Les barricades mystérieuses de Olivier Larronde

Les barricades mystérieuses de Olivier Larronde

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Lamanus, le 27 janvier 2005 (Bergerac, Inscrit le 27 janvier 2005, 65 ans)
La note : 9 étoiles
Visites : 3 551  (depuis Novembre 2007)

Semer de la poésie à Larronde

Je me rappelle que mon père, lorsqu’il voulait me faire comprendre que j’étais sur une pente savonneuse, me traitait de poète ou, dans les cas les plus tragiques, de peintre (ajoutant en guise d’extrême onction : « Picasso ! », insulte suprême dans sa bouche). Que ne m’a-t-il pas traité de Larronde… je n’aurais pas attendu 45 ans pour faire la connaissance de ce génial poète.

Je l’avoue d’emblée je ne suis pas un spécialiste en art poétique. La poésie aurait une fâcheuse tendance à me décrocher la mâchoire et à m’arracher des bâillements hippopotamesques. Je dois dire que l’Education Nationale n’est pas pour rien dans mon désintérêt de la chose. Se coltiner des poèmes à savoir par cœur et à réciter avec l’intonation ne fut pas sans créer chez moi toutes les conditions d’un terrain allergique à tout bout rimé (ou non) ayant une ambition dite poétique. J’ai bien dû, dans ma tendre adolescence, écrire un ou deux sonnets à l’attention de ma dulcinée d’alors, et aussi rougir en lui offrant — mettant ainsi en valeur ma collection récente de boutons d’acné — comme tout le monde.
Cette introduction, vous l’aurez compris, pour expliquer que je ne suis pas le mieux placé pour parler de poésie et de poètes.
Mais fi de ce préambule. Ma déposition n’aura que plus de valeur (à mes yeux), n’étant pas lourdement lestée d’une bibliothèque intime de vers, citations, exégèses et autres panégyriques de nos grands auteurs.

Que n’osent-il goûter la langue bleue du ciel ?

C’est du Larronde. On pense immédiatement aux surréalistes, à la terre ronde comme une orange bleue. Qu’est-ce que la poésie si ce n’est l’art de la métaphore ? Nous faire prendre des vessies pour des lanternes et nous le faire accroire. Lisez Bergson, il en parle très bien (de l’art métaphorique) le brave homme.
À la première lecture des poèmes d’Olivier Larronde on se sent, comment dire ?, largué. On perd pied, on tombe de haut et on se ramasse sur le derrière. Si ce n’était cette étrange musique qui chante à l’oreille plus qu’elle ne goûte en bouche.
Il faut relire plusieurs fois les fleurs de poème de Larronde pour comprendre les raisons qui font, comme chez Mallarmé, que la séduction du poème réside davantage dans sa musique que dans son sens. Et puis…
Et puis le sens se fait. Il y a sens non parce qu’une fée s’est penchée sur notre intellection défaillante et l’a ranimée d’un coup de baguette magique, mais simplement parce que le sens, comme un puzzle délicat, une énigme insoluble au demeurant et que l’on résout par le cœur et non par la fonction neuronale, le sens donc devient tellement limpide qu’on n'en croit pas ses yeux.
Olivier Larronde est un créateur d’images, de subtiles ambiances, il nous force à humer, à tâter, à goûter les mots qu’il agence d’une façon déconcertante. Mais chez lui, ces mots sont des imaginaires à eux seuls. Envisagez simplement un fauteuil hight-tech où l’on serait assis confortablement ou du Stark utile ou du Beaubourg agréable à l’œil, vous aurez une première idée visuelle du vers larrondien.

Olivier Larronde est né en 1927 et est mort en 1965 — à 38 ans — devenu alcoolo, brûlé de l’intérieur, peut-être mort de n’avoir pas été estimé à sa juste valeur par ceux-là mêmes qui l’encensaient et le prédisaient plus grand poète du siècle, les Cocteau, Cau, Genet et autres Char.

Encor que ses soupirs n’enfleraient qu’un mouchoir,
Mieux sait-il écorcher et de mort émouvoir
Cette échine rebelle, où décevoir vos forces
Vents qui vous essoufflez à la rompre d’entorse.

C’est du Larronde. Les quatre premiers vers de De certain bûcheron. Ça décoiffe, ça emporte, ça balance pas mal et ça donne envie d’être dit à haute voix.
Pour moi, béotien de la poésie à tendance Cro-Magnon et télé-foot, les vers de Larronde ont un effet apaisant, ils me font presque deviner en mon for intérieur des ressources sensibles que je n’osais imaginer ; de gros ours mal léché je me sens devenir un aérien flûtiau baguenaudant dans les herbes hautes de prés vert émeraude (ceci n’est qu’une image, si vous me connaissiez, en chair et en… chair, que la réalité détromperait sans détour possible). Ils me rendent meilleur, plus beau et disons-le tout net, moins con.

On pourra lire à la suite de Les barricades mystérieuses tout un dossier, essentiellement des témoignages qui n’ont qu’un intérêt secondaire mais qui aident à situer Larronde dans son époque. Ses poésies se suffisent à elles-mêmes.
J’ai rarement, si ce n’est jamais, recommandé de lire de la poésie à qui que ce soit — je ne m’en sentais ni le droit ni la capacité ni, pour être honnête, le courage — mais il est temps de faire une exception et de semer à Larronde le génie poétique à l’état pur.

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