Par-dessus l'épaule de Théodore : Carnets du Rwanda de David Collin, Jean-Luc Cramatte, Bruno Doucey, Christian Doumet

Par-dessus l'épaule de Théodore : Carnets du Rwanda de David Collin, Jean-Luc Cramatte, Bruno Doucey, Christian Doumet

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Sahkti, le 22 mars 2005 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 4 438  (depuis Novembre 2007)

Entre survivants et génocidaires

Les tueurs ne portaient ni cagoule ni masque. On les connaissait bien. Rien de tribal ni de "pittoresque" dans ce pays-là à l'heure du carnage. Au contraire, rien que du très familier. On tuait à visage découvert et pourtant "il n'y avait plus rien de présent que l'animalité et la mort". Etrange contraste entre la plus grande violence et une liberté absolue d'agir en pleine impunité, sans inquiétude. (David Collin)

"Ce livre n'est pas un essai sur le Rwanda mais le carnet d'un retour au pays des ombres" (Bruno Doucey)
C'est un projet photographique réalisé par David Collin et Jean-Luc Cramatte dans le cadre de la manifestation "Rwanda 1994-2004, le sens de la commémoration", organisée par Radio Suisse Romande en avril 2004.

Etrange livre que voilà. Beau, très beau même. Papier épais et mat, agréable au toucher, comme si il fallait un peu de douceur pour appréhender ce qu'il recèle. Le génocide rwandais. Un génocide pas encore vraiment entré dans l'Histoire avec un grand H. Il faudra du temps. A tout le monde. Le temps d'accepter, de parler, de reconnaître, d'oublier.

Cet ouvrage fait la part belle aux photograhies de Jean-Luc Cramatte, accompagnées de commentaires de David Collin.
Du génocide vous ne verrez rien et pourtant il est là, éclatant, terrible, il s'étale sous nos yeux.
Les photographies sont superbes, pleine page, débordantes de couleur et de chaleur. Cet esthétisme pourtant non revendiqué par les auteurs ajoute au malaise ressenti par le lecteur: pourquoi, comment...? L'esprit accepte avec difficulté ces sourires et ces regards, ces signes d'une vie quotidienne rendue à la "normale". Car derrière ces visages muets, ces casiers de Coca-Cola, cette femme séduisante ou ce blanc à l'air bonnard se cache l'horreur. Un mur fraîchement repeint de blanc tait l'innommable.
La récurrence des clichés montrant des vêtements déchirés jetés dans les fourrés rappelle que le soupçon n'est jamais loin. Au Rwanda tout le monde est concerné, bourreau ou victime, on n'a pas le choix.

Naviguant entre lyrisme et symbolisme, les phrases courtes et percutantes de David Collin racontent ce qui ne peut l'être. Aucun voyeurisme, le sentiment d'une certaine indécence, beaucoup de silences et des interrogations à peine formulables. Comment affronter le regard d'autrui quand on conserve en mémoire les images de l'horreur? Comment ne pas baisser les yeux face à une population oubliée de tous, dévorée par l'oeil vicieux de nos caméras occidentales pendant le conflit?
Il s'en dégage une ambiance pesante, on ressent la gorge serrée de l'auteur lorsque le génocide a insidieusement pris place dans sa tête lorsqu'il regardait par dessus l'épaule de Théodore, son chauffeur et guide.

C'est un livre au final bien plus parlant que divers essais politiques ou ouvrages polémiques. Il nous montre un pays en train de renaître sur des braises encore incandescentes.
Merci aux auteurs et aussi aux éditions Labor et Fides pour la qualité de leur travail d'édition.

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