Dialogue sur l'amour de Plutarque

Dialogue sur l'amour de Plutarque
( Amatorius)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Fee carabine, le 18 octobre 2004 (Inscrite le 5 juin 2004, 50 ans)
La note : 8 étoiles
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Rafraîchissant!

Thespies, premier siècle après Jésus-Christ, Isménodore - une jeune veuve - est amoureuse du jeune Bacchon. Elle est belle, elle est riche, elle est vertueuse et elle est encore jeune, bref, elle a toutes les qualités... Mais c'est une femme et il ne sied pas qu'une femme prenne l'initiative en amour, et puis elle est plus âgée que l'objet de sa flamme. Alors, inutile de dire qu'à Thespies, les langues vont bon train, les uns se prononçant en faveur du mariage de Bacchon et d'Isménodore, les autres - au premier rang desquels des "amis" de Bacchon dont les vues sur le jeune homme sont loin d'être désintéressées - raillant l'audace de la jeune femme. Et parmi les bavards, on retrouve Plutarque, jeune marié qui séjourne à Thespies en compagnie de son épouse, Timoxène, afin d'y accomplir un pélerinage en l'honneur d'Eros. Voilà donc pour le décor de ces "dialogues sur l'amour".

A partir de ces prémisses dignes d'un magazine féminin en panne de sujets d'article, Plutarque élabore dans ces dialogues - qu'en réalité, il a écrit tard dans sa vie - une réflexion en profondeur sur la nature de l'amour et sur ses différentes facettes: homosexuel / hétérosexuel, charnel / spirituel.

A une époque où l'amitié entre hommes et les relations homosexuelles tiennent le haut du pavé et où le seul "mérite" des relations hétérosexuelles (et de la femme par la même occasion) est d'assurer la perpétuation de l'espèce, Plutarque prend le parti courageux (et il faut du courage pour s'élever contre une "idéologie dominante") de réhabiliter la femme et l'amour conjugal. Qu'on en juge par le discours de Protogène (du camp des "anti-Isménodore") et la réponse de Plutarque:

Protogène: "(...) le mariage, considéré comme indispensable à la propagation de l'espèce humaine, est honoré, non sans fondement par les législateurs; et ils en vantent l'excellence aux yeux de la multitude. Mais le véritable amour n'existe pas le moins du monde dans le gynécée, et je prétends que ce n'est pas de l'amour que vous ressentez quand vous vous attachez à des femmes (...) L'amour, en effet, quand il est attaché à une âme jeune, aboutit à la vertu en commençant par l'amitié. Il n'en est pas ainsi des désirs qui nous entraînent vers les femmes."

Plutarque: "(...) Il y aurait donc absurdité à dire que les femmes n'ont pas les autres vertus. Est-il nécessaire de parler de leur sagesse, de leur pénétration, de leur fidélité, de leur justice? Plusieurs n'ont-elles pas, dans de nombreuses occasions, fait preuve d'un courage tout viril, d'audace, de magnanimité? Quoi! on rendrait, sous les autres rapports hommage à leur mérite, et ce serait en amitié seulement qu'on leur adresserait des reproches, en disant que l'amitié est incompatible avec leur nature! On produirait là une assertion tout à fait étrange." (ouf ;-) !)

Et puis, face à l'influence de la philosophie platonicienne et la séparation qu'elle introduit entre le monde sensible et le monde des idées, le corps et l'esprit, Plutarque défend l'amour charnel en tant qu'expression d'un amour spirituel: "Du rapprochement des deux sexes supprimez l'amour, ce deviendra, comme la faim, comme la soif, un besoin qui n'a d'autre but que de se rassasier et dont le résultat n'offre rien de noble. Mais Aphrodite, par le moyen de l'Amour, enlève au plaisir toute satiété, et fait du rapprochement des sexes une tendre union des coeurs." Mais plus encore, l'Amour est alors une ouverture vers un idéal spirituel: "(...) que l'on saisisse dans cet objet de son amour une trace de la beauté divine, une émanation, une ressemblance qui attirent, on se sent transporté d'aise et d'admiration: c'est de l'enthousiasme, du ravissement. On retrouve de délicieux souvenirs; on s'élance avec ardeur vers ce foyer du véritable amour et de la félicité, qui est le but des voeux et des aspirations de tous les humains."

Au fil des pages de ce petit traité, Plutarque nous livre ainsi sa vision de l'amour. Une vision peut-être un tantinet idéaliste - mais quel est l'amoureux qui ne devient pas peu ou prou idéaliste? Et surtout, une vision très rafraîchissante pour le lecteur - pour l'amoureux - d'aujourd'hui qui doit se dépatouiller entre les multiples avatars de la morale judéo-chrétienne et les remous de mai 68.







Et qu'est-il advenu de Plutarque et de Timoxène, me direz-vous?

Hé bien, ils vécurent lontemps heureux et ils eurent beaucoup d'enfants ;-).

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