Chienne de Marie-Pier Lafontaine

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 27 mars 2021 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 9 étoiles
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Les Incestées

Cent pages brèves, fulgurantes, sans un mot de trop, pour nommer l’innommable avec des phrases qui résonnent comme des sentences.

Un livre coup de poing, qui se veut une arme de destruction familiale, contre le père, un rare malade mental ne jouissant que des châtiments et des jeux pervers infligés à ses filles, mais aussi la mère « qui participe à l’inceste » en ne disant rien.

La mère a seulement réussi à ce que physiquement, le père ne pénètre jamais ses filles.

« Papa ne nous a pas violées. Merci, maman. »

Même s’il a détruit leur enfance, leur rapport aux hommes, au monde, à la tendresse.

« Je ne crois en rien si ce n’est en la capacité des hommes à détruire. »

Il n’a pas détruit le sens du combat de la fille qui raconte ; l’autre, la sœur de souffrance, n’a pas cette capacité de résilience.

Le livre est ainsi dédicacé : « À ma sœur, Nous deux contre le reste du monde. »

« Nous étions, ma sœur et moi, les victimes parfaites pour mon père. Nous avions toutes deux un vagin. »

Par les nouvelles que la narratrice écrit durant son enfance puis par ce livre dont elle espère qu’il tuera le père, elle brave un de ses interdits : ne pas raconter.

Le père traite ses filles comme des chiennes.

« Une sale chienne mange à quatre pattes. Toute la journée. Rapporte la balle dans sa gueule. Lui lèche les pieds. Une sale chienne. Les genoux en sang. Mange sous la table dans un bol. Ses restants froids de la veille. Une sale chienne ne parle pas. Ne porte pas de vêtements. Encaisse les coups dans les côtes. (…) »

A côté de ce qu’elle a subi en famille, la narratrice ne craint aucune sorte de viol puisqu’elle a connu le pire.

Le livre raconte l’indicible au risque qu’on pense que celle qui narre a exagéré ou menti. Elle se retient toutefois de rapporter une scène qu’elle ne fait que suggérer par le trou dans le mur de la salle de bain qu’a fait sa tête.

Un jour, elle se rebellera et le père quittera (momentanément) la maison. Elle aura, une seule fois, été la seule de la famille à lui tenir tête. Plus tard, elle se dépouillera de son nom.

« J’ai tranché d’un seul coup ce morceau de lui qui me talonnait où que j’aille. »

Le livre questionne la domination, souvent masculine, au sein des microcosmes que sont les familles et, en dehors, comment le non-dit est instauré ensuite pour que rien ne transpire de ce qui s’est passé contre nature.

Malgré tout, la narratrice se reproche de ne pas réussir à écrire avec assez de haine.
« Que m’arrivera-t-il si ce texte ne suffit pas à me tuer ? »

Ce texte écrit par une Québécoise, initialement paru aux éditions Héliotrope, a été réédité par les Editions Le Nouvel Attila. Sans cela aurait-il été lu par les autres satellites francophones de la France n’ayant d’yeux que pour le soleil parisien – qui les empêchent souvent de se voir ?

Car ce livre est universel et concerne tout un chacun, les incesté(e)s, comme les appelle l’autrice, celles et ceux qui endurent ces infamies, et d'autres qui font mine de n’en rien savoir en perpétuant un monde où la violence garde les mains libres.

Le prix Sade 2020 a été attribué à ce livre.

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