Un voyage en Arcturus de David Lindsay

Un voyage en Arcturus de David Lindsay
(A voyage to Arcturus)

Catégorie(s) : Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique , Littérature => Anglophone

Critiqué par Eric Eliès, le 13 décembre 2015 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 6 étoiles
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Un roman où la science-fiction n'est qu'un habillage pour une longue dissertation mystico-philosophique

Quelle déception ! Me fiant à l’éloge dithyrambique de l’éditeur sur le 4ème de couverture et à la réputation de cette collection de référence, je me suis lancé avec enthousiasme dans la lecture de ce que je pensais être un chef d’œuvre de la science-fiction écrit en 1920. En fait, « Un voyage en Arcturus » est un pseudo-roman qui égrène des considérations mystico-philosophiques (qui semblent aujourd’hui surannées) sur le sens de l’existence et sur les rapports hommes-femmes. David Lindsay y dévoile une conception du cosmos reposant sur l'opposition exacerbée entre des principes inconciliables mais complémentaires : l’être et le néant, l’amour et la douleur, le masculin et le féminin, etc.. Pour Lindsay, la plupart des êtres vivants sont constitués d’un mélange de parts féminines et masculines et sont prisonniers de cette dualité, dont il décline toute la palette possible depuis l’androgynie parfaite jusqu’à la pureté absolue d’hommes et de femmes se haïssant et constituant l’un pour l’autre un danger mortel. La sexualité est souvent présentée comme une pulsion mortifère, comme si la reproduction sexuée ne pouvait générer la vie « véritable ». La pensée de Lindsay est imprégnée d’occultisme et de religiosité gnostique et se moque de la crédibilité scientifique de ses hypothèses, comme l’illustre cette définition originale des lois de la gravité reprise de la bouche du pilote d’un vaisseau volant : Le grand corps de la terre émet constamment des atomes féminins et les parties mâles des rochers et des corps vivants essaient tout aussi continuellement de les atteindre. C’est la gravitation. Le pilote présente deux pierres-mâles et explique : Il jaillit constamment d’elles des étincelles mâles qui dévorent les particules femelles s’élevant de la terre. Il ne reste alors aucun atome femelle pour attirer les parties mâles du bateau qui ne vont donc point dans cette direction.

La science-fiction n’est ici qu’un habillage : les habitants d’Arcturus sont clairement des humains déguisés en extra-terrestres et leur morphologie étrange possède l’exotisme de pacotille d’un accoutrement folklorique… David Lindsay écrit un roman d’aventures spirituelles et mystiques et ne soucie que du cheminement intellectuel de son héros. Hélas, parce qu’il surcharge leur dimension allégorique (jusque dans les noms), Lindsay ne parvient pas à donner pleinement de l’épaisseur aux êtres et aux paysages qu’il décrit (sauf vers la fin du roman). La démarche est un peu la même que celle d’Alain Damasio dans « La horde du contrevent », qui s'affiche comme un roman philosophique de science-fiction, mais les qualités d’écriture de David Lindsay (à moins qu'elles aient été trahies par la traduction) manquent de subtilité. Par comparaison avec d’autres ouvrages fantastiques ou de science-fiction dont j’ai fait une critique sur CL (« Néfer », « Ptah Hotep », « La montagne morte de la vie », « Solaris », etc.), l’univers manque de cohérence, ce qui n’est pas trop grave, mais surtout ne suscite aucun frisson d’émerveillement ou sentiment de confrontation avec l’altérité d’une autre réalité.

Le héros du récit, Maskull, est un terrien qui accepte, à l’issue d’une séance de spiritisme et sans trop prendre le temps d’y réfléchir, d’être catapulté sur la planète Tormance, qui orbite autour d’Arcturus. Il se réveille dans un corps affublé de nouveaux organes (dont un tentacule et des glandes de télépathie) et isolé de ses deux compagnons de voyage. Après une rencontre avec un couple d’extraterrestres épris de beauté, il va se lancer dans un grand périple à travers Tormance, qui s'avère être une planète morcelée en territoires très contrastés que Maskull explore successivement en remontant vers le nord. Ce faisant, il va rencontrer, pour leur malheur, quelques « arcturiens » isolés et des guides spirituels aux pouvoirs psychiques surhumains qui tous incarnent, de manière archétypale, des principes de vie et des valeurs morales (le sens du devoir, l’altruisme, l’amour, la dévotion religieuse, le dégoût du plaisir, etc.). Maskull va agir sur eux, par ses questions iconoclastes qui ébranlent leurs certitudes, comme un démystificateur. Il retrouvera également ses deux compagnons de voyage, qui l’ont manipulé et cherchent à bouleverser l’ordre établi en faisant de lui une sorte de nouveau Prométhée dans la lutte cosmique que se livrent les principes opposés. Wikipédia indique que David Lindsay était un connaisseur des mythologies scandinaves mais les paysages exubérants et la galerie des personnages semi-divins mus par un élan mystique, à la fois méditatifs et violents, m’ont plutôt fait songer à une Inde fantasmée.

L’atmosphère est sombre, parfois glauque, et totalement dénuée d’humour. Les personnages, machistes et prétentieux, s’expriment souvent par aphorismes sentencieux (les dialogues sont parfois grotesques) et ne suscitent aucune sympathie. Le parcours de Maskull, qui se sent peu à peu investi d’une mission messianique, est ponctué de nombreux meurtres et les relations « humaines » sont essentiellement des rapports de force fondés sur la confrontation de concepts philosophiques, que l’auteur se contente d’effleurer assez superficiellement sans d’ailleurs véritablement révéler au lecteur les clefs de sa pensée. Lindsay se montre surtout obsédé par l’opposition des sexes et l’idée d’un ordre supérieur et transcendant : il attache d’ailleurs une grande importance aux organes sensoriels permettant de percevoir les choses invisibles et d’accéder à une réalité cachée.

La science-fiction n’est ici qu’un support pour enrober d’épisodes symboliques une réflexion métaphysique gnostique, pessimiste et un peu prétentieuse, sur les mystères du cosmos. Même si le roman est ambitieux, notamment son final assez grandiose, et que certains épisodes sont assez marquants, en raison de l’âpreté du ton, de l’ambiance oppressante qui baigne le parcours de Maskull et de la grande imagination de l’auteur (je pense notamment au lac qui traduit en musique les pensées inconscientes de qui le touche, à la rivière dont les effluves engendrent une vie végétale et animale foisonnante, à l'originalité et à la puissance des paysages), il est surprenant que « Présence du futur » ait classé cet ouvrage parmi les chefs d’œuvre de sa collection…

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