Musique d'un puits bleu de Torborg Nedreaas

Musique d'un puits bleu de Torborg Nedreaas
(Musikk Fra en Bla bronn)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Myrco, le 8 septembre 2019 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 6 étoiles
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Une enfance en demi-teinte

Petite incursion dans la littérature scandinave avec l'écrivaine norvégienne Torborg Nedreaas, contemporaine de Tarjei Vesaas, reconnue dans son pays comme l'un des auteurs importants de l'après seconde guerre mondiale, mais plutôt méconnue en France.

Elle nous livre ici un récit, sorte de chronique d'une tranche de vie, dont on ne peut douter qu'il soit largement inspiré de sa propre enfance à Bergen. Situées entre le début de la première guerre mondiale et la révolution russe, ce sont trois années de passage difficile entre la fin de l'enfance et les troubles de la puberté, marquées par des évènements dramatiques qui, à des degrés divers vont sceller l'effondrement de son monde: le divorce de ses parents, la guerre, l'incendie de sa ville.

L'ouvrage s'ouvre par un magnifique chapitre ( au titre éponyme du titre général si poétique) d'une grande richesse métaphorique. Ce puits bleu en effet, n'est-ce pas la métaphore de ce qu'on voudrait oublier, en l'occurrence le souvenir douloureux et indélébile de cette période de la vie d'Herdis, probable double de Torborg?: "toute douleur s'apaise un jour. Cela va plus vite si l'on immerge les mauvaises énigmes dans le puits, alors on peut édifier ses propres rêves dans les traces qu'elles ont laissées."

L'intérêt majeur du récit réside à mon sens dans la manière dont l'auteure est parvenue à restituer avec une remarquable justesse la vision et le vécu de sa petite héroïne: ses incompréhensions, sa perception évolutive du temps, l'émergence d'abord brumeuse et timide de sa conscience des réalités, la perte de ses premiers émerveillements (la carte postale, le kaléidoscope)...pour ne citer que cela.
Enfant unique et solitaire, blessée par le divorce de ses parents qui ne lui offrent plus guère de place dans leurs vies respectives et leurs nouvelles amours, bousculée entre la famille juive maternelle haute en couleur et la rigueur protestante de la grand-mère paternelle, Herdis en constante demande d'intérêt et d'affection, confrontée aux mensonges et inconséquences des adultes, aux petites humiliations de ses camarades, ne peut que souffrir de cette situation. Il en ressortirait une tonalité globale plutôt mélancolique si ce n'était le tempérament de la petite fille, forte en caractère, rebelle et colérique, qui ne demande qu'à céder au rire et à la joie de vivre avec cette aptitude merveilleuse de l'enfance à passer d'une humeur à l'autre. En compensation de ses peines et frustrations, Herdis possède le don d'une réceptivité sensorielle aigüe ("voir,sentir,écouter") qui la rend très perméable à la beauté de la nature et du monde. Plus encore puise-t-elle son bonheur dans "la musique secrète qu'elle porte en elle" et souvent l'accompagne, trait de sensibilité artistique sans doute propre à l'auteur qui reçut une formation de professeur de musique avant de se consacrer tardivement à l'écriture.

Pour autant, à travers le filtre de la vision de l'enfant, fort bien rendue, le monde extérieur, qu'elle peine à décrypter et comprendre, apparaît bien présent avec tous les maux engendrés par la guerre: l'inflation qui jette les familles de ses copines à la rue, les restrictions alimentaires, l'opportunisme des spéculateurs ( tentation à laquelle cède son propre père), la mise au ban du grand-père maternel d'origine allemande et pro-germanique ...Et dans les conversations entre adultes impactées par les évènements en Russie se glissent les opinions engagées de l'auteure: un point faible à mon avis qui s'inscrit en porte à faux avec la vision de l'enfant.

Par ailleurs, et c'est là une caractéristique du récit, la prose très pudique, volontiers allusive, ne fait souvent qu'effleurer les choses, les suggérer jusqu'à les rendre un peu trop floues peut-être dans les derniers chapitres. Si cela rend compte de la perception d'Herdis, cela ne me paraît pas étranger à la spécificité de la culture scandinave, le choix du recours à la troisième personne ne faisant que renforcer la distanciation par rapport à l'émotionnel.

La composition s'avère également assez originale: vingt-huit chapitres relativement courts soit autant de fragments d'une chaîne chronologique discontinue qui correspondent à autant de moments de vie significatifs.

Au final: beaucoup de qualités et de sensibilité dans cet ouvrage. Néanmoins, j'avoue n'être pas parvenue à m'attacher au personnage d'Herdis. Sans doute cette réserve permanente que j'évoquais précédemment ne m'a-t-elle pas permis de franchir la barrière qui engendre l'émotion à l'exception cependant d'un très joli passage, poignant: le chapitre intitulé "Les premiers boutons d'or". Sans doute aussi, la qualité du premier chapitre, éblouissant et prometteur, m'a fait souvent apparaître la suite nettement en-deçà générant un peu de déception.

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