La porte étroite de André Gide

La porte étroite de André Gide

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Fee carabine, le 17 février 2005 (Inscrite le 5 juin 2004, 49 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 277ème position).
Visites : 8 775  (depuis Novembre 2007)

Petit traité des chimères

C'est un homme amer et désabusé qui s'épanche dans ces pages, ces pages dont il nous dit d'entrée de jeu que "d'autres en auraient pu faire un livre; mais l'histoire que je raconte ici, j'ai mis toute ma force à la vivre et ma vertu s'y est usée." Pourtant "La porte étroite" commence presque sur un mode bucolique: Jérôme et Alissa sont cousins, ils passent toutes leurs vacances ensemble en famille dans la propriété normande des parents d'Alissa... Mais sous ces dehors bucoliques, on perçoit très vite des interrogations pressantes, et même inquiétantes... Les questions suscitées par le comportement étrange, quelque peu lunatique, de Lucile Bucolin - la mère d'Alissa - plongée dans une perpétuelle langueur dont elle n'émerge que pour sombrer dans des "crises" violentes. Un comportement qui fait tache dans cette famille de la bonne bourgeoisie protestante, austère et dure au travail.

Au cours de ces mois d'été passés côte à côte, Jérôme et Alissa ont appris à tout partager, leurs lectures, leurs réflexions, les plaisirs tout simples du jardinage ou d'une promenade dans le parc, et jusqu'à leurs cheminements spirituels. Bref, Jérôme et Alissa s'aiment d'amour tendre, mais le lecteur sait dès la première page et l'aveu de Jérôme sur lequel s'ouvre ce livre, que leur amour ne s'épanouira pas. Et bien sûr, le lecteur ne peut que se demander pourquoi et comment tant de confiance, de tendresse et de complicité ont pu ne laisser derrière eux que cendres et amertume... Et le génie d'André Gide, et ce qui fait la grandeur de ce petit livre - même pas 200 pages -, est de ne pas répondre. "La porte étroite" dévide le fil de l'évolution des relations entre Jérôme et Alissa, et les motifs de leurs atermoiements: recherche du salut, appel à la sainteté et refus d'un bonheur facile ("Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition, et nombreux sont ceux qui y passent; mais étroite est la porte et resserrée la voie qui conduisent à la Vie, et il en est peu qui les trouvent.", Luc XIII, 24), déception lors des retrouvailles avec un être bien réel après des mois d'éloignement et d'une correspondance de haute volée, la quête d'un amour idéal et finalement l'idée que leur amour n'était qu'une illusion... Les pistes sont nombreuses, André Gide se garde bien de trancher et le lecteur ne peut que regarder, le coeur serré, Jérôme et Alissa se perdre entre leurs chimères, les rêves et la réalité, qu'on finit du reste par avoir bien du mal à distinguer.

"La porte étroite" m'a tout d'abord laissée sceptique - un style vieillot, des personnages dont les interrogations échouent dans un premier temps à éveiller la sympathie. Et puis, petit à petit, à mesure que j'avançais dans ma lecture, le scepticisme a cédé la place à la perplexité devant les errances et les renoncements de Jérôme et Alissa. Enfin, au cours des jours qui se sont écoulés depuis que j'ai refermé ce livre, j'ai continué à m'interroger sur ces chimères qui ont égaré les héros de Gide, sur ces chimères bien promptes à faire dérailler nos vies, des chimères aux visages parfois si séduisants mais qui ne sont qu'autant de masques de nos peurs les plus secrètes... Des chimères qui depuis 1909 et la première publication de "La porte étroite", se sont inventés d'autres visages. Mais c'est toujours la même peur, de vivre, de souffrir, la peur d'échouer et puis la peur d'aimer... Et "La porte étroite" continue à me suivre, tout comme ce verset de la première épître aux Corinthiens qui me trottait dans la tête tout au long de ma lecture: "Quand je distribuerais tout mon bien en aumônes, que je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert à rien."

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Les éditions

  • La Porte étroite [Texte imprimé] André Gide
    de Gide, André
    Gallimard / Collection Folio.
    ISBN : 9782070362103 ; 6,30 € ; 27/09/1972 ; 185 p. ; Poche
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Rigueur du style

8 étoiles

Critique de Alceste (Liège, Inscrit le 20 février 2015, 62 ans) - 31 décembre 2019

Roman d’analyse dans la grande tradition française qui va de La princesse de Clèves au Diable au corps, en passant par La nouvelle Héloïse, et autre roman épistolaire, en remontant même jusqu’à la courtoisie médiévale, puisque là aussi, la consommation de l’amour est sans cesse reportée et sublimée.
Jérôme et Alissa sont cousins, mais – acceptons cette convention de l’époque- promis au mariage. Ils ont en commun le goût des belles lectures (Baudelaire, Pascal, l’Imitation,…) et la foi en Dieu. Leur amour sera vécu dans une sorte de transe mystique qui les mènera dans une voie d’exigence et d’élévation finalement impossible à atteindre. Au rythme des éloignements et des retrouvailles (les « revoirs », comme Gide les nomme curieusement), Jérôme n’aura de cesse de se plier aux épreuves imposées par Alissa, qui de son côté, se murera dans une posture de rigueur de plus en plus intransigeante.
Deux extraits sont éclairants :
«
- Mon ami, commença-t-elle , crois- moi, nous ne sommes pas faits pour le bonheur.
- Mais que peut préférer l’âme au bonheur ? m’écriai-je impétueusement. Elle murmura :
- La sainteté. »
« La route que vous nous enseignez, Seigneur, est une route étroite, étroite à n’y pouvoir cheminer à deux. »
En fin de compte, Alissa reprochera à Jérôme de chercher une récompense, là où une âme vraiment pure « se tient pour peu remarquable et sait qu’elle ne doit quelque valeur qu’à son effacement devant Dieu ». Et c’est ainsi qu’elle le repousse, non sans se morfondre en elle-même. Ce que confirme une sorte d’annexe au roman qui exposera judicieusement le point de vue d’Alissa sur les événements rapportés d’abord par la conscience de Jérôme.
Un beau roman classique, où tout est subordonné à la recherche de la vérité psychologique, aux vertiges de l’introspection.

Que c’est triste d’aimer .

7 étoiles

Critique de Kikiolf (Mulhouse, Inscrit le 4 septembre 2012, 42 ans) - 13 septembre 2012

«La porte étroite» est un récit sur les sentiments amoureux.

Le personnage principal, Jérôme, est fou d’amour pour Alissa, sa cousine. Elle-même a des sentiments très forts pour lui mais préfère attendre pour officialiser leur union. Que ce soit la famille ou les amis, tous, sont persuadés que les deux jeunes adolescents finiront leur vie ensemble.

Cependant dès le début du récit, Jérôme nous apprend que ce ne seras pas le cas.

Pourquoi ? Qu’a-t-il pu se passer ? C’est à travers les souvenirs de Jérôme que nous allons l’apprendre.

Une fois la dernière page tournée, un sentiment de tristesse m’a envahi suivi par de la révolte. Quel gâchis ! Tout au long du récit j’eu l’envie d’aider Jérôme, de secouer Alissa, de tenter quelque chose pour eux.

Ce petit roman m’a fait réagir et réfléchir, je ne peux que vous le conseiller.

Abnégation

9 étoiles

Critique de Krystelle (Région Parisienne, Inscrite le 10 juin 2004, 44 ans) - 17 février 2005

La Porte étroite continue à me suivre moi aussi depuis quelques années déjà. Cette oeuvre touche à des sujets essentiels tels que l’amour, la religion ou la mort et les aborde avec une étrange modernité.

L’histoire d’Alissa et Jérôme, c’est celle d’un bonheur que l’idéal d’abnégation rend impossible. Les protagonistes sont déchirés par un violent combat entre les sentiments et la vertu. C’est à la fois triste et magnifique.

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