Encabanée de Gabrielle Filteau-Chiba

Encabanée de Gabrielle Filteau-Chiba

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Cyclo, le 13 mars 2021 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 79 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (27 933ème position).
Visites : 4 057 

"Confinement" en forêt arctique

Dans son roman "Encabanée", la Québecoise Gabrielle Filteau-Chiba relate du 2 au 10 janvier, quelques jours d'un hiver froid de la vie en solo de la narratrice, Anouk, qui a quitté Montréal pour s'installer en pleine forêt dans la région de Kamouraska, dans une tentative de fuir une vie devenue superficielle et consumériste : "toutes ces choses qui font le mirage d’une vie réussie. Consommer pour combler un vide tellement profond qu’il donne le vertige".

Mais comment survivre dans un froid intense, comment se prouver à soi-même que la solitude et la précarité peuvent lui sauver la vie ? Elle médite, elle écrit, elle lit, elle va chercher du bois pour chauffer la cabane et faire fondre les chaudières (seaux) de neige pour avoir de l’eau chaude : qu’est-ce "qui t'a poussée à t'encabaner loin de tout", note-t-elle dans les listes qu’elle dresse pour reprendre prise avec elle-même. Son "rêve de toujours: vivre de ma plume au fond des bois". L'arrivée d’un gros chat, puis de Rio, un métis fuyant la police et cherchant refuge (je vous laisse découvrir la cause qu’il défend), va lui permettre de trouver une chaleur sociale bienvenue… Malgré leur séparation définitive, "Ma vie reprend du sens dans ma forêt", écrit à la fin Anouk dans son journal.

Voilà donc un roman, écrit dans une langue québécoise savoureuse (on trouve en fin de volume un glossaire de certains mots et expressions), qui nous éclaire encore sur le confinement, même s’il s’agit d’un confinement volontaire, mais quelque peu subi aussi. À la fin, la narratrice trouve du sens à sa vie : " Enfin, j’avais découvert le sens à ma vie de féministe rurale : me dévouer à la protection de la nature, corps et âme". J'ai passionnément aimé.

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un court récit écolo-féministe, au final un peu grotesque

4 étoiles

Critique de Eric Eliès (, Inscrit le 22 décembre 2011, 51 ans) - 12 novembre 2025

Contrairement à ce que j’avais initialement songé en me lançant dans la lecture de ce petit roman (à peine une centaine de pages), l'autrice n'évoque pas une immersion dans la nature mais délivre un message écolo-féministe sur fond de révolte contre le monde moderne. L’écriture, alerte et simple (et complétée de petits dessins, comme dans une sorte de journal intime), nous fait entrer dans les pensées d’une jeune femme canadienne (et militante québécoise) qui a décidé, en s'installant dans une cabane isolée au coeur des forêts du Kamouraska (sur les traces d'Anne Hébert mais aussi par attrait pour une région qui contient "amour" en son coeur) de quitter Montréal, par dégoût de la ville :

L’asphalte, les pelouses taillées – vous savez, ces haies de cèdres torturés –, l’eau embouteillée, la propagande sur écran, la méfiance entre voisins, l’oubli collectif de nos ancêtres et de nos combats, l’esclavage d’une vie à crédit et les divans dans lesquels on s’incruste de fatigue. La ville encrassée où l’on dort au gaz dans un décor d’angles droits.

et de la société, et de tous ses mirages et faux-semblants :

Je n'ai pas besoin de montre, d'assurances, d'hormones synthétiques, de colorants à cheveux, de piscine hors terre, de téléphone cellulaire plus intelligent que moi, d'un GPS pour guider mes pas, de sacoches griffées, de vêtements neufs, d'avortements cliniques, de cache-cernes, d'antisudorifiques bourrés d'aluminium, d'un faux diamant collé sur une de mes canines, ni d'amies qui me jalousent. De toute ces choses qui donnent le mirage d'une vie réussie. Consommer pour combler un vide tellement profond qu'il donne le vertige. S'accrocher à des bouées de masses, peindre des masques de clowns tristes. Pire encore, bêler sa conformité en terre de Caïn.

Néanmoins, le récit s’enlise très vite dans un ressassement d’états d’âme. La narratrice apparaît alors comme une jeune femme immature qui ne se cesse de déplorer le froid glacial (il faut dire qu’il fait quand même -40°C), d’évoquer ses difficultés à faire du feu en se demandant pourquoi elle est venue ici s’infliger cette épreuve (heureusement qu’elle a des livres - des poèmes ! - et un peu de cannabis pour se donner du réconfort), ainsi que l'épuisement de ses réserves de nourriture (au point qu’elle maigrit à dépérir, jusqu’à devoir faire plusieurs trous dans sa ceinture en-deça du dernier trou…) et ses frustrations sexuelles (le mauvais côté de la solitude : elle se retrouve toute seule au lit…), toutefois compensées par ses triomphes féministes (elle a brûlé son soutien-gorge en arrivant et a décidé de ne plus s’épiler). La nature, pourtant omniprésente autour d’elle, n’est en fait qu’un décor à peine esquissé à petites touches, à travers la neige (où se lisent quelques traces d'animaux) et le froid. Ce n'est qu'à la dernière page que la nature se dévoile vraiment, quand la nuit s’embrase d’une aurore boréale dont la splendeur révèle à la narratrice le vrai sens de son séjour et de sa vie, comme l’affirme la phrase finale :

Enfin, j'avais découvert le sens à ma vie de féministe rurale: me dévouer à la protection de la nature corps et âme.

J’aurais beaucoup aimé dire du bien de ce livre mais j’avoue que j’ai eu du mal à achever ma lecture (et pourtant le livre est très court) tant le récit est simpliste et truffé de clichés à la mode (à la limite, j’ai trouvé que l’autrice avait plus de talent pour le dessin que pour l’écriture, malgré quelques jolies tournures), comme une espèce de version écolo-féministe de Sylvain Tesson (parti s'isoler plusieurs mois dans une cabane sur les bords du lac Baïkal) par une jeune fille un peu paumée en pleine crise d’adolescence et en révolte contre le monde. La seule originalité réside dans la langue (pleine de tournures québécoises – il y a d’ailleurs un lexique en fin d’ouvrage) et l’ironie des clins d’œil qui émaillent le texte (ayant déjà écouté des chansons des « cowboys fringants », j’ai reconnu quelques paroles glissées dans le texte mais, n’étant pas québécois, je suppose que j’en ai raté beaucoup).

Enfin, le récit bascule dans le grotesque quand survient un homme en cavale, qui va apporter à la jeune femme toute la chaleur humaine qui lui manquait. Enfin quelqu'un pour s'envoyer en l'air ! Et, en plus, son amant de passage, militant écolo à l’âme rebelle tout comme elle, est joli garçon et sait bricoler. Ca tombe bien parce qu’elle commençait à s’inquiéter de finir par mourir congelée en pleine forêt, avec sa voiture en panne et son téléphone sans batterie… Alors, que demander de plus pour être heureuse ? Mais bizarre quand même, pour une féministe militante venue intentionnellement "s’encabaner" dans une forêt glaciale loin du monde, de proclamer que le vrai bonheur d’une femme, c’est en fait de pouvoir compter sur un homme !

Court mais impressionnant

8 étoiles

Critique de Cédelor (Paris, Inscrit le 5 février 2010, 54 ans) - 26 juillet 2024

Voilà un petit livre, court, pas plus de 128 pages dans la version poche, mais qui dégage assez de puissance pour en être impressionné. Surtout dans la première partie du livre, où l’héroïne se raconte, seule, dans sa cabane, en plein hiver québécois (hiver bien plus arctique que nos contrées). Elle y explique pourquoi elle a choisi de s’exiler volontairement dans cette cabane, en plein nature, loin de tout (ou presque), avec ses doutes, ses certitudes, ses découragements, quittant une vie dite « moderne » avec tout son confort, mais que la mentalité de la société montréalaise dans laquelle elle était née et avait grandie, toute tournée vers le consumérisme et la productivité au mépris des valeurs humaines et de l’écologie révulsait. Pourtant, il peut y avoir loin de l’idéal à la réalité, surtout quand cette réalité à laquelle la narratrice s’astreignait de vivre, celle du retour à la nature, se révèle rude et sans concessions, exposant sa santé et sa vie même aux limites supportables des rigueurs de cette même nature, qui n’est ni amie ni ennemie, mais à laquelle il faut savoir s’adapter, et pour cela faire preuve de courage, d’acceptation, de détermination. La narratrice n’en manque certes pas, mais que la solitude extrême de l’hiver québécois met à rude épreuve. Puis un chat venu d’on ne sait où trouve refuge dans sa cabane, et lui devient un premier appui contre la solitude glacée qui l’environnait de toutes parts, corps et âme. Et ce sera ensuite le tour d’un homme, réfugié lui aussi dans sa cabane. Cette dernière rencontre, de courte durée, lui permettra de donner un sens plus clair à ses convictions qui l’avaient amenée à cette cabane, plutôt confus jusqu’alors, et l’orienteront dans un idéal plus concret où elle se voit pouvoir engager dans l’action ses convictions féministes et écologiques.

Ce livre nous est donné à lire par une auteure originaire du Québec, que je ne connaissais pas du tout jusqu’alors, qui m’a agréablement surpris et que je salue ici, écrite dans la langue française propre à cette contrée, cousine de la France, qui est qualifiée souvent de « savoureuse », avec la condescendance à peine dissimulée d’une grande sœur pour son petit frère et que pour ma part, je ne cautionnerai pas, ayant déjà visité et apprécié le Québec et ses habitants. Donc certains mots, tournures et expressions propres à la langue québécoise peuvent ne pas être compris par les locuteurs français dont je fais partie, mais on pourra se reporter à un glossaire placé à la fin du livre.

Dans tous les cas, un livre qui ne sera pas une perte de temps à lire, non seulement pour sa brièveté mais aussi pour son propos.

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