Les Anglais et nous de Jean Luchaire

Les Anglais et nous de Jean Luchaire

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire , Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Eric Eliès, le 14 août 2019 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 8 étoiles
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Témoignage d'un collaborationniste exécuté à la Libération, anglophobe et pacifiste

J’ai trouvé ce livre à l'abandon dans un carton jeté sur un trottoir, comme il en fleurit parfois l’été à Paris au moment des déménagements. Je l’ai pris et m’y suis plongé sans trop savoir ce que j’allais trouver et… ce fut une lecture aussi passionnante que rare car ce livre, commis par un journaliste exécuté à la Libération, n’a sans doute pas été réédité ! J’avoue que la lecture de cette diatribe contre l’esprit anti-européen de l’Angleterre ne manque pas de sel dans le contexte actuel des discussions sur le Brexit ! Elle souligne aussi que l’époque de la seconde guerre mondiale fut d’une effroyable complexité et que les jugements péremptoires sur la valeur des hommes et des individus ne valent rien hors contexte. Ainsi, une fois tournée la dernière page, je n’ai pu m’empêcher de penser que l’estime qui entoure aujourd’hui Aristide Briand (prix Nobel de la paix en 1926) n’est due qu’à son décès suffisamment précoce pour l’empêcher d’avoir connu les troubles de la seconde guerre mondiale et que, s’il était mort 10 ans plus tard, son nom serait probablement aussi vilipendé que celui de son collaborateur Pierre Laval…

Jean Luchaire fut, comme Pierre Laval dont il dresse un portrait très élogieux, l’ami d’Aristide Briand et un de ses collaborateurs dans le projet d’élaboration d’une Europe fédérale qui visait à pérenniser la paix fragile issue de la 1ère guerre mondiale. La seconde guerre mondiale lui fut fatale : ultra-pacifiste et foncièrement anti-anglais, Jean Luchaire tenta de s’opposer à la déclaration de guerre contre l’Allemagne puis, convaincu que la France n’avait plus, après la déroute de 1940, que le choix de sa vassalité (soit se soumettre à l’Allemagne soit se soumettre à l’Angleterre et aux USA), prit le parti de la collaboration avec l’Allemagne, peuple qu'il jugeait cultivé et porteur d’un projet européen, et en qui il voyait un interlocuteur avec lequel il serait possible de discuter pour parvenir à préserver, grâce à une politique conciliante, l’existence et l’identité de la France. Le tort de Jean Luchaire, qui le discrédite vis-à-vis de l’Histoire et lui valut finalement d’être condamné à mort et exécuté à la Libération, est de n’avoir pas compris la nature spécifique du régime nazi, qu’il a confondu avec l’expression traditionnelle du nationalisme allemand. Ce livre révèle aussi que le pacifisme et l'anglophobie furent, par aveuglement sur la nature du nazisme, des terrains féconds (avec le nationalisme raciste et antisémite) pour la collaboration. Il n'est qu'à songer à Knut Hamsun, prix Nobel de littérature, qui fut pro-nazi par haine du matérialisme anglo-saxon, ou à Jean Giono, dont le pacifisme radical lui valut d'être inquiété à la Libération.

Ce petit livre se présente comme un court essai, bien construit et assez argumenté (même si l'argumentation est fortement biaisée par une anglophobie viscérale), visant à démontrer que la défaite de la France a été voulue et préparée par les Anglais. Pour Luchaire, l’Angleterre a toujours eu l’ambition de dominer l’Europe et, pour ce faire, a profité, en les attisant, des rivalités européennes et a travaillé à faire échouer tous les projets d’unification de l’Europe continentale. Ainsi, le souci de l’Angleterre de maintenir à son avantage l’équilibre entre les puissances européennes l’a conduit à s’opposer, en 1919, à tous les projets de réconciliation franco-allemande tout en empêchant la France de réduire à néant la capacité de l’Allemagne à mener une nouvelle guerre. Aristide Briand fut le premier à dénoncer, dès 1921, les dangers de la politique à court-terme de l’Angleterre qui s’oppose à un projet d’Europe fédérale parce qu’elle n’a pas encore compris que son hégémonie a été détruite par la 1ère guerre mondiale, qui consacre l’avènement de la domination américaine. Pour Luchaire, c’est la politique anglaise d’opposition systématique à toute ambition de puissance d’un pays européen qui a provoqué la 2ème guerre mondiale. Après avoir instrumentalisé l’Allemagne pour contrôler le redéveloppement de la France, l’Angleterre a voulu limiter la puissance allemande renaissante et a précipité l’Europe dans la guerre en ruinant tous les efforts de paix des diplomates lors de la crise d’août 1939 entre l’Allemagne et la Pologne. La défaite de la France en juin 1940 a été sciemment préparée par l’Angleterre, qui n’a fourni pratiquement aucun renfort à la France, avec la volonté de faire main basse sur son empire outre-mer. Son plan cynique a éclaté au grand jour avec l’offre faite au gouvernement Reynaud, le 16 juin 1940, de s’exiler en Angleterre et d’annexer purement et simplement la France, avec nationalité commune ! Pour Luchaire, Pétain, en refusant l’offre anglaise et en obtenant l’arrêt des hostilités, a sauvé la France d’un complot anglais dont la politique anti-française fut rapidement confirmée à Mers-el Kébir…
Le livre s’achève en évoquant les "manigances" des agents anglais infiltrés dans l’entourage de Pétain, qui parviennent à le persuader (en décembre 1940) de mettre Pierre Laval aux arrêts. En effet, dixit Luchaire, les Anglais redoutent que Pierre Laval, par sa ténacité et son patriotisme qui ont suscité l’estime des Allemands, ne réussisse à obtenir l'accord de l'Allemagne pour un réarmement de la France afin de récupérer les colonies dont l'Angleterre s'est emparée grâce aux traîtres gaullistes ! A terme, l'Angleterre redoute aussi que Laval parvienne à mener une politique de conciliation susceptible d’aboutir à l’unification de l’Europe continentale... C'est finalement l'Allemagne qui, s'inquiétant du silence de la France à une invitation lancée par Hitler à Pétain, va déjouer le complot anglais contre Laval, qui sera libéré.

Nota pour éviter tout malentendu : je ne note pas 4* des idées qui ne sont pas les miennes mais l'intérêt historique d'un ouvrage qui permet de comprendre la complexité de la situation en France après la défaite de juin 40 et relativise les jugements de valeur qu'on peut porter sur ceux qui ont vécu cette période troublée.

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