Grande vie et petite mort du poète fourbe de Éric Allard

Grande vie et petite mort du poète fourbe de Éric Allard

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Lucien, le 20 février 2022 (Inscrit le 13 mars 2001, 68 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (11 861ème position).
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Sprinters et marathoniens

J’ai toujours éprouvé pour les sprinters une admiration teintée d’incompréhension. Appartenant moi-même à la catégorie des marathoniens, j’admirais ces masses de muscles lancées à près de quarante kilomètres à l’heure, pour un effort explosif d’une dizaine de secondes, sans trop comprendre le plaisir que cette si brève accélération pouvait procurer à ses auteurs. Et je crois que, de leur côté, les sprinters admiraient comme un exploit particulièrement absurde mes efforts sur l’étrange distance de 42 km 195, généralement parcourue (dans mon cas) en un peu plus de cent cinquante minutes…
Cette apparente digression n’est – rassurez-vous – que la première étape d’un raisonnement par analogie dont voici le développement : comme sprinters et marathoniens s’admirent mutuellement tout en s’avouant incapables de produire, encore moins de goûter, l’effort inverse au leur, ainsi, en littérature, romanciers et adeptes des formes courtes éprouvent les uns envers les autres le même genre de sentiments mêlés.
L’analogie, si elle n’est pas généralisable, vaut en tout cas pour moi-même et mon vieil ami Éric Allard. S’il a plusieurs fois exprimé, face à ma dizaine de romans, son admiration en même temps que son incapacité à produire pareils textes, je lui ai maintes fois signifié combien, de mon côté, j’admirais sa capacité à produire quotidiennement des aphorismes de qualité.
Quelle fatigue mentale ce serait pour moi de me pressurer le cerveau pour en extraire les dizaines de petits textes qui constituent, par exemple, un recueil comme Grande vie et petite mort du poète fourbe, récemment publié par l’inébranlable Cactus !
Un exemple ? « L’angoisse de la page blanche nous évite bien des livres inutiles. »
Un autre (un peu plus long) ? : « Contre toute attente, cette œuvre littéraire franchit les millénaires et les espaces. Elle arriva, munie d’une aura intersidérale, au Jour du Jugement dernier devant Dieu qui a tout lu et qui la parcourut à la vitesse de la lumière avant d’asséner sa sentence : “Bof !” »
Ces 62 « biographèmes » du « poète fourbe » alternent avec « d’autres vies que la sienne » et de brefs dialogues sous le titre générique « histoire de dire » :
« - Quels sont vos auteurs préférés ?
- Ceux qui ont écrit du bien de moi.
- Et leurs textes préférés ?
- Leurs chroniques de mes livres.
- Quel genre d’amour voici donc !
- Intéressé. Le seul qui dure. »
L’ensemble dénote de la part de l’auteur une connaissance profonde de la littérature, de l’édition, de la psychologie des auteurs, un amour des jeux de langue, un humour parfois cruel, tout ça qui éclate dans des textes concis, toniques – parfois réduits à une seule phrase. Le lecteur peut s’amuser à reconnaître telle ou telle cible (en aucun cas nommée, on n’est jamais trop prudent), voire s’appliquer à soi-même ces maximes douces-amères, que l’on en juge : « Cet écrivain né de la dernière pluie a rayonné le temps d’un arc-en-ciel. »
Un dernier pour la route ? Éric a-t-il pensé à moi lorsqu’il écrivit :
« - Si je lis ton dernier roman, tu liras mon nouvel aphorisme ?
- Promis ! »
Promesse tenue ! De quoi réconcilier sprinters et marathoniens ?

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Bilan grinçant

10 étoiles

Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 8 juillet 2022

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Eric Allard n'y va pas par le dos de la cuillère !
Pour qui griffonne parfois quelques lignes chantantes, aux sonorités agréables et à l'esprit doux et charmeur, pensant sincèrement que ces mots se révèleront pleins d'émotions, de sensations auprès de potentiels lecteurs, la lecture de "Grande vie et petite mort du poète fourbe" pourrait bousculer l'âme de poète qui se cache en chacun(e) de nous !
L'auteur s'amuse avec les mots, vise ses congénères, les égratigne, fait un bilan lucide du microcosme littéraire et de ses travers. Philippe Annocque, avec son Direlicon, offrait le même esprit, une vision des coulisses grinçante et piquante. On se rend compte à quel point il est difficile de se faire entendre, dans cet environnement hostile qu'est le monde littéraire ! Chacun essaie de se mettre en avant, offre des alternatives à sa parution, tente l'édition indépendante, celle qui ouvre les esprits et ne se cantonne pas aux genres.
Le lecteur, peu enclin aux chants de ces sirènes, se trouve un peu perdu. Lire les "best sellers" ou se lancer dans l'aventure du non conformisme ? Mon choix est fait, depuis longtemps, la lecture doit offrir encore plus, et les petits formats ou les comètes littéraires ne m'effraient pas. J'ai eu plaisir à lire ce recueil d'aphorismes, qui demande attention et exigence. N'attendez pas une lecture fleuve donc, vous allez râler, rire, plisser des yeux ou les lever au ciel parfois, et bondir, pourquoi pas ?

"Entre les flèches de ses lecteurs sur Babelio et les lèches de ses amis sur Facebook, cet auteur peine à se forger une opinion".

Tout est dit dans ces quelques mots, Eric Allard évoque ici le doute de chaque auteur, la valeur des "critiques", l'impact de ses écrits, le "moi profond" de l'artiste qui doute, mais il s'en amuse au travers de ces 62 fragments.

Penchants retors

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 22 février 2022

Après avoir « stigmatisé » les écrivains dans un précédent recueil intitulé : « Les écrivains nuisent gravement à la littérature », Eric Allard revient dans la collection « Les p’tits cactus » pour, cette fois, égratigner les poètes fourbes. Ce nouveau recueil est composé d’aphorismes, de micronouvelles (je vous laisse apprécier notamment la #13 et la #14 qui sont très représentatives), de micro-textes, de courts dialogues, « Histoires de dires », dans lesquels il étale toute sa virtuosité littéraire et sa grande culture. Il est passé maître dans l’art du détournement d’expressions, de la combinaison de plusieurs expressions pour en faire jaillir une nouvelle plus insolite et beaucoup plus drôle. Il évoque, ou plus souvent fait allusion à, des œuvres littéraires, des films, des chansons des œuvres musicales pour faire sourdre une pensée, une réflexion burlesque, surréaliste, insolite, narquoise et toujours drôle.

Le fil rouge de ce recueil est fidèle au titre de l’ouvrage, Eric se moque, nargue, la littérature de supermarché, la littérature de grande consommation celle qui s’évalue en nombre d’exemplaires vendus et non à l’aune de sa qualité littéraire. Il brocarde les publications à profusion, « Cet auteur à la profuse personnalité publie un livre par moi ». Jamais il n’est méchant, il se contente juste de quelques espiègleries, quelques taquineries, quelques moqueries, il chambre délicatement, il nargue gentiment. Mais derrière ses mots, percent toujours une petite pointe d’amertume et parfois même d’aigreur.

Il supporte assez mal l’inflation langagière en matière de compliments gratuits souvent : « Depuis qu’il a accédé au trône, le roi du sonnet rencontre le haut du panier littéraire : le prince de la nouvelle, le seigneur du roman, le sultan du conte, le kaiser de la philosophie, l’empereur de l’aphorisme… Seul le grand mogol du polar s’obstine à le snober ».

Dans cet opus, Eric démontre aussi, notamment à travers cette micronouvelle, qu’il est un excellent poète : « Pendant la chute du ver sur la Voie ouatée, le poète parsème sa page de blancs et limite la progression des morphèmes dans toutes les directions, chaque vocable détonnant comme une balle de plomb dans le silence du mot ».

On le savait déjà, son blog est suffisamment explicite à ce sujet, Eric aime à dire qu’il aime les livres, cette « Histoires de dire », l’exprime encore mieux et plus drôlement : « - J’aime à regarder les livres… / - Et moi les toucher, les palper, les peloter… / - Je suis un visuel. / - Et moi, un tactile. / Il en faut pour tous les goûts. / - J’en connais qui vont jusqu’à les lire… ».

Eh oui, il y a des poètes fourbes comme il y a des commentateurs, chroniqueurs, critiqueurs pas toujours très bienveillants, Eric ne les pas oubliés. Je crois qu’il pense que tous ces gens ont certains penchants retors !

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