Le cahier noir de François Mauriac

Le cahier noir de François Mauriac

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Le rat des champs, le 11 décembre 2016 (Inscrit le 12 juillet 2005, 73 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 183ème position).
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Pour comprendre Mauriac

Peu de gens semblent connaître le passé de résistant de François Mauriac qui publia clandestinement sous le pseudonyme de Forez ses réflexions sur l'actualité brûlante de la deuxième guerre mondiale. En observateur fin, lucide et révolté, il garde envers et contre tout sa foi chrétienne, comme une arme pour ne pas sombrer en cette période barbare. Ce texte fondamental avait été publié en 1947 et avait disparu des catalogues, jusqu'en 2016, date où l'éditeur Bartillat a eu l'excellente idée de le republier. Il est à mon avis, tout à fait impossible de comprendre Mauriac sans s'immerger dans ce texte bouleversant.
C'est court, c'est dense, c'est brillant, c'est généreux, même si on peut de nos jours avoir plus de difficultés à suivre Mauriac dans sa foi chrétienne que dans celle, très belle, qu'il a en l'homme, en la liberté et la fraternité humaine.
La phrase principale du livre, celle qui le résume tout entier, est celle-ci, toujours actuelle, qui devrait être méditée par tous nos gouvernants: "La séparation de la politique et de la morale que nous dénoncions de toutes nos faibles forces a couvert et continue de couvrir le monde entier de sang. Machiavel est le père du crime collectif." Les condamnations des collabos que grand orfèvre des mots lance est toujours aussi percutante: "ces Français au service de l'Allemagne... (non, ce n'est pas assez dire: au service des passions inhumaines de l'Allemagne nazie) ces Français qui ne s'acharnaient pas contre un fantôme mais contre cette part de nous-mêmes qui proteste, résiste, contre cette âme affaiblie, certes, profanée, souillée mais vivante et c'est là le tout."
On ne peut que regretter que Mauriac qui a fréquenté les allées du pouvoir, qui était immensément populaire, qui en avait les capacités morales et intellectuelles, ait jugé bon de ne pas s'investir dans la vie politique. Dommage.

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Mauriac résistant de la première heure.

10 étoiles

Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 31 décembre 2016

Sacré Mauriac ! S'il n'était déjà au sommet dans mon estime, il y monterait encore d'un cran. Son Cahier Noir est un modèle de littérature engagée, c'est un réquisitoire contre les Vichystes pendant l'occupation, un exemple d'engagement et de conviction, doublé d'un régal de lecture.

Mauriac a toujours fait preuve d'une lucidité extraordinaire et ses convictions n'ont jamais varié. Dès les années vingt, « alors que les noms de Mussolini et de Hitler n'avaient pas encore retenti sur l'Europe », Mauriac avait compris que « l'Europe avait pris en dégoût la liberté ». Elle était prête à se soumettre à n'importe quel diktat de n'importe quel dictateur. « Mais la liberté doit être défendue », nous affirme-il, et il reprend la fière devise révolutionnaire dans son intégralité : « Liberté, Égalité, Fraternité, ...ou la mort » Oui, ou la mort !

Dès la défaite de 40, il fustige le spectacle immonde que lui offrent tant de Français en présence de l'ennemi : « la police française devenue par la grâce de Vichy, une garde-chiourme, les trafiquants du marché noir, les hommes d'affaires et de lettres que l'armée d'occupation enrichit, cette humanité hideuse... » etc, etc.
La véhémence du style Mauriac est irrésistible ! Il serre les poings quand il voit sur la place de la Concorde, « à travers une brume de larmes, ces drapeaux où la croix gammée ressemble à une araignée repue, gonflée de sang ».

Mais où Mauriac est magistral plus que jamais, c'est quand il se lance dans des réquisitoires contre ceux qui ont trahi la France : « Quand le gouvernement de Monsieur Pétain souscrit aux lois raciales, livre à la Gestapo les étrangers qui avaient cru en la parole de la France, quand le bourreau nazi trouve dans la police de Vichy assez d'aides et de valets pour n'avoir presque plus besoin de se salir les mains lui-même, qui pourrait feindre de ne pas voir que c'est d'une trahison, ou plus précisément d'une apostasie que ces misérables chargent la conscience de cette personne, de cette âme vivante : la nation française ».

Mais il veut lutter de toutes ses forces contre la tentation du désespoir et du mépris de l'homme car, nous dit-il, « le désespoir nous conduirait à l'indifférence et ce mépris est la base même de ces doctrines qui veulent user et abuser de l'homme ». Et il nous réaffirme avec ferveur : « notre foi en l'homme est notre raison de vivre – de survivre ».

Les convictions de Mauriac s’appuient sur une foi bien affirmée : « le chrétien, nous dit-il, cherche et trouve Dieu dans les hommes, d'abord dans ceux qui souffrent persécution pour la justice, chrétiens ou païens, communistes ou juifs, car de ceux-ci, la ressemblance avec le Christ est en raison direct des outrages qu'ils endurent : le crachat sur la face authentifie cette ressemblance ».

Cette foi en l'homme et en Dieu est indéfectible chez Mauriac et il l'exprime souvent dans son livre comme pour se réconforter dans les pires épreuves qu'il traverse. Car ses écrits, sortis sous le manteau, l'ont condamné ; il est recherché par la Gestapo et promis à une mort certaine.

Ce Cahier noir est assez court, à peine une cinquantaine de pages, mais il nous donne énormément de choses à méditer, des choses encore et toujours d'actualité : « La séparation de la politique et de la morale a couvert et continue de couvrir le monde entier de sang » parce que, nous dit Mauriac en fustigeant la doctrine de Machiavel, si la morale doit exister pour l'individu, elle doit aussi exister en politique.

Tant que, dans les pires épreuves que traverse l'humanité, il y aura des hommes de foi et de conviction, comme ce Mauriac, des hommes lucides, qui nous montrent le chemin, tout espoir ne sera pas perdu.

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