Le Livre de Hain, Intégrale, Tome 1 de Ursula K. Le Guin

Le Livre de Hain, Intégrale, Tome 1 de Ursula K. Le Guin

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique

Critiqué par Koolasuchus, le 15 décembre 2025 (Laon, Inscrit le 10 décembre 2011, 36 ans)
La note : 8 étoiles
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Passionnant mais exigeant

Même si son œuvre phare, Terremer est à classer dans le genre de la fantasy, Ursula K. Le Guin a également écrit un certain nombre de récits tenant plutôt de la science-fiction. Ces derniers prennent tous place dans le même univers, désigné sous le nom de Cycle de l'Ekumen, Cycle de Hain ou bien encore et comme ici Le Livre de Hain. Il y a plusieurs milliers d'années les humains du monde de Hain ont colonisé de nombreuses planètes, notre Terre incluse. Leur civilisation a toutefois décliné mais, dans un lointain futur est créée une confédération interplanétaire du nom de la Ligue de tous les Mondes, qui deviendra l'Ekumen, et dont le but est de rallier les peuples de toutes les planètes à sa cause pour combattre l'Ennemi. Pour cela l'Ekumen envoie des émissaires qui leurs servent d'ambassadeurs et la plupart des histoires du Livre de Hain sont centrées sur eux.

Cela n'est toutefois que le point de départ imaginé par l'autrice afin, comme elle le dit elle-même, de ne pas avoir à réinventer un nouvel univers à chaque fois. En effet, comme Ursula K. Le Guin le précise dans l'introduction de ce livre, ce cycle n'a pas été pensé pour avoir une trame globale qui se suit, la plupart des récits peuvent se lire de manière totalement indépendante et même si les liens entre eux existent, ils sont dans l'ensemble assez ténus. Nous avons donc ici le premier volume de l'intégrale du Livre de Hain, composé de cinq romans et de leurs textes introductif écrits par l'autrice, un petit essai sur le genre ainsi que quatre nouvelles, le tout dans une traduction revisitée.

Le premier roman, intitulé Le Monde de Rocannon sert ainsi d’introduction à cet univers. Rocannon est à la tête d'une expédition ethnologique sur la deuxième planète du système solaire Fomalhaut. Son vaisseau et son équipe sont toutefois détruit par un ennemi inconnu venant d'une autre planète et, pour prévenir la Ligue de tous les Mondes de sa situation, il décide de se rendre sur leur base. Le trajet ne se fera toutefois pas sans mal et Rocannon devra affronter de nombreux dangers s'il souhaite mener à bien sa mission. Pour cette première incursion dans la science-fiction, Le Guin présente ici un récit qui lorgne pourtant pas mal sur la fantasy. Très inspirée par la mythologie scandinave, le prologue notamment est une réécriture d'une légende liée au collier de la déesse Freya, et ne montrant qu'assez peu de technologie futuriste, nous suivons Rocannon dans une quête qui se suit plaisamment mais qui ne fait pas non plus beaucoup d'étincelles. Il faut bien reconnaître que le prologue centré sur la reine Semlé forme la partie la plus originale et la plus réussie du texte ce qui fait que le reste du récit n'arrive pas vraiment à s'en remettre. Cela n'est pas non plus aidé par Rocannon qui est un personnage pas très marquant et qui manque un peu d'épaisseur.

Le deuxième roman Planète d'exil est un petit peu dans la même veine étant donné que nous somme sur une planète sur laquelle les civilisations en sont grosso modo à l'âge du Bronze et que la petite colonie de Hainiens présente n'utilise pas non plus de technologie avancée depuis le départ du dernier vaisseau pour la guerre, plusieurs centaines d'années auparavant. L'intrigue est narrée à travers le point de vue de trois personnages, Rolerie, une indigène qui ne manque pas de caractère, Jacob, un descendant des colons ainsi que Wold, le grand-père de Rolerie et chef de sa tribu. L'hiver approche et tout le monde se prépare à l'affronter mais cette année, les peuples qui vivent plus au nord et qui ont l'habitude de descendre dans le sud pour passer la saison se sont rassemblés et ont décidé de s'emparer des cités d'hivers de différents peuples, massacrant les hommes et capturant les femmes. Jacob désire une alliance entre les colons et les tribus pour leur faire face mais cela ne sera pas facile, d'autant plus que ce dernier et Rolerie ont également la bonne idée de tomber amoureux l'un de l'autre. Bien que ne manquant pas d'originalité sur certains points, je ne peux pas dire non plus que j'ai été vraiment conquis par ce texte, certes, Rolerie, Jacob et Wold réussissent à être plutôt attachants mais le récit est parfois un peu laborieux. Je ne serais toutefois pas étonné si j’apprends un jour que ce récit a servi d'inspiration à George R. R. Martin pour son Trône de fer car l'on y retrouve notamment des saisons pouvant durer plusieurs années, une histoire débutant à l'approche de l'hiver ainsi qu'une coalition de tribus venant du nord et menaçant les protagonistes, ce qui fait beaucoup de points communs quand même !

On change toutefois de registre par la suite et Le Guin nous emmène sur les rivages du post-apocalyptique avec La Cité des Illusions. Nous suivons ici le voyage d'un homme amnésique recueilli par une petite communauté vivant isolée dans une forêt et renommé Falk sur la Terre qui a été envahie 1200 ans plus tôt par une race d'extra-terrestres appelés les Shing et qui contrôle désormais l'humanité. Partant à la recherche du mystère entourant ses origines, Falk part de la forêt et va traverser ce qu'il reste des États-Unis pour trouver les réponses à ses questions. Cette fois-ci le récit se révèle être vraiment prenant et l'intrigue m'a plutôt bien accroché. Les questionnements de Le Guin sur nos sociétés prennent également de plus en plus de place et même si le rythme a quelques petites baisses de régime de temps à autre cela est compensé par une belle écriture et de bonnes idées. J'ai toutefois été un petit peu déçu par la fin, certains moments m'ont paru un peu confus, les Shing se révèlent être peu intéressants et la conclusion est assez abrupte.

Le roman suivant, La Main gauche de la nuit est en revanche mon préféré de ce recueil et, au vu de ce que j'ai lu, a l'air d'être considéré comme un des meilleurs du cycle. Ce dernier se déroule sur la planète Nivôse, un endroit assez froid comme son nom l'indique et dont les habitants sont essentiellement androgynes. Il n’acquièrent en effet de caractéristiques sexuelles que quelques jours par mois et ces dernières ne sont pas définies lors de la naissance ce qui fait que chacun peut devenir homme ou femme durant ce laps de temps. Le protagoniste de cette histoire est Genly, un émissaire de l'Ekumen qui se retrouve ainsi immergé dans une société qui lui est des plus étrangère où les notions de genre qui façonnent les autres civilisations sont ici totalement atténuées car quand ils sont en « kemma », les habitants de Nivôse s'isolent du reste de la société pour faire leurs petites affaires. La mission de Genly est donc de convaincre ce monde de s'allier à l'Ekumen mais cela n'est pas facile et il doit faire face à l'hostilité de plusieurs gouvernements. Abordant ainsi de nombreux thèmes tels que la non-binarité, la loyauté ou bien encore la dimension sociale du genre, Ursula Le Guin propose ici une œuvre très aboutie proposant des réflexions assez passionnantes tout en réussissant à créer une civilisation à travers un prisme assez original. Le récit n'est pas oublié pour autant et même si, ici aussi, l'action marque parfois le pas au détriment du développement de la pensée de l'autrice, il reste très sympathique à suivre avec notamment une dernière partie qui ne manque pas d'intensité dramatique. Il n'y a guère que le personnage de Genly qui est un peu fade, heureusement que cela est compensé par Estraven, premier ministre de la Kharaïde et second narrateur du roman qui ellui a un caractère plus complexe et est ainsi bien plus intéressant à suivre.

Ce qui permet de se rendre compte que Le Guin a eu beaucoup de plaisir à imaginer cette société c'est que deux des nouvelles de ce recueil Le roi de Nivôse ainsi que Puberté en Kharaïde, sont en lien direct avec La Main gauche de la nuit. La première verse pour le coup véritablement dans la science-fiction avec une histoire de roi fuyant sa planète pour échapper à un complot tandis que la seconde aborde la thématique du kemma de manière bien plus frontale que dans le roman d'origine tout en en atténuant légèrement le côté hétérocentré qui dominait dans le roman originel. Très sympathiques à lire aussi bien l'une que l'autre malgré des tonalités assez différentes, ces deux nouvelles forment ainsi des ajouts qui ne manquent pas d'intérêt en enrichissant un univers déjà bien creusé.

Le dernier roman, Les Dépossédés est probablement celui qui met le plus en avant la pensée politique de l'autrice. Nous suivons ici Shevet, un savant d'Annares dont la société est très inspirée de l'idéologie communiste et anarchiste, se rendant sur Urras, la planète à laquelle Annares sert de lune et qui, elle, a une société très similaire au capitalisme que nous connaissons. Menant des recherches sur la physique temporelle dont les débouchés intéressent énormément les habitants d'Urras et pas vraiment ceux d'Annares, Shevet va ainsi découvrir une société très différentes de la sienne tout en devant éviter que ses recherches ne servent qu'une minorité au détriment de la majorité. Même si en soi ce roman présente des thématiques qui sont loin d'être dénuées d'intérêt en présentant deux sociétés avec leurs qualités et leurs défauts, le récit en devient parfois un petit peu ardu à suivre et donne parfois l'occasion de n'être qu'un prétexte pour donner l'occasion à l'autrice de développer sa pensée bien que les civilisations d'Anarres et d'Urras restent bien construites. Ainsi, même si c'est un bon roman, il n'est pas vraiment passionnant et donne trop souvent l'impression de lire un essai plutôt qu'une œuvre de fiction. Il faut dire aussi que cela n'est pas vraiment aidé par le personnage de Shevet qui, lui aussi, et cela commence à faire beaucoup, n'est pas très intéressant et j'ai eu bien du mal à le prendre en sympathie. Il y a également une nouvelle A la veille de la Révolution dont l'action prend place plusieurs années auparavant et mettant en scène Odo, la fondatrice du courant de pensée qui mènera au peuplement d'Anarres. Permettant d'approfondir un peu cet univers ce serait cependant mentir que de dire que j'ai trouvé cette nouvelle des plus utile, bien que pour le coup Odo s'avère être un personnage fort sympathique.

Il n'y a ainsi dans ce recueil qu'une nouvelle qui n'est pas rattachée à un texte en particulier intitulée Plus vaste qu'un empire. Elle met en scène une équipe scientifique partie explorer une planète lointaine durant les débuts de l'expansion de la Ligue de tous les Mondes et dont l'entente est mise à mal par la présence d'un des membres dont l'empathie exacerbée va créer quelques problèmes. Assez original sur le fond ce petit récit tirant presque vers le fantastique m'a bien plu et je l'ai même trouvé un poil trop court.

Bien que connaissant sa très bonne réputation, je n'avais pas encore lu d’œuvre d'Ursula K. Le Guin et à la lecture de ce recueil je comprends pourquoi elle est régulièrement citée parmi les grands noms de la littérature de l'imaginaire. Prenant le prétexte de la science-fiction pour présenter des sociétés aux organisations sociales variées et qui parfois tranchent radicalement avec ce que l'on connait, Le Guin offre ainsi au lecteur matière à réflexion et prouve bien que la littérature dite « de genre » ayant souvent tendance à être dévalorisée n'est pas toujours que du simple divertissement. Délaissant en revanche les extra-terrestres aux formes variées, les technologies farfelues et, dans une certaine mesure, l'aventure décomplexée cela rend en contrepartie ses récits très « sérieux », parfois même un peu trop. En effet, les pointes d'humour sont rares, la plupart des planètes visitées sont hostiles ou austères et l'on a très rarement droit à des passages présentant des environnements merveilleux comme on pourrait éventuellement s'y attendre avec ce genre littéraire. Dans l'absolu cela n'est pas grave car les qualités sont à chercher ailleurs mais la tonalité générale reste souvent pesante et peut-être qu'offrir aux lecteurs un petit peu d'enchantement de temps à autre n'aurait pas été superflu bien que je ne sois pas sûr que cela soit vraiment dans le style de l'autrice.

En tout cas, ce premier volume du Livre de Hain reste une belle découverte, Le Guin a une belle écriture, sait présenter ses idées sans forcément perdre le lecteur tout en nous poussant assez adroitement à réfléchir sur nos préjugés. C'est toutefois loin d'être une lecture facile, elle peut se montrer en effet exigeante tandis que la plupart des personnages principaux sont rarement bien intéressants, il faut le reconnaître. De la science-fiction de qualité donc mais qu'il faut parfois savoir braver.

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