La fille de Casablanca de Juliette Jourdan

La fille de Casablanca de Juliette Jourdan

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 15 avril 2021 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 7 étoiles
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Transexualité

1956, « Rock around the clock » déferle sur les ondes, la Nouvelle Vague arrive sur les écrans, tout le monde lit « Bonjour tristesse », …. Casablanca est alors, selon l’auteure dans une interview sur son site, la New-York africaine. La noblesse et les élites locales avec les hauts fonctionnaires français y côtoient les riches colons : propriétaires terriens, industriels, affairistes plus ou moins honnêtes, bandits en tout genre, diplomates et espions, parfois les deux en même temps, professionnels libéraux plus ou moins réguliers. La ville a atteint le summum de son rayonnant, quelques indices montrent que les temps sont en train de changer, les ruptures sont perceptibles : les factions politiques s’opposent de plus en violemment, la métropole semble prête à abandonner son protectorat. La communauté juive migre vers la France ou l’Espagne, les métropolitains se rapatrient, les colons hésitent encore mais beaucoup quittent déjà le pays. Seuls ceux qui possèdent d’importants biens fonciers s’efforcent de croire encore en un avenir possible pour eux dans ce pays en voie d’indépendance.

C’est dans ce contexte où tout peu basculer rapidement que Georges Burou, gynécologue radié de l’ordre en France mais adulé de ses clientes au Maroc, reçoit un jour Jean ou Jenny selon les jours et les lieux. Sa réputation est grande, il « fait naître de beaux bébés joufflus, met un terme aux grosses accidentelles, répare les hymens malencontreusement déchirés. Des femmes qui n’arrivaient pas à avoir un enfant tombent enceintes grâce à ses bons soins… ». Jenny, la postérité lui conférera ce patronyme, croit en son immense talent, elle le consulte et lui demande : « Docteur, … aidez-moi à devenir une vraie femme ! ». Jean avait un corps de fille qu’il façonnait à l’aide d’hormones mais il était affublé des attributs masculins. Dans un premier temps, Burou refuse, à sa connaissance, cette opération n’a jamais été tentée mais après une longue réflexion il la croit possible et y voit l’occasion de devenir une célébrité médicale mondiale.

Le problème anatomique ne lui semble pas impossible à résoudre, les questions d’éthique ne l’ont jamais vraiment préoccupé, il peut se décharger du risque médical sur sa patiente, rien ne l’empêche donc de tenter cette expérience qui n’est folle que pour ceux à qui il s’ouvre de son projet. En mai 1956, il le met à exécution et Jenny sera la première d’une très longue liste de clientes, plus de huit cents, qui seront opérées dans cette fameuse clinique. Certaines patientes sont connues mais la plupart est restée anonyme.

Juliette Jourdan c’est longuement documenté pour recréer Casablanca et la vie qu’on y menait à cette époque, pour décrie l’intervention chirurgicale mais elle a totalement recréé le personnage de Jenny qui a disparu sur la Côte d’Azur après son opération. Nulle ne sait ce qu’elle est devenue, elle restera la première à avoir muté du masculin au féminin, le premier homme à devenir une femme. Georges Burou sera un grand précurseur qui révolutionnera l’art de réapproprier à une femme le sexe qu’elle n’avait pas reçu lors de sa conception. Il gardera secret son protocole opératoire jusqu’en 1973, il deviendra alors le fondement de tous le travaux sur le sujet.

C’est la quatrième édition de ce livre dont le sujet est toujours autant d’actualité, Juliette l’a complètement relu et révisé. Elle maitrise parfaitement cette question tant d’un point de vue anatomique que d’un point de vue psychologique mais ce que j’ai surtout apprécié dans son texte, c’est la qualité de ses descriptions : des personnages, de leurs vêtements, des divers lieux qu’ils fréquentent tant pour leurs activités que pour leurs loisirs.

Ce texte n’évoque pas seulement la naissance d’un nouvelle discipline chirurgicale, il démontre surtout la fin d’un monde. La fin du système colonial avec tout son faste, souvent artificiel, ses abus, ses excès, sa démesure et son absence de contraintes. Certains comme Burou y trouveront le contexte idéal pour tenter des expériences audacieuses et s’enrichir à l’ombre des griffes du fisc.

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