Julie ou la dissolution de Marcel Moreau

Julie ou la dissolution de Marcel Moreau

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 8 octobre 2003 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 10 étoiles
Visites : 4 212  (depuis Novembre 2007)

Le renversement de la raison

Hasch, le narrateur, est correcteur au sein d'une revue scientifique, genre Science et vie, placée sous la direction de Vachet, qui prône l'Effort à son personnel. A la suite du départ d’une employée, Julie déboule dans le bureau et sème le doute. Elle commence par fasciner Hasch par sa sensualité, ses manières singulières (sa façon de taper à la machine, ses erreurs, elle dessine des crinoïdes...) et le parfum de mort qu'elle véhicule. Puis les autres employés du bureau tombent sous ses charmes.
L’été qui sert de cadre à cette histoire est caniculaire ; il ajoute au malaise et au sentiment d’irréalité. Julie agira un peu sur son entourage comme le personnage joué par Terence Stamp dans le Théorème de Pasolini, révélant chacun à son dedans obscur et subversif.
La dernière (s)cène est remarquable qui propose ce qu’on pourrait appeler communément une partouze ou une orgie mais qui transgresse par sa mise en place et son écriture les lois du genre. Elle prend l’allure d'un acte de rébellion contre toute forme de raison (ce livre est une attaque en règle contre la science) et les faux semblants de l'existence qui tendent à couvrir sous un manteau de convention l'animalité de l’homme. Une scène qui n'est jamais gratuite et qui n’use d’aucune des facilités dont on pourrait s’attendre de la part d’écrivains médiocres ; maîtrisée de bout en bout et guidée par une écriture rare, à la fois superbe (chaque phrase surprend et ravit) et qui ne dessert jamais l’action (comme c'est parfois le cas de ces écritures qui se dressent au devant de l’intrigue).
Magistral de bout en bout !
Un extrait : « Son visage était grave, magnifique. Et pourtant quelque chose d’elle s'abandonnait. Sa bouche, par exemple, que j’ai saisie une seconde fois entre mes lèvres. La sienne était profonde, d'une douceur que la violence des succions et le battement tumultueux de la langue corrigeait de telle sorte que j’avais la sensation d'être englouti.
En général, la bouche d'une femme, la manière dont elle se comporte dans le baiser nous donne une idée assez nette de ce que sera son sexe. Elle n’en est que la réplique un peu moins mystérieuse quant aux parois et aux dessous, mais tout aussi puissante quant à la voracité. Les lèvres sèches et la langue rétive annoncent un vagin étroit et « difficile ». Les grands jeux salivaires, les spasmes et les morsures qui gonflent la gorge préfigurent les pompes infiniment mouillées d’un organe hystérique. »
Et voici ce qu'écrivait Anaïs Nin à Moreau en 1972. (...) Pour la première fois, je perçois l'écriture comme une drogue, quelque chose (comme vous me l'avez écrit une fois) à boire et à consommer. C'est écrit avec le corps, les nerfs et le sang et j'oserais dire qu'un tel mélange est presque plus que ce qu'un être humain peut supporter. Si vous, vous sentez que j'ai habité les profondeurs, moi je pense que vous avez traduit en mots des sensations et des expériences que je croyais indescriptibles. En un sens, il s'agit de la métamorphose de la chair en mots, ou des mots en chair. C'est un prodige...

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