Fêtes, fureurs et passions en terre d’Ardenne / Nicolas Gayoûle de Jean-Pierre Otte

Fêtes, fureurs et passions en terre d’Ardenne / Nicolas Gayoûle de Jean-Pierre Otte

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Catinus, le 22 juillet 2020 (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 72 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 657ème position).
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Un écrivain singulier

Jean-Pierre Otte est né à Ferrières en 1949. Il vit en France (Lot) depuis les années ’80. Dans ce livre, il nous raconte sa terre natale où, comme on dit, cela sent bon le terroir. Il décrit admirablement les gens, les animaux, les choses, en appelant un chat un chat, ce qui en fait toute la saveur. Voici donc un écrivain singulier.

Extraits :

- C’est le printemps qui perce, dit Firmin. C’est vent et sève. Si on collait son oreille contre la terre, on entendrait des bruissements, des bouillonnements, des raclements de racines.

- Louk tu lac tu mac ou mac tu lac tu louk ( du wallon, traduction : regardes-tu où tu frappes ou frappes-tu où tu regardes).

- Souvenons-nous de ce jeu d’écoliers se serrant, se comprimant à l’extrême dans un coin de la cour, retenant leur respiration, puis, brusquement, comme une courge sous la poussée de ses pépins, éclatant, détalant, se disséminant violemment dans tous les sens. C’est un jeu de notre fulgurance, un jeu de foule et de foule intérieure !

- Tu n’es qu’un trou d’cul
Entre deux bras et deux oreilles !

- Quand tu tombes le cul dans les ronces
En te retournant, reconnais-tu
L’épine qui t’a piqué ?

- Deux personnes peuvent me gravir de dos sans se voir et, arrivées en haut, ces deux personnes se verront de face.
Que suis-je à Liège ?


- Les liégeois sont à la fois anticléricaux, païens, paillards, mangeurs d’ecclésiastiques, et dévots, fidèles, fervents, pieux. Ils dînent copieusement de venaison et de bourgogne avec les athées sous les effigies des saints achetés à prix d’or chez les antiquaires ; ils marchent sur la croix avec les francs-maçons ; ils charrient leur curé, ils attendent le vicaire au coin de la rue pour lui passer un savon ; ils apprennent avec Voltaire des arguments à opposer à la Bonne Parole des cours de religion, et puis, au 15 août, ils redeviennent comme « un de ces petits », des petits saints, des petits enfants de chœur, des acolytes en col rouge, des porteurs de croix, de bannières, de dais, de statues peintes. C’est la métamorphose des mécréants, des incrédules, des saint Thomas à la langue bien pendue, des sceptiques avec une pincée de sel dans la bouche, des libres penseurs qui font bonne chère pour combler le vide ! Venez à moi mes brebis, paix mes agneaux ! Ils adorent passionnément Marie, Sainte Marie, dans chaque potale de verre fleurie d’œillets et de roses mis closes, les fenêtres autels avec leurs napperons, leurs bougeoirs, leurs saints de plâtre, les trottoirs parsemés, estampillés de pétale et de farine douce ! Les gens s’agenouillent, se penchent pour mieux se recueillir, toucher à l’ineffable. Voilà pour le sacré, et pour le profane, il y a Jean-Denys qui porte à bout de bras le bouquet aux milles fleurs, escorté d’une fanfare de clarinettes, de trompettes et de tambours. Ils visitent les demeures, donnent l’aubade devant chaque étal, chaque entrée de café ; ils dansent la valse et la polka avec les vieilles et les chipies ; ils mangent de petites crêpes chiffonnées et s’arrosent goulûment le gosier ; c’est la pentecôte des petits blancs.


- Et nos Liégeoises ? Elles sont belles et revêches, farouches, âpres et douces comme les fruits de l’églantier. Elles ne sont pas nées de la dernière pluie, pas prêtes du tout à se laisser abuser et embobeliner ; elles sont câlines et rebelles ; elles sentent de loin où il y a un hic, où la malice est cousue de fil blanc. Ce n’est pas parce que vous faites de l’œil qu’elles vont vous tomber comme des alouettes rôties dans la bouche ; elles ne disent pas d’avance amen à tout, les yeux fermés. Il faut savoir les approcher, les complimenter, les gagner en douce, se montrer persévérant, mais une fois que vous avez su les toucher, elles sont à vous, monts et merveilles, et vous laissent filer en douce sous leur robe. Belles Liégeoises, Flore, Léonce, Loulou, Poupette ! Avec vos petits noms et vos surnoms d’amoureuses !

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8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 19 janvier 2023

Ce recueil de textes est une réédition d’un ouvrage publié il y a une quarantaine d’années sous le titre de Nicolas Gayoûle, l’intitulé du conte fantastique qui constitue le deuxième texte figurant dans la présente édition. L’auteur précise qu’à l’époque, lorsqu’il a publié ce livre, il a éprouvé « le besoin de revenir vers les personnages de son (mon) enfance, les figures empreintes en lui(moi)-même… ». Il a connu alors la même nécessité qu’il a ressenti en lisant des auteurs comme Jacques Chessex, Maurice Chappaz, Marcel Jouhandeau, Maurice Genevoix, et d’autres…, tous des auteurs que j’ai eu le plaisir de lire, des terriens tout comme moi. Je comprends et conçois donc très bien que Jean-Pierre et son éditeur éprouvent encore, aujourd’hui, le besoin de republier ce recueil pour, une fois de plus, revenir à leur terre natale. J’associe Gérard Adam à cette démarche car j’ai lu son livre, La Passion selon Saint-Mars, ébauché il y a bien longtemps mais publié beaucoup plus tard, je l’ai lu en 2018. Le premier texte du recueil de Jean-Pierre racontant la préparation de la passion donnée dans son village m’a immédiatement remis en mémoire ce texte de Gérard Adam. La terre colle aux semelles qu’elle soit d’Ardenne ou du Jura comme la mienne.

Ce recueil est donc, pour moi, comme un hommage rendu par l’auteur à son pays et à ceux qui l’ont fait vivre du plus démuni et du moins avantagé aux plus fortunés et aux plus intelligents. Un hommage mais aussi un témoignage attestant que le monde pourrait aller mieux s’il se tournait vers les valeurs et traditions qui le mouvaient autrefois. « N’est-ce pas de nos fêtes, fureurs et passions que nous avons le plus besoin en notre époque dénaturée désenchantée, précipitée dans la course mercantile du progrès, où les racines se raréfient, se perdent, s’épuisent ? ». Ma région d’origine est bien éloignée de l’Ardenne belge mais j’ai trouvé dans ce livre les mêmes valeurs que celles que nous pratiquions sur nos plateaux jurassiens et je partage volontiers l’avis de Jean-Pierre même si le fait que nous étions jeunes suffisait presque à rendre notre pays plus attirant.

A travers les seize textes qu’il propose l’auteur met en évidence la richesse de la culture populaire et des traditions locales qui soutiennent la vie de ses populations souvent pauvres, elles avaient des valeurs pour toute fortune. C’est une galerie de personnage tous plus hauts en couleurs les uns que les autres, presque tous plus ou moins démunis, pas tous très honnêtes et très francs mais tous de vrais travailleurs retroussant leurs manches pour faire vivre leur famille, leur village, leur pays, jamais accablés toujours conquérants.

Les textes de Jean-Pierre sont des tableaux vivants où se meuvent ces personnages dans une avalanche de qualificatifs, de verbes, qui confèrent une véritable dynamique à ces tableaux et à leur lecture. Cette luxuriance lexicale s’accompagne d’une plongée aux tréfonds de l’histoire de cette partie de la Belgique pour en faire sourdre l’âme wallonne. Le vocabulaire de ce recueil est plus riche que tous les personnages qu’il décrit et les textes de Jean-Pierre Otte ne sont pas seulement des témoignages en forme d’hommage, c’est aussi une très belle page de littérature qui honore les lettres wallonnes, sa langue est particulièrement goûteuse.

« Liège se délie, Liège délibère, Liège rechigne, se rebiffe, s’insurge, vénère son évêque puis le renvoie au vestiaire, Liège bout, bouillonne, fout le feu à la tour Saint-Martin, … ». De cette pugnacité, j’ai la preuve très tangible, puisqu’en déchiffrant des manuscrits du XVI° siècle, j’ai relevé ce qui suit : « Le comte de Charrolois alla contre les Liegeois lesquels luy avoeint fais pendant sa dite armee, plusieurs injures et dommages tant en courans que mettans le feu en plusieurs de ses terres et pays … et finalement environ la Toussaint dudit an 1461 accorderent et traitterent ledit duc tellement qu’il leur pardonna… », « Et néanmoins peu après lesdits Liegeois se revolterent contre liedit sieur de Bourgogne … ». Vraiment pugnaces les Liégeois, les Ducs de Bourgogne eurent maille à partir avec eux !

Magnifique retour au pays natal

9 étoiles

Critique de Voiz'art (, Inscrit le 26 février 2022, 53 ans) - 19 décembre 2022

Magnifique retour au pays natal

Ce livre tient tout entier dans le discours que le grand-père, personnage magicien et merveilleux, tient à son petit-fils lors de leurs échappées initiatiques :

« Tout ce monde, je te le donne,
je te le lègue avec la clef du cœur,
la seule qui permette de posséder le monde
plus profondément que par des actes de notaire
ou des billets de banque.
Le posséder avec ses yeux, ses narines, ses lèvres,
la petite cuillère de l’oreille et les pores de la peau.
Tout est dans la confiance et dans le secret,
dans l’accord au monde, l’accord du cœur avec le creux
de l’écorce, la gousse qui se rompt et projette ses graines.»

Par la grâce de ce grand-père non-conformiste, Jean-Pierre Otte a toujours connu la plus grande intrépidité intérieure. Sa langue est merveilleuse, franche, drue, familière et colorée, et cependant si savante et allusive. Autour de la figure de l’enchanteur s’articule une suite de tableautins qui ont pour noms : «Liège, les têtes de houille au fond de la Meuse, Quarante jours en fagnes, La pornographie comprise par la paysannerie, Les répétitions de la Passion, Le cœur celte, Femmes à l’offrande, Ivresses et batailles,...
Voilà un livre de célébration. Jean-Pierre Otte dit son attachement aux paysages d’Ardenne et à la ville de Liège, son amour des hommes et des femmes de Wallonie, des forêts d’épicéas, des fagnes qu’il connaît comme le braconnier sa clairière. Il donne à vivre et à voir ce qu’a de si particulier ce petit pays coincé entre l’Allemagne, la France et la Flandre, et cependant aussi anciennement romanisé que la région de Lutèce. Il peint les mœurs de ces Celtes latinisés que sont les Wallons, truffe leur langue française de très anciens vocables, d’images étonnantes, de locutions truculentes, de comptines séculaires.

Extrait présentation éditeur:"Paru il y a quarante ans sous le titre de Nicolas Gayoûle, voilà un livre dont on peut dire qu'il a, comme certains vins, bonifié avec le temps. S'articulant autour de la figure tutélaire du grand-père, il se développe par épisodes dans une vie comme exaltée, où les cœurs purs côtoient les âmes damnées et où les faits et gestes s'inscrivent dans un registre tantôt truculent, tantôt tragique ou intime, pieux ou paillard, et toujours émouvant."

Voiz’art

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