La belle bête de Marie-Claire Blais

La belle bête de Marie-Claire Blais

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 8 septembre 2005 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 057ème position).
Visites : 8 470  (depuis Novembre 2007)

Haro sur les mères

La littérature québécoise des années 50 connaît un creux. Tous les romanciers ont livré leur vision de la première moitié du 20e siècle. Ils ont débattu en particulier des valeurs rurales et urbaines ainsi que de la survivance du français et du catholicisme. À bout de souffle, il fallait une relève qu’Yves Thériault (1915-1985) a assurée par ses œuvres consacrées aux Amérindiens. Avec Anne Hébert (1916-2000), nous plongions dans des œuvres manichéennes, et Marie-Claire Blais (1939) suit, à 17 ans, les mêmes sillons que sa consœur. D’ailleurs son premier roman, La Belle Bête, s’inscrit dans les mêmes paramètres que Le Torrent, une longue nouvelle de son aînée. (Critique sur le site)

Les années 1950 forment donc une charnière qui ouvre la littérature à de nouvelles thématiques. Surgit en particulier l’image maternelle que l’on associe à tous les maux de la société. Dans La Belle Bête parue en 1959, Isabelle-Marie reproche amèrement à sa mère Louise de la rejeter à cause de sa laideur au profit de son frère Patrice, une belle bête dépourvue d’intelligence. La dynamique de la haine qui en découle porte des germes de mort qui, selon l’héroïne, engendreront une vie meilleure. La mort à la rescousse du bonheur ! Une perception faussée par le dérèglement des sentiments qui se nourrissent de jalousie et de vengeance.

Cette trame laisse glisser des fils oniriques que Freud a bien analysés dans ses œuvres. Le cheval donne à Patrice la force morale qu’il n’a pas alors que l’eau lui permet d’apprécier le seul trait intéressant que la nature lui a conféré. Dans un roman qui se présente comme un recommencement, le feu devient l’arme idéale de l’héroïne en quête de lendemains prometteurs. Au niveau social, le roman apparaît comme un témoin du tournant pris par le Québec autour des années 60, et qu’on a qualifié de Révolution tranquille. Rejetant le passé pour accéder au rang de société moderne, l’État s’est donné les outils nécessaires à son développement comme la création des ministères de l’Éducation et de la Santé, domaines relevant jadis des communautés religieuses. À l’instar de l’héroïne, nous nous sommes débarrassés de nos vestiges, sans énoncer les valeurs que nous privilégions. Le Québec s’est doté malgré tout d’un projet souverainiste, contrairement à Isabelle-Marie qui est silencieuse sur le destin souhaité. C’est une œuvre visionnaire après coup, mais c’est surtout une œuvre de jeunesse : refaire le monde à partir de zéro. En fait, l’auteure décrit les horreurs d’un monde sans amour à travers l’image d’une famille animée par une veuve, propriétaire d’une ferme assurant le lien entre notre passé et notre avenir. Louis Hémon doit se retourner dans sa bière, lui qui souhaitait l’immobilisme des french frogs, surnom que nous avons hérité des anglophones.

Comme Anne Hébert, elle ouvrait la voie à des ego prêts à contrecarrer les plans machiavéliques de leur destinée. Avec une plume classique et sans l’hermétisme qui caractérise les œuvres récentes de l’auteure, La Belle Bête court à sa perte à travers une intrigue bien huilée. Pour une jeune femme qui voulait souligner sa majorité prochaine, on peut dire qu’elle a conçu une œuvre d’une intériorité passablement riche, dont on a tiré un scénario que l’on est en train de tourner.

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La haine...

7 étoiles

Critique de FranBlan (Montréal, Québec, Inscrite le 28 août 2004, 81 ans) - 25 février 2015

Je fais partie de certains québécois (plusieurs, selon…) rebutés par l’oeuvre de Marie-Claire Blais, c’est-à-dire, inaptes à pénétrer dans l’univers littéraire de celle acclamée comme l’un des plus grands écrivains de sa génération.
J’ai vécu cet échec, il y a un peu plus de trente ans, avec “Les Nuits de l’Underground”, publié en 1978, livre que j’ai toujours conservé d’ailleurs…

Au printemps dernier, “La belle bête”, premier roman de l’auteur publié en 1959, a remporté le 11e Combat des livres. J’adore ce débat annuel étalé sur une semaine et tenu à l’intérieur d’une émission littéraire quotidienne à la radio de Radio-Canada. Instauré à l’origine à la radio anglaise de Radio-Canada, “Canada Reads”, ce combat amical a pour but de promouvoir les auteurs canadiens.
Quatre personnalités canadiennes débattent ainsi de la valeur de l’intérêt pour les lecteurs canadiens d’une oeuvre littéraire canadienne de leur choix.

Défendu de brillante façon par Paul Cargnello, musician montréalais anglophone, rien de moins…, convaincue par son habile plaidoyer, je me suis procuré ce livre et l’ai lu ces derniers jours, jusqu’au bout!

Un premier roman tenant du fantastique, auquel j’ai peu adhéré, où se confondent contes, légendes et mythes donnant à l’oeuvre son atmosphère fantastique et grotesque, son ton poétique et son allure débridée, au contenu dominé par la beauté et la laideur, la rivalité fraternelle et plus que tout, la haine, une haine macabre du début jusqu’à la fin.

Ce qui m’a impressionnée, aussi du début jusqu’à la fin de cette courte lecture, est la beauté de l’écriture.
«Patrice, indifférent à l'entourage, se serrait contre sa mère, ses larges yeux verts tombés en pleine nuit. Les cils, sur les joues l'une plus émue que l'autre, frémissaient. Le front était blanc, intact, doux comme un flanc de cygne. Les lèvres nues roulaient sans se tendre. Jamais n'apparaissait un goût de vie sur ces lèvres. Des lèvres de mort. Isabelle-Marie le fixa sournoisement : "Une Belle Bête!" murmura-t-elle entre ses dents.»

Fresque historico-psychologique du Québec...

8 étoiles

Critique de FightingIntellectual (Montréal, Inscrit le 12 mars 2004, 41 ans) - 15 janvier 2007

...oui, c'est très court... parce qu'il n'y a pas beaucoup à raconter! D'une grande justesse psychologique pour un roman supposément écrit à l'âge de 17 ans. C'est le portrait d'une famille québécoise déformée par l'absence d'un père et par l'amour d'une mère pour son fils. La figure de Patrice et Louise est très intéressante. Amoureuse de son fils, elle vit une symbiose avec lui parce qu'il lui rappelle sa beauté. Symbiose narcissique qui prive Patrice de son propre reflet, de sa propre individualité de par le monde, chose brillamment identifiée par le reflet de Patrice dans l'eau. Sans l'amour de sa mère, Patrice ne sera pas, ce n'est que par sa mère qu'il s'actualisera de par le monde.... et c'est de par cette mère que s'actualisera sa perte, vis à vis du monde, vis à vis de sa soeur qui représentera toujours l'Autre, l'Étrangère, celle qui est par elle-même, de par le monde.

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