Peter Ibbetson de George Du Maurier

Peter Ibbetson de George Du Maurier
(Peter Ibbetson)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Poet75, le 21 décembre 2020 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 67 ans)
La note : 8 étoiles
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L'amour fou

Si le nom de du Maurier nous est plus ou moins familier, c’est sans doute davantage du fait de Daphné (1907-1989) que de son grand-père George (1834-1896). Daphné, nous la connaissons ou, en tout cas, nous connaissons certaines de ses œuvres, en particulier celles qui furent adaptées par Alfred Hitchcock pour qui elle fut une prodigieuse source d’inspiration : L’Auberge de la Jamaïque (publié en 1936, adapté au cinéma en 1939), Rebecca (publié en 1938, adapté au cinéma en 1940) et Les Oiseaux (publié en 1952, adapté au cinéma en 1963) sont trois des chefs d’œuvre de la romancière. George, certes moins prolifique que sa petite-fille, n’en mérite pas moins d’être redécouvert, lui aussi, ne serait-ce qu’à cause de Peter Ibbetson (1846), un roman qui, lui aussi, d’ailleurs, dut une partie de sa renommée à une adaptation cinématographique, celle que dirigea Henry Hathaway en 1935, avec Gary Cooper dans le rôle-titre et Ann Harding dans celui de Mary, la femme dont le premier est épris. Ce film, pour des raisons que j’expliciterai quelque peu plus loin, fut adulé, en particulier, par les surréalistes. André Breton, l’auteur de L’Amour fou (1937), et ses amis trouvèrent là une œuvre qui s’accordait avec leurs thèmes de prédilection et la manière dont ils les traitaient.
Il s’agit bien effet, d’amour fou, une expression qu’il faut entendre dans toutes ses acceptions, y compris la plus littérale, car on ne peut lire ce roman sans se poser la question de la folie de son personnage principal. Cela reste néanmoins une supposition, rien ne permettant de tirer des conclusions définitives, et c’est bien ainsi. Cette imprécision, c’est, à mon avis, un des indicateurs qui montrent qu’on a affaire à un écrivain de talent, soucieux de laisser au lecteur sa part d’intuition, de réflexion, d’imagination.
Si folie il y a (ce qui reste, jusqu’au bout, une simple conjecture), elle n’apparaît que progressivement dans la vie de celui qui a d’abord pour nom Pierre Pasquier de la Marière. Né d’une mère anglaise et d’un père français, l’individu passe une grande partie de son enfance à Paris, une ville que, rapidement, il adule, ses quartiers de prédilection se situant du côté de l’île Saint-Louis, mais aussi et surtout de Passy et du Bois de Boulogne, avec une attirance particulière pour un point d’eau nommé la mare d’Auteuil. Enfant sensible, lecteur assidu de Balzac, Hugo et Sue, il est fasciné par une « belle dame » aux cheveux noirs et aux yeux bleus, Mme Séraskier, et par sa fille infirme, « la pauvre petite Mimsey », enfant silencieuse et mélancolique.
Or, brutalement, du fait d’un terrible accident, la vie de Pierre bascule. Ses parents décèdent et il est recueilli par un cousin de sa mère, le colonel Roger Ibbetson, un « bienfaiteur » qui l’oblige à quitter Paris pour Londres et à adopter désormais le nom de Peter Ibbetson. S’il s’adapte tant bien que mal à cette nouvelle vie, le jeune homme n’en garde pas moins la nostalgie de Paris et de ceux, ou plutôt de celles, qu’il y a fréquentées. Mais quand, après plusieurs années, il effectue le voyage jusqu’à la capitale française, il se désole de voir que tout a changé. C’est alors qu’il fait l’expérience de quelque chose d’étrange et d’inédit : c’est par le moyen du rêve qu’il retrouve ce qu’il aime (la mare d’Auteuil, entre autres), mais aussi et surtout celle qu’il aime, en la personne de la petite Mimsey, transfigurée en une femme d’exception qui a pour nom Mary, duchesse de Towers. En fait, comme s’efforce de nous le faire comprendre l’écrivain, il ne s’agit pas de rêve au sens classique du terme, mais d’une sorte d’existence parallèle, comme on dirait aujourd’hui, aussi vraie, plus vraie même peut-être, que ce qu’on appelle le réel. On comprend ce qui a séduit les surréalistes.
Or, pour une raison que je n’explicite pas (j’en laisse la surprise à la lectrice ou au lecteur), c’est entre les murs d’une prison que se retrouve bientôt Peter Ibbetson. Et là, bien sûr, le monde rêvé prend encore davantage de place, et de plus en plus, qu’avant. Peter n’attend que le moment de pouvoir s’y échapper, car la vraie vie, pour lui, c’est là qu’elle se trouve, et son grand amour, son amour fou, c’est par ce moyen qu’il expérimente. « Eussé-je été le plus misérable lépreux qui se soit jamais traîné dans sa hutte à Molokaï, dit-il, que j’aurais été également le plus heureux des hommes, si le sommeil m’avait visité, là-bas et si, en dormant, j’avais été l’ami de Mary Séraskier, endormie. »
La traduction de Lucienne Escoube et Jacques Collard, proposée par les éditions de L’Arbre Vengeur, plaît par sa tonalité agréablement désuète, ce qui correspond sans doute bien au texte original anglais et ajoute son charme à ce roman qui n’a perdu de sa singularité. Une œuvre, une curiosité qu’il vaut vraiment la peine de découvrit, tout autant que le film de Henry Hathaway.

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