La légende d'Aragor de Michel Cazenave

La légende d'Aragor de Michel Cazenave

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique

Critiqué par Eric Eliès, le 26 février 2015 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 4 étoiles
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Une tentative de SF poétique

Aragor est une planète située sur le bras d’une galaxie spirale. A la suite d’une guerre de libération (à peine évoquée dans le livre) contre la tutelle d'Anglia, les peuples d’Aragor ont fondé une société d’apparence archaïque, dont les baronnies et la hiérarchie sociale imbriquée à des ordres religieux, évoquent irrésistiblement l'époque médiévale. Les hommes, vêtus de cuir et d’étoffes (lin, laine, coton), vouent un culte aux forces du cosmos et redoutent les forces enfouies dans les profondeurs des forêts. La nature est omniprésente et décrite avec précision par l'auteur (plantes, oiseaux). Au-delà de l'exotisme, un peu grossier, d’une altérité esquissée à gros traits dans les caractéristiques physiques (cheveux verts, yeux jaunes, etc.) des hommes d'Aragor, la faune et la flore sont exclusivement celles de la Terre, sans qu'on sache bien s'il s'agit d'un manque d'imagination de l'auteur ou d'un message caché sur la nature réelle d'Aragor. Par ailleurs, cette société est également technologique : les hommes utilisent des ordinateurs sophistiqués, des armes laser, des charrels (véhicules automatisés qui roulent sur les routes de campagne...), etc. dont ils maîtrisent le fonctionnement sans toutefois comprendre les mécanismes internes et la logique de programmation. Chaque année, Aragor, qui possède un cosmodrome, accueille les vaisseaux spatiaux des marchands de l'empire galactique d'Antarès, à qui est payé un tribut annuel. C'est quasiment la seule coloration "SF" du roman, qui est davantage un récit mystique dont le cadre aurait tout aussi bien être historique ou heroic-fantasy.

Aragor est assoupie dans ses légendes. La venue d’Eomir, voyageur solitaire dont la fusée d’argent se pose après 3 jours d’approche en orbite, affole les calculateurs informatiques et suscite l'interrogation angoissée des rois, des prêtres et des voyants, confrontés à un mystère insondable, qui dépasse leur compréhension tout en faisant écho à leurs croyances antiques... Car Eomir, qui voyage depuis des millénaires, semble venu du passé le plus lointain ; il connaît les rites et les paroles liturgiques, y compris celles cachées dont le sens a été oublié ou n'est su que par quelques initiés... Le roman se présente comme la transcription du récit, enregistré sur des bobines, du petit-fils de Sina, le Vieil Homme de la Lune qui fut témoin de la légende d'Eomir et de sa passion avec la princesse Mairi qui, comprenant les signes et accomplissant les anciennes prophéties rédemptrices, ouvrit à nouveau les forêts nordiques d'Ath-Alma où le Mal avait été exilé...

Les personnages s’expriment de manière sibylline, souvent par le chant ou par la récitation d’anciens poèmes prophétiques. Ces incantations sont toutes tissées des mêmes symboles et font écho au grand Dérangement (quand les hommes ont quitté Terra pour essaimer dans l’espace, ivres de leur puissance de leur science, et fonder l’empire galactique aujourd'hui sous la férule d'Antarès, qui a imposé une nouvelle chronologie) et à une mythologie cosmique dualiste reposant sur l’opposition et la complémentarité du jour (Soleil) et de la nuit (Lune). Elles évoquent également l’Etoile, qui incarnait la quête des hommes fuyant Terra (détruite par une guerre nucléaire dont les milliers de soleils aveuglants ont ravagé la planète) mais aussi le symbole du mal du Rebelle, dont le principe est enfermé sur Aragor dans les forêts d’Ath-Alma, au-delà des montagnes.

L’auteur, avec une prose poétique chargée de formules liturgiques, semble décrire des tableaux romantiques aux couleurs fortes et vives qui soulignent, par contraste, la psychologie torturée de personnages ténébreux figés dans des poses hiératiques. Le style prophétique reprend les procédés des épopées antiques (rappels fréquents de la généalogie, emploi d’adjectifs laudatifs et de surnoms homériques, mise en perspective dans l’histoire et la légende, etc.) et cherche à susciter une atmosphère de magie (les visions de la Caillech, Eomir le voyageur de toute éternité qui se pose sur Aragor dans sa fusée au fuselage d’argent, les ordinateurs omniscients, etc.) où semblent béer les profondeurs de l’espace et du temps… Hélas, il peine à installer une vraie tension psychologique et sa poésie, essentiellement fondée sur des extraits de chants liturgiques et sur la litanie des noms de lieux et des noms de personnages (souvent aux consonances celtiques), devient rapidement verbeuse et monotone par manque de souffle. Il est dommage que l'auteur semble parfois confondre la poésie avec des afféteries stylistiques... La société et les personnages n'ont pas la profondeur et la densité de présence des mondes créés par Frank Herbert (Dune) ou Charles Duits (Ptah Hotep, Nefer), qui semblent parfois avoir servi de modèle à l'auteur... Il ne parvient pas non plus à pleinement donner corps à une société réellement autre (à tel point que j'étais persuadé que l'auteur allait finalement nous révéler qu'Aragor était Terra, tant la faune et la flore sont celles de la Terre et tant l'opposition soleil/lune n'a de sens que sur Terre), ni à évoquer crédiblement (comme d'autres, tels HP Lovecraft ou Stanislas Lem, ont su le faire) l'interrogation métaphysique d'hommes confrontés à un mystère surgi des profondeurs de l'espace. Au final, on a le sentiment d'un roman ambitieux dont le thème, trop vaste et trop plein de réminiscences de lecture, a dépassé les capacités de l'auteur...

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