Lilas rouge de Reinhard Kaiser-Mühlecker
(Roter Flieder)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Myrco, le 1 septembre 2021 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 7 étoiles
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Le fardeau du silence

Reinhard Kaiser-Mûhlecker, né en 1982, appartient à la nouvelle génération des écrivains autrichiens. Il est à ce jour l'auteur de sept romans dont seul celui-ci - son quatrième, paru en édition originale en 2012 - bénéficie pour le moment d'une traduction en français.

L'oeuvre renoue avec le schéma des grandes sagas traditionnelles nous donnant à suivre le destin d'une famille paysanne sur quatre générations, du début des années 1940 aux années 1990, dans une Autriche rurale marquée par les stigmates du nazisme.

La période et son amplitude nous amènent à suivre entre autres les bouleversements de la condition paysanne, en particulier la révolution de la mécanisation. Les activités et problématiques inhérentes au secteur agricole alimentent avec justesse la matière de ce livre d'autant que l'auteur a non seulement vécu son enfance dans une ferme mais son implication dans ce domaine l'a amené en 2020 à partager désormais son temps entre l'écriture et l'exploitation de la ferme familiale.
D'autres aspects de la vie rurale d'ordre plus sociologique sont également mis en avant.
Mais ce sont thèmes largement traités ailleurs et là n'est pas l'intérêt majeur et la spécificité de "Lilas rouge".

Avec beaucoup de subtilité, RKM place d'emblée son roman sous le signe du silence ou plutôt de l'impossibilité de dire, de franchir l'obstacle de la parole, en choisissant de dérouler la scène introductive, à savoir l'arrivée discrète de Ferdinand Goldberger dans son nouveau village, sous les yeux d'un témoin muet, Frantz, dont la réaction à la vue de la jeune Martha qui accompagne son père, le fait qu'il la ressente quelque part comme son double, anticipe déjà sur des évènements à venir. Nous sommes au début des années 40; Goldberger, chef local du parti nazi a dû fuir son village, abandonnant biens et grande propriété pour se soustraire à la menace de représailles engendrées par ses exactions de responsable trop zélé.
C'est en jouant brillamment du thème récurrent du non-dit, maniant souvent l'art de l'ellipse que RKM réussit pleinement à nous faire ressentir à la fois le poids de cette chape de silence qui va s'abattre sur le passé coupable d'une partie du peuple autrichien et les ravages engendrés dans les générations suivantes.

S'entrelaçant étroitement avec ce thème d'une culpabilité à la recherche d'un pardon impossible puisqu'elle ne s'avouera jamais, s'invite une certaine conception de la religion encore très ancrée dans la communauté paysanne de l'époque, formant un axe autour duquel s'articule toute l'histoire qui nous est racontée. Chaque fois que le patriarche pensera s'être libéré de son passé, ce dernier va ressurgir sous une forme ou une autre, et va s'insinuer en lui, homme de foi, la conviction que ses fautes auront amené sur sa famille la malédiction divine à l'origine des déboires qui vont s'abattre sur elle, car n'est-il pas dit dans la Bible; "Moi, l'éternel ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, je punis la faute des pères jusqu'à la troisième et quatrième génération."?
Il semblerait que l'auteur ait voulu ici dénoncer une " croyance destructrice et funeste" considérée comme moyenâgeuse par le dernier des Ferdinand , croyance à laquelle font écho les superstitions aux conséquences tragiques dans l'épisode bolivien. Il ne ménage d'ailleurs pas non plus les pratiques de certaines institutions religieuses et de leurs représentants.

Malgré ses points forts indéniables, je demeure assez tiède à l'issue de cette lecture.
Sur le fond, RKM me paraît avoir une position ambiguë quant aux exactions commises par Goldberger père qu'il tend à dédouaner dans le contexte de l'époque au travers de la réconciliation posthume du fils et ce d'autant plus qu'il en dessine une personnalité contrastée présentant des facettes très attachantes.
Sur la forme, sans remettre en cause la qualité de l'écriture et sauf à supposer que la traduction ne parvienne pas à lui rendre pleinement justice, et exception faite de quelques beaux passages (la toute fin notamment), je n'ai pas trouvé la "somptuosité" de la langue tant vantée ici ou là et qui avait été pour moi l'un des critères de choix de cet ouvrage. En outre, si de manière générale, je goûte fort une prose descriptive capable de nous immerger dans la réalité des situations, je me suis parfois interrogée sur l'utilité de certains détails.
J'avoue m'être souvent lassée de suivre les hauts et les bas des différents personnages dans l'ensemble peu attachants. Néanmoins j'ai beaucoup apprécié la quatrième partie (sur les cinq que comporte l'ouvrage) consacrée au personnage du petit-fils exilé en Bolivie, passage que j'ai trouvé assez original et qui apporte de mon point de vue une vraie force émotionnelle au récit, et dont l'intensité a le mérite salutaire de nous extraire un temps d'un cycle un peu trop répétitif.
La fin ouverte abandonne une lectrice un peu frustrée s'interrogeant sur le destin du dernier personnage de la lignée apparu. Mais il existe une suite... non encore traduite.

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