La voix dans le débarras - The voice in the closet de Raymond Federman

La voix dans le débarras - The voice in the closet de Raymond Federman

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Pieronnelle, le 5 septembre 2015 (Dans le nord et le sud...Belgique/France, Inscrite le 7 mai 2010, 76 ans)
La note : 10 étoiles
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La Voix qui laisse sans voix...

Qu’il est donc difficile de parler de ce texte ! D’ailleurs heureusement il est question d’écrire, seulement écrire et encore si les mots parviennent à exprimer un ressenti aussi fort, aussi déconcertant, aussi poignant.

Alors voilà ce que je pourrais écrire :

Comment exprimer un choc, une confusion totale de l’esprit perturbé par la peur, ou plus exactement la terreur, au delà de l’angoisse qui a envahi le corps et le mental ? Comment essayer de faire comprendre ce qui est du domaine de l’incompréhensible ?
On connaît les récits de ceux ayant vécu des évènements de ce genre ; récits construits “après-coup” et souvent de nombreuses années plus tard ; tel celui de Boris Cyrulnik qui aura eu besoin de 60 ans pour enfin faire remonter à la surface ce qui fut un arrachement dans sa vie d’enfant de huit ans, arrachement suivi d’une évasion. Ces récits sont le résultat de souvenirs ; ils ont fait travailler la mémoire pour enfin apporter témoignage de ce qui fût ; ils ont souvent attendu car difficilement concevables clairement, d’une façon organisée, dans l’esprit. Bien d’autres victimes n’ont jamais pu exprimer quoi que ce soit, car l’indicible a semblé inexprimable.

La démarche de Federman a été de tenter d’exprimer cet indicible tel qu’il l’a ressenti alors qu’il était enfermé dans ce débarras où il a été caché par ses parents pour échapper à la rafle des nazis. Il a considéré qu’il ne pouvait pas relater cet événement “normalement”, comme un simple récit car pour lui il dépassait l’entendement humain. Dans son texte les pensées se bousculent, se heurtent les unes aux autres et “La Voix” intervient pour lui permettre de tenir, de vivre envers et contre tout, dans les excréments de la peur.
Si l’on est déconcerté au début par l’écriture, cette avalanche de mots souvent aucunement reliés les uns aux autres, tels qu’ils se présentent au moment de la moindre pensée, de l’affolement, car l’enfant ne voit rien, il devine, imagine, extrapole au moindre bruit, on est par la suite complètement embarqué avec lui dans ce débarras devenu cellule sauvetage.
Un vrai coup de poing, à l’esprit, au coeur, au ventre. Là il ne s’agit pas vraiment de souvenirs, car le texte a été écrit également après, mais d’une vraie recherche, qui a dû être sacrement éprouvante, des pensées et du ressenti. Et le débarras s’emplit de ce qui a été exprimé avec des centaines de pensées transformées en mots qui voltigent, peut-être par milliers. On serait tenté de dire c’est “l’enfant dans le débarras”, mais non c’est la Voix, cette Voix extraordinaire qui est le lien avec la vie, qui permet la révolte,la résistance à la peur ,à la douleur ; cette Voix intérieure qui, tel un ami, tel un ennemi, tel un confident, tel un bouc-émissaire, ou n’importe qui, va permettre de tenir et de survivre à, oui, ce qu’on ne peut nommer qu’indicible.
Parce qu’il s’agit d’un fait réel, vécu, je me suis posée la question de savoir si la force de ce texte aurait été la même pour un fait inventé. Difficile de répondre mais je pense que oui car Federman n’est pas un écrivain ordinaire. Il y a une telle puissance évocatrice dans ce qu’il a voulu exprimer et l’on sent une telle humanité, une telle recherche du fonctionnement de l’âme humaine loin des schémas traditionnels, pour essayer d’aller au-delà des mots afin qu’ils ne soient pas que des mots...

Oui, voilà ce que je pourrais écrire.

Mais il est tellement évident que c’est totalement insuffisant, voire peut-être même, faux , complètement à côté de ce que représentent ce texte et sa portée dans la littérature .
Je n’ai pas voulu lire en premier la préface de Marc Avelot pour vérifier ce que que j’étais capable de comprendre, de percevoir, d’apprécier. Après ma lecture j’ai essayé d’écrire un avis, avec cette rationalité indécrottable afin de donner un sens à cette “expérience” littéraire et humaine ; mais il s’agit de bien autre chose qui place le lecteur lui-même dans cette situation “d’indescriptible”. D’autant que ce texte a été écrit simultanément en français et en anglais, ce qui en dit long sur la signification ou le pouvoir des mots...

Voilà, j’ai désiré néanmoins faire part de ma lecture, consciente de son insuffisance , pour vous présenter ce livre extraordinaire, dans le vrai sens du mot, mais la préface de Marc Avelot, que je conseille toutefois de lire en dernier afin de pouvoir découvrir avec son propre ressenti, sa propre réflexion, est là, superbe, pour donner un éclairage lumineux à ce texte qu’il considère “comme un des textes majeurs du XXè siècle”.

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