Blast, tome 4 : Pourvu que les bouddhistes se trompent de Manu Larcenet

Blast, tome 4 : Pourvu que les bouddhistes se trompent de Manu Larcenet

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

Critiqué par Elko, le 26 octobre 2014 (Niort, Inscrit le 23 mars 2010, 48 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (3 088ème position).
Visites : 4 387 

Le neuvième art comme je l'aime

Voici le dernier tome qui apporte le dénouement de l'errance au propre comme au figuré de Polza Mancini ainsi que de l'enquête policière qu'elle a déclenchée.
Manu Larcenet a pris un pari difficile tant sur le fond (le parcours d'un fugitif psychotique qui nous trimballe entre dégoût et compassion dans un monde désabusé et violent) que sur la forme (albums en noir et blanc et styles graphiques variés). Mais c'est très réussi.

Mancini nous intrigue et nous dérange, même s'il s'avère parfois un peu trop péremptoire pour moi. Il nous happe dans son voyage, dans sa quête. Les thèmes abordés, le retour à la nature, la maladie, la marginalisation, ..., densifient et rendent cohérent l'ensemble. Parlons aussi du rythme, lent, patient, qui nous connecte à l'aspect contemplatif de Mancini. Enfin l'épilogue est une vraie surprise et prolonge la réflexion et cet état indéfinissable de se sentir encore un peu ailleurs lorsque l'on referme un livre.

Quant au dessin il est très marqué, tout de suite identifiable à son auteur, pas très grand public (ce qui n'est pas un défaut pour moi). Les planches sont très belles (j'ai particulièrement apprécié les effets sur les ciels et les paysages crépusculaires/nocturnes). Le travail sur la couleur (lors du blast) et les découpages sont surprenants. La nature tant par son dessin que son atmosphère est finement restituée.

Il y a un univers, un propos et un dessin. J'ai vraiment eu l'impression d'avoir plongé dans de la grande BD comme on plongerait dans de la grande littérature.

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Les éditions

  • Pourvu que les bouddhistes se trompent [Texte imprimé] Manu Larcenet
    de Larcenet, Manu
    Dargaud
    ISBN : 9782205072730 ; 22,90 € ; 07/03/2014 ; 200 p. ; Relié
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Blast de Manu Larcenet - critique sur les 4 tomes

10 étoiles

Critique de Lucia-lilas (, Inscrite le 21 février 2016, 58 ans) - 17 juin 2016

« Comment ne pas se haïr quand il est si naturel de se faire haïr ? »

Assis dans une cellule, Polza Mancini, 38 ans, 150 kilos, critique gastronomique, attend. Visiblement en garde à vue. Il tourne la tête et voit une figure moaï.
De l’autre côté de la porte, un inspecteur l’observe. « Il n’a pas l’air coriace » s’étonne-t-il.
Et pourtant… internements fréquents en hôpital psychiatrique, automutilations en tous genres, altération du jugement, comportement asocial, hallucinations, arrestations multiples et variées et puis, une femme, Carole Oudinot, à qui il a fait quelque chose, on ne sait pas quoi mais on craint le pire. Elle est dans le coma, pas sûr qu’elle s’en sorte…
Les policiers l’interrogent, il faut le faire avouer. Mais Polza peut se taire, se refermer comme une huître. De toute façon, ils sont prévenus, il compte prendre son temps, leur raconter tout dans le détail : « Si vous voulez comprendre, il faut que vous passiez par où je suis passé. »
Et il en a fait des tours et des détours.
Alors, on suit Polza qui, sur huit cents pages (quatre volumes), nous raconte, se raconte… C’est lui qui cause, il faut l’écouter. Vrai, pas vrai, mensonges, vérité ? Un récit subjectif en tout cas…
D’abord, la mort de son père, l’homme à tête d’oiseau, à peine humain, que l’on découvre recroquevillé sur son lit d’hôpital. Et puis, le départ de Polza. Il quitte tout du jour au lendemain: sa maison, sa femme, son métier pour devenir clochard, clochard volontaire, expérimenter la liberté, sortir du cadre. Enfin ! Après la mort du père, il s’autorise….
Il prend le train, descend au bout de la ligne et s’enfonce dans la nature… Retour à l’état sauvage presque : contemplation des petites bestioles qui grouillent et des plus grosses qui traversent le paysage. On se laisse aller à rêver sur des planches superbes, de vrais tableaux… On admire les lieux, limite si on n’est pas un peu jaloux de toute cette liberté que s’est offerte le gars Polza, même si l’on sent comme une menace.
Parfois, à l’aide d’alcool et de médicaments, surgit le blast, espèce d’instant en suspension, d’ « effet de souffle, d’onde de choc ». Il voit des têtes de moaï, les fameuses statues de l’île de Pâques. C’est l’extase qu’il recherchera, toujours et encore, état second où il devient léger physiquement et moralement. Moments rares, fugitifs et précieux…
Puis les premières rencontres, les paumés, les marginaux, les malades. Ceux avec qui il passe du temps, discute, semble échanger, un peu. Et les errements reprennent.
Il faut survivre, se défendre, frapper, être frappé et humilié. C’est le prix de la liberté. Devenir presque un animal, retourner à l’état sauvage. Souvent ivre mort, il faut se relever quand même, traîner ses blessures, calmer ses plaies et sa souffrance.
Et Polza raconte, détaille, se souvient. De temps en temps, il avale des barres Funky chocolat, les policiers les lui fournissent. Ce sont ses barres préférées. Alors, si ça peut l’aider à en dire un peu plus…
Qui est Polza Mancini ? Est-il ce qu’il dit être ? Est-on ce qu’on croit être ?
« Parfois je mens. Je dis que je ne me souviens de rien… Mais il n’est rien qui ne s’efface, bien sûr. Je bouillonne en dedans. Je suis en feu. Je suis gris, lourd, crasseux, mais je suis en feu. Je suis la limaille, le cambouis, les miasmes, les ordures. Je suis la souillure, la suie qui s’incruste sous les ongles, les paupières, qui se niche au fond des poumons. Le désespoir, c’est comme la prison, la mine ou l’usine…Ça vous lâche jamais. Mais je suis en feu. Alors je mens. Je dis que je ne me souviens de rien. Mais mon histoire est faite de cicatrices. Il me suffit d’inspecter ma peau… Et tout me revient. »
Personnalité complexe, énigmatique, autour de laquelle le lecteur va tourner, s’interroger… Cet individu repoussant, abject, n’est-il qu’un pauvre homme vulnérable, seul car différent, dégoûté de lui-même et des autres et dont on ne peut qu’avoir pitié ? Est-il un individu prêt à payer cher sa liberté, refusant la normalité et la société de consommation ? Ou bien, est-ce un être chez qui « il n’y a pas trace de morale, d’éthique ou même de justice…. » ? « Là où vous vous réduisez à la loi, je ne me conforme qu’à la nature… et la justice n’existe pas dans la nature. » précise-t-il aux deux policiers…
Un roman graphique d’une noirceur insondable et fascinante, des planches anthracite où le blast ultra-coloré vient soudain, comme un immense feu d’artifice, briser la grisaille, le noir et blanc dans lequel on replonge illico…
Une œuvre à la fois belle et cruelle, poétique et sordide ! Terriblement impressionnante. Essentielle en tout cas.

Un karma qui pose problème…

9 étoiles

Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 2 septembre 2015

Dans ce tome final, aucune révélation ni rebondissement inattendus, Polza se rapproche inéluctablement de son destin tragique, ce destin qui l’a conduit en garde à vue en tant qu’assassin présumé alors qu’il ne voulait que protéger Carole, la jeune femme dont le père était un salaud. La narration reste bien pensée, avec un soin particulier porté aux textes et aux dialogues. Quant au dessin, il semble s’être bonifié depuis le premier tome, ce trait noir et blanc à la fois gras et fin, ainsi que ses lavis empreints de mystère, sont réellement un plaisir des yeux. Décidément, le noir va bien à Larcenet, et apparemment il semble s’épanouir dans ce style graphique à mille lieues de ses productions humoristiques. D’ailleurs, d’aucuns prétendent que « Le Rapport de Brodeck », son nouveau diptyque en forme de conte macabre, serait encore meilleur…

C’est véritablement la métamorphose d’un dessinateur à laquelle on assiste avec cette série, comme si Larcenet se débarrassait peu à peu de ses oripeaux d’ado régressif pour entrer de plein pied dans l’âge mûr. Une mue qui avait commencé avec « le Combat ordinaire », où, si le dessin s’apparentait au Larcenet première époque, le propos devenait peu à peu beaucoup plus grave malgré les quelques saillies humoristiques ça et là.

Un questionnement toutefois : même si la série reste captivante de bout en bout, on peut se demander si quatre tomes étaient réellement justifiés. Certes, le talent de l’auteur fait qu’on ne s’ennuie pas avec cette œuvre mi-polar mi-contemplative, très puissante et avec risques d’effets secondaires… Sans doute avait-il besoin de ce format pour poser son intrigue. Mais le scénario en lui-même ne me semble pas si complexe pour le délayer sur 800 pages. Bref, chacun pourra se faire son propre avis sur la question. Mais il ne fait aucun doute que « Blast » restera une des œuvres marquantes de cet auteur et une référence du 9ème art

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