Le savoir de l'artiste et la psychanalyse. Entre mot et image (suite) de Hervé Castanet

Le savoir de l'artiste et la psychanalyse. Entre mot et image (suite) de Hervé Castanet

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Psychologie

Critiqué par JPGP, le 18 mars 2024 (Inscrit le 10 décembre 2022, 77 ans)
La note : 10 étoiles
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Hervé Castanet, l'art et la psychanalyse

De quel savoir l’artiste est-il porteur ? Sachant que « l’énigme est de son côté » (Lacan) que peut lui et nous offrir sur son savoir et ses réseaux de signifiants la psychanalyse ? A travers un photographe (P. Witkin), divers artistes (Balthus, Artaud, Ben, etc.) et des écrivains (dont F. Delay et les situationnistes) Hervé Castanet montre ce que les images soutiennent à la fois de court, de limité et d’indestructible. Psychanalyste lui-même, il ouvre plus à fond les « battements de la fente » (Lacan) dont la fonction de l’art semble être porteuse dans son travail naïf et sourd mais particulier. Avec lui en effet la saisie de l’inconscient ne produit pas qu’une récupération leurrée.

Pour tout le monde l’inconscient est évasif, mais le créateur l’articule en diverses temporalités. Encore faut-il celui-ci accepte cet « exercice d’imbécillité » qui fait que ce qui s’écrit, se peint, se capte ne se pense pas encore. A ce titre pour un Artaud il n’y a pas d’abîme au désir. Selon lui, le désir ne s’abîme pas. Certes, et l’auteur des Cahiers de Rodez le souligne, il arrive que le désir « frisotte en coiffeur chic, avare ». Malgré tout, même en de telles conditions, demeure encore quelque chose d’ « inter-essant » à dire et à montrer au sein du consentement de l’intérieur vers l’ extérieur et vice versa que propose tout artiste.

Dans « La séduction brève » Florence Delay a insisté sur le trouble du désir que porte en elles l’écriture et l’image. Quant au livre de Castanet, sa qualité essentielle et de ne pas aplanir ce monde terriblement compliqué par l’analyse d’analyste ou de réduire l’art comme simplement une des prisons du système post capitaliste et le considérer comme un produit sur lequel les hommes d’affaires peuvent spéculer. Il laisse le trouble travailler sur cette activité joyeuse ou dramatique que sont les œuvre « non convenues » (les seules qui l’intéressent). Il montre comment ce font ces rendez-vous manqués du désir (et non du plaisir) en de fabuleuses figures (pas forcément de style) dont l’objectif est d’attirer. Toute œuvre naît ainsi du lieu qu’elle dénonce. C’est dans la fleur de son « péché » qu’elle prospère et se projette par delà les interdits de la loi et même si c’est par ceux-là que subsiste le désir de faire et de séduire.

Castanet transforme son livre en une sorte de science des rêves réalisés esthétiquement. Il met en corrélation chez le créateur comme chez le récepteur des œuvres le « je » trompé et le « je » trompeur. Des deux côté de la création (fabrication et réception) cela fonctionne. Et l’auteur rappelle que dans toute photographie, tableau ou texte il demeure toujours quelque chose dont on peut noter l’absence. C’est en cela que la phrase de l’Evangile « ils ont des yeux pour ne pas voir » prend tout son sens.

L’auteur revient aussi sur ce que Lacan avait émis : « faire la psychanalyse du peintre est toujours scabreux, glissant ». Mais non pas pour les raisons qu’on croît. Dans cette approche des gouffres réside l’inverse d’une impudeur. Car il demeure capital lorsqu’on parle d’art de savoir (et pour aller vite) quel fantasme originel préside à sa création comme à sa réception. Pascal Quignard il y a quelques mois avec sa « Nuit Sexuelle » avait montré la trace et Castanet lui emboîte le pas en cherchant à établir divers structures de la relation libidinale qui se jouent dans l’art.

L'auteur explique comment dans le ventre ouvert des œuvres "visitées" des mondes accouchent. : testaments d’or et de brindilles, débris de cris et de sanglots, ombres éparses, mal d’aurore, métempsychose. Les créateurs y chantent, tracent et crèvent leur solitude. Leur corpus (quel qu'en soit la nature, le genre, la langue) devient un sac éventré. C’est un grimoire, c’est beau, c’est quasiment du hard rock ou de l'épopée méphistophélique à fendre les vagues. L'auteur touche ainsi l'insondable profondeur de l ‘âme des poupées que sont les artistes. Il entre dans leur extrême crépuscule avec la dent de rat rongeuse du déluge. Il expulse sur le ballast des draps de la mémoire qui n’est le plus souvent qu’angoisse.

Mais contre l’étranglement viscéral il ouvre des épiphanies par épisiotomie. On ne peut parler de chute : il s’agit de saga, d’élégie des entrailles de l'art dans lequel le cœur, hérisson noyé de larmes, quitte sa flaques pour les cris d’oiseaux au large. L'auteur nous rappelle qu'il n’y a rien d’autres dans la création qu’une aveugle mémoire en mouvement  : elle s’égare jusqu’à nous et nous garde en otage. Inaudible pour nous, elle parle avec le vent. A nous de nous en servir pour naviguer comme nous le pouvons non contre lui mais contres les marées surtout lorsqu'elles deviennent marâtres et nous prive de "re-pères"...

Jean-Paul Gavard-Perret

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Les éditions

  • Le savoir de l'artiste et la psychanalyse [Texte imprimé], entre mot et image (suite) Hervé Castanet
    de Castanet, Hervé
    C. Defaut
    ISBN : 9782350180717 ; 37,01 € ; 21/01/2009 ; 256 p. ; Broché
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