L'oeuvre au noir de Richard Serra

Pour Richard Serra le noir est plus qu’une couleur. C’est ce qu’il nomme dans ce livre « une propriété, un matériau, un poids qui réfléchit la lumière ». Ce noir reste selon l’artiste le meilleur moyen d’articuler le dessin. Grâce à lui « plus besoin d’entrer dans la métaphore » écrit-il. Cette emprise du noir vient de loin.  Du moment où il étudia la littérature avant d’étudier les beaux arts à Yale et où il reconnut l’emprise de cette couleur (à travers entre autre le bitume) lorsqu’il travailla dans différentes aciéries de la Bay Area de San Fransisco pour financer ses études. Ce travail alimentaire ingrat sera déterminant pour sa vocation de sculpteur et de dessinateur. Les ponts de la baie, leur monumentalité et les lignes de forces qu’ils créent dans le paysage et la façon dont les bateaux s’éloignent de la terre, fendant l’air et la mer dans un jeu de perspectives marquent le futur sculpteur et dessinateur. Et si sa rencontre en France avec l’œuvre de Brancusi le conduit à choisir définitivement la sculpture comme expression plastique il continue toujours à réaliser des dessins au noir qui ne sont pas de simples études.

Le noir traite le monde comme un symptôme. Et il permet de lui donner une nouvelle lecture, une autre circulation à travers ce que Maldiney nomme « question errante de l'abstraction ».  Serra a repris cette question pour la porter un peu plus loin, sans renoncer avec ferveur et périlleusement d'affronter son bloc d'inconnu. Chez Serra la manière de dessiner au charbon (entre autres) n'est pas une expression picturale non figurative qui s'effectue en partant des choses, de la nature pour en “abstraire” des formes et des couleurs. D'objet, le dessin devient ainsi sujet. A Kandinsky qui écrivait : « Les premiers pas dans le domaine de l'abstrait ont été la distance prise par rapport à l'objet »,  Serra répond qu’il ne part ni d'un objet ni d'un paysage pour le déformer ensuite. Inversement il ne cherche pas à provoquer en dessinant leur apparition. C'est pourquoi lorsqu'on parle de l’artiste le terme d'abstracteur conviendrait mieux.

L’artiste dans ce livre refuse d’ailleurs les étiquettes d'abstraction ou de non-figuration car il tient à se placer loin d'un débat qui chercherait à l'enfermer dans un carcan. Ce qui est avant tout important pour lui c'est de créer en dehors de toute théorie castratrice : son propos est ailleurs, il recherche un autre fonctionnement de la sculpture et de dessin qui ont touché en lui des régions secrètes essentiel. Dessinant au noir il le laisse envahi le support. Les pièces ne reposent plus sur des accords ou des contrastes fixes de clair et de foncé. Le noir permet de partir du monde pour en garder des éléments significatifs lumineux par l’opaque.

Jean-Paul Gavard-Perret

Message de la modération : Texte se rapportant à des dessins alors que le livre porte sur des sculptures en fer forgé...

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  Richard Serra: Forged Steel

  de Serra, Richard
  Steidl Verlag
  ISBN : 9783958291881 ; 87,13 € ; 01/09/2016 ; 144 p. ; Relié

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