L'heure qui chasse de Marcel Migozzi

L'heure qui chasse de Marcel Migozzi

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 12 janvier 2015 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 9 étoiles
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A la recherche du temps perdu de l'enfance

ISBN : 978-2-35082-247-1

Ce mince recueil, qui peut et doit être lu d’une traite, est très caractéristique de l’écriture poétique de Marcel Migozzi et éveillera, chez le lecteur familier de son oeuvre, de nombreuses réminiscences, notamment d’«Eclats d’enfance toulonnaise» (dont un commentaire est disponible sur CL). Les poèmes font pénétrer dans l’intimité subjective des souvenirs de Marcel Migozzi ; les titres sont ici astucieusement renvoyés à la fin des textes, comme s’ils condensaient en un ou deux mots l’impression laissée par le poème et la trace de son souvenir dans la mémoire conjointe de l’auteur et du lecteur…
L’enfance est un thème récurrent, quasi obsessionnel, de l’écriture poétique de Marcel Migozzi. La guerre y marque une scissure profonde que l’auteur, comme on suit du doigt la trace d’une ancienne cicatrice, reconnaît et souligne dans ses poèmes. Dans la pièce unique (« car dès l’enfance 4 murs / pas un de moins pas un de plus ») où s’entassait la famille, l’oncle revenu des enfers (Tu le reconnais mal / Après son séjour à Dachau, / Descendu d’un semblant de lit, tombé / Dans une obscurité rayée) est une victime de la guerre tout comme l’enfance, qui a péri avec le conflit :

C’était
A la guerre comme à l’enfance
Ordre sec des privés de pain.

****

On peine à retrouver l’enfance, source
Disparue dans le corps après la guerre

Les jeux dans les rues de Toulon étaient alors pleins d’arrière-pensées : « si tu meurs, ta mère souffre / et tu ne voudrais pas (…) Alors tu joues sur le carré du port / Suspendu à des mouettes». Et ceux qui ont survécu ont été rattrapés par l’usure du temps et « l’heure qui chasse » : tous sont mort ou meurent (« Des copains sur la photo, en reste peu »), isolant peu à peu Marcel Migozzi et le transformant, contre son gré, en survivant d’une époque révolue dont les images se sont flétries…

On connait les photos des morts.
Elles ressemblent aux petits commerces fermés depuis la crise,
Fin de siècle, et ça fait mal.
On les retourne à la recherche d’une date comme pour tenter de rajeunir
En s’attardant sur un visage qui ne vieillira plus, sœur morte
Aux temps des barbelés sur terre.

(il reste une photo)

Alors, comme charriés par la force de ce fleuve de souvenirs hantés par la mort, resurgissent les moments quotidiens, tous ces presque-rien et je-ne-sais-quoi dont la valeur précieuse ne s’est révélée qu’après que le temps a érodé la gangue des souvenirs accumulés.

Cafetière si noire au cœur
De ces matins d’enfance au coin
De l’anthracite cuisinière
Qui pourrait la ressusciter ?

Le bon dieu même de maman l’ignore

****

C’était des soirs coloriés
Avec de l’encre à devoirs bleu-noir Waterman
Sous une ampoule toute nue

Table à tout faire
Et à tous, toile
A fleurs mais cirées sans parfum.

Et quand les ombres s’étageaient
Noires
C’est l’heure !

La poésie se transmue en une sorte de recherche du temps perdu, qui chemine à rebours vers l’enfance où tout existait déjà en germe, y compris la vocation d’écrivain « Mais plus tard Lire enfantera / Ecrire Aimer / Deux coups de foudre ». Tout n’a pas été perdu. La mémoire a capturé et retenu, comme pour les préserver, des sensations qui cristallisent des moments passés et vécus dans la proximité d’êtres chers, dont le souvenir abolit la distance que la mort avait, en apparence, rendu incommensurable. Les parents, les copains d’enfance sont encore présents dans les mots qui les évoquent, même si leurs contours se dessinent dans les échos de leur disparition et de la douleur d’absence qu’ils suscitent pour celui qui reste.

Jaunettes minuscules
Sans élévation
Y aurait-il des fleurs de pauvres ?
Maman les soignait, fière de leur présence fleurie

Maman est morte, les misères
On les a mises dans la terre
Enrichie de nos soins.
Si contente serait mère.

(les misères fleuries)

****

Et des copains jusqu’à perpète
N’en reste qu’un, à vieillir seul,
Un seul pour tous
Et toutes les disparitions pour moi.

Marcel Migozzi semble parfois souffrir d’être celui-là, trop lucide aussi pour ne pas douter de la valeur des mots (« Quel sens donner aux souvenirs d’enfance ? » « N’en parlons plus / qu’avec d’anciens silences ») et de la mémoire :

Les souvenirs vieillardent, pisse-
Vinaigre du présent, les souvenirs
Le même froid
Pour le passé et les promesses.
Les souvenirs, ce qu’il en reste,
On les voit mal, caillots d’enfance,
Confidences aux chairs
Mortes, les souvenirs.

La mort est omniprésente dans le recueil, comme une gomme qui efface les vivants mais non les souvenirs. C’est peut-être dans une sorte de devoir mémoriel d’hommage, à ce qui fut et qui n’existe plus que dans les mots, que la poésie de Marcel Miggozi prend source comme si sa fonction ontologique était d’abriter et de pérenniser le souvenir dans l’éternité du texte… La vieillesse s'apparente alors à la sanction de l’oubli :

Fatigue, coup d’os intrapeau
Vengeance du corps égaré loin de l’enfance ?

Les poèmes à ses fils sont en conséquence émouvants, un peu comme si, se sentant se devenir vieux (nota : et pourtant, je puis vous assurer, ayant visité en sa compagnie l’abbaye du Thoronet aux nombreux recoins et escaliers, qu’il a encore bon pied !), il jetait de son vivant une bouée pour s’ancrer dans le présent et, sans être dupe (« Aujourd’hui, nos enfants s’éloignent / Nous restons là / Le peu de vie entre les os, ne sommes plus que vieux /De souvenirs ossifiés ») revivifier son enfance par les liens d’amour qui unissent la sienne à celles de ses enfants :

Pardonnez mes colères excès
Fausses pistes de mauvais sang
Pour qu'en terre d'amour et de bon chocolat
Partagés avec vous, je survive.

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