Trous noirs et bébés univers, et autres essais de Stephen Hawking

Trous noirs et bébés univers, et autres essais de Stephen Hawking
(Black holes and baby universes and others essays)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Scientifiques , Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Eric Eliès, le 19 octobre 2014 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 7 étoiles
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recueil d'articles mêlant aubiographie et réflexions scientifiques

Ce livre (dont je propose ci-dessous une brève recension en 3 parties) est constitué d’un assemblage hétéroclite de conférences et d’articles parus en revue. Cette construction, qui ôte de la cohérence au recueil et génère de nombreuses redites, gâche un peu le plaisir de la lecture et empêche de bien comprendre la pensée de Stephen Hawking lorsque, dans les derniers articles, il commence à développer des idées absconses sur le temps imaginaire et les particularités des trous noirs sans qu’on sache très bien le niveau de vulgarisation de ces articles. Ainsi, il prend beaucoup de temps à expliquer des notions mathématiques (nombre imaginaire) du niveau d’un lycéen puis assène soudain en quelques lignes des concepts sur la nature du temps dont la clarté m’a parfois donné l’impression de lire la prose des Bogdanov … En outre, et un peu comme les Bogdanov d’ailleurs, Hawking a tendance à faire du « name dropping » en simplifiant jusqu'à la caricature la pensée des auteurs qu’il cite, notamment les philosophes (par exemple, la pensée d’Aristote sur l’existence éternelle de l’Univers).

L’intérêt scientifique du livre réside dans les passages où Stephen Hawking présente l'état de sa réflexion cosmologique mais il insiste, hélas, sur quelques notions non-intuitives trop peu développées pour être vraiment accessibles : la somme sur les histoires (concept inventé par Richard Feynman pour résoudre les paradoxes engendrés par le principe d’incertitude de la mécanique quantique), le temps imaginaire (la théorie quantique permet d’unifier totalement le temps et l’espace en considérant que les coordonnées temporelles d’un évènement sont complexes, ie se décomposent en une coordonnée réelle et une coordonnée imaginaire. Cet espace–temps peut être considéré fini mais sans bord et donc sans singularité initiale. Le temps imaginaire est inaccessible à notre perception), la flèche du temps (qui traduit l'orientation temporelle des liens de causalité due aux lois de la thermodynamique sur l’entropie).

1. Réflexions et travaux scientifiques
Alors qu'il était encore jeune chercheur, Hawking a démontré, avec Roger Penrose, que tout univers satisfaisant les équations de la Relativité contient des singularités et dérive d’une singularité initiale : cette démonstration s’est heurtée à la théorie de l’état stationnaire défendue par Fred Hoyle (qui était alors le plus réputé astrophysicien britannique), qui a été réfutée en 1964 par la découverte du rayonnement cosmique diffus. Une autre théorie (des russes Lifchitz et Khalatnikov) proposait de contourner la singularité initiale en considérant que les galaxies avaient jailli d’une région étendue où elles se croisaient en alternant des phases de contractions et d’expansion et non d’un point singulier où la densité était infinie.

Stephen Hawking est devenu célèbre dans les années 70 en démontrant que l’application du principe d’incertitude de la mécanique quantique à une particule soumise à l’attraction d’un trou noir démontrait l’existence d’un rayonnement thermique des trous noirs, d’autant plus intense que le trou noir est petit (ce qui a conduit Hawking à rechercher d’éventuels trous noirs primordiaux de très petites dimensions). Les particules sortent du trou noir par effet tunnel et peuvent être de toute nature (en fait, le trou ne conserve aucune information des particules qui constituaient la masse effondrée ayant donné naissance au trou noir, sauf la charge électrique, la masse et le mouvement angulaire). Ce rayonnement conduit à l’évaporation du trou noir, de plus en plus rapide au fur et à mesure que le trou noir se réduit, et à son explosion finale qui s'accompagne d'une grande génération de particules. Hawking a calculé que l’évaporation d’un trou noir de la masse du soleil prendrait environ 10^66 années ; en revanche, celle d’un trou noir primordial de petite taille d’un milliard de tonnes env. pourrait prendre simplement une dizaine de milliards d'années : leur explosion devrait donc être aujourd’hui observable sous forme de rayonnements gamma de très haute énergie. Pour Hawking, le big-bang est clairement assimilable à l’explosion finale d’un trou noir mais à une échelle d’énergie incommensurablement supérieure.

Prolongeant l'analogie entre la singularité du trou noir et la singularité du big-bang, Stephen Hawking (avec Jim Hartle) s’est intéressé à la cosmologie quantique, ie à l’application de la mécanique quantique à la trame de l’espace-temps pour tenter d’aboutir à une théorie de la gravité quantique unifiant la relativité et la mécanique quantique. Dans ce cadre, Hawking considère qu’il n’existe pas une histoire unique de l’Univers mais que toutes les histoires possibles de l’Univers sont identiquement vraies dans un espace-temps complexe où le temps possède une coordonnée réelle et une coordonné imaginaire. La somme sur les histoires de l’Univers (ici considéré comme un objet quantique) doit s’effectuer dans le temps complexe sur les différents types d’espace-temps possibles et non dans le temps réel ; Hawking prophétise que ce concept, qui semble donner corps aux univers parallèles de la science-fiction, sera un jour aussi familier aux hommes que la relativité du temps (provoquée par l’invariance de la vitesse de la lumière) et la rotondité de la Terre le sont pour nous alors qu’elles étaient jadis inimaginables. Hawking et Hartle ont postulé que l’Univers était défini par une somme qui ne comprend que des espaces courbes sans singularité dans le temps imaginaire ; dans le cas contraire, les lois physiques cessant d’être valables dans une singularité, il sera à jamais impossible de décrire et prédire l’évolution de l’univers.

L’avenir de l’univers dépendra essentiellement de sa densité ; au-delà d’un seuil critique, l’univers restera en expansion permanente ou connaîtra une contraction vers un big crunch. Les calculs montrent qu’il existe une importante quantité de matière invisible qui assure la cohésion des galaxies et des amas galactiques. La matière invisible peut être due à des particules élémentaires non détectées, au neutrino (dont la masse ne serait peut-être pas nulle) ou aux trous noirs primordiaux. La valeur de la densité initiale peu après le big-bang a permis à notre univers d’exister tel qu'il est : légèrement plus dense, il se serait recontracté très rapidement avant de permettre la création d’étoiles ; légèrement moins dense, il se serait rapidement dilué. Cette extraordinaire coïncidence a donné naissance au « principe anthropique ». L’observation de l’évolution du mouvement des galaxies semble montrer que l’expansion est en ralentissement et que la densité de l’univers est proche de la densité critique. Quoi qu’il en soit, expansion infinie ou contraction, toute la matière des galaxies a vocation à finir engloutie au sein d’un trou noir.

Selon Hawking, lorsqu’un trou noir explose, il expulse des particules dans un bébé-univers, divergent de notre espace-temps mais susceptible de s’y rattacher localement par un autre trou noir en perturbant l'espace-temps. Ce mécanisme signifie que, même si nous arrivons à établir la grande théorie unifiée, nous ne serons sans doute jamais en mesure de prédire en totalité l’évolution de notre univers. Il existe donc, renforcé par le principe d'incertitude de la mécanique quantique, un élément d'aléa irréductible sur lequel nous pouvons nous appuyer pour fonder la croyance en notre libre-arbitre : en effet, même si notre cerveau et nos pensées sont régis par des lois physiques, nos pensées ne sont pas prédictibles (tout est peut-être déterminé mais nous ne serons jamais quoi – en outre, nos pensées seront sans cesse modifiées par l’effort ou l’expérience pour y accéder). En conséquence, après une digression philosophiquement assez bancale, Hawking nous incite à faire le pari de croire en notre liberté, qui nous apporte le sens de la responsabilité nécessaire pour compenser l’agressivité naturelle héritée de nos ancêtres préhistoriques, devenue mortellement dangereuse pour l’humanité depuis le développement d’armes de destruction massive.

2. Réflexions sur la science
Stephen Hawking évoque également dans ce livre sa conception positiviste des sciences. Pour lui, l’Univers existe mais il n’est connaissable que par le biais des théories scientifiques ; en conséquence, notre conception de l’Univers ne porte que sur un modèle et il est vain de chercher à s’interroger sur l’Univers lui-même ou sur une réalité indépendante des théories scientifiques, dont la nature supposée est la source des malentendus entre scientifiques, religieux et philosophes. Ces malentendus peuvent co-exister au sein d’une même personne : ainsi, la foi d’Einstein en un univers statique et éternel a orienté ses calculs et l’a empêché de prédire l’expansion de l’univers, qui était implicite dans les équations de la Relativité générale et fut découverte quelques années plus tard par la révélation du mouvement relatif des galaxies.

3. Eléments autobiographiques
Au-delà de ces considérations scientifiques et philosophiques, ce livre permet également d’apprendre des choses intéressantes sur la vie et sur la personnalité de Stephen Hawking, qui a grandi dans une famille intellectuelle (ses parents travaillaient dans la recherche médicale) mais dans des conditions matérielles parfois précaires. Enfant, il aimait concevoir des modèles réduits et inventer de complexes règles de jeu et, à l’adolescence, il s’est passionné pour la physique et l’astronomie. Après avoir passé avec succès l’examen pour obtenir une bourse en sciences à Oxford (son père aurait préféré qu'il fasse des études médicales ou dans le domaine de la biologie), Hawking se retrouve isolé de sa famille au milieu de condisciples plus âgés que lui dans un milieu universitaire qui n’incite pas au travail (la philosophie d’Oxford se résumait à : « si tu es génial, tu n’as pas besoin de travailler pour réussir ; si tu as besoin de travailler pour réussir, tu n’es pas doué et tu ne mérites pas de réussir »). En outre, il commence dès sa 3ème année à Oxford à développer les symptômes d’une sclérose en plaques incurable mais le diagnostic va provoquer un choc salutaire : après une période d’abattement, il va, stimulé par l’urgence de vivre vite, s’investir pleinement dans ses études en relativité générale puis se fiancer et se marier avec une étudiante tandis qu’il obtient un poste de professeur en physique théorique à Cambridge. L’état de santé de Stephen Hawking s’est dégradé lentement, ce qui lui a permis d’apprivoiser la maladie (notamment grâce à des équipements tels que l’ordinateur et le synthétiseur vocal installés sur son fauteuil roulant) et a limité l’impact sur ses travaux et sa vie de famille. Stephen Hawking est lucide sur le rôle que sa maladie a joué dans la médiatisation de ses travaux et dans l’incroyable succès de librairie de « Une brève histoire du temps », que Hawking a sciemment publié chez un éditeur grand public avec un intérêt pédagogique de vulgarisation et un objectif pécunier pour assurer le financement des études de sa fille.

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Les éditions

  • Trous noirs et bébés univers [Texte imprimé], et autres essais Stephen Hawking trad. de l'anglais par René Lambert
    de Hawking, Stephen Lambert, René (Traducteur)
    Odile Jacob / Poches Odile Jacob
    ISBN : 9782738107930 ; 9,50 € ; 09/03/2000 ; 208 p. ; Poche
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