pour s'y faire enterrer, pour y vivre, ou simplement pour replonger dans ses souvenirs , et noter les changements intervenus après-guerre.

Eboli, mon amour.

8 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 8 septembre 2017

Eboli, mon amour.

1935, l’Italie vibre sous le fascisme. Un drôle d’homme chauve aboie dans les micros lors des meetings obligatoires. Ceux qui applaudissent trop mollement sont « confinés » c’est à dire mis en résidence surveillée, dans un coin reculé de préférence, histoire de ne pas contaminer les bons enfants du peuple.
Des coins reculés… l’Italie en regorge dans tous ses recoins et c’est à Eboli que le narrateur trouvera son refuge.
Eboli, le trou du cul du monde, même les armées romaines en ignoraient l’existence.
Des hommes s’échinent sur une terre ingrate, des femmes enfantent des candidats à la malaria qui règne. Cette curieuse maladie est friande de pauvres et elle a trouvé là son repaire.

Carlo Levi nous parle avec bonheur de ce pays où il vécut deux ans. Des anecdotes touchantes, un très bon livre qui date de… 1948.

Et au sud d’Eboli, ce ne sont plus des hommes …

9 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 28 janvier 2017

Soyons clair ; il ne s’agit pas d’un roman, mais plutôt du cri d’amour d’un homme, Carlo Levi, pour un pays, la Lucanie, au fin fond du sud déshérité de l’Italie, la Basilicate dirait-on plus officiellement, et de ses habitants ; des paysans, tellement pauvres et maintenus dans une misère intellectuelle et financière qu’ils ne se considèrent pas comme des hommes, des chrétiens, d’où le fameux : « Le Christ s’est arrêté à Eboli ».
Carlo Levi a 33 ans en 1935 quand il est arrêté pour comportement antifasciste et consigné (« le confinamento ») en résidence surveillée à Gagliano, au milieu de nulle part – pensez ! le Christ lui-même s’est arrêté à Eboli ! – en Lucanie donc. Il n’y a rien à Gagliano. Il est placé sous le contrôle du « Podestat » local, le représentant local du parti fasciste ; instituteur qui n’instruit pas mais qui surveille, mais qui se livre à la délation, pathétique édile.
Très vite, le fait qu’il soit médecin se répand. En fait il a fait les études de médecine mais n’a pas exercé, se consacrant à la peinture et à l’écriture. Néanmoins il ne peut rester indifférent à la détresse absolue de ce « lumpen-prolétariat », exposé à la malaria entre autres ( !! en Italie au XXème siècle !) et livré aux mains cupides et incompétentes de deux caricatures de vieux médecins. Il se penche donc avec compassion sur ce peuple qui lui fait confiance et tente d’apporter soins et réconfort avec quasiment aucun moyen.
Son statut « d’intellectuel » lui procure un minimum de respect de la part des édiles, fascistes ou fascisants, et lui permet de continuer à soigner sans autorisation.
Au bout d’un an de ce régime de confinamento, il sera autorisé à quitter Gagliano et c’est presqu’à regret qu’il le fera, en ayant un peu l’impression d’abandonner des hommes et des femmes qui n’avaient que lui en qui placer leur confiance.

« Les paysans venaient me trouver et disaient : « Ne pars pas, reste avec nous. Epouse Concetta. Ils te feront podestat. Il faut que tu restes toujours avec nous. » Quand le jour de mon départ fut proche, ils menacèrent de percer les pneus de la voiture qui m’emporterait. « Je reviendrai », dis-je. Ma ils secouaient la tête. « Si tu pars, tu ne reviendras plus. Tu es un bon chrétien. Reste avec nous autres, paysans. » Je dus promettre solennellement que je reviendrais, et je le promis en toute sincérité ; jusqu’ici je n’ai pas pu tenir ma promesse. »

L’histoire elle-même est très ténue comme on peut le constater. Mais l’histoire n’est qu’un support, un peu ce qu’est un tuteur à une plante grimpante. Et la plante grimpante ce sont les relations, les descriptions, les considérations qu’a Carlo Levi pour cette campagne misérable et pourtant lumineuse, pour ces femmes et hommes moins que des chrétiens (« Le Christ … ») qui se révèlent simplement des êtres humains exploités, maintenus quasiment sciemment et volontairement dans un état de servitude moyenâgeux.
C’est dans une très belle langue que tout ce tableau nous est brossé et on ne peut qu’avoir le cœur serré en touchant du doigt la réalité quotidienne de ces hommes-là.

Envoûtant !!

9 étoiles

Critique de Herve2 (, Inscrit le 23 mars 2011, 54 ans) - 26 septembre 2015

Envoûtant. C'est le premier qualificatif qui me vient à l'esprit à la fin de la lecture de ce roman. Car il ne s'y passe pas grand-chose dans cette histoire, ce récit devrait-on plutôt dire. C'est d'ailleurs le sujet, cette absence de vie dans cette partie de l'Italie, abandonnée de tous, et donc même de dieu.
L'humanité qui se dégage de la vision de l'exilé est particulièrement touchante. On se prend même à souhaiter découvrir cette partie du monde, à ce moment de l'histoire.
Vraiment magnifique.

Un récit-témoignage intense, de grande humanité

10 étoiles

Critique de Provisette1 (, Inscrite le 7 mai 2013, 11 ans) - 3 janvier 2015

C'est sans nul doute la plume exceptionnelle de Carlo Levi qui rend ce témoignage plus bouleversant encore, ses "peintures" tant de son environnement géographique, physique qu'humain étant, tout au long de ces pages, fines, vivantes, captivantes car profondes et sans jugement.

Outre tout ce qui en a été dit dans les autres critiques, j'ai trouve passionnantes les pages consacrées à l'histoire de ces paysans profondément émouvants, misérables, "sombres, renfermés, solitaires, renfrognés", de ces villages abandonnés à travers l'Histoire d'une Italie dont, ici, à Gagliano, ils sont si loin, "où on suivait les trois couleurs qu'ici on trouve étranges, les couleurs héraldiques d'une autre Italie incompréhensible, volontaire et violents.".

"Leur coeur est doux et leur âme patiente. Des siècles de résignation ont courbé leur échine et le sentiment de la vanité des choses et de la toute-puissance de la Destinée. Mais malgré leur endurance infinie si l'on touche au fond de leur être à un sentiment élémentaire de justice et de défense, leur révolte furieuse est sans bornes."

Un livre qui, malgré toute cette désolation serrant souvent le coeur, restera un voyage humain enrichissant car, au fond, rapporté à notre époque, qui ne connait pas un de ces villages?

Très riche, tant historiquement que littérairement

9 étoiles

Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 53 ans) - 10 janvier 2012

Lorsque Carlo Levi arrive à Gagliano, en 1935, pour y rester trois ans assigné à résidence, il dit avoir eu « l’impression d’être tombé du ciel, comme une pierre dans un étang ».
Gagliano, « un tout petit village, loin des routes et des hommes », est un lieu comme hors du temps, où les coutumes et les moeurs ancestrales règnent : la sorcellerie, les philtres d’amour, la charlatanerie, la passatella (le « jeu des paysans », exutoire qui finit pourtant souvent mal), les charmeurs de loup, le brigandage…
Cet enfermement forcé, ce « confinement » imposé incite et pousse au repli sur soi.
Et Carlo Levi, dans la langueur des longues journées sans but et sans fin, observe, peint, dépeint, décrit et analyse.

Entre descriptions magnifiques (on voit, on entend les nuées de mouches qui tournoient dans le silence épais des chaudes après-midi d’été), récit et réflexions, il réussit à nous immerger dans ce monde paysan, archaïque, où les « galantuomini » (les propriétaires bourgeois) côtoient les « cafoni » (les paysans) sans jamais se rencontrer vraiment, tout comme l’état et le peuple, ou encore l’Italie du Nord et celle du Sud, se jaugent dans une indifférence teintée de mépris réciproque.
« Deux civilisations très différentes coexistent l’une à côté de l’autre, dont aucune n’est en mesure d’assimiler l’autre. »

Lieu reculé et acculé, Gagliano semble comme oublié des Dieux.
Au bout d’un an, Levi est autorisé à s’en aller, et il finit par s’en aller, presque à regrets.
Mais il n’oublia pas.

Un pays oublié de Dieu

8 étoiles

Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 58 ans) - 28 décembre 2011

"Un pays oublié de Dieu", c'est le titre me semble-t-il d'un ouvrage d'un poète. Cela s'applique tout à fait au pays décrit par Levi dans ce chef-d'oeuvre de la littérature italienne.

Septu a très bien expliqué de quoi ça parle, et je le remercie vivement de m'avoir donné envie de lire ce livre. L'absence de récit peut surprendre, c'est un livre long, lent et contemplatif : comme l'indique Septu, il n'y a pas d'histoire dans ce livre.

J'ai bien aimé le regard par moment ironique mais toujours chaleureux que l'auteur porte sur le petit peuple. Un regard d'intellectuel (il est condamné à réclusion pour anti-fascisme) mais surtout de peintre, et en effet le livre est une succession de petits tableaux.

J'ai beaucoup aimé ses réflexions sur la condition paysanne. Les paysans sont asservis au pouvoir central. Il n'y a pas "une" Italie, mais deux, ces paysans étant viscéralement opposés aux fonctionnaires et aux bourgeois qui les laissaient crever. Ils vivent dans une misère noire, dans un monde moyen-âgeux, ils succombent à la malaria à cause de l'insalubrité et du manque de travaux pour y contrer. Le monde de ces paysans est peuplé par leur mythologie, c'est un monde de superstitions, où les brigands sont des héros de légendes, il y a des anges et des démons, des sorcières. Les haines ancestrales couvent dans chaque petite maison.

Le film de Francesco Rosi est très réussi, et surtout on y voit les endroits où l'auteur a vécu, notamment la maison où il a peint.

Merci du conseil

9 étoiles

Critique de Bebmadrid (Palma de Mallorca, Inscrit le 29 novembre 2007, 44 ans) - 18 mars 2011

Merci beaucoup pour votre critique. Sans vous, je n'aurais jamais découvert ce fabuleux roman. C'est superbement écrit, c'est prenant, c'est poétique, c'est en plus instructif.
Un vrai coup de coeur.

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  Le film 11 Radetsky 28 décembre 2011 @ 16:01

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