Les dieux de la steppe de Andreï Guelassimov

Les dieux de la steppe de Andreï Guelassimov
(Stepnie bogi)

Catégorie(s) : Littérature => Russe

Critiqué par Myrco, le 10 janvier 2019 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (26 922ème position).
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L'enfant et le prisonnier

Eté 1945. Sur le front de l'ouest, les alliés ont gagné la partie. Mais tout à l'est, la guerre n'est pas encore terminée. Les russes s'apprêtent à lancer une ultime attaque contre l'armée du Guandong, les forces impériales du Japon. Elle sera lancée le 9 août; dans le même temps sera larguée la bombe américaine sur Nagasaki.
L'histoire se situe dans le mois qui précède ces évènements décisifs, dans un petit village au milieu de la steppe, en Sibérie orientale, près de la frontière chinoise, où seuls femmes, enfants, vieillards, continuent à vaquer à leurs occupations dans un contexte difficile et dans l'attente espérée ou parfois redoutée du retour imminent des hommes survivants.
A proximité: un camp de prisonniers, inauguré par les japonais défaits en septembre 1939 à Khalkhin Gol, dont un certain nombre grièvement blessés à l'époque n'ont pu bénéficier des accords d'échanges et travaillent à l'exploitation des mines de charbon.

Dans cet environnement, Guélassimov donne vie à une galerie de personnages parmi lesquels deux très beaux, ses deux personnages principaux, Petka l'enfant russe et Hirotaro le prisonnier japonais, deux figures attachantes dont les destins vont se croiser.
De la coexistence de leurs univers respectifs, le roman tire une part de sa richesse, la puisant à la fois aux sources de la culture et de la sensibilité nippone et de celles sibériennes.(Guélassimov est sibérien né à Irkoutsk).

Petka est un petit garçon marginalisé, sans père, qui vit entre une grand-mère irascible, un grand-père dominé qui se livre au trafic d'alcool avec les chinois ( la "gnôle" tient une grande place dans cette culture;-) et une jeune mère dépressive et absente. Solitaire, il n'a pour seuls amis que Valerka, un enfant à la santé fragile rongé par un mal mystérieux, et un louveteau sauvé des balles des gardes du camp. Il a beau être objectivement misérable, arpentant les environs pieds nus et le ventre creux plus souvent qu'à son heure, en mal de tendresse, victime privilégiée d'une bande de sales gosses qui ne reculent devant aucune cruauté envers celui qu'on appelle " fils de pute ", Petka n'en vit pas moins sa vie d'enfant espiègle, facétieux, qui a plus d'un tour dans son sac et sait exploiter les situations à son avantage faisant bientôt ami-ami avec certains gradés du camp auprès desquels il recherche une certaine complicité "entre hommes".
Mais en bon gamin soviétique biberonné au culte de Staline, Petka voue une passion exaltée à sa patrie et à tout ce qui ressort du domaine militaire, un univers qui alimente ses jeux, ses curiosités, enflamme son imagination, et d'ailleurs il n'envisage pas d'avenir plus lumineux que de mourir au combat: " quand on m'aura tué à la guerre, je deviendrai une alouette. Parole! "

Quant au personnage d'Hirotaro, il s'agit d'un médecin japonais instruit. En homme de devoir fidèle à sa mission qu'il met encore plus haut que les valeurs d'honneur héritées du clan de samouraï déchu dont il est le descendant, il a choisi de rester là plutôt que de rejoindre son foyer à Nagasaki, afin de soigner ses compatriotes blessés et peut-être se dédouaner, vis à vis de MisahIro, son compagnon de captivité, d'un passé privilégié dont il se sent à tort coupable. Bien que battu et humilié aussi, ses connaissances en matière de plantes médicinales, le fait qu'il soigne les russes, lui ont valu un statut un peu à part. Hirotaro n'a plus comme perspective que de laisser une trace à transmettre à ses fils via un cahier qu'il tient en cachette.

Rien ne prédestinait ces deux êtres à une vraie rencontre et pourtant elle aura lieu au gré de circonstances les réunissant dans une sorte de communion autour d'un Valerka mourant: très belle et touchante leçon d'humanité, de tolérance et d'amour universel de la part d'Hirotaro qui saura faire abstraction de ses convictions d'homme de science rationnel pour apporter une note d'espérance face à la détresse d'autres humains. Et finalement, ces " dieux de la steppe ", n'est-ce-pas lui-même et Petka joints dans une magnifique et ultime scène, à l'image de ce dieu asiatique projetant sur le sol " une ombre bizarre avec une multitude de bras " ?

En deçà de cette note plus profonde sur laquelle il s'achève, ce roman très vivant nous offre tout au long de sa lecture un mélange alerte entre le dramatique et le cocasse et là réside beaucoup de son charme. Les temps sont indéniablement sombres, les réalités plutôt cruelles, et pourtant il revêt souvent les accents d'une farce paysanne truffée d'anecdotes par lesquelles s'expriment l'ironie et l'humour de l'auteur. De ce mélange subtil, la scène de "l'exorcisme" inspirée du théâtre nô marque d'ailleurs l'apothéose.

Quelques réserves cependant. J'avoue avoir un peu buté avec ennui sur les quelques passages qui racontent l'histoire du clan de samouraï, passages non dénués d'intérêt mais qui cassent un peu le récit auxquels toutefois l'auteur met fin assez vite.
Je me suis lassée parfois de l'abondance de références militaires qu'il utilise pour mieux nous faire pénétrer le monde intérieur de l'enfant.
Mais ce sont là détails qui ne sauraient remettre en cause la qualité de l'ouvrage: une jolie rencontre avec Guélassimov qui nous fait naviguer entre dureté et tendresse, compassion et sourire.

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Dureté sibérienne

7 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 6 novembre 2019

Vu d’ici (ici = Europe occidentale, Canada), la Sibérie n’est qu’un vague concept, une abstraction géométrique sur un planisphère, un énorme espace pratiquement peu ponctué de villes. Les dieux de la steppe ont beau nous raconter une histoire située en 1945, je ne suis pas sûr que les conditions de (sur)vie aient beaucoup changé. Comme si les goulags et autres camps de concentration qui semblent la seule activité (avec l’activité minière) de cette contrée désolée avaient contaminé l’espace. Ce n’est que dureté, violence et plutôt inhumanité. Seul Sylvain Tesson avec Dans les forêts de Sibérie est parvenu à nous faire goûter, concernant la Sibérie, à autre chose que du négatif. Merci Sylvain !
Sibérie, 1945, proximité de la Chine et du Japon qui va bientôt perdre la guerre de la manière tragique que l’on connait, et misère à tous les étages. Misère économique comme misère sociale.
A proximité de Razgoulaievka, le village de Petka – le petit garçon héros de cette histoire – il y a justement un camp de rétention de prisonniers de guerre, Japonais pour l’essentiel, qu’on fait travailler à la mine.
Petka n’a pas vraiment une vie de petit garçon. Elevé par ses grands-parents - qu’on ne qualifiera pas de particulièrement tendres ( !) - avec une relation à sa mère compliquée, ostracisé par les autres enfants en tant que « fils de pute » (il n’a pas de père connu), sa vie n’est pas toute rose (en même temps, en Sibérie, des vies roses … !).
Mais comme tout petit garçon, il a néanmoins une vie imaginaire et son truc à lui, c’est d’aller voir passer les convois militaires qui se dirigent vers la Chine et le Japon, accessoirement d’aller voir dans les ravins si d’aventure Hitler, déclaré disparu, n’y serait pas caché, et traîner du côté du camp de prisonniers. Il va ainsi faire connaissance (faire connaissance c’est beaucoup dire quand même !) avec un prisonnier particulier, Hirotaro, un médecin qui est resté volontairement avec ses compatriotes prisonniers pour tenter de les soigner et avec le lieutenant Odintsov, en charge du camp.
C’est la relation Petka/Hirotaro qui constitue l’intérêt principal du roman, deux personnalités bien marquées et antagonistes.
Au milieu de la misère générale, Andreï Guelassimov trouve le moyen de faire éclore fugitivement quelques fleurs d’espoir mais, ne nous emballons pas, on reste en Sibérie quand même ! Nul doute que certains lecteurs puissent être incommodés par la noirceur du récit (du pays et de ses conditions de vie plutôt) mais ces dieux de la steppe méritent qu’on leur consacre des instants de lecture.

»Hirotaro n’était encore jamais allé à Razgouliaevka même, c’est pourquoi, en entrant dans le village, il se mit à regarder autour de lui avec intérêt. Mais il n’y avait en fait rien à regarder. Des palissades de guingois, qu’on n’avait pas réparées pendant la guerre, des toits verts de mousse et même d’herbe, des taillis de bardanes, une rue défoncée, pleine de fondrières, quelques chiens maigres et un vieux bonhomme ivre dansant en silence au bord d’une grande flaque. En dehors de ce vieux solitaire, il n’y avait personne dans la rue. Le village semblait mort et on entendait seulement, venant de loin, la voix glapissante et déjà légèrement ivre de l’accordéon. »

Univers brutal et impitoyable

4 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 10 septembre 2019

Petka est un jeune garçon intrépide malgré la malnutrition, malgré la guerre qui sévit, malgré les sévices qu’il subit de la part de sa grand-mère ou des autres garçons du village.
"Il en résultait que dans toute cette histoire, deux personnes seulement avaient pris, Petka et le vieux Japonais. Petka ne pouvait pas décider si c’était juste ou pas, parce qu’il considérait à part lui que s’il avait dégusté, c’était tout à fait juste, c’était ça, la vie de bâtard, mais en ce qui concernait le Japonais, il ne comprenait pas."

Dernier livre d’une sélection que j’ai appréciée, j’ai hésité à poursuivre la lecture de ce dernier, tant je trouvais dur le sort de ce petit garçon qui subit des coups en permanence ; il m’a fallu aller lire les critiques postées pour me donner le courage de continuer et terminer ce roman.
Mais je n’ai pas réussi à partager les points de vue positifs. L’univers incroyablement sombre de ce récit, la violence omniprésente, le manque total d’humanité, font que je n’ai pris aucun plaisir à cette lecture. Pas sensible non plus à l’humour du jeune garçon.
Heureusement, il y a le chapitre XV où, enfin, arrivent un peu d’humanité, un peu de poésie, de folie bienheureuse. Le seul à me toucher.

Peut-être replieras-tu tes ailes au milieu des steppes..

8 étoiles

Critique de Dixie39 (, Inscrite le 12 mars 2017, 53 ans) - 22 février 2019

Ce récit se déroule en 1945. Si la seconde guerre mondiale s'achève en occident, elle ne touche pas encore à sa fin dans ce petit village des steppes russes où bon nombre de prisonniers triment encore dans des mines et bon nombre de soldats sont encore au combat.

Les soldats. Il y a ceux qui partent dans des trains bondés chargés d'engins militaires qui n'en finissent pas de faire rêver le jeune Petka. Et ceux qui reviennent, médaillés, estropiés - les deux parfois - tenant debout grâce à la gnôle qui coule des gorges aux veines. Petka, le bâtard ou fils de pute du village, qui fait l'objet des pires violences de la part des gamins, mais aussi des adultes, espérait rejoindre les premiers ; mais ce sont les seconds qui vont débarquer dans sa vie...

"si Petka avait eu à décider, il n'aurait pas pris Mitka Mikhaïlov comme père. Mais sa maman, même si on lui avait donné le choix entre cinq mille autres, il l'aurait choisie".

Beaucoup de violence, directe ou sous-jacente, dans les dieux de la steppe. Petka, sa mère, le jeune Valerka, son ami à la santé fébrile et bien d'autres la subissent, mais presque de manière "naturelle" comme si c'était la norme. La faim, le froid, la cruauté font partie intégrante de leur vie. Et la guerre n'y est pas forcément pour grand chose.

"Il n'y avait pas beaucoup de cafards, parce qu'ils vivent là où il reste au moins quelque chose à avaler, et Valerka et sa maman ne laissaient rien dans la maison. C'est tout juste s'il y avait assez à manger pour eux. Ils ramassaient les miettes dans le creux de leur main et devant les cafards affligés, ils se les fourraient soigneusement dans la bouche. Comme pour le charbon à la mine. Un, deux et hop dans le wagonnets".

On suit parallèlement à l'histoire de Petka, la vie d'un des prisonniers japonais qui travaille à la mine : Hirotaro. On devine que ces deux-là vont finir par se rencontrer, mais quand ? La raison, on la devine, mais Andreï Guelassimov prend son temps pour installer ses personnages, leur vie et nous ouvre peu à peu à la découverte de ce que certains appellent l'âme russe, entre poésie, douleur, abnégation et résistance...

"tu ne peux pas connaître ton destin.
Peut-être replieras-tu tes ailes au milieu des steppes..."

Peut-être...

Petka et Hirotaro !

7 étoiles

Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 58 ans) - 17 février 2019

Andreï Guelassimov (1966- ) est un auteur russe de littérature engagée.
"Les Dieux de la steppe" (2008) est traduit en français en 2016 et paraît aux éditions Actes Sud,

L'histoire se déroule en 1945 en Sibérie orientale dans un petit village isolé. On suit de très loin les événements (la Guerre) .
L'auteur brosse le portrait de 2 personnages "phares" du roman.
Petka, jeune orphelin élevé par ses grands-parents après que sa mère ait été violée par un homme du village parti à la guerre.
Violenté par sa grand-mère, malmené par ses camarades d'école, ce "fils de pute" s'évade en s'inventant une vie de commandant d'armée. Il donne des ordres aux chèvres et son meilleur ami devient son soldat.
Hirotaro est un prisonnier de guerre, enfermé dans un camp proche du village. Il est le médecin du camp et tient un journal de bord dans lequel il raconte la vie de ses ancêtres. Originaire de Nagasaki, il ne sait pas encore le sort qui sera réservé à sa ville natale.
Petka et Hirotaro sont 2 personnages maltraités mais qui -chacun à sa façon- relève la tête et trouve sa parcelle de liberté dans son imaginaire.

Une histoire qui se tient mais j'avoue m'être ennuyé. Même si les personnages sont hauts en couleur, je ne suis pas parvenu à m'y attacher. Le lien entre Petka et son chiot ne prend de sens qu'à la dernière page (...)
Une qualité littéraire certaine mais qui n'a pas emporté mon enthousiasme.


Pas pour moi

6 étoiles

Critique de Ludmilla (Chaville, Inscrite le 21 octobre 2007, 68 ans) - 15 janvier 2019

Si je suis globalement d’accord avec l’excellente critique de Myrco, je ne le suis pas avec sa conclusion, je n’ai trouvé ni tendresse ni sourire dans ce livre.

Petka est surnommé "fils de pute" par ses tortionnaires (la plupart des autres enfants du village) parce qu'il est né suite au viol de sa mère par un voyou local parti à la guerre...
Et le mot de « tortionnaire » est faible.

Je suis restée complètement extérieure à ce roman. S'il y a quelques bons passages, je m'y suis parfois ennuyée au point de lire certaines pages en diagonale.

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